8875e séance – après-midi
CS/14657

Au Conseil de sécurité, le Secrétaire général persiste et signe: l’Éthiopie a violé le droit international en expulsant des fonctionnaires de l’ONU

Pour nous la question est très simple:  L’Éthiopie n’a pas le droit d’expulser des membres du personnel de l’ONU et en le faisant, elle viole le droit international, a martelé aujourd’hui le Secrétaire général lors de la réunion que le Conseil de sécurité a tenue, à la demande  de plusieurs États, après l’expulsion, le 30 septembre dernier, de sept fonctionnaires de l’ONU dont les responsables en Éthiopie du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.  

M. António Guterres a attiré l’attention sur la note verbale du Bureau des affaires juridiques, datée du 1er octobre, qui qualifie le comportement du Gouvernement éthiopien de « non conforme » à la norme internationale, « un affront » à l’ONU et à tous ses États Membres, selon les États-Unis. Il existe en effet une procédure officielle qui, dans ce cas précis, n’a pas été suivie, a souligné le Secrétaire général qui a exhorté les autorités éthiopiennes à laisser les organisations onusiennes travailler sans entrave.  Cet appel a été relayé par plusieurs membres du Conseil de sécurité. 

Lorsqu’un État accepte l’aide humanitaire, il ne doit pas la soumettre à des décisions arbitraires, a tancé le Mexique, car ce qui est en jeu, c’est la protection de la population civile.  Il a rappelé l’arrêt du 27 juin 1986 de la Cour internationale de Justice (CIJ), dans l’affaire « Nicaragua c. États-Unis d’Amérique », selon lequel l’acheminement de l’aide humanitaire ne peut être considéré comme une intervention étrangère ou comme contraire au droit international, tant qu’il respecte les principes d’une aide non discriminatoire.  Notre soutien, a prévenu la France, implique que les personnels onusiens et humanitaires puissent travailler en toute sécurité et dans le plein respect des principes humanitaires et du droit international humanitaire.  Nous ne tolérerons ni intimidation, ni violence contre le personnel humanitaire et médical, ni tentative de discréditer ces derniers, a-t-elle encore prévenu.   

La Norvège a appelé à la fin des discours de haine qui mettent en danger la vie des acteurs humanitaires.  Si nos appels continuent d’être ignorés, le Conseil de sécurité prendra la décision qui s’impose pour sauver des vies et promouvoir la paix et la sécurité internationales, ont averti les États-Unis.  La question du personnel de l’ONU opérant en Éthiopie, a plaidé la Tunisie, doit être examinée de manière approfondie, sur la base de preuves tangibles et dans le cadre d’un dialogue « franc et authentique ».  Discuter publiquement de ce type de questions n’est peut-être pas constructif dans les circonstances actuelles et n’allégera certainement pas les souffrances des populations touchées par le conflit dans le nord de l’Éthiopie, a-t-elle fait observer.

La résolution de ce « désaccord », a renchéri la Chine, exige une « diplomatie discrète » pour éviter l’impasse.  Gardons-nous, a-t-elle ajouté, de saper la confiance et privilégions le dialogue et la coopération.  Bien que nous ne connaissions pas les circonstances qui ont conduit aux récents développements, a déclaré l’Inde, nous sommes d’avis que les principes fondateurs de l’aide humanitaire, à savoir l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance, doivent toujours être respectés.  L’aide humanitaire et ses agents doivent être attentifs, en particulier lorsque l’État hôte est confronté à une situation politico-militaire « complexe ».  Les rhétoriques « délibérément enflammées » ne feront que compliquer la tâche de l’Union africaine, a estimé, à son tour, la Fédération de Russie, et les pressions du Conseil de sécurité ou la création d’une atmosphère toxique n’aideront en rien la situation.  

L’Éthiopie a d’ailleurs avoué avoir du mal à cacher son étonnement, jugeant « incompréhensible » que le Conseil de sécurité discute de la décision d’un « État souverain », alors que ce n’est pas la première fois que des employés de l’ONU sont expulsés d’un pays.  Soulignant qu’elle n’a « aucune obligation juridique » de fournir des explications, elle a tout de même accusé les sept fonctionnaires de s’être livrés à de l’activisme et de s’être mêlés à une conspiration du Front populaire de libération du Tigré (FPLT), en donnant notamment de fausses informations au Conseil de sécurité, pour « créer une situation comparable à celle du Darfour » et en tentant de faire passer la crise éthiopienne au niveau 3 pour déclencher les mesures contenues dans la résolution 2417 (2018).  L’Éthiopie a attiré l’attention sur la lettre que son Vice-Ministre des affaires étrangères a adressée au Secrétaire général, le 8 juillet 2021, pour expliquer la position de son gouvernement.

