Soixante-quatorzième session,
17e séance – matin
AG/J/3600

Sixième Commission: les délégations examinent à la loupe le système d’administration de la justice à l’ONU

Ce matin, la Sixième Commission, chargée des questions juridiques, s’est penchée sur la question de l’administration de la justice à l’ONU, après avoir terminé son débat sur la portée et l’application du principe de compétence universelle. 

La Commission était saisie d’un rapport annuel du Secrétaire général qui rend compte du système d’administration de la justice interne, un système censé être « indépendant, transparent, professionnalisé, doté de ressources suffisantes et décentralisé », et qui a vu le jour en 2009. 

En cas de grief d’un fonctionnaire contre une décision administrative, celui-ci peut opter pour une procédure formelle exigeant le plus souvent un contrôle hiérarchique initial de cette décision, avant de saisir, si nécessaire, le Tribunal du contentieux administratif.  Son jugement peut ensuite être soumis au Tribunal d’appel, dont l’arrêt est définitif et obligatoire pour les parties.  Une procédure non formelle, par règlement amiable, est possible à tout moment devant le Bureau des services d’ombudsman et de médiation, et le fonctionnaire peut requérir l’assistance du Bureau de l’aide juridique au personnel. 

Examinant le fonctionnement du système, le représentant de la Gambie, au nom du Groupe des États d’Afrique, a invité les États à se poser « les bonnes questions »: le système est-il doté des ressources financières suffisantes?  Est-il suffisamment décentralisé, transparent et professionnel?

D’autres intervenants comme la Nouvelle-Zélande, également au nom du Canada et de l’Australie, et la Suisse, ont clairement rappelé que la crainte des représailles et le manque de protection à cet égard constituaient un obstacle à l’accès à la justice interne par les fonctionnaires, tandis que la représentante américaine s’est élevée contre « des environnements professionnels marqués par le harcèlement et l’abus de pouvoir incompatibles avec les valeurs des Nations Unies ».

La majorité des délégations ont aussi déploré le retard accumulé par le Tribunal du contentieux administratif, même si les États-Unis ont salué le traitement numérique des données.  Le nombre de jugements rendus par le Tribunal est au plus bas, ont ainsi regretté les Pays-Bas et l’Union européenne. 

Les membres de la Commission ont pour la plupart félicité le Bureau des services d’ombudsman et de médiation pour son travail, décrit comme « sûr, accessible et fonctionnel » par les Pays Bas.  Le Mexique s’est inquiété de « l’augmentation de 35% du nombre de requérants nonfonctionnaires » auprès de ces services, même si, comme la Suisse et les Pays Bas, il a appuyé le projet pilote lancé par le Secrétaire général pour offrir aux non-fonctionnaires la possibilité de régler à l’amiable leurs différends survenus sur le lieu de travail. 

Au terme du débat sur le principe de compétence universelle, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a souligné que les États considèrent de plus en plus ce principe comme un moyen important de mettre fin à l’impunité pour les violations graves du droit international humanitaire et pour d’autres crimes internationaux.  Son délégué a donné des exemples d’enquêtes et d’instances pénales en cours sur le fondement de ce principe dans différents pays, à savoir: Allemagne, Argentine, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande du Nord, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Sénégal, Suède et Suisse. 

En fin de séance, la Commission a ouvert l’examen du rapport du Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation, qui a été introduit par sa Présidente, Mme Maria Theofili (Grèce).  Mme Blanca Montejo, spécialiste des questions politiques, a fait ensuite le point sur le Répertoire de la pratique du Conseil de sécurité. 

La Sixième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 18 octobre, à partir de 10 heures. 

