En quête de signes de reprise

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En quête de signes de reprise

En Afrique, la date du redémarrage de la croissance reste incertaine
Afrique Renouveau: 
Reuters / Stephen Jaffe
Coffee pickers in KenyaCueillette du café au Kenya : dans toute l’Afrique, de nombreux travailleurs perdent leur emploi du fait du ralentissement des économies.
Photo: Reuters / Stephen Jeffe

Le pire de la crise est-il derrière nous et une lente reprise a-t-elle commencé, ou le monde doit-il faire face à la perspective d’une poursuite de la récession qui se traduira par l’aggravation de la pauvreté pour de nombreux Africains ? “Personne ne peut dire avec le moindre degré de certitude si le pire de la crise économique mondiale est passé,” a déclaré Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement (BAD) lors de l’assemblée générale annuelle de cet organisme réunie à Dakar (Sénégal) en mai. Les conjoncturistes sont d’accord pour prévoir que l’activité économique mondiale baissera cette année, mais ils diffèrent sur la gravité de cette récession ainsi que sur la date à laquelle la croissance reprendra, et à quel rythme.

En juin, la Banque mondiale prévoyait que l’économie mondiale se contracterait de 2,9 % cette année, une prévision plus pessimiste que celle de 1,3 % publiée en avril et que les hypothèses retenues par le Fonds monétaire international. Dans un document préparé pour sa réunion de mai, la BAD prévoyait une croissance de 2,3 %, en baisse par rapport aux 2,8 % prévus à peine trois mois auparavant, alimentant les craintes que “le pire soit encore à venir.”

‘Paysage hivernal’

C’est exactement ce qui inquiète l’ONU. Dans une mise à jour de Situation et perspectives de l’économie mondiale, 2009 publiée en mai, l’organisation prévoit que la croissance économique sera cette année en Afrique de moins de 1 %. L’ONU se montre moins optimiste que certains qui voient déjà émerger les “pousses vertes” de la reprise économique, a déclaré aux journalistes Rob Vos, un haut responsable du Département des affaires économiques et sociales qui a établi le rapport. Peu de signes du printemps sont perceptibles “dans ce paysage très hivernal” a-t-il ajouté.

“Pour un grand nombre de pays, il n’y a aucune pousse verte signe de reprise, seulement des semences en germe” a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, lors de l’ouverture d’une conférence tenue du 24 au 26 juin par l’Assemblée générale sur les incidences sur le développement de la crise mondiale.

La faible intégration des pays africains dans l’économie mondiale a d’abord contribué à protéger le continent des effets directs des turbulences qui ont agité les marchés financiers, a souligné le Secrétaire général adjoint et Conseiller spécial pour l’Afrique, Cheick Sidi Diarra, lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée générale consacrée à l’Afrique et aux pays les moins avancés (PMA) ; mais, a-t-il ajouté, “la plupart des pays africains ont souffert des effets secondaires provoqués par le déclin des investissements et des revenus du tourisme ainsi que des recettes d’exportation.” Pour l’Afrique et les PMA, “la crise constitue une situa­tion catastrophique sur le plan du développement.”

A poor neighbourhood in Freetown, Sierra LeoneQuartier pauvre de Freetown (Sierra Leone) : l’ONU fait observer que 12 à 16 millions de personnes de plus seront plongées dans la pauvreté en Afrique à cause de la crise économique.
Photo: Reuters / Katrina Manson

En raison de la crise, 12 à 16 millions de personnes en plus seront plongées dans la pauvreté en Afrique, estime l’ONU. Pour la première fois depuis 1994, le revenu par habitant diminuera pour l’ensemble du continent, ajoute la BAD.

Les principaux prévisionnistes s’accordent tous à dire que la croissance africaine reprendra l’année prochaine. La BAD prévoit une remontée de 4,1 % en 2010, l’ONU cite aussi bien le chiffre optimiste de 5,3 % que celui - plus pessimiste - de 1,7 %. La Banque mondiale, elle, voit une croissance de 3,7 % pour l’Afrique subsaharienne, mais avertit que les risques qui planent “sont fortement orientés à la baisse."

Plusieurs année de croissance relativement robuste et de réformes approfondies de leurs politiques permettent à de nombreux pays africains de mieux résister à la crise actuelle qu’à celles qui l’ont précédée ; mais la capacité de résistance des économies africaines est limitée.