M. Guterres s’est dit surpris par cette information.  Je n’ai connaissance d’aucun document de ce type, a dit le Secrétaire général, en réclamant une copie.  Il a en revanche précisé qu’à deux reprises, il a demandé en vain au Premier Ministre éthiopien de le saisir de tout soupçon de partialité de la part d’un membre ou l’autre du personnel de l’ONU « pour que je puisse enquêter ».  Pour nous la question est très simple, a martelé le Secrétaire général: l’Éthiopie a violé le droit international.  Nous sommes prêts, a-t-il affirmé, à coopérer avec le Gouvernement éthiopien sur tous les cas où il a le sentiment qu’un membre du personnel de l’ONU n’agit pas en toute impartialité et en toute indépendance, comme le prescrivent le droit et les principes humanitaires.  Nous n’avons, a-t-il insisté, qu’un seul agenda en Éthiopie et cet agenda, c’est le peuple éthiopien, qu’il soit Somali, du Tigré, d’Amhara ou d’Afar.  Ce peuple souffre et nous n’avons d’autres intérêts que de contribuer à faire cesser ces souffrances. 

M. António Guterres a rappelé qu’au mois d’août dernier, il avait averti le Conseil de sécurité de la situation humanitaire « catastrophique » en Éthiopie, laquelle s’est encore aggravée depuis lors.  Environ sept millions de personnes au Tigré, à Amhara et Afar auraient à présent besoin d’une aide alimentaire et d’une autre forme d’assistance.  Or le niveau actuel de l’aide est loin de répondre aux besoins.  Le Secrétaire général a jugé important de concentrer tous les efforts sur l’humanitaire pour éviter « une tragédie à grande échelle », dans une situation qui fait déjà penser à celle de la Somalie en 2011. 

PAIX ET SÉCURITÉ EN AFRIQUE

Déclarations

M. ANTÓNIO GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU, a déclaré qu’au mois d’août dernier, il avait averti le Conseil de sécurité sur la situation humanitaire « catastrophique » en Éthiopie, laquelle s’est encore aggravée depuis lors.  Il a égrené les difficultés actuelles, en indiquant qu’environ sept millions de personnes au Tigré, à Amhara et Afar auraient à présent besoin d’une aide alimentaire et d’une autre forme d’assistance.  Cinq millions d’entre elles se trouvent au Tigré et l’on estime à 400 OOO le nombre de celles qui souffrent de la faim.  Le Secrétaire général a souligné que l’assistance humanitaire est loin d’être au niveau nécessaire pour répondre aux besoins.  La seule voie de transport par route au Tigré est le couloir d’Afar, obstrué par les barrages officiels et non officiels, l’insécurité et autres obstacles et problèmes.  Le carburant reste bloqué, de même que les articles et équipements médicaux, alors que l’accès à l’électricité est toujours aléatoire.  Les combats à Amhara sont aussi des obstacles à l’approvisionnement humanitaire. 

Le Secrétaire général a fait état d’informations sur les morts attribuables à la faim, et d’un taux de malnutrition qui rappelle la situation de 2011 en Somalie.  Il a exprimé son inquiétude quant à la violence sexuelle et fondée sur le sexe, jugeant important de concentrer tous les efforts sur l’humanitaire pour éviter « une tragédie à large échelle ». 

M. Guterres a aussi parlé de l’expulsion « sans précédent » de fonctionnaires de l’ONU car elle est au cœur des relations entre les Nations Unies et les États Membres.  Il a attiré l’attention sur la note verbale du Bureau des affaires juridiques, datée du 1er octobre, qui qualifiait le comportement du Gouvernement éthiopien de « non conforme » à la norme internationale, laquelle est « limpide ».  Il existe en effet une procédure officielle qui, dans ce cas précis, n’a pas été suivie.  Le Secrétaire général a exhorté les autorités éthiopiennes à laisser les organisations onusiennes travailler sans entrave, ce qui veut dire que les visas doivent être délivrés promptement et que le personnel soit traité dans tout le pays avec respect et dignité.  Il a aussi exhorté le Gouvernement éthiopien à faciliter l’approvisionnement en carburant et autres articles essentiels.  Toutes les parties doivent cesser les hostilités sans condition préalable.  Les forces étrangères doivent quitter le pays et le personnel humanitaire doit être traité avec respect, a insisté M. Guterres. 

