COTE D'IVOIRE
CINQUANTE-HUITIÈME SESSION DE L'ASSEMBLEE GENERALE DE L'ORGANISATION
DES NATIONS UNIES DISCOURS DE S.E.M. MAMADOU BAMBA New York, le 2 Octobre 2003
Monsieur le Président,
La délégation ivoirienne est heureuse de vous adresser ses chaleureuses félicitations, ainsi que ses voeux les plus ardents de réussite dans la conduite de la haute et importante mission qui vous a été assignée par tous les Etats Membres de notre Organisation. Votre élection est le témoignage de la reconnaissance, par la communauté internationale, du dynamisme de la diplomatie de la République de Sainte Lucie, votre très beau pays, en faveur des idéaux de l'Organisation des Nations Unies, et un bel hommage à vos éminentes qualités de diplomate. Elle est également l'illustration de ce qu'aux Nations Unies tous les pays sont traités sur un pied d'égalité. Je voudrais m'en féliciter, et vous assurer de la coopération de ma délégation. Par ailleurs, il me plaît d'exprimer la gratitude de la délégation ivoirienne à S.E.M. Jan KAVAN, votre prédécesseur, pour la compétence et la maîtrise avec lesquelles il a conduit les travaux de la 57"' Session. Je voudrais saisir l'occasion pour renouveler au Secrétaire général, aux Nations Unies et aux familles éplorées, les sincères condoléances du peuple ivoirien pour le décès tragique de son Représentant spécial en Irak, M. Sergio Vieira de MELLO, celui des autres cadres des Nations Unies, sans oublier toutes les autres personnes tombées ou blessées sur le champ de bataille pour la paix et la justice.' Cette occasion me permet également de réitérer
la gratitude du Peuple et du Gouvernement de Côte d'Ivoire au Secrétaire
Général de l'ONU, M. Kofi Annan, qui oeuvre inlassablement
pour la paix dans le monde et en Afrique, et ne ménage aucun effort
pour apporter son soutien personnel et celui de l'Organisation à
la restauration de la paix en Côte d'Ivoire. Monsieur le Président, La Côte d'Ivoire, jadis modèle de stabilité et havre de paix jouissant d'une relative prospérité économique, connaît depuis près d'une décennie, une crise latente qui a abouti au coup d'Etat du 24 décembre 1999, et le 19 septembre 2002, à une autre tentative de coup d'Etat, qui, cette fois, s'est transformée rapidement en une rébellion armée appuyée par des éléments extérieurs, avec pour objectif la remise en cause des institutions républicaines et du gouvernement démocratiquement élu. Cette crise cause un énorme préjudice à la population ivoirienne et à tous ceux qui ont choisi de vivre en Côte d'Ivoire et d'y mener librement leurs activités. A l'initiative de la France une table ronde a réuni les différentes forces politiques ivoiriennes, qui a débouché sur ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'Accord de Linas Marcoussis. Cet Accord auquel les Nations Unies ont conféré une reconnaissance internationale formelle par la résolution 1464 du Conseil de sécurité, après l'onction des Chefs d'Etat et dirigeants d'Institutions internationales réunis au centre de conférence Kléber, à Paris, prévoit, entre autres, la formation d'un Gouvernement de Réconciliation nationale, dirigé par un Premier Ministre de consensus doté de prérogatives de l'exécutif nécessaires à la mise en oeuvre dudit Accord. Le Gouvernement de Réconciliation nationale, formé le 13 mars 2003, a réalisé des progrès importants, au nombre desquels la signature, le 3 mai 2003, d'un accord de cessez-lefeu intégral entre les Forces Armées Nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) et les Forces Nouvelles (ex-rébellion armée), la mise en place du programme national consensuel du désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR), la normalisation des relations entre la Côte d' Ivoire et les pays voisins, avec notamment la réouverture de la voie ferrée ABIDJAN-OUAGADOUGOU, la déclaration conjointe de fin de guerre, le 4 juillet 2003 par les deux parties-et surtout le vote de la loi d'amnistie, le 6 août 2003. Il est à noter que cette loi n'amnistie pas les crimes et délits de droit commun, notamment les crimes concernant les violations des droits de l'homme qui doivent être élucidées. Monsieur le Président, S'agissant notamment de la question des droits de l'homme,
