Réduire les écarts de richesses

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Réduire les écarts de richesses

Les économistes demandent une nouvelle approche
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
South African youths protest outside the  Cape Town Convention Centre against inequalities.    Photo: AMO/ Esa Alexander
Photo: AMO/ Esa Alexander
De jeunes Sud-Africains manifestent devant le Centre de conférence de Cape Town lors du Forum économique mondial de 2015. Photo: AMO/ Esa Alexander

Considéré comme « le continent en difficulté » puis « émergent », l’Afrique connaît aujourd'hui des signes encourageants de croissance durable sous l’égide de gouvernements plus stables.  

McKinsey & Company, prédit que le PIB de l’Afrique atteindra les 2,6 milliards de dollars en 2020 et que « les dépenses de consommation de 128 millions de ménages  seront d’environ 1,4 milliards de dollars. »

La Côte d’Ivoire, le Bénin, le Maroc, le Rwanda, le Sénégal et le Togo sont des pays attractifs pour les investisseurs.

Cependant, un rapport récent du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), Inégalités de revenus en Afrique de l’Ouest : tendances divergentes, déterminants et conséquences, estime que les richesses de l’Afrique sont détenues par un groupe de plus en plus restreint. Il est décevant de constater que 10 des 19 pays les plus inégalitaires au monde se trouvent en Afrique sub-saharienne, comme l'Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie et la Zambie.

Les inégalités économiques, ou inégalités de revenus, désignent une répartition inégalitaire des richesses d’un pays. Dans les sociétés très inégalitaires, comme l’Afrique du Sud, pays le plus développé du continent, une minorité s’enrichit au détriment de la majorité.

 Le Alors que le taux de croissance économique de l’Ethiopie est de 8%, il est impossible de ne pas remarquerle contraste entre les pauvres à dos d’âne et les riches se déplaçant dans de luxueuses voitures. 

Au Nigéria, “les inégalités atteignent des sommets”, constate l'ONG Oxfamdans une étude publiée en mai 2017. Cinq des Nigérians les plus riches, dont Aliko Dangote, possèdent à eux seuls 29,9 milliards de dollars, plus que le budget entier du pays en 2017. Près de 60% des Nigérians vivent avec moins de 1,25 dollars par jour, le seuil absolu de pauvreté.

 “Tout [en Afrique du Sud est] a été faussé racialement – l’éducation, l’accès au crédit, aux terres », insiste Haroon Bhorat, professeur d’économie à l’Université de Cape Town.

Les facteurs d’inégalité

Les facteurs sont multiples selon le rapport du PNUD.

En raison de la structure hautement dualiste de l’économie africaine, la croissance se produit souvent dans des secteurs caractérisés par une faible absorption de main d’œuvre non qualifiée, de grands écarts de salaires et une part importante du capital dans le revenu global. Si la croissance dans ces secteurs peut générer une augmentation globale du PIB, elle exacerbe aussi les inégalités.

Les infrastructures, la main d’œuvre et les terres sont concentrées en Afrique australe et de l’Est. Enfin, le rapport fait référence à « la malédiction des ressources naturelles, un parti pris urbain des politiques publiques et les inégalités éthniques et de genre ».

Les inégalités sont aussi le résultat d’impôts régressifs [les impôts diminuent quand les revenus imposables augmentent], des structures salariales rigides et des investissements inadéquats dans l’éducation, la santé et la protection sociale pour des groupes vulnérables et marginalisés.  

Dans les années 80 et 90, de nombreux pays africains ont cédé aux pressions du FMI etde la Banque mondiale pour mettre en place des programmes d’ajustement structurels (PAS), qui ont engendré des réductions de budget public pour la santé, l’éducation ou les transports.

Certains historiens et économistes estiment maintenant que ces réductions ont favorisé les inégalités. « Sous l’influence des donateurs occidentaux, l’austérité devint le mécanisme d’adaptation par défaut des dirigeants africains en période de crise économique », écrit Nicholas William Stephenson Smith, chercheur en histoire.  

Les troubles sociaux

Les PAS ont accru les écarts de richesses plutôt que d’apporter une stabilité macro-économique, estime Said Adejumobi, Directeur régional pour l’Afrique australe de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique.

Ils ont ralenti la mobilité, affaibli les communautés et exacerbé les divisions socio-économiques. « 4% de la population, s’est accaparé une large part des richesses avec le tournant capitaliste », déclare-t-il.  