Il a aussi expliqué que la situation politique a évolué en Éthiopie depuis son exposé du mois d’août.  Le nouveau Gouvernement dirigé par M. Ahmed Abiy est entré en fonctions.  Nous l’invitons, a dit le Secrétaire général, à agir comme « le gouvernement de tous », et nous saluons le discours du Premier Ministre à cet égard.  Le Secrétaire général a également exhorté toutes les parties à tirer parti de l’initiative de paix de l’Union africaine.  Le dialogue est le socle de la paix, et la paix est le socle d’un avenir prospère, a-t-il conclu, en invitant le Conseil de sécurité à œuvrer de concert pour le bien de la Corne de l’Afrique.     

Mme GERALDINE BYRNE NASON (Irlande) a estimé que l’expulsion de sept fonctionnaires onusiens risque de saper les efforts diplomatiques et humanitaires en cours.  Cette décision est « tout simplement inacceptable », a-t-elle estimé, en appelant les acteurs locaux à dépolitiser la question humanitaire.  Elle a également fait état d’actes de deshumanisation et de violences à l’encontre de la population civile dans le Tigré.  « Une véritable tragédie s’y joue. »  La représentante a donc demandé à toutes les parties de garantir un accès sans entrave de l’aide humanitaire au Tigré, « et maintenant ».  Les décisions politiques ayant un impact immédiat sur la vie des civils, elle a exhorté toutes les parties à reprendre le dialogue et souligné le rôle de l’Union africaine en la matière.

M. ANDRE LIPAND (Estonie) a condamné fermement la décision du Gouvernement éthiopien d’expulser sept responsables de l’ONU, en jugeant essentiel la reprise des opérations humanitaires en Éthiopie.  Il a dénoncé la violence et le harcèlement auxquels sont soumis les agents humanitaires.  Toutes les parties au conflit ont l’obligation de faciliter un accès humanitaire sûr et sans entrave et d’assurer la protection des agents humanitaires, conformément au droit international humanitaire.  C’est pourquoi, a dit le représentant, nous exhortons le Gouvernement éthiopien à prendre les mesures qui s’imposent pour faciliter l’accès des convois humanitaires au Tigré, rétablir les services publics dans la région et ouvrir la voie au carburant et aux fournitures médicales. 

Le représentant a aussi exhorté les forces du Tigré à arrêter leur offensive dans les régions voisines d’Amhara et d’Afar et d’y faciliter l’aide humanitaire aux centaines de milliers de déplacés.  Il faut, a-t-il ajouté, conclure l’enquête conjointe sur les violations et abus des droits de l’homme, en particulier contre les défenseurs de ces droits.  Réitérant qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit du Tigré, le représentant a lancé un appel à la cessation immédiate des hostilités, à la protection des civils et à l’atténuation des conséquences humanitaires du conflit.  Tout cela devrait être suivi d’un processus politique inclusif et crédible, tourné vers la réconciliation nationale.  En la matière, le représentant a souligné le rôle de l’Union africaine. 

Face à l’urgence humanitaire, M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France) a dit attendre des autorités éthiopiennes une pleine coopération avec les Nations Unies et les partenaires internationaux.  Il a condamné la décision du Gouvernement éthiopien de déclarer sept membres du personnel de l’ONU persona non grata.  Le soutien de la France et de l’Union européenne, a-t-il prévenu, implique que les personnels onusiens et humanitaires puissent travailler en toute sécurité et dans le plein respect des principes humanitaires et du droit international humanitaire.  Les autorités éthiopiennes doivent garantir le plein accès humanitaire pour l’ensemble du personnel humanitaire, médical et des Nations Unies et respecter leurs propres engagements.  Nous ne tolérerons ni intimidation, ni violence contre le personnel humanitaire et médical, ni tentative de discréditer ces derniers, a prévenu le représentant.  La levée du blocus humanitaire en place est un préalable à tout règlement du conflit en cours.