en dépit de la dure crise qu'elle traverse, la Côte d'Ivoire
n'a jamais cessé de mettre au centre de ses préoccupations,
le respect de la personne humaine, comme du reste, elle n'a pas interrompu,
malgré l'aménuisement de ses capacités financières,
sa politique originale d'accueil des réfugiés dont le nombre
s'est aggravé avec la crise au Libéria voisin; ce qui nécessite
un soutien financier plus accru de la Communauté internationale
pour le partage de cette lourde charge; mon pays, Monsieur le Président,
devant simultanément, assurer le rapatriement de ses nombreux ressortissants
réfugiés dans certains pays voisins. Monsieur le Président, Il me plaît ici de mentionner que la Côte d'Ivoire a ratifié tous les instruments pertinents relatifs à la protection et à la promotion des droits de l'homme et créé depuis le 5 août 2002, avant même la survenance de la crise, un ministère exclusivement consacré aux droits de l'homme; en outre, eu égard, aux violations massives des droits de l'homme, la Côte d'Ivoire a formellement dès le 5 novembre 2002, sollicité l'envoi d'une mission impartiale d'enquête des Nations Unies pour constater ces violations sur l'entièreté de son territoire, ceci, afin de lutter contre l'impunité. Monsieur le Président, Ainsi, après avoir concomittament saisi dans cette même perspective la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dont une première mission d'évaluation de haut niveau a déjà visité la Côte d'Ivoire au mois d'avril 2003, après celle des Nations Unies diligentée par son Secrétaire général à la demande du Président de la République, la Côte d'Ivoire, pour apporter la preuve de sa totale coopération avec les différents mécanismes de la Commission des droits de l'homme, s'est empressée de réserver une suite favorable, avec propositions de dates, aux demandes de visites formulées - par le Rapporteur spécial du Secrétaire
général des Nations Unies chargé des personnes déplacées
; Monsieur le Président, L'impossibilité temporaire pour notre Administration et pour les Rapporteurs spéciaux de se rendre sur l'entièreté du territoire pour vérifier les faits, ajoutée aux appels de détresse des populations de ces zones, interpellent la Communauté internationale dont je tiens à saluer à sa juste valeur le ferme engagement et les efforts immenses déployés pour sortir la Côte d'Ivoire de cette crise. Monsieur le Président, Pour en revenir aux progrès enregistrés sur le chemin de la paix, après de longues et difficiles négociations, il est heureux de noter les nominations, le 12 septembre 2003, des Ministres de la Défense et de la Sécurité, ce qui ouvre désormais la voie à la mise en oeuvre du programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) établi par le Gouvernement de réconciliation nationale. A cet effet, un Comité de désarmement et un autre chargé de la réunification ont été mis en place. Par tous ces faits, le Gouvernement entend marquer sa détermination à oeuvrer pour le retour de la paix. Cependant, en dépit de tous ces résultats encourageants, force est de reconnaître que le chemin de la paix continue d'être semé d'embûches. Les difficultés actuelles prouvent que le processus de paix et de réconciliation nationale reste fragile. Toutefois, le dialogue inter-ivoirien se poursuit et toutes les forces reconnaissent que l'Accord de Linas-Marcoussis est l'unique solution de sortie de la crise ivoirienne. A cette fin, la Côte d'Ivoire se félicite du ferme engagement américain au Libéria, en appui aux efforts de la CEDEAO, à l'effet d'aider ce pays frère à exorciser les démons de la guerre et de la division. Pour ce faire, en Côte d'Ivoire, comme au Libéria, le programme DDR reste capital. En effet, le Gouvernement attache une particulière importance à ce programme DDR qui, en rétablissant la sécurité et en restaurant l'intégrité territoriale, permettra à la Côte d'Ivoire d'organiser en 2005 des élections transparentes et justes, sous contrôle international. Je voudrais profiter de cette tribune pour remercier, une fois encore, au nom du Gouvernement ivoirien, la Communauté internationale, et plus spécialement les Chefs d'Etat des pays de la CEDEAO, le Président et le Gouvernement français pour leur inlassable soutien à l'effort de paix en Côte d'Ivoire.
