8754e séance – Matin
CS/14274

Conseil de sécurité: La Guinée-Bissau, ce sont trois transitions difficiles à négocier à cause de la crise politique

Avec trois personnalités impliquées en Guinée-Bissau, le Conseil de sécurité a examiné aujourd’hui la situation d’un pays marquée par trois transitions: le retrait du Bureau intégré des Nations Unies (BINUGBIS), le transfert des tâches de ce dernier à l’équipe de pays de l’ONU et la fermeture de la Mission de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et tout cela, dans un climat de crise politique, « dramatisée », selon le représentant bissau-guinéen. 

Réuni en personne, dans sa volonté d’alterner les séances au Siège de l’ONU et les visioconférences, le Conseil de sécurité a dialogué avec la Chef du BINUGBIS, la Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et le Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix. 

Dans le contexte de la COVID-19 qui met à l’épreuve les infrastructures sanitaires désastreuses et les ressources limitées de la Guinée-Bissau, la Chef du BINUGBIS a indiqué que les derniers développements politiques ont conduit à une atmosphère politique marquée par une méfiance croissante entre les parties prenantes.  Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et de Cabo Verde (PAIGC) conteste le go qu’a donné le Parlement, le 29 juin dernier, au programme du Premier Ministre et refuse de répondre à l’appel du Président à un gouvernement élargi.

La Chef du BINUGBIS a parlé du raid du 26 juillet contre la Radio Capital FM, considérée comme proche de l’opposition, des arrestations arbitraires, des actes d’intimidation et de la détention des personnalités politiques perçues comme opposants à l’administration actuelle.  Elle a avoué que la crise politique et la paralysie du Parlement ont empêché son Bureau de soutenir les réformes urgentes décrites dans l’Accord de Conakry de 2016, y compris la révision de la Constitution, la loi électorale et celle sur les partis politiques. 

La Commission technique créée par le Président pour travailler sur un projet de constitution est critiquée par plusieurs parties prenantes qui soulignent que cette révision relève de la prérogative exclusive de l’Assemblée nationale.  Elle a rappelé le plan du Secrétaire général visant à mettre en place une plateforme de haut niveau réunissant les partenaires internationaux et les autorités nationales.  Ce plan passera, après la fermeture du BINUGBIS, en décembre 2020, sous la direction du Coordonnateur résident, dans un pays dont le littoral et les problèmes de gestion des frontières sont exploités par les groupes de la criminalité organisée pour le trafic transatlantique de cocaïne, a prévenu la Directrice exécutive de l’ONUDC.

La résurgence de ce trafic à partir de l’Amérique latine et vers l’Europe, est préoccupante, s’est-elle alarmée.  La Guinée-Bissau a d’ailleurs mis en garde contre la tentation des acteurs politiques nationaux de « politiser » la lutte contre le trafic de drogue, pour des gains politiques ou des stratégies partisanes.  L’ONUDC, a tout de même promis la Chef de l’ONUDC, mettra l’accent sur le renforcement des capacités dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée.  Ce travail s’effectuera dans le cadre du nouveau Plan stratégique national dont l’objectif est de permettre à l’ensemble de la chaîne du système judiciaire et de sécurité de répondre au trafic de stupéfiants, à la criminalité organisée, à la corruption et au blanchiment d’argent. 

Toutes les délégations du Conseil ont insisté sur la poursuite des réformes prévues par l’Accord de Conakry, auquel la France a ajouté la feuille de route en six points de la CEDEAO, en insistant sur la révision de la Constitution mais aussi sur le respect des droits de l’homme et de l’état de droit.  La prétendue multiplication des violations des droits de l’homme, s’est défendue la Guinée-Bissau, ne sont que des « incidents isolés ».  Elle a aussi affirmé que depuis les élections de 2014, elle n’a connu aucune ingérence militaire sur la scène politique. 

La Guinée-Bissau a dit plutôt voir de nouveaux discours sur la réconciliation nationale et la baisse des tensions politiques et sociales, arguant qu’avec la mise en place d’une commission technique pour la révision constitutionnelle, le Président de la République a « débloqué » le processus de réforme.  Le pays a plus que jamais besoin d’être accompagné et soutenu, a plaidé le Niger, appelant la communauté internationale à soutenir les initiatives nationales dans le cadre de la consolidation de la paix. 