Pour la France, a-t-il poursuivi, seule une solution politique et négociée permettra de sortir de la crise.  Il a dit soutenir les trois points rappelés aujourd’hui par le Secrétaire général à savoir cessation des hostilités, accès humanitaire et dialogue.  Un cessez-le-feu est indispensable pour répondre à l’urgence humanitaire et créer les conditions d’un règlement du conflit, a souligné le délégué, en appelant au retrait « vérifiable et contrôlé » des forces érythréennes du territoire éthiopien, et en particulier de l’ouest du Tigré.  Il a aussi demandé aux forces tigréennes de donner des gages de sincérité et de réintégrer les frontières régionales du Tigré.  Il est important qu’un compromis soit trouvé avec les forces amharas sur le différend frontalier entre les deux régions, et ce, dans le cadre de la Constitution, a déclaré M. de Rivière pour qui la réconciliation passe par la lutte contre l’impunité.  Il a pris note de l’engagement du nouveau Gouvernement éthiopien à identifier et poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme et d’organiser un dialogue national inclusif dès que possible.  

Mme MONA JUUL (Norvège) a rappelé à quel point son pays a été choqué par l’expulsion, le 30 septembre, de sept fonctionnaires des Nations Unies.  Elle s’est étonnée qu’aujourd’hui encore l’Éthiopie ne soit pas revenu sur cette décision « intenable » alors que la crise humanitaire s’aggrave jour après jour et que la famine sévit probablement.  Expulser des membres du personnel essentiel de l’ONU, en l’occurrence des chefs de file humanitaires, dans une situation humanitaire d’ores et déjà catastrophique, ne peut être que profondément troublant.  Il est « inacceptable » que l’Éthiopie choisisse d’entraver le travail « crucial » des organisations de l’ONU. 

En effet, a-t-elle dit, l’ONU fournit une assistance impartiale pour sauver la vie des personnes dans le besoin dans toutes les régions du pays.  Son personnel joue un rôle fondamental dans le suivi et la collecte d’informations sur les questions humanitaires et des droits de l’homme préoccupantes.  L’ONU, a martelé la représentante, « n’est pas partie au conflit en Éthiopie ».  Elle travaille avec impartialité et professionnalisme.  Après avoir insisté pour que l’Éthiopie revienne sur sa décision, la représentante a énuméré quelques mesures à l’intention des autorités fédérales, du Front populaire de libération du Tigré (FPLT) et autres acteurs armés. 

Elle a d’abord réclamé un accès sûr, rapide et sans entrave de l’assistance humanitaire dans la région, soulignant la nécessité « absolue » de faciliter le travail humanitaire et de respecter le droit international humanitaire.  Elle a appelé à la fin des calomnies contre les agents humanitaires, un discours de haine dangereux qui met en danger la vie des acteurs humanitaires.  La représentante a aussi insisté sur l’importance qu’il y a à mettre fin aux violations des droits de l’homme, dont la violence sexuelle.  Elle a enfin prié le Conseil de s’exprimer d’une seule voix pour exiger l’établissement des responsabilités pour ces atrocités.  La représentante n’a pas oublié de saluer la nomination de l’ancien Président du Nigéria, M. Olusegun Obasanjo, comme Haut-Représentant de l’Union africaine pour la Corne de l’Afrique.   

Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a dit avoir été « profondément déçue » par la décision du Gouvernement éthiopien d’expulser sept responsables de l’ONU, alors même que la situation humanitaire y est désormais « si grave ».  L’expulsion d’un personnel clef aura un impact direct sur la capacité de la communauté internationale de fournir une aide humanitaire vitale, a regretté la représentante.  Mais, a-t-elle reconnu, cette expulsion est loin d’être le seul obstacle à l’acheminement de l’aide dans le nord de l’Éthiopie.  La représentante a donc réitéré son appel urgent au FPLT pour qu’il cesse sa campagne militaire et agisse dans le meilleur intérêt des gens ordinaires du Tigré, notamment en permettant le rétablissement des télécommunications et des services bancaires, la livraison de nourriture et de carburant et la délivrance des visas au personnel humanitaire.  Le temps presse: nous devons voir des milliers de camions de nourriture et de médicaments et des millions de litres de carburant arriver au Tigré pour éviter des morts à une échelle catastrophique avant la fin de cette année, a prévenu la représentante.

Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a fermement condamné la décision du Gouvernement éthiopien d’expulser sept responsables de l’ONU.  Expulser les Chefs du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) sur le terrain est « un affront » à l’ONU et tous ses États Membres, a prévenu la représentante.  Elle a dit ne voir « aucune justification » à cet acte du Gouvernement éthiopien.  Elle a insisté sur l’impartialité de l’ONU dans ses enquêtes sur les violations et abus des droits de l’homme, et d’ailleurs en partenariat avec la Commission éthiopienne des droits de l’homme. 

La situation actuelle en Éthiopie s’apparente à celle de la Somalie en 2011, s’est alarmée la représentante, attirant l’attention sur une famine qui a fait 250 000 morts malgré les avertissements.  Elle a exhorté le Gouvernement éthiopien à autoriser le retour immédiat des acteurs humanitaires de l’ONU et « si nos appels continuent d’être ignorés, le Conseil de sécurité prendra la décision qui s’imposera pour sauver des vies et promouvoir la paix et la sécurité internationales », a encore prévenu la représentante.  Elle a rappelé que l’Éthiopie était encore il y a trois ans un pays plein de promesses, avec une des plus fortes croissances économiques du continent africain.  Alors que le conflit se propage vers les régions voisines, elle a regretté que les dirigeants éthiopiens aient choisi la voie de l’isolationnisme.  Elle les a invités à accepter « maintenant » un cessez-le-feu sans condition parce qu’il n’y aura pas de solution militaire à ce conflit.    

Au nom du Kenya, du Niger, de la Tunisie et Saint-Vincent-et-les Grenadines (A3+1), M. TAREK LADEB (Tunisie) s’est dit à son tour préoccupé par la décision du Gouvernement éthiopien de déclarer persona non grata sept fonctionnaires de l’ONU.  Il a exhorté ce dernier et l’ONU à entreprendre tous les efforts possibles pour résoudre leurs différends et à veiller à ce que l’aide soit fournie aux Éthiopiens dans le besoin.  La question du personnel de l’ONU opérant en Éthiopie doit être examinée de manière approfondie, sur la base de preuves tangibles et dans le cadre d’un dialogue « franc et authentique ».  Discuter publiquement de ce type de questions n’est peut-être pas constructif dans les circonstances actuelles et n’allégera certainement pas les souffrances des populations touchées par le conflit dans le nord de l’Éthiopie, a fait observer le représentant.  La priorité, a-t-il martelé, doit être l’acheminement sans entrave de l’aide dans le nord du pays, et le dialogue pacifique et démocratique est le meilleur mécanisme pour résoudre les graves différends politiques.  

La priorité absolue, a poursuivi le représentant, est, à ce stade, la déclaration d’un cessez-le-feu immédiat, l’accès humanitaire sans restriction et le rétablissement des services publics dans toutes les zones de conflit.  Toutes les parties doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire.  Il a aussi rappelé l’obligation de tout le personnel humanitaire et de l’ONU de respecter les lois du pays hôte.  Les organisations humanitaires doivent respecter les principes de neutralité, d’impartialité et d’humanité, de souveraineté nationale, d’indépendance politique, d’intégrité territoriale et d’unité nationale dans le pays hôte.  

La situation humanitaire dans le nord de l’Éthiopie s’inscrit dans une crise « beaucoup plus vaste et complexe », a prévenu le représentant, devant le risque de débordement dans la région et la menace potentielle à la paix et à la sécurité en Éthiopie et au-delà.  Avec l’expansion des hostilités dans les régions d’Amhara et d’Afar, l’on voit bien qu’il n’y a pas de solution militaire à cette crise.  Le recours aux armes ne fera que prolonger le conflit, a averti le représentant, appelant les parties éthiopiennes à cesser les hostilités et à engager des discussions en vue de conclure un cessez-le-feu global et permanent qui ouvrirait la voie à un dialogue inclusif dirigé par l’Éthiopie et à la réconciliation nationale.  Il a aussi appelé au retrait de toutes les forces non éthiopiennes du Tigré et à la suppression de toutes les milices des États fédéraux voisins.  Le représentant a terminé en soulignant « le rôle majeur » de l’Union africaine pour aider les Éthiopiens dans leurs efforts de réconciliation. 

