Face à la hausse constante de la demande en eau à travers le monde, un recours plus systématique au recyclage des eaux usées paraît inéluctable, estime le Rapport mondial des Nations Unies présenté mercredi à Durban, en Afrique du Sud.

Selon ce rapport de l’ONU-Eau intitulé ‘Les eaux usées, une ressource inexploitée’ et coordonné par le Programme mondial d’évaluation des ressources en eau de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), les eaux usées pourraient constituer « un nouvel or noir ».

« Les eaux usées représentent une ressource précieuse dans un monde où l’eau douce disponible est limitée et la demande en hausse », déclare Guy Rider, Président de l’ONU-Eau et Directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT). « Chacun doit faire sa part pour atteindre l’Objectif de développement durable consistant à diviser par deux le niveau des eaux usées non traitées et promouvoir la réutilisation d’une eau sûre d’ici 2030. Il s’agit de gérer l’eau avec soin et de recycler celle qui est rejetée par les ménages, les usines, les fermes et les villes. Nous devons tous recycler davantage les eaux usées pour satisfaire les besoins d’une population en augmentation et préserver les écosystèmes ».

La Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a jugé pour sa part « essentiel d’accroître l’acceptation sociale de l’utilisation des eaux usées afin de favoriser le progrès dans ce sens ».

Un enjeu pour la santé et l’environnement

Aujourd’hui encore, une bonne part des eaux usées est rejetée dans la nature sans être ni collectée ni traitée. C’est particulièrement vrai dans les pays à faible revenu qui traitent en moyenne 8% des eaux usées, contre 70% dans les pays à haut revenu. De fait, dans de nombreuses régions, des eaux chargées de bactéries, de nitrates, de phosphore ou de solvants se déversent dans les cours d’eau, les lacs et pour finir, dans les océans, avec des conséquences graves pour l’environnement et la santé humaine.

Or, le volume des eaux à traiter devrait encore augmenter de manière significative dans les années à venir, notamment dans les villes à forte croissance démographique des pays en développement. Le traitement des eaux usées est l’un des plus grands défis associés au développement de l’habitat informel (bidonvilles) dans le monde en développement.

La pollution aux pathogènes, issus des déjections humaines ou animales, affecte près d’un tiers des rivières en Amérique latine, en Asie et en Afrique, mettant la vie de millions de personnes en danger. En 2012, 842.000 décès étaient liés à une eau contaminée et des installations sanitaires inadaptées dans les pays à faible et moyen revenu. L’absence de traitement favorise aussi la propagation de certaines maladies tropicales telles que la dengue et le choléra.

Les solvants et autres hydrocarbures produits par les activités industrielles et minières ainsi que les rejets de nutriments (azote, phosphore et potassium) issus de l’agriculture intensive et des déchets animaux accélèrent l’eutrophisation des sources d’eau douce et les aires marines. On estime aujourd’hui à 245.000 km2 la superficie des écosystèmes marins affectés par ce phénomène. Le déversement de ces eaux polluées favorise également la prolifération des algues nuisibles qui ont pour effet un recul de la biodiversité.

Des égouts jusqu’au robinet

L’eau recyclée représente une ressource encore largement sous-exploitée qui peut être réutilisée de très nombreuses fois. Aux Etats-Unis, on estime ainsi que l’eau des plus grands fleuves qui traversent le pays a été utilisée vingt fois avant d’atteindre la mer.

C’est dans l’agriculture que l’utilisation des eaux usées est aujourd’hui la plus répandue. Mais cette pratique se heurte à des problèmes sanitaires lorsque l’eau contient des pathogènes qui peuvent contaminer les cultures. Le défi consiste donc à passer de l’irrigation informelle à une utilisation planifiée et sécuritaire, comme c’est le cas en Jordanie depuis 1977 : 90% des eaux usées traitées y sont utilisées pour l’irrigation. En Israël, près de la moitié des terres irriguées le sont avec une eau recyclée.

Dans le domaine industriel, de grandes quantités d’eau peuvent également être réutilisées, par exemple dans les processus de refroidissement ou de chauffage, au lieu d’être rejetées dans l’environnement. En 2020, on estime que le marché du traitement des eaux industrielles devrait augmenter de 50%.

Même si la pratique est plus marginale, l’eau traitée peut aussi servir à alimenter le réseau d’eau potable. La capitale de la Namibie, Windhoek, en fait l’expérience depuis 1969. Pour faire face aux pénuries récurrentes, la ville a mis en place des infrastructures qui traitent jusqu’à 35% des eaux usées qui viennent ensuite alimenter les réserves d’eau potable. Les habitants de Singapour ou de la ville de San Diego (Etats-Unis) boivent également une eau recyclée.

Un tel processus peut rencontrer la résistance des populations, réticentes à l’idée de boire une eau considérée comme souillée. Un projet de réutilisation de l’eau pour l’irrigation et les fermes aquacoles en Egypte, mis en place dans les années 1990, a ainsi échoué faute de soutien de la population.

Un gisement de matières premières

Alternative à l’eau fraîche, les eaux usées constituent aussi un gisement potentiel de matières premières. L’évolution des techniques de traitement permet désormais de récupérer certains nutriments, comme le phosphore et les nitrates, dans les eaux d’égouts ou les boues d’épuration. On estime que 22% de la demande mondiale en phosphore pourrait être satisfaite grâce au traitement des urines et des excréments humains. Déjà, certains pays, comme la Suisse, imposent la récupération de certains nutriments comme le phosphore.

La production de biogaz est également envisageable à partir de l’énergie chimique contenue dans les substances organiques des eaux usées. Au Japon, le gouvernement s’est donné comme objectif la récupération de 30% d’énergie à partir des eaux usées d’ici 2020.

Si de telles technologies avancées sont hors de portée des pays en développement, des solutions de traitement à bas coût existent. Elles ne permettent pas d’obtenir une eau potable mais peuvent produire une ressource valable pour d’autres usages, comme l’irrigation. Par ailleurs, la vente des matières premières issues des eaux usées est un moyen de faire baisser davantage les coûts de traitement de l’eau.