PORTÉE ET APPLICATION DU PRINCIPE DE COMPÉTENCE UNIVERSELLE - A/74/144

Déclarations

M. AHMED M. A. ABRAHEEM (Libye) a réaffirmé que l’objectif des débats est avant tout la lutte contre l’impunité d’où le soutien de son pays à la Cour pénale internationale (CPI) bien qu’il ne soit pas partie au Statut de Rome.  La Libye, a-t-il assuré, a réformé ses structures judiciaires afin de garantir l’accès de la population aux tribunaux dans le cadre d’un processus indépendant et intègre.  Le représentant a évoqué divers accords internationaux bénéfiques à sa justice interne comme l’accord entre la CPI et le bureau du Procureur de Libye conclu en 2013, et un accord avec les États-Unis pour la justice pénale.  Par ailleurs, il a rappelé que la Libye partage les préoccupations exprimées sur le principe de compétence universelle et souhaité un équilibre entre son application légitime et la lutte contre l’impunité.  Si son système national est en mesure de rendre la justice, il a cependant besoin de l’aide de la communauté internationale, a-t-il conclu.

M. AHMED ABDELAZIZ ELGHARIB (Égypte) a demandé une clarification de la portée et de l’application du principe de compétence universelle, pour en faire un véritable instrument de lutte contre l’impunité.  Le principe de compétence universelle ne saurait remplacer le principe de compétence nationale et doit respecter le droit international, dont l’immunité des chefs d’État, a-t-il dit.  Il a espéré que la Commission s’éloignera des points de controverse et forgera un consensus.  Cette question ne devrait pas être renvoyée à la Commission du droit international (CDI) à ce stade, a conclu le délégué. 

Selon M. SUFIAN HUSSEIN MOHAMMED (Éthiopie), il faut veiller à ce que les juridictions soient dotées de la capacité adéquate dans les cas où « le lien géographique traditionnel entre une infraction et son auteur est aboli par la technologie ».  Le droit pénal éthiopien reconnaît la compétence universelle pour des crimes internationaux comme le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre, le terrorisme, le blanchiment d’argent et tous les crimes proscrits par les traités ratifiés par l’Éthiopie, y compris la production illicite et le trafic de drogue, ainsi que la production de photos et de publications indécentes.  Dans ce contexte, la coopération internationale est fondamentale pour l’application efficace du principe de compétence universelle. 

L’Union africaine a adopté un modèle de législation sur ce principe dans l’objectif d’assister les États dans son application, a rappelé M. Mohammed.  Il a rejoint les délégations qui ont exprimé leur inquiétude quant à la possibilité d’abus dudit principe à des fins politiques et en violation des normes du droit international.  Préconisant un mécanisme de vérification pour remédier, en temps voulu, à toute tentative de politisation de la compétence universelle, il a encouragé les États à contribuer aux travaux de la Commission du droit international (CDI) sur cette question.

M. ZACHARIE SERGE RAOUL NYANID (Cameroun) a noté que seul le crime importe au regard de la compétence universelle mais que ce principe doit être « édulcoré » pour garantir la souveraineté des États et le respect du droit international.  Selon lui, cette compétence ne doit être utilisée qu’en « appoint » à la justice nationale et que pour les crimes graves comme les atrocités « sans être instrumentalisée pour des raisons politiques » afin de préserver sa crédibilité.  Pour le Cameroun, a-t-il précisé, la règle reste la primauté de ses tribunaux et toute exception à ce principe doit être fondée sur un traité et non sur la seule législation nationale du pays de l’auteur du crime.  Il a préconisé aussi d’attendre pour mettre en œuvre la compétence universelle que l’État où le crime a été commis ait clairement montré son incapacité à agir et juger.

Même si le Cameroun ne mentionne pas la compétence universelle dans sa législation interne, il prend en compte ces principes au travers de multiples conventions internationales, y compris celle de l’Union africaine qui autorise l’intervention dans un pays membre en cas de génocide ou de crimes contre l’humanité, a rappelé M. Nyanid.  La compétence universelle n’est pas assez encadrée; elle ne constitue pas un problème dans ses principes mais essentiellement dans les circonstances de son usage, a-t-il conclu.