M. ZHANG JUN (Chine) a appelé le Gouvernement éthiopien à ne ménager aucun effort pour faciliter un bon acheminement de l’assistance humanitaire, sans oublier de lancer un appel à la communauté internationale pour qu’elle fournisse les ressources nécessaires pour aider le Gouvernement éthiopien à aider tous ceux qui en ont besoin.  Le représentant a estimé que le Gouvernement éthiopien avait en réalité réagi positivement aux préoccupations des agences humanitaires, en réduisant le nombre des barrages routiers et en facilitant le transport de l’aide.  Il a déploré « le désaccord » sur l’expulsion des sept membres de l’ONU, en préconisant une « diplomatie discrète » pour éviter l’impasse.  Évitons, a conseillé le représentant, de saper la confiance et privilégions le dialogue et la coopération.  Il s’est félicité de l’entrée en fonctions du nouveau Gouvernement éthiopien et de ses vœux d’unité, de dialogue et d’appropriation nationale.  Insistant sur le principe « solutions africaines aux problèmes africains », il a salué dans ce contexte la nomination de M. Obasanjo comme Haut-Représentant de l’Union africaine pour la Corne de l’Afrique.  Les sanctions imposées à l’Éthiopie devraient être levées dans les plus brefs délais, a encore plaidé le représentant.

M. T. S. TIMURURTI (Inde) a qualifié de « malheureuse », l’expulsion de hauts fonctionnaires de l’ONU, compte tenu de l’impact potentiel sur la situation humanitaire.  Il est donc important de désamorcer la situation par l’engagement et le dialogue, a plaidé le représentant.  Il a également déclaré avoir « pris note », des informations faisant état de détournement de l’aide humanitaire par des groupes armés et autres.  De tels incidents doivent faire l’objet d’une enquête et des mesures correctives, être prises.  Bien que nous ne connaissions pas les circonstances qui ont conduit aux récents développements, nous sommes d’avis que les principes fondateurs de l’aide humanitaire, à savoir l’humanité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance, doivent toujours être respectés.   L’aide humanitaire et ses agents doivent être attentifs, en particulier lorsque l’État hôte est confronté à une situation politico-militaire complexe.

Le représentant a en outre jugé « impératif » que l’ONU et ses institutions continuent de travailler en étroite collaboration avec le Gouvernement éthiopien pour que l’aide parvienne en temps voulu et dans une quantité adéquate.  Il a émis l’espoir que l’ONU et le Gouvernement éthiopien n’épargneront aucun effort pour résoudre rapidement toutes les questions dans l’intérêt de la population affectée.  Nous devrions éviter la politisation de la question, a suggéré le représentant. 

Mme NGUYEN PHUONG TRA (Viet Nam) a regretté à son tour la décision du Gouvernement éthiopien de déclarer « persona non grata » sept membres du personnel des Nations Unies, dont des responsables de l’UNICEF et de l’OCHA.  Alors que 5,2 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire, dont 400 000 sont proches de la famine, la représentante a jugé crucial d’assurer une livraison et un accès sûrs, efficaces et efficients de l’aide humanitaire dans la région du Tigré et les zones limitrophes.  

Partageant les préoccupations concernant les niveaux alarmants de violence et la destruction d’infrastructures civiles indispensables au Tigré, la représentante a appelé à une cessation immédiate des hostilités dans le respect du droit international humanitaire et des impératifs de protection des civils, en particulier les femmes et les enfants.  La crise du Tigré a des raisons politiques, historiques et ethniques « complexes » et les parties doivent créer les conditions favorables au lancement d’un dialogue politique dirigé par les Éthiopiens eux-mêmes.  La représentante a aussi appelé les autorités éthiopiennes et toutes les autres parties concernées à accorder la plus haute priorité aux intérêts du peuple.  La communauté internationale, y compris le Conseil de sécurité, doivent soutenir tous les efforts à cette fin, dans le plein respect de l’indépendance, de la souveraineté, de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Éthiopie, a souligné la représentante.  