Un engagement international continu et une concentration soutenue sur les priorités du pays seront essentiels pour assurer la reprise économique et le développement durable, a acquiescé le Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix, craignant que la mauvaise situation socioéconomique n’affaiblisse encore la cohésion sociale.  La levée des sanctions a d’ailleurs été défendue par la Fédération de Russie, étant donné que la situation actuelle n’a rien à voir avec le coup d’État de 2012.  Il ressort clairement des six premiers mois de 2020 que les sanctions n’ont aucune incidence sur la dynamique politique interne du pays, a fait observer la Fédération de Russie, jugeant « déroutant » le maintien des sanctions. 

LA SITUATION EN GUINÉE-BISSAU

Rapport du Secrétaire général sur l’évolution de la situation en Guinée‑Bissau et sur les activités du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (S/2020/755)

Déclarations

Mme ROSINE SORI-COULIBALY, Représentante spéciale pour la Guinée-Bissau et Chef du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS), a d’emblée annoncé qu’alors que les pays du monde entier sont aux prises avec la pandémie de COVID-19, la situation en Guinée-Bissau est particulièrement fragile, compte tenu de ses infrastructures sanitaires désastreuses et de ses ressources limitées.  Le pic de la pandémie reste à venir, a prévenu la haut-responsable qui a souligné que l’ONU soutient la mise en œuvre du Plan national d’intervention contre la pandémie, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Banque mondiale et d’autres agences des Nations Unies.  En conséquence, un cadre de coordination a été établi et des ressources ont été allouées pour soutenir les efforts nationaux. 

Les derniers développements politiques ont conduit à une atmosphère politique marquée par une méfiance croissante entre les parties prenantes, a déploré Mme Sori-Coulibaly.  Les accusations mutuelles et les actes d’intimidation contre ceux qui s’opposent à la nouvelle équipe gouvernementale ont créé un climat hostile, rendant difficile la recherche d’un consensus autour des priorités nationales de consolidation de la paix.  Alors que les nouvelles autorités se concentrent sur les moyens de raffermir leur pouvoir, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et de Cabo Verde (PAIGC) conteste le go qu’a donné le Parlement, le 29 juin dernier, au programme du Premier Ministre.  Le PAIGC remet en question la légalité de la session parlementaire, alléguant d’erreurs de procédure et de menaces.  Ce parti continue d’appeler à « une solution politique ». 

Le Président a exprimé le souhait d’un gouvernement élargi avec Nuno Nabiam comme Premier Ministre mais les perspectives d’une percée sont faibles, compte tenu de la forte opposition du PAIGC à entrer au Gouvernement.  Une solution durable exige que toutes les parties fassent des compromis mais les deux parties préfèrent camper sur leur position.  L’ambiance est caractérisée par le raid du 26 juillet contre la Radio Capital FM, considérée comme proche de l’opposition, les arrestations arbitraires, les actes d’intimidation et la détention des personnalités politiques perçues comme opposants à l’administration actuelle.  Ces événements n’ont fait qu’exacerber les tensions politiques. 

Les résolutions 2458 (2019) et 2512 (2020) du Conseil de sécurité ont décidé de la fermeture progressive du BINUGBIS et les choses suivent leur cours, a indiqué la Représentante spéciale.  Mais la crise politique et la paralysie du Parlement ont empêché le Bureau de soutenir les réformes urgentes décrites dans l’Accord de Conakry, y compris la révision de la Constitution, la loi électorale et celle sur les partis politiques.  Il est peu probable que le mandat du BINUGBIS soit pleinement mis en œuvre avant son départ, a reconnu la Représentante spéciale.

La Commission technique créée par le Président, le 11 mai dernier, devrait soumettre un projet de constitution dans les prochains jours.  Mais la création de cette commission a été critiquée par plusieurs parties prenantes qui soutiennent que la révision de la Constitution relève de la prérogative exclusive de l’Assemblée nationale, même si le Président continue d’arguer que la Commission est conforme à la demande de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et qu’elle jettera les bases de la révision constitutionnelle. 

On ne sait toujours pas comment l’on pourra concilier le projet de la Commission technique avec celui de la Commission ad hoc de l’Assemblée nationale.  Ces processus parallèles risquent d’exacerber encore davantage les tensions politiques.  Le Président a aussi exprimé le désir de changer le système de gouvernance lequel passerait d’un système semi-présidentiel à un régime présidentiel, avec le risque de susciter des différends dans la nouvelle alliance parlementaire MADM-G15 et des tensions avec les partisans et le nouveau Premier Ministre.