M. SANDEEP KUMAR BAYYAPU (Inde) a rappelé que le principe de compétence universelle est une exception du droit pénal international, qui prévoit la compétence de l’État où le crime a été commis ou de l’État de nationalité de l’auteur.  Cette exception se justifie en raison de la nature grave du crime, a-t-il dit, en évoquant le crime de piraterie.  Le délégué a déclaré que ce principe s’applique à un nombre limité de crimes, tels que la piraterie en haute mer ou d’autres crimes prévus par les traités agréés par les États.  Par conséquent, nous soulignons l’importance d’éviter tout abus dans l’utilisation de ce principe, dont la définition n’est au demeurant pas suffisamment claire, a conclu M. Bayyapu. 

M. JHON GUERRA-SANSONETTI (Venezuela) a fait part de sa préoccupation devant l’usage indu du principe de compétence universelle, visible dans l’exercice « unilatéral, sélectif et politiquement motivé » qui en est fait par certains pays.  Pour lui, la limite à l’application de ce principe doit être la souveraineté et la compétence nationale des États, et le maintien du caractère « secondaire » de la compétence universelle.  Par ailleurs, les crimes qui justifient son application doivent être reconnus et établis au niveau international pour leur gravité.  En conclusion, le représentant vénézuélien a confirmé son souhait de continuer l’examen de ce sujet par la Sixième Commission. 

M. AL NASSER (Arabie saoudite) a indiqué qu’il est « trop tôt » pour adopter le principe de compétence universelle dans la mesure où ses procédures d’application manquent de clarté.  Il a souhaité une mise en œuvre de ce principe respectant le droit international, y compris les principes d’égalité et de souveraineté des États.  Il a mis en garde contre toute « politisation » de ce principe et souhaité un examen attentif des différentes approches suivies par les pays dans ce domaine.  Le délégué a jugé peu opportune l’adoption de ce principe, au regard précisément de la grande disparité dans les pratiques des États.  En conclusion, il a appelé les délégations à continuer de réfléchir sur la portée et l’application du principe de compétence universelle. 

M. SAAD AHMAD WARRAICH (Pakistan) a jugé que la question de la portée et de l’application du principe de compétence universelle et celle de l’immunité des chefs d’État soulèvent des préoccupations légitimes parmi les délégations.  Il a mis en garde contre toute sélectivité en la matière, sous peine de transformer ce principe en un « simple prétexte ».  Nous ne devons pas faillir dans notre responsabilité de prévenir les crimes les plus graves mais leur appliquer des normes juridiques et morales robustes, a-t-il dit.  Enfin, le délégué a rappelé que ce principe ne fournit pas un « permis » pour saper la souveraineté des États mais est un appel à la « non-indifférence » à l’endroit de l’impunité. 

M. SAMSON SUNDAY ITEGBOJE (Nigéria) a estimé que la tendance croissante consistant pour les auteurs de « crimes odieux », à traverser ou à trouver refuge dans des territoires autres que ceux où ils ont commis leurs crimes, dans le but d’échapper à la justice, rendait nécessaire pour la communauté internationale d’adopter des lois et mesures permettant de traduire en justice ces criminels dans le territoire où ils sont appréhendés, en vertu du principe de compétence universelle.  Il a réaffirmé l’engagement du Nigéria à lutter contre l’impunité et, en tant qu’État partie au Statut de Rome, à faire en sorte que le recours à la compétence universelle se fasse de manière équitable et pratique, « surtout dans les cas où ce principe est susceptible de déstabiliser politiquement un État ».