M. JUAN GÓMEZ ROBLEDO VERDUZCO (Mexique) s’est alarmé de ce que la décision du Gouvernement éthiopien d’expulser des fonctionnaires de l’ONU ait un impact direct sur les efforts humanitaires sur le terrain.  L’expulsion d’un membre du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pourrait aussi avoir un impact sur l’enquête menée avec la Commission éthiopienne des droits de l’homme sur les violations et abus de ces droits, d’autant plus que le délai prévu pour la remise du rapport final est le 1er novembre.  Lorsqu’un État accepte l’aide humanitaire, il ne doit pas la soumettre à des décisions discrétionnaires, a tancé le représentant.  Ce qui est en jeu, c’est la protection de la population civile, a-t-il ajouté, avant de rappeler l’arrêt du 27 juin 1986 de la Cour internationale de Justice (CIJ), dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique.  Selon cet arrêt, l’acheminement de l’aide humanitaire ne peut être considéré comme une intervention étrangère ou comme contraire au droit international, tant qu’il respecte les principes de la Croix-Rouge, c’est-à-dire une aide non discriminatoire.        

Toute accusation portée contre l’ONU ou son personnel doit être fondée sur des faits concrets et être suivie de consultations avec l’Organisation et d’une enquête respectueuse de la loi dont la présomption d’innocence, a professé le représentant.  L’accès humanitaire au Tigré est une nécessité pour des millions de personnes et son approvisionnement ne saurait être politisé.  Le représentant a exhorté les parties à adhérer aux principes consacrés par le droit international humanitaire et la Charte des Nations Unies.  Il a condamné les violations des droits de l’homme, y compris la violence sexuelle et fondée sur le sexe, et réclamé un cessez-le-feu humanitaire et le retrait des acteurs extérieurs du Tigré et des régions voisines pour que l’aide puisse parvenir à tous ceux qui vivent dans la détresse.  Il est temps de mettre fin aux souffrances de ces millions de personnes, a-t-il conclu. 

Mme ANNA M. EVSTIGNEEVA (Fédération de Russie) a félicité tous les Éthiopiens pour la constitution récente d’un nouveau Gouvernement, et assuré que son pays continuera à soutenir l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Éthiopie « amie ».  Elle a refusé l’idée que l’on ait épuisé « le potentiel des solutions » et s’est dite confiante dans le dialogue promu par les acteurs régionaux.  Une rhétorique internationale « délibérément enflammée » ne fera que compliquer la tâche de l’Union africaine, a prévenu la représentante.  Les pressions du Conseil de sécurité et la création d’une atmosphère toxique n’aident en rien.  La représentante a jugé « inadmissible » de bloquer les camions humanitaires de l’ONU et regretté l’expulsion des fonctionnaires de l’ONU.  Mais, a-t-elle prévenu, ne dramatisons pas la situation.  Tendons plutôt vers un règlement à l’amiable.  S’interrogeant sur les mesures prises ou pas autour de cette question, elle a souligné que l’aide humanitaire doit être apportée dans le respect des principes humanitaires internationaux, du droit international et de la législation nationale.  Elle a exprimé la disposition de son pays à contribuer à la normalisation de la situation dans le nord de l’Éthiopie et la Corne de l’Afrique.      

M. TAYE ATSKESELASSIE AMDE (Éthiopie) a dit avoir du mal à cacher son étonnement.  Il est « incompréhensible », a-t-il avoué, que « cet auguste organe » discute de la décision qu’un État souverain a prise dans le cadre de l’exercice du droit international et de ses prérogatives souveraines.  Nous connaissons plusieurs cas où des employés de l’ONU ont été expulsés d’un pays, sans que cela ne donne lieu à une réunion du Conseil de sécurité.  Nous n’avons, a prévenu le représentant, aucune obligation juridique de fournir des explications.  

Invoquant la résolution 48/142 de l’Assemblée générale sur les principes directeurs de l’aide humanitaire, qui stipule que la souveraineté et l’intégrité et l’unité territoriales des États doivent être respectées, le représentant a assuré que son pays continuera d’exercer ses droits souverains à cet égard.  En conséquence de quoi, toute suggestion contraire sera considérée comme « inacceptable » et « illégale ». 

Le représentant a également invoqué le paragraphe 3 de l’Article 101 de la Charte des Nations Unies relatif au statut des fonctionnaires, ainsi que le Code de conduite du personnel de l’ONU qui est tenu à un niveau élevé d’intégrité, de neutralité et d’indépendance et d’humanité.  Les fonctionnaires expulsés ont manqué à toutes ces obligations, a affirmé le représentant, les accusant de s’être livrés à de l’activisme et de s’être mêlés à une conspiration du FPLT, en donnant notamment de fausses informations au Conseil de sécurité, pour « créer une situation comparable à celle du Darfour », selon leurs propres mots.  