La Côte d'Ivoire reste préoccupée par la situation internationale et les problèmes qui la caractérisent, au nombre desquels, les pandémies de l'heure (VIH/SIDA, paludisme, tuberculose), les conflits armés, le désarmement, le terrorisme et le développement humain intégral. En effet, nous observons que, si le VIH/ SIDA affecte 20 millions de personnes en Afrique, soit les deux tiers des malades de la planète, le paludisme a toujours, sur le taux de mortalité de ce continent, une incidence au moins égale. Et, comble de malheur, la tuberculose, y fait preuve d'un inquiétant regain de vitalité! La mise en place du Fonds mondial de lutte des Nations Unies contre ces trois pandémies, d'un montant de 10,4 millions de dollars américains, constitue donc un réel motif de réconfort et d'espoir pour les populations affectées, particulièrement celles des pays du Tiers-monde. Il reste cependant à souhaiter que ce Fonds soit davantage doté, qu'il soit rapidement opérationnel et d'accès plus facile pour les pays déjà durement affectés par ces fléaux et qui, ironie du sort, sont aussi le théâtre privilégié des conflits armés. Il est paradoxal de constater que ces conflits gagnent en nombre, en fréquence et en intensité, notamment en Afrique, à mesure que se renforcent, se diversifient et s'affinent les modes et modalités de leur règlement par l'ONU et les organisations régionales et sousrégionales. La Côte d'Ivoire félicite donc notre Organisation et son dévoué Secrétaire général ainsi que les pays et organisations régionales pour les résultats déjà acquis en Sierra Léone, en Guinée Bissau, en Côte d'Ivoire, au Libéria et dans la région des Grands Lacs, pour ne citer que les cas les plus récents. Elle encourage toutes les parties concernées à persévérer dans l'effort de rétablissement puis de consolidation de la paix dans toutes ces zones meurtries par les guerres. Concernant la situation en Irak et en Afghanistan, mon pays souhaite un retour rapide à la paix et à la sécurité afin de permettre à leurs peuples respectifs qui ont beaucoup souffert au cours de cette dernière décennie de consacrer leurs efforts au progrès économique et social. Au Moyen-Orient, la Côte d'Ivoire appelle à la modération de part et d'autre et au respect de la feuille de route qui constitue la voie au retour de la paix dans cette partie du monde. En tout état de cause, le droit doit toujours prendre le pas sur la violence, et le dialogue, sous l'égide de la Communauté internationale doit toujours être privilégié comme instrument de règlement de tous les différends.