Quant au retrait du BINUGBIS, a déclaré Mme Sori-Coulibaly, la coordination avec l’équipe de pays sur la transition est en cours.  Le Fonds pour la consolidation de la paix a été utilisé pour identifier et soutenir les partenaires clefs, y compris les agences des Nations Unies et les organisations de la société civile, qui contribueront à la mise en œuvre des principales priorités de consolidation de la paix.  Des efforts sont en cours pour reconfigurer la présence de l’équipe de pays de l’ONU afin de lui permettre d’assurer la poursuite du dialogue politique, des mesures de renforcement de la confiance, des réformes urgentes et de la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité transnationale organisée. 

En coordination avec l’équipe de pays et le Fonds pour la consolidation de la paix, des activités de renforcement des capacités de l’Assemblée nationale ont été proposées.  En outre, un plan d’action global est en cours d’élaboration au Bureau, en coordination avec le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) et la CEDEAO, afin d’étendre, entre autres, l’appui technique aux commissions spécialisées.  Dans ce contexte, les groupes de femmes continuent de jouer un rôle de premier plan.

Le plan du Secrétaire général visant à mettre en place une plateforme de haut niveau réunissant les partenaires internationaux et les autorités nationales progresse, a indiqué Mme Sori-Coulibaly.  Après la fermeture du BINUGBIS, la plateforme passera sous la direction du Coordonnateur résident.  Le soutien de l’ONU restera crucial, a souligné la Représentante spéciale, y compris le soutien financier.  La coordination avec les partenaires internationaux, y compris avec le Groupe des Cinq à Bissau, et en particulier avec la CEDEAO, se poursuit.  Des réunions tripartites de coordination entre le BINUGBIS, la CEDEAO et l’UNOWAS sont organisées.  Le renforcement du Bureau du Coordonnateur résident est envisagé, pour soutenir la protection et la promotion des droits de l’homme.  Quelque 28 employés du BINUGBIS resteront en place jusqu’au 28 février 2021.  La situation en Guinée-Bissau doit rester à l’ordre du jour de la communauté internationale, a plaidé la Représentante spéciale.

Mme GHADA FATHI WALY, Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), a rappelé que cette réunion se tient à un moment difficile de la transition en Guinée-Bissau, maintenant que la crise de la COVID-19 a accentué les vulnérabilités et compliquer une aide technique « fort nécessaire ».  Une action urgente et coordonnée sur la base d’une responsabilité partagée s’impose, a-t-elle dit.

Mme Waly a souligné que le littoral de la Guinée-Bissau et les problèmes de gestion des frontières sont exploités par les groupes de la criminalité organisée pour le trafic transatlantique de cocaïne, entre autres.  En 2019, l’opération Carapau et l’opération Navara, menée avec l’appui de l’ONUDC, ont permis la saisie de près de 3 tonnes de cocaïne: 19 trafiquants ont été reconnus coupables et leurs avoirs, saisis.

Aujourd’hui, la résurgence de ce trafic et la réémergence des opérateurs criminels dans le pays sont préoccupantes, de même que le retour récent des trafiquants inculpés.  Les mise à pied de fonctionnaires essentiels des forces de l’ordre menace de compromettre la viabilité des progrès enregistrés jusqu’ici.  La réforme du secteur de la sécurité est « fondamentale et essentielle » pour dégager une solution durable à l’instabilité politique chronique et à sa vulnérabilité aux organisations criminelles, a insisté la Directrice exécutive.

L’ONUDC mettra l’accent sur le renforcement des capacités des institutions nationales dans la lutte contre la corruption et de la riposte à toutes les formes de criminalité organisée.  Ce travail s’effectuera dans le cadre du nouveau Plan stratégique national dont l’objectif est de permettre à l’ensemble de la chaîne du système judiciaire et de sécurité de répondre au trafic de stupéfiants, à la criminalité organisée, à la corruption et au blanchiment d’argent.  L’ONUDC lancera cet été même deux projets sur le renforcement de la coordination entre les forces de l’ordre et la justice pénale, sur la promotion de mécanismes de lutte contre la corruption.

L’ONUDC fournit aussi un appui au Ministère des femmes et de l’enfance, en partenariat avec l’OIM et les États-Unis, pour l’élaboration d’un plan de contingence contre la traite des personnes.  Ce document servira de base au Plan d’action national pour 2021-2026 qui disposera d’un mécanisme de référence intégré pour identifier et aider les victimes.