Les inégalités menacent la cohésion sociale. Au cours des derniers mois, des milliers d’Ethiopiens sont descendus dans la rue pour protester contre la crise économique, paralysant les usines, les hôpitaux et les transports.

Les inégalités alimentent les conflits en République centrafricaine, en Libye, au Nigéria et au Soudan du sud, indique M. Adejumobi. « La motivation directe de Boko Haram n’a peut-être pas trait aux inégalités… Mais l’ignorance et la misère ont permis au groupe terroriste de recruter de jeunes gens pour tuer leurs concitoyens. »

Préparez-vous à ce que les exclus se rebellent contre les inégalités, estime l'économiste français, Thomas Piketty, auteur du livre, Le Capital au XXIème siècle, car les riches chercheront toujours à préserver le statu quo et à s’opposer à la création d'une société égalitaire.

Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) (2000-2015) ont été adoptés pour, notamment, réduire de moitié le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue. Après 15 ans, près de 50% des pays concernés ont atteint cet objectif, comme la Gambie et le Ghana, 30% ont fait des progrès et 20%,ont peu avancé comme l'Ethiopie. .   

Le rapport du PNUD estime que les efforts de réduction de la pauvreté ne permettent pas forcément de réduire les inégalités, raisonnement sous-jacent des OMD. 

Pour remplir le programme de développement durable à l’horizon 2030, les pays doivent adopter des mesures pour lutter contre diverses formes d’inégalités.

 “Les politiques favorables à la réduction de la pauvreté ne sont pas nécessairement en mesure de réduire les inégalités», écrit Abdoulaye Dieye, Directeur du Bureau régional pour l’Afrique du PNUD.

Réduire les écarts

La qualité de l’éducation aura sans doute un effet sur la pauvreté mais ne réduira pas les écarts si elle ne s’accompagne pas d’une « fiscalité progressive [les taux d’imposition augmentent avec l’augmentation des revenus] et d’une protection sociale ciblée », poursuit M. Dieye.    

Les inégalités diminuent quand la croissance se produit dans des secteurs à forte absorption de main d’œuvre, tels l’agriculture, l’industrie manufacturière et la construction. Elles se creusent lorsque la croissance se produit dans des secteurs à niveaux élevés de capitaux et de main d’œuvre qualifiée, tels que l’exploitation minière, la finance, les assurances et l’immobilier, d'après le PNUD.

La plupart des pays africains consacre actuellement une part significative de leurs budgets à des dettes récurrentes et ne peuvent plus investir.

La corruption, la mauvaise gestion et les flux financiers illicites (ffi) n’épargnent pas les finances publiques.

Selon un rapport de 2015 d’un groupe de haut-niveau de l’Union africaine dirigé par l’ancien président sud-africaine Thabo Mbeki, l’Afrique y perd jusqu’à 50 milliards de dollars par an. M. Mbeki exhorte les pays à punir les entreprises multinationales qui détournent des fonds vers des paradis fiscaux.   

Autonomisation des femmes

“Les inégalités entre les hommes et les femmes ont coûté à l’Afrique sub-saharienne 95 milliards de dollars par an en moyenne, et jusqu’à 105 milliards en 2014 – soit 6% du PIB du continent – minant les efforts en faveur d’un développement humain et d'une croissance économique inclusifs » estime le Rapport 2016 du PNUD, Accélérer les progrès en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes en Afrique, qui soulgne que les revenus du foyer profitent de façon disproportionnée aux hommes et que « la discrimination contre les femmes est forte et endémique ».  

Le PNUD met en corrélation le développement humain et l’égalité des genres. A Maurice et en Tunisie, les niveaux d’égalité entre hommes et femmes sont bas, les niveaux de développement élevés. En revanche, au Tchad, au Mali et au Niger les niveaux d’inégalité de genre sont élevés, mais les niveaux de développement bas.   

L’ancienne vice-présidente pour la région Afrique de la Banque mondiale, Obiageli Ezekwesili, déclarait en novembre dernier que les hommes étaient les premiers responsables des problèmes économiques de l’Afrique. « Quand davantage de femmes prennent les décisions, il y a moins de corruption. Ce n’est pas une faveur que l’on fait aux femmes en les impliquant dans la gouvernance ».

Pour M. Ayodele Odusola, le principal auteur du rapport du PNUD, la solution n'est pas unique : “Il faut prendre la situation de chaque pays en compte”, déclare-t-il, conseillant aux gouvernements d’adopter des systèmes fiscaux progressifs, d’investir dans l’éducation et l’agriculture, d’accroître la taxation directe et d’améliorer la gestion des impôts.