Les conflits sont, entre autres, le fait de bandes armées, de désoeuvrés, de laissés pour compte et déserteurs qui alimentent le marché florissant du mercenariat dans l'Afrique en général et dans notre sous région en particulier. Le mercenariat, ajouté à la prolifération et au trafic illicite des armes légères, constituent une menace dangereuse pour la paix et la stabilité de nos pays. Ces fléaux nécessitent une attention spéciale de la Communauté Internationale tout aussi bien que le terrorisme qui, hélas, continue de faire des victimes. Notre Assemblée se doit de prendre des mesures concrètes dans la lutte contre ces facteurs déstabilisants dans le monde et particulièrement en Afrique. La mise en oeuvre du programme d'action de la Conférence des Nations Unies sur le commerce illicite et la prolifération des armes légères, programme d'action dont l'évaluation en juillet dernier laisse apparaître une prise de conscience universelle du danger de la prolifération et la nécessité de mener des actions coordonnées pour l'éradiquer, constituerait une importante avancée si l'on y met toute la bonne volonté. Les mesures prises sur le plan régional et sous-régional, notamment le Moratoire de la CEDEAO et l'assistance apportée par le PCASED et d'autres structures, sont des éléments allant dans la bonne direction. De même, notre Assemblée devrait activer et dynamiser les conventions régionales et internationales, et encourager l'harmonisation des législations pour combattre efficacement le phénomène du mercenariat. La Côte d'Ivoire adhère au projet d'élaboration et de mise en place, dans le cadre de la CEDEAO, d'un plan général de stabilisation dans la sous-région qui contribuera, j'en suis persuadé, au retour de la paix et de la stabilité durable en Afrique de l'Ouest. L'action préventive doit être également menée sur plusieurs plans • Au plan politique et diplomatique : La diplomatie préventive devrait davantage retenir l'attention de la Communauté Internationale, car il est important de prévenir, par un système d'alerte rapide, le déclenchement des conflits. • Au plan économique et social : la lutte contre la pauvreté, devrait se poursuivre, notamment par l'insertion des désoeuvrés et autres marginalisés dans les structures économiques. • Au plan culturel : L'éducation pour la paix, la multiplication des échanges sportifs et culturels, les rencontres entre les groupes de femmes, de jeunes au niveau de chaque Etat et entre les différents pays pourraient favoriser la tolérance et la compréhension mutuelle entre les peuples, dans le cadre d'un dialogue bien compris entre les civilisations.
La mondialisation de l'économie peut constituer un facteur de progrès en favorisant la compétitivité qui met sur le marché les meilleurs produits à des prix plus concurrentiels. Cette mondialisation peut, hélas, être également un frein au développement des pays pauvres qui subissent les fluctuations des prix de leurs produits sur le marché international et qui de plus, doivent faire face à une concurrence déloyale imposée par les Etats qui subventionnent leurs produits à l'exportation. Avec ses résultats mitigés, la Conférence ministérielle de l'OMC qui vient de se tenir à Cancun a permis de mesurer l'ampleur des conséquences dommageables sur les paysans africains, des subventions apportées aux producteurs du nord. En faussant les règles de la libre concurrence, les pays industrialisés font prospérer les producteurs les plus nantis tout en appauvrissant davantage ceux qui luttent pour leur survie. Cette situation urgente doit interpeller notre conscience afin que nous trouvions ensemble, les voies et moyens de corriger une telle injustice.
Pour que les pays démunis sortent du cercle vicieux de la pauvreté, il faut associer à la juste rétribution du travail de leurs paysans, l'accroissement de l'Aide Publique au Développement qui devrait atteindre les 0,7% du PNB des pays industrialisés, et la remise de la dette. Saisissons l'occasion qui nous est offerte par la présente session pour réfléchir ensemble sur les moyens de renforcer la coopération Nord-Sud dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD). Dans le cadre de la coopération Sud Sud, les pays les plus avancés devraient envisager d'accroître les échanges et le transfert de technologies en faveur des plus défavorisés d'entre eux afin de soutenir les efforts de ces derniers.
Le suivi coordonné des résultats des grandes conférences internationales placées sous l'égide des Nations Unies fait l'objet de nos préoccupations. La lutte contre la pauvreté ne peut être gagnée que si les recommandations adoptées dans le cadre de ces Sommets sont mises en oeuvre. Il n'est pas utile de multiplier les cadres de réflexion si les conclusions relatives au financement du développement ou au transfert de technologie, notamment, ne peuvent pas être mises en oeuvre et exploitées sur le terrain, dans un nouvel esprit de solidarité vraie. Mon pays, la Côte d'Ivoire, appelle de tous ses voeux l'avènement de ce nouvel esprit de solidarité que commandent la mondialisation et l'interdépendance de nos Etats tout comme elle adhère au projet de reforme des Nations Unies pour plus de démocratie et d'efficience. Puisse la sagesse habiter chacun de nous afin que nos ressources et notre intelligence soient mises au service de l'édification d'un monde meilleur où règnent la paix, la solidarité et la justice, un monde reflétant les idéaux de la Charte des Nations Unies. Je vous remercie. |