Mécaniser et transformer l’agriculture en Afrique

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Mécaniser et transformer l’agriculture en Afrique

Les gouvernements et les entreprises doivent accroître leurs investissements dans le secteur
Busani Bafana
Afrique Renouveau: 
9 Avril 2019
Factory worker in Ethiopia explaining tractor use to colleagues.
IFPRI/Xiaobo Zhang
Un ouvrier éthiopien expliquant l’utilisation d’un tracteur à ses collègues.

Une femme avec une houe à la main est le symbole par défaut de l’agriculture en Afrique, selon  Calestous Juma, universitaire africain et ancien professeur à la Harvard Kennedy School. M. Juma employait cette image pour donner une idée du dur labeur agricole auquel sont confrontées les femmes sur le continent.

Les femmes cultivent 70 % des aliments de l’Afrique dans de petites exploitations agricoles, une tâche fondée sur le travail physique.

Aujourd’hui, alors que sa population devrait doubler d’ici à 2050, l’Afrique doit abandonner la houe en faveur des technologies modernes, qui sont beaucoup plus efficaces.

Selon les experts du Centre africain pour la transformation économique basé au Ghana, il est essentiel de passer des exploitations de subsistance à petite échelle aux exploitations mécanisées plus viables sur le plan commercial.

Actuellement, les niveaux de mécanisation des exploitations agricoles en Afrique sont très faibles, le nombre de tracteurs en Afrique subsaharienne variant de 1,3 par kilomètre carré au Rwanda à 43 en Afrique du Sud, contre 128 en Inde et 116 au Brésil.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), une institution des Nations Unies spécialisée dans les efforts d’éradication de la faim, l’Afrique compte globalement moins de deux tracteurs pour 1 000 hectares de terres cultivées. Ce nombre est de 10 pour 1 000 hectares en Asie du Sud et en Amérique latine.

Sans agriculture mécanisée, la productivité souffre considérablement, réduisant les revenus des agriculteurs, note l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, une organisation financée par les fondations Bill et Melinda Gates et Rockefeller et qui cherche à promouvoir la transformation agricole et à améliorer la sécurité alimentaire en Afrique.

L’Afrique dépense actuellement la somme exorbitante de 35 milliards de dollars par an en importations alimentaires, selon la Banque africaine de développement (BAD), qui prévoit que, si la tendance actuelle se poursuit, ces importations pourraient atteindre jusqu’à 110 milliards de dollars d’ici à 2050. L’Afrique devrait être le grenier du monde, selon le président de la BAD, Akinwumi Adesina.

« Les technologies qui permettraient de réaliser la révolution verte de l’Afrique existent bien, mais on n’en tient pratiquement pas compte.  La difficulté tient à l’absence de politiques favorables qui permettraient d’étendre ces technologies afin que des millions d’agriculteurs puissent en profiter », ajoute M. Adesina.

La Déclaration de Maputo

En 2003, les dirigeants africains ont adopté la Déclaration de Maputo sur l’agriculture et la sécurité alimentaire. Celle-ci appelle les pays à consacrer au moins 10 % de leurs dépenses publiques à l’agriculture dans le but d’atteindre une croissance annuelle de 6 %

dans ce secteur.

Pourtant, 16 ans plus tard, 13 pays seulement ont atteint une croissance d’au moins 6 % dans le secteur agricole, empêchant ainsi l’Afrique de réaliser son rêve de révolution alimentaire. Ces pays sont le Bénin, le Burundi, le Cap-Vert, l’Éthiopie, la Gambie, le Ghana, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Rwanda, la Sierra Leone et le Togo.

Indépendamment de la Déclaration de Maputo, le Panel de Malabo Montpellier (MMP), un groupe d’experts africains et internationaux, a recommandé aux pays africains en 2014 d’élaborer des plans nationaux d’investissement dans la mécanisation agricole -  étape cruciale pour accroître la productivité.

Dans un rapport publié en 2018, le MMP indiquait que 12 pays africains, dont l’Éthiopie, le Malawi, le Mali, le Maroc, le Rwanda, la Tanzanie et la Zambie, avaient connu une forte croissance de l’agriculture mécanisée et avaient, par conséquent, amélioré leur production .

Le rapport conclut qu’une mécanisation réussie sera essentielle pour relever les grands défis du continent, de la flambée des coûts des importations alimentaires au chômage rural endémique. Le rapport recommande de recourir à des partenariats public-privé pour développer les industries des machines locales afin de garantir l’utilisation de technologies abordables et appropriées. Il recommande également d’encourager le secteur privé à investir dans la mécanisation par le biais d’exonérations fiscales et de subventions intelligentes.