L’équipe aéroportuaire conjointe chargée des interceptions, créée par l’ONUDC, et la Cellule de lutte contre la criminalité transnationale élaborée dans le cadre de l’Initiative Côte de l’Afrique de l’Ouest, ont permis d’intégrer les organes de répression de la Guinée-Bissau aux réseaux de coopération, notamment le long de la route de la cocaïne entre l’Amérique latine et l’Afrique de l’Ouest.  L’ONUDC continuera de fournir un large éventail d’appui technique à la Guinée-Bissau grâce à une équipe élargie sur le terrain, a promis la Directrice exécutive.

M. RONALDO COSTA FILHO (Brésil), Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix (CCP), a rappelé que depuis sa création en 2007, le rôle principal de la formation est de soutenir les réformes du Gouvernement, y compris l’Accord de Conakry, la feuille de route de la CEDEAO et de contribuer à lever les obstacles à la stabilité et au développement à long terme.  Aujourd’hui, les défis de la stabilité et du développement se sont approfondis avec l’arrivée de la pandémie de COVID-19 au cours d’une année marquée par trois transitions, à savoir le retrait du BINUGBIS, le transfert des tâches à l’équipe de pays de l’ONU et la transition du pays vers un nouveau leadership et la fermeture de la Mission de la CEDEAO. 

M. Filho a indiqué que le mois dernier, il a fait le point avec les experts et les parties prenantes pour avoir une vue globale des dynamiques dans le contexte de la COVID-19, et trouver la voie à suivre s’agissant de la consolidation de la paix.  Les perspectives économiques de la Guinée-Bissau sont fragiles et incertaines, a dit le Président de la formation.  Les obstacles à la mobilité dus à la pandémie entravent les exportations et la croissance économique, projetée à 4,4% , avant la COVID-19.  L’on parle désormais d’une contraction d’environ 3%. 

Un engagement international continu et une concentration soutenue sur les priorités du pays seront essentiels pour assurer la reprise économique et le développement durable.  M. Filho a indiqué qu’à la réunion d’information avec la Représentante spéciale, le Représentant permanent de la Guinée-Bissau, celui du Niger et le Sous-Secrétaire général à l’appui à la consolidation de la paix, tout le monde s’est dit profondément préoccupé que la crise institutionnelle, la pandémie et les restrictions de mouvement aient freiné les efforts d’appui à la consolidation de la paix.  Ils ont aussi reconnu que la mauvaise situation socioéconomique risque d’affaiblir encore davantage la cohésion sociale et la résilience communautaire, et aggraver les inégalités entre les sexes. 

La formation a été appelée à continuer de jouer un rôle de catalyseur, en aidant à mobiliser la communauté internationale dans l’intérêt des plans nationaux de développement et du futur Plan-cadre de coopération des Nations Unies pour le développement durable. 

M. ABDOU ABARRY (Niger), qui s’exprimait au nom du groupe des A3+1, à savoir l’Afrique du Sud, le Niger, la Tunisie et Saint-Vincent-et-les Grenadines, est revenu sur l’attaque meurtrière perpétrée hier près de Niamey et qui a coûté la vie à 8 personnes, 2 Nigériens et 6 Français.  Il a présenté ses sincères condoléances, aux familles des victimes ainsi qu’au Gouvernement et au peuple français.  Alors que le BINUGBIS se prépare à fermer ses portes, d’ici au 31 décembre 2020, le groupe des A3+1 espère, a dit le représentant, que le rythme des progrès significatifs se maintiendra, s’agissant, entre autres, du transfert des tâches de consolidation de la paix à l’UNOWAS et l’équipe de pays des Nations Unies.  Le représentant a salué l’engagement des partenaires internationaux, dont le Groupe des Cinq, et le rôle positif joué par la Mission de la CEDEAO en Guinée-Bissau dont le mandat arrive à son terme.  Le représentant s’est félicité de la mise en place du mécanisme tripartite intégré de coopération et de coordination composé de la CEDEAO, du BINUGBIS et de l’UNOWAS.  La Guinée-Bissau, a-t-il plaidé, a plus que jamais besoin d’être accompagnée et soutenue, et c’est dans cet esprit que la CEDEAO, dans son communiqué du 22 avril 2020, a reconnu la victoire de M. Úmaro Sissoco Embaló.  Le représentant a salué le fait que la majorité des membres du Parlement viennent d’approuver le programme du nouveau Gouvernement et la proposition de la Représentante spéciale du Secrétaire général, Mme Sori-Coulibaly, de mettre en place une plateforme de haut niveau pour accompagner les réformes.