Ces fonctionnaires, a poursuivi le représentant, ont inventé des données portant à 3,8 millions le nombre de personnes en danger sanitaire en Éthiopie, alors que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) donnait le nombre de 2,8 millions.  Leur but, a dit avoir décelé le représentant, était de faire passer la crise au niveau 3 et de déclencher les mesures contenues dans la résolution 2417 (2018) du Conseil de sécurité.  Outrepassant leur mandat, ces fonctionnaires ont en outre demandé à des agences des Nations Unies de mener des enquêtes, dans le seul but de répondre aux demandes du FPLT, et répandre de fausses informations dans les médias, dans l’espoir de provoquer la saisine de la Cour pénale internationale (CPI).   

L’expulsion de ces personnels a été décidée en dernier ressort.  À plusieurs reprises, les autorités éthiopiennes ont alerté les Nations Unies sur le comportement de ces personnes, en particulier dans une lettre que le Vice-Ministre des affaires étrangères a adressée au Secrétaire général, le 8 juillet 2021.  Lesdites personnes ont également été personnellement rappelées à l’ordre par les autorités, sans succès.  Elles ont poursuivi leur activisme.  Nous ne confondons pas, a promis le représentant, leur mauvaise conduite avec le professionnalisme d’autres personnels des Nations Unies.  Il appartient dès lors au Secrétaire général de les remplacer.  En attendant, nous demandons que toutes les informations et données contenues dans les rapports sur l’Éthiopie, produits ces dernières années, soient revues et vérifiées, si l’on veut recréer un climat de coopération et de confiance entre mon pays et les Nations Unies, a prévenu le représentant.  

S’il est une chose à laquelle je tiens particulièrement pendant cette période, a dit le Secrétaire général, en reprenant la parole, c’est de maintenir des relations efficaces et opérationnelles avec le Gouvernement éthiopien et son Premier Ministre.  À tel point, a-t-il avoué, que j’ai été accusé par certains médias dans le monde d’avoir un préjugé favorable pour le Gouvernement éthiopien.  C’est donc avec une très grande aisance que je voudrais vous dire ceci, a ajouté le Secrétaire général en se tournant vers le représentant de l’Éthiopie.    

Je voudrais, a-t-il affirmé, recevoir une copie de tout document écrit et envoyé par le Gouvernement éthiopien à une institution ou l’autre de l’ONU, sur n’importe lequel des membres de l’Organisation expulsés.  Je n’ai connaissance d’aucun document de ce type, a dit le Secrétaire général.  Si un document envoyé à l’ONU m’a été caché, il me serait très utile de l’obtenir pour enquêter sur ce qui s’est passé.  

Je vous prie, a insisté le Secrétaire général, de bien vouloir me fournir une copie de tout document écrit par le Gouvernement éthiopien sur un des sept expulsés.  Je vous rappelle qu’à deux reprises j’ai dit au Premier Ministre de me saisir de tout soupçon de partialité de la part d’un membre ou l’autre du personnel de l’ONU pour que je puisse enquêter.  Deux fois, je l’ai dit au Premier Ministre et à ce jour, je n’ai reçu aucune réponse à cette requête. 

Pour nous la question est très simple, a souligné le Secrétaire général: L’Éthiopie n’a pas le droit d’expulser des membres du personnel de l’ONU et en le faisant, elle viole le droit international.  Nous sommes prêts, a dit le Secrétaire général, à coopérer avec le Gouvernement d’Éthiopie sur tous les cas où il a le sentiment qu’un membre ou l’autre du personnel de l’ONU n’agit pas en toute impartialité et en toute indépendance, comme le prescrivent le droit et les principes humanitaires.   

Je vous le dis, Monsieur l’Ambassadeur, nous voulons coopérer avec votre Gouvernement parce que nous n’avons qu’un seul agenda en Éthiopie et cet agenda, c’est le peuple éthiopien, qu’il soit Somali, du Tigré, d’Amhara ou d’Afar.  Ce peuple souffre et nous n’avons d’autres intérêts que de contribuer à faire cesser ces souffrances, a souligné le Secrétaire général. 

Nous respectons votre franchise, a répondu le Représentant éthiopien, en promettant de communiquer les propos du Secrétaire général à son gouvernement. 

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