Enfin, grâce aux progrès des énergies renouvelables et des technologies numériques, l’Afrique peut sauter les étapes du développement technologique que d’autres régions ont dû franchir, rendant son processus de mécanisation à la fois rapide et extrêmement lucratif, selon le rapport.

Le Dr Katrin Glatzel, responsable du programme MMP, également chargée de recherche à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, une organisation de recherche alimentaire basée aux États-Unis, souligne que plus de la moitié de la production de fruits et légumes d’Afrique subsaharienne est perdue, ce, principalement en raison d’une manipulation après récolte inefficace et d’un manque de matériel de transformation.

Selon Mme Glatzel, la mécanisation ne sert pas seulement à labourer la terre, mais aussi à planter, récolter, transformer et stocker des produits.

« L’augmentation des niveaux de mécanisation stimulera les processus sociaux et économiques dans les activités agricoles et non agricoles des communautés rurales, en réduisant le dur labeur agricole et en améliorant les rendements », explique Mme Glatzel à Afrique Renouveau.

« Non seulement la mécanisation se traduira par une augmentation de l’emploi, mais elle améliorera également la gestion et la productivité des terres ainsi que la qualité des cultures », ajoute-t-elle.

Pour atteindre ces objectifs, les agriculteurs des pays en développement doivent dépenser davantage en engrais, semences et produits agrochimiques, selon la FAO.

Quelques initiatives louables

Certaines initiatives du secteur privé ont pris le relais et sont intervenues pour combler la brèche créée par les efforts infructueux de l’État et des donateurs visant à promouvoir la mécanisation.

Au Nigéria, Hello Tractor, une start-up technologique, est un programme de type Uber en pleine expansion qui donne aux agriculteurs un accès temporaire à des tracteurs sur demande.

Les agriculteurs peuvent demander un tracteur en adressant un SMS à un agent, qui regroupe les demandes. Une plate-forme technique associe les tracteurs disponibles et les travaux à faire, puis suit l’utilisation de chaque engin.

Avec un tracteur, un champ dont la préparation en vue de la plantation peut demander 40 jours de travail à la main, peut être préparé en huit heures. Il est également plus avantageux de louer un tracteur que d’embaucher des ouvriers agricoles, explique Jehiel Oliver, 35 ans, fondateur de Hello Tractor. « Cela peut paraître paradoxal sur ces marchés où le coût de la main-d’œuvre est relativement faible, mais payer un être humain pour le faire revient encore beaucoup plus cher qu’une location de tracteur. »

La main-d’œuvre est également de plus en plus difficile à trouver alors que de plus en plus de Nigérians s’installent dans les villes et que les agriculteurs vieillissent. Un tracteur peut aider les agriculteurs à planter leurs champs à temps pour la pluie. La plantation à l’aide d’un tracteur étant également plus régulière que la plantation manuelle, elle peut également améliorer les rendements.

En Zambie, Rent to Own, une organisation non gouvernementale fondée en 2010, loue aux agriculteurs des équipements tels que des pompes, des presses, des tracteurs, des décortiqueuses et des bicyclettes.

L’un des avantages de l’agriculture mécanisée est qu’elle est susceptible d’attirer les jeunes vers  les exploitations agricoles et de réduire le chômage élevé des jeunes en Afrique, qui représente environ 60 % du chômage total.

L’exemple des jeunes agro-entrepreneurs du Zimbabwe est instructif. Il y a trois ans, le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) a prêté à Gift Chawara, Shepard Karwizi et Pinnot Karwizi une planteuse et une décortiqueuse avec lesquelles ils ont créé une entreprise.

Leur entreprise offre maintenant des services de décorticage et de plantation à près de 150 fermes familiales dans le village de Mwanga, au nord-ouest de la capitale Harare.

Ils sont diplômés d’un programme de formation à la mécanisation agricole géré par le CIMMYT. La saison dernière, à eux trois,  ils ont gagné environ 7 000 dollars rien qu’en décortiquant plus de 300 tonnes de maïs, selon le CIMMYT.

Mais ces jeunes Zimbabwéens pourraient être des cas uniques, affirme Frédéric Baudron, agronome principal des systèmes au CIMMYT, qui trouve la mécanisation par les petits exploitants agricoles du Zimbabwe encore faible.

Le programme de formation à la mécanisation du CIMMYT est mis en œuvre dans le cadre du projet Mécanisation agricole et agriculture de conservation pour une intensification durable et il est soutenu par le Centre australien pour la recherche agricole internationale. Le projet a bénéficié à plus d’une centaine de jeunes d’Éthiopie, du Kenya, de Tanzanie et du Zimbabwe.

De tels efforts, reproduits dans toute l’Afrique, pourraient repousser les frontières de la productivité agricole. Mais les gouvernements doivent augmenter les investissements dans le secteur.

Il est temps pour l’Afrique de repenser la houe.