Le représentant a appelé la communauté internationale à soutenir les initiatives nationales de la Guinée-Bissau dans le cadre de la consolidation de la paix.  Le renforcement et la modernisation des institutions démocratiques et la réforme du secteur judiciaire sont des domaines où un soutien substantiel devrait être apporté, a insisté le représentant.  En ce qui concerne le trafic de drogue, il a tenu à souligner que la Guinée-Bissau n’est ni producteur ni consommateur de drogues, mais bien victime d’une situation qui échappe à son contrôle, en raison de la faiblesse de son système de surveillance et de contrôle de ses nombreuses îles, une faiblesse malheureusement accentuée par l’instabilité politique.  Le représentant a salué le soutien constant de l’ONUDC dans ce domaine.

Revenant sur les controverses autour des résultats de l’élection présidentielle et sur la neutralité de l’armée qui a été remise en cause, Mme EVSTIGNEEVA (Fédération de Russie) a néanmoins estimé que depuis le mois d’avril, la situation dans le pays s’améliore.  La CEDEAO a reconnu le Président Úmaro Sissoco Embaló et le Parlement a adopté le programme de travail du Premier Ministre.  Il est vrai, a concédé la représentante, qu’il y a toujours des points d’achoppement entre les principaux acteurs politiques.  Elle a donc appelé les forces publiques et politiques du pays à la responsabilité et à créer des conditions propices à l’atténuation des tensions politiques.  Les forces armées doivent rester en dehors de la politique.  La représentante a jugé que la formation d’un nouveau pouvoir exécutif permettrait de se concentrer sur les réformes exigées dans l’Accord de Conakry, y compris la révision de la Constitution nationale, de la loi électorale et celle sur les partis politiques

L’équipe de pays des Nations Unies devrait obtenir tous les outils dont elle a besoin pour promouvoir le développement et contribuer à relever des défis aussi graves que le trafic de drogue, la corruption et l’amélioration de la performance des institutions publiques.  La représentante a salué le travail de l’ONUDC, avant de plaider pour la levée progressive des sanctions imposées à la Guinée-Bissau.  La situation actuelle, a-t-elle souligné, n’a rien à voir avec le coup d’État de 2012 et il ressort clairement des six premiers mois de 2020, que les sanctions n’ont aucune incidence sur la dynamique politique interne du pays.  Compte tenu du retrait du BINUGBIS et de l’absence de toute menace réelle à la paix et à la sécurité internationales, le maintien des sanctions est « assez déroutant », a avoué la représentante.

M. GUENTER SAUTTER (Allemagne) a souligné que le retrait du BINUGBIS ne signifie que l’on doit se satisfaire de la situation en Guinée-Bissau qui, a-t-il souligné, continue d’être préoccupante.  Il a regretté la crise politique, notant que face à la pandémie, un gouvernement fonctionnel et des institutions dignes de confiance sont plus importants que jamais.  À son tour, il s’est déclaré gravement préoccupé par les informations sur les violences dirigées contre les acteurs politiques.  Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentale ne sont pas négociables, a-t-il martelé.

Pour réaliser la stabilité, a-t-il professé, les parties prenantes doivent agir avec neutralité.  La partialité dont font preuve les militaires qui occupent les institutions de l’État n’augure rien de bon.  Le représentant a voulu que la société civile joue un rôle central et que les femmes participent à toutes les étapes de la consolidation de la paix.  Il faut mettre un terme à l’impunité pour les crimes sexistes, a exigé le représentant, avant de souligner que le rôle de la CEDEAO, entre autres organisations, demeure essentiel pour éviter la déstabilisation du pays.  La coopération régionale est tout aussi importante pour répondre à la criminalité organisée et au trafic de drogue.  Les informations indiquant que des personnels politiques et militaires seraient impliqués dans ces affaires sont « déplorables », a dénoncé le représentant.