Des conséquences économiques douloureuses

Les conséquences économiques douloureuses de la crise mondiale se font sentir à travers toute l’Afrique. L’Afrique du Sud, l’économie la plus puissante du continent, est entrée en récession au premier trimestre en se contractant de 6,4 % par rapport à la même période de l’année précédente. Plus de 180 000 personnes ont perdu leur emploi entre décembre et mars, faisant monter le taux de chômage à 23,5 %. La Standard Bank prédit que 2009 pourrait voir disparaître jusqu’à 400 000 emplois.

Peu de pays ont échappé aux effets de la crise :

  • En Egypte, plus de 100 000 travailleurs ont été licenciés au cours de la période de six mois qui a pris fin en mars, jusqu’à 500 000 pourraient perdre leur emploi cette année
  • Au Kenya, plus de 10 000 personnes ont été licenciées au cours du premier trimestre
  • Quelques 12 000 mineurs ont été mis à pied en Zambie
  • En Tanzanie, environ 20 000 employés des entreprises horticoles sont menacés de chômage par la chute brutale de la demande en primeurs et en fleurs coupées des marchés européens et américains
  • Au Nigéria, les recettes publiques sont inférieures de 30 % aux prévisions

La BAD prévoit que cette année les recettes d’exportation africaines plongeront de 250 millions de dollars. Les chiffres du tourisme sont en baisse presque partout et de nombreux pays, du Sénégal au Kenya, indiquent que les envois de fonds de leurs citoyens travaillant à l’étranger sont également moins importants qu’auparavant.

Les montants de l’aide au développement étant également susceptibles de baisser, de plus en plus de pays font face à une crise budgétaire. Selon la BAD, l’Afrique est passée d’un surplus dans les budgets nationaux, qui se montait globalement l’année dernière à 2,8 % de leur PNB (Produit national brut), à un déficit correspondant à 5,8 %.

La plupart des pays sont aussi confrontés à une dure concurrence dans leurs tentatives d’accroître leurs exportations. Cela va de l’île Maurice – dont les exportations de produits manufacturés relativement élaborés avaient été frappées de plein fouet par la concurrence de la Chine et d’autres pays avant même la récession – au Burkina Faso, encore lourdement tributaire de ses exportations de coton et d’or.

Des effets contrastés

Les conséquences de la crise économique mondiale se manifestent cependant de manière inégale. Selon M. Kaberuka, 14 pays africains ont encore connu une croissance de plus de 5 % au cours du premier trimestre 2009, 13 autres conservant un taux de croissance économique supérieur à celui de leur population.

Fait révélateur, ce sont les pays d’Afrique les plus fragiles et dont les économies sont les plus faibles, mais qui sont aussi les moins exposés aux fluctuations de l’économie mondiale, dont on prévoit que les taux de croissance et les revenus résisteront mieux, bien qu’à des niveaux plus bas. Les pays qui font exception, comme le Lesotho, Madagascar et le Swaziland, sont ceux qui sont fortement tributaires de leurs échanges ou de l’envois de fonds de leurs émigrants.

Les grandes économies pétrolières et minières de l’Afrique devraient subir les ralentissements les plus notables. L’ONU prévoit que cette année en Afrique subsaharienne, la croissance ne sera que de 0,9 % ; mais si l’on exclut le Nigéria et l’Afrique du Sud, la croissance prévue pour la région devrait se chiffrer à 1,5 %.

Des pays comme l’Algérie, l’Angola et le Botswana connaîtront cette année une baisse importante de leur PNB par habitant mais conservent de confortables réserves financières qui les aideront à surmonter la crise. Toutefois, nombreux sont ceux qui ne feront appel qu’avec prudence à leurs réserves de change afin de préserver leur cote de solvabilité. Ils préféreront, à l’exemple du Botswana, se reposer sur l’aide de la BAD ou d’autres fonds multilatéraux.

Des signes de reprise ?

En dépit des mauvais chiffres, certains analystes détectent des signes de reprise. Selon les gestionnaires de fonds d’investissement africains, les investisseurs de portefeuille s’intéressent à nouveau aux perspectives offertes par le continent. En avril et en mai, les bourses du Nigéria et d’Afrique du Sud ont toutes deux vu des volumes d’activités et des prix en hausse, bien que très inférieurs à ce qu’elles avaient connu l’année précédente.

Le prix des matières premières, habituellement le meilleur indicateur d’une reprise en Afrique, a manifesté quelques signes positifs. Les prix du pétrole et des minerais ont commencé à progresser ; ceux du cacao et du thé sont en forte hausse, mais principalement à cause de problèmes de production en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Kenya, ce qui promet peu de soulagement pour ces exportateurs. Globalement donc, la reprise est encore modeste et la prudence reste de mise.