M. Itegboje a ainsi estimé que la compétence universelle devait, dans la mesure du possible, être utilisée « en dernier recours ».  Il a mis en garde contre toute utilisation « irréfléchie » de ce principe par certains États, dans le but d’exercer « prématurément » ou « à la hâte » une compétence sur certaines questions, quand il leur suffirait en réalité de coopérer avec l’État où le crime a été commis par le biais de mécanismes d’extradition ou d’assistance mutuelle.  « La compétence universelle ne doit pas être utilisée par des pays puissants pour imposer leurs juridictions nationales à des pays moins bien dotés, en privant ces derniers d’autorité en matière de poursuite », a-t-il tranché, appelant la communauté internationale à prendre des mesures pour mettre fin aux « manipulations politiques ». 

Selon Mme ANA LORENA VILLALOBOS BRENES (Costa Rica), l’augmentation du recours à la compétence universelle rend plus nécessaire un approfondissement de ce principe afin que le jugement des crimes les plus atroces ne se limite pas à un territoire.  À cette fin, la représentante s’est félicitée du dernier manuel des droits de l’homme édité par la Croix-Rouge internationale, qui facilite le travail des autorités judiciaires.  Elle a noté que depuis le début des travaux en 2009, il a été établi que « la lutte contre l’impunité concerne tous les pays ».  Elle a aussi marqué son intérêt pour la prise en compte des victimes avant d’appeler les États à réfléchir au meilleur mécanisme pour établir l’obligation des États de juger et d’extrader les suspects de crimes les plus graves présents sur leur territoire.

Mme MAITÊ DE SOUZA SCHMITZ (Brésil) a rappelé que le principe de compétence universelle est une exception du droit pénal international, qui prévoit la compétence de l’État où le crime a été commis ou de l’État de nationalité de l’auteur.  L’application de ce principe ne doit pas être arbitraire et utilisée à des fins autres que pour rendre justice, a-t-elle assuré.  La conciliation de ce principe avec le respect de l’immunité des chefs d’État étant la question la plus controversée, elle a exhorté les États Membres à faire montre de flexibilité sur le sujet.  Enfin, la déléguée du Brésil a indiqué qu’il n’est pas possible d’appliquer ce principe à un crime en vertu du seul droit international coutumier. 

Mme MARIA ANGELA ABRERA PONCE (Philippines) a rappelé que le principe de compétence universelle est intégré dans sa législation nationale par une clause de sa constitution et dans une loi de 2009 contre les crimes contre l’humanité et le génocide.  Elle a insisté néanmoins sur la primauté des juridictions nationales, le caractère « exceptionnel » de l’usage de la compétence universelle et sur le besoin de préciser son champ d’application, et réaffirmé le principe de l’immunité des chefs d’État.  Enfin, Mme Ponce a souhaité que les crimes couverts par la compétence universelle soient limités à ceux reconnus par le jus cogens auxquels les États ne peuvent se soustraire même par accord, « des crimes si graves qu’ils constituent des atteintes à toute la communauté internationale ». 

M. DIE MILLOGO (Burkina Faso) s’est dit favorable à l’application du principe de compétence universelle « sous certaines réserves ».  Il a rappelé que son pays est partie à plusieurs conventions prévoyant cette compétence, dont la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.  Il a déclaré que ce principe est une exception aux critères de compétence traditionnelle des États et doit concerner les crimes les plus graves.  Les abus de plus en plus observés au niveau international de ce principe et « son application à géométrie variable » ne rendent pas service aux intérêts de la paix et de la justice, a conclu M. Millogo, en plaidant pour une application « raisonnable ». 

Mme ZAKIA IGHIL (Algérie) a remarqué que l’application du principe de compétence universelle continue de poser des problèmes juridiques et politiques qui entachent sa crédibilité et ses objectifs.  Elle a ainsi évoqué la préoccupation de l’Union africaine pour l’usage abusif de ce principe contre des chefs d’État africains par la Cour pénale internationale (CPI) et demandé qu’il soit utilisé « de bonne foi, sans sélectivité ni ingérence, et comme un mécanisme secondaire et de dernier recours ».  Le principe, a souligné la représentante, doit préserver l’immunité accordée aux chefs d’État, un sujet inscrit dans le programme de travail de l’Assemblée générale à la demande des États africains.