M. GERT AUVÄÄRT (Estonie) a regretté une situation loin d’être encourageante, marquée par l’impasse politique actuelle et l’ingérence de l’armée dans la politique.  Il a salué les mesures décisives de la CEDEAO et a exhorté les Bissau-Guinéens eux-mêmes à prendre des mesures constructives pour trouver une issue pacifique à la crise politique.  Il est particulièrement important, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, d’éviter la déstabilisation.  Le représentant s’est dit préoccupé par les informations sur la multiplication des violations des droits de l’homme et le recours excessif à la force par les forces de sécurité de l’État.  Il a réclamé des enquêtes et la poursuite judiciaire des responsables.  Il est important, selon le représentant, d’adopter une approche holistique et sexospécifique de la consolidation de la paix, ce qui sera particulièrement important après la fermeture du BINUGBIS.  Le rôle de la Commission de consolidation de la paix à cet égard est essentiel, a souligné le représentant, avant de saluer le fait que le Fonds pour la consolidation de la paix ait approuvé un nouveau projet de lutte contre l’effet déstabilisateur du trafic de drogue et de la criminalité organisée. 

Mme NADIA FANTON (France) a présenté ses condoléances aux familles et proches des victimes de l’attaque meurtrière hier au Niger.  Constatant que la situation politique en Guinée-Bissau demeure fragile, elle a pris acte de la reconnaissance, par la CEDEAO, de la victoire de M. Úmaro Sissoco Embaló à l’élection présidentielle mais elle a déploré que cette transition politique se soit déroulée au mépris du respect du droit.  En outre, les recommandations de la CEDEAO, demandant la formation d’un nouveau gouvernement d’ici au 22 mai, n’ont toujours pas été mises en œuvre par le Président bissau-guinéen.  La représentante s’est également dite préoccupée par l’occupation par les militaires de l’Assemblée nationale et de la Cour suprême de justice.  De nombreux actes d’intimidation impliquant les autorités à l’encontre des journalistes, des juges et des opposants politiques ont été rapportés, a noté, à son tour, la représentante.  Elle a appelé tous les acteurs politiques et institutionnels à poursuivre le dialogue et à œuvrer pour la stabilité du pays, dans le respect de l’état de droit et des droits de l’homme. 

L’objectif est que les institutions bissau-guinéennes puissent se consacrer au développement et au redressement économique, particulièrement mis à mal par la pandémie de COVID-19.  Le règlement de la crise politique passe par des « chantiers de fond », a souligné la représentante, dont la mise en œuvre des réformes préconisées par l’Accord de Conakry du 14 octobre 2016, de la feuille de route en six points de la CEDEAO et la révision de la Constitution.  La représentante a jugé crucial que la communauté internationale demeure unie et impliquée et a souligné l’importance de la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, dont les progrès restent insuffisants. 

M. DAI BING (Chine) a indiqué que la formation d’un nouveau gouvernement représente une chance à ne pas manquer pour répondre aux intérêts à long terme du pays.  Après avoir appelé à la pleine mise en œuvre de l’Accord de Conakry, il a souligné que la pandémie de COVID-19 rend d’autant plus important, pour les parties, d’accorder la priorité aux intérêts de la population.  Il faut, a-t-il dit aux parties, redoubler d’efforts pour combattre le trafic de stupéfiants et la criminalité transnationale organisée.  Compte tenu de la fragilité du pays, un plus grand appui international s’impose notamment pour assurer un développement socioéconomique durable.  Notant que la CEDEAO a joué un rôle important pour résoudre le différend électoral, le représentant a appuyé les pays africains qui cherchent à trouver des solutions africaines aux problèmes africains.  Il a encouragé le BINUGBIS à renforcer la communication et la coordination avec l’équipe de pays de l’ONU pour assurer une transition sans heurt

Notant que la Guinée-Bissau est confrontée à un large éventail de problèmes, dont la pandémie de COVID-19 et son impact économique, M. RODNEY M. HUNTER (États-Unis) a salué le travail du BINUGBIS, en particulier pour assurer une transition sans heurt de ses tâches à l’équipe de pays des Nations Unies et aux autres organisations des Nations Unies.  Le représentant a appelé le Gouvernement de la Guinée-Bissau à continuer de prendre des mesures positives contre la propagation du virus.  La communauté internationale est là, a-t-il dit, pour apporter son soutien.  Mais, a-t-il prévenu, les autorités nationales doivent assumer un rôle de leadership.  Le représentant a encouragé une relation positive et constructive avec le nouveau Gouvernement de la Guinée-Bissau, fondée sur le respect des droits de l’homme, l’état de droit et une véritable gouvernance démocratique.  Il s’est dit préoccupé par les atteintes à la liberté de la presse et les actes de vandalisme commis contre Radio Capital FM.  Il a conclu en exhortant le Gouvernement de la Guinée-Bissau à rester vigilant dans la lutte contre le trafic de drogue.

M. WELLINGTON DARIO BENCOSME CASTAÑOS (République dominicaine) a souligné que l’année 2020 est une année critique pour la Guinée-Bissau qui connaît quatre transitions majeures, à savoir la réduction des effectifs du BINUGBIS, le transfert des tâches à l’équipe de pays des Nations Unies, la transition vers une nouvelle direction politique, et la clôture de la Mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).  Plus encore qu’avant, les autorités nationales ont la grande responsabilité d’améliorer la qualité de vie de leur peuple.  À son tour, le représentant a dénoncé l’ingérence des forces militaires laquelle prouve que l’armée n’a pas encore l’impartialité et l’indépendance que l’on est en droit d’attendre.  Le représentant a réclamé des enquêtes approfondies sur les violations des droits de l’homme et la traduction en justice des responsables.  Membre de la Commission de consolidation de la paix, le représentant a salué le travail louable qu’elle accomplit sur le terrain notamment en termes de mobilisation de fonds, de hiérarchisation des objectifs, de promotion de la participation et de l’inclusion des femmes et des jeunes dans les processus politiques, et de promotion des réformes internes dont le pays a absolument besoin pour parvenir à une stabilité durable.

Mme KAREN VAN VLIERBERGE (Belgique) a regretté que le contentieux politique après l’élection présidentielle ne soit toujours pas pleinement résolu, malgré la reconnaissance de l’élection du Président Sissoco Embaló par la CEDEAO et l’adoption du programme du Premier Ministre.  Alors que les tensions et le climat de méfiance continuent de caractériser le champ politique, il faut soutenir les efforts de la CEDEAO et du Groupe des Cinq et obtenir de tous les acteurs politiques qu’ils s’engagent dans un dialogue inclusif et sincère, y compris avec la société civile, pour parvenir à un consensus.  Cet esprit de coopération est également nécessaire pour engager le programme de réformes, dont le pays a tant besoin, et la révision de la Constitution.  La stabilité politique est essentielle au redressement socioéconomique, a insisté la représentante, s’agissant d’un pays où la pandémie de COVID-19 est venu ajouter un autre niveau de complexité aux problèmes, dont les fléaux du trafic de drogue et de la criminalité organisée. 

La représentante a cité comme facteurs de stabilité l’état de droit, la liberté d’expression et la protection des droits humains.  Le succès de la transition, a-t-elle prévenu, dépendra de l’appropriation des tâches du BINUGBIS par les autorités bissau-guinéennes.  Le départ du Bureau ne signifie pas que la communauté internationale abandonne la Guinée-Bissau.  La Commission de consolidation de la paix, le Fonds pour la consolidation de la paix et l’ONUDC continueront de travailler pour le pays.

Après avoir salué le déroulement pacifique de l’élection présidentielle en Guinée-Bissau en février dernier, Mme SONIA FARREY (Royaume-Uni) a regretté que l’armée bissau-guinéenne ait joué un rôle actif et indésirable en politique.  Le 2 mars, elle a occupé la Cour suprême de justice et le 7 mai, le bâtiment de l’Assemblée nationale.  La représentante a dénoncé les violences et les actes d’intimidation à l’égard des opposants politiques, de certains juges et journalistes, sans oublier les actes de vandalisme dans les locaux de Radio Capital FM.  Pendant ce temps-là, les nouvelles autorités semblent fermer les yeux sur le trafic de drogue.

Cette conduite « déstabilisatrice » des nouvelles autorités a un coût élevé pour le peuple bissau-guinéen, a averti le Royaume-Unis, qui a appelé le Gouvernement bissau-guinéen à miser sur une gouvernance inclusive, à régler les problèmes par le dialogue et à lancer les réformes politiques cruciales.  La représentante a insisté sur la révision urgente de la Constitution, « sous l’autorité de l’Assemblée nationale », et sur la mise en œuvre du Plan d’action stratégique national de lutte contre le trafic de drogues et la criminalité organisée.  Elle a salué le rôle de médiation de la CEDEAO et l’a appelée à rester unie, à garder les intérêts du peuple bissau-guinéen au premier plan et à renforcer sa présence en Guinée-Bissau.  Le Groupe des Cinq et la communauté internationale doivent obtenir des nouvelles autorités qu’elles assument leurs responsabilités.  Elle a appuyé la création de la Plateforme de haut niveau pour accompagner les programmes de réforme et celle d’une institution nationale indépendante des droits de l’homme.  La représentante a espéré que les nouveaux dirigeants sauront s’appuyer sur les efforts du BINUGBIS pour relever leurs défis et assurer un avenir stable et démocratique à leur pays.

M. DANG DINH QUY (Viet Nam) a fait part de ses préoccupations face à la détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire en Guinée-Bissau, mais aussi face à la potentielle résurgence du trafic de drogue et de la criminalité organise.  La stabilité et le développement de la Guinée-Bissau passent, selon le représentant, par l’unité et la réconciliation.  Saluant les efforts de médiation des Nations Unies, de la CEDEAO, du Groupe des Cinq et d’autres partenaires internationaux, il a rappelé que le pays est confronté à la pandémie de COVID-19 et que 63% des ménages vivent dans l’insécurité alimentaire, d’après le Programme alimentaire mondial (PAM).  Le représentant a appelé les Nations Unies et les autorités bissau-guinéennes à coopérer étroitement tout au long du transfert des tâches à l’UNOWAS.

M. DIAN TRIANSYAH DJANI (Indonésie) a insisté sur la nécessité, pour les parties nationales, de déployer des efforts concertés et de poursuivre le dialogue afin de résoudre les questions en suspens et faire avancer la réconciliation nationale.  Il a également appelé à la poursuivre du programme de réforme.  Il s’est inquiété de la récente évolution politique et de l’impact des mesures contre la COVID-19, lesquelles, a-t-il relevé, semblent créer un environnement favorable au trafic de drogue et à la criminalité organisée.  Le renforcement des capacités nationales dans la répression des réseaux criminels doit se poursuivre.  La Guinée-Bissau doit également redoubler d’efforts pour assurer le bon fonctionnement de ses institutions publiques et le respect des droits de l’homme.  La mobilisation des partenaires régionaux et internationaux est cruciale, a souligné le représentant, avant d’affirmer, s’agissant du retrait du BINUGBIS, que le transfert des tâches à l’UNOWAS et à l’équipe de pays des Nations Unies doit se faire sans heurt.

M. FERNANDO DELFIM DA SILVA (Guinée-Bissau) a souligné que son pays a un Président de la République démocratiquement élu et qui exerce ses pleins pouvoirs tant au niveau national qu’international.  L’Assemblée nationale démocratiquement élue fonctionne en toute normalité et elle a adopté à la majorité le programme du Gouvernement légitime.  Ces faits, a argué le représentant, témoignent de l’évolution de la situation politique qui est également marquée, a-t-il affirmé, par de nouveaux discours sur la réconciliation nationale et la baisse des tensions politiques et sociales. 

La prétendue multiplication des cas de violation des droits de l’homme, rapportée par le Secrétaire général, ne sont que des « incidents isolés, loin d’une crise des droits de l’homme ».  Quant à la prétendue ingérence militaire dans la vie politique, le représentant a dit que depuis les élections générales de 2014, le pays n’a connu aucune ingérence de cette sorte.  Le Président démocratiquement élu n’a pas besoin d’un coup d’État militaire pour exercer ses pouvoirs constitutionnels.  Le représentant a aussi mis en garde contre la tentative des acteurs politiques nationaux de « politiser » la lutte contre le trafic de drogue, pour des gains politiques ou des stratégies partisanes.

Reconnaissant que la COVID-19 et ses conséquences économiques n’ont pas épargné son pays, le représentant a insisté sur l’importance du Fonds pour la consolidation de la pax, « un instrument de grande utilité ».  Mon gouvernement, a-t-il promis, suivra de près la conception de la nouvelle présence des Nations Unies pour obtenir la prise en compte des enseignements tirés de l’expérience et éviter d’éventuels disfonctionnements, mais surtout « accroître l’efficacité » de l’Organisation.  Au niveau politique, a-t-il ajouté, nous comptons fortement sur l’assistance technique de l’ONU aux efforts de réforme.  Avec la mise en place d’une commission technique pour la révision constitutionnelle, le Président de la République, a estimé le représentant, a débloqué le processus réformiste. 

 

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