Le débat sur la portée et l’application du principe de compétence universelle dure depuis 10 ans, a noté M. MAMADOU RACINE LY (Sénégal), convaincu que l’on ne peut plus « fermer les yeux devant les tueries de masse de civils innocents » et que « nous avons l’obligation historique de renforcer notre engagement contre l’impunité en vue du renforcement de la justice internationale ».  Le représentant a confirmé que ce principe a été intégré dans le droit interne sénégalais par une loi du 12 février 2007.  Il a toutefois confié ses inquiétudes sur « sa portée incertaine et son utilisation abusive », rappelant que son application doit reposer sur le respect de la souveraineté des États et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures.  Insistant sur la responsabilité première des tribunaux nationaux et le caractère complémentaire de la compétence universelle, M. Ly a souhaité un consensus sur sa définition et son champ d’application.  Il a ajouté qu’à l’ONU, la seule et unique instance capable de s’en charger reste la Commission du droit international (CDI) et s’est donc félicité de l’inscription de ce point dans son programme de travail à long terme. 

Mme CHUNG YOON JOO (Singapour) a rappelé que le principe de compétence universelle est une exception à la compétence de l’État où a été commis le crime ou de l’État de nationalité.  « La compétence universelle est un dernier recours. »  Ce principe doit s’appliquer uniquement aux crimes les plus graves, a-t-elle dit, en suggérant d’examiner l’opinio juris et la pratique des États pour identifier de tels crimes.  Enfin, la représentante a souhaité une mise en œuvre de ce principe respectant le droit international, y compris les principes de souveraineté des États et l’immunité de leurs dirigeants. 

M. AMADOU JAITEH (Gambie), tout en souhaitant que les auteurs de crimes graves, tels les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, n’échappent pas à leur responsabilité, a souligné l’importance de respecter d’autres normes juridiques dans l’application du principe de compétence universelle, notamment l’égalité souveraine des États et leur compétence territoriale. 

Mme ANNETTE ANDRÉE ONANGA (Gabon) a indiqué que la constitution gabonaise établit comme principe fondamental la responsabilité pénale des hauts représentants de l’État devant la Haute Cour de justice.  Dans ce contexte, le principe de compétence universelle, dont la portée doit être limitée, doit être complémentaire et respectueux du principe de territorialité et ne saurait contredire la compétence des juridictions nationales.  La représentante a souhaité une mise en œuvre de ce principe respectant le droit international, y compris les principes d’égalité souveraine des États et d’immunité des chefs d’État.  Enfin, elle a pris note de l’inclusion de la compétence universelle dans le programme de travail à long terme de la Commission du droit international (CDI) et affirmé que cette question doit demeurer à l’ordre du jour de cette Commission. 

M. MUHAMMAD TAUFAN (Indonésie) a remarqué des différends entre États sur la définition de la portée de la compétence universelle, « d’autant plus difficile qu’il s’agit à la fois d’une question de droit international et de droit national ».  Le représentant a cité l’article 4 du Code pénal indonésien contre la piraterie et réaffirmé qu’il doit s’agir de crimes assez répugnants aux yeux de l’humanité pour justifier une action extraterritoriale.  Il a loué l’action du Tribunal des droits de l’homme d’Indonésie et appelé les États à la prudence et à la coopération dans l’application du principe de compétence universelle.

M. ALBERTO ESTEBAN CABALLERO GENNARI (Paraguay) a rappelé que la constitution de son pays reconnaissait l’existence d’un « ordre juridique supranational » et que le Paraguay était partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), dont il a également approuvé l’amendement dit de Kampala.  Par conséquent, a-t-il ajouté, la loi nationale paraguayenne de mise en œuvre du Statut de Rome condamne expressément le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.  Elle reconnaît clairement la distinction entre compétence nationale et compétence universelle et fixe les limites de la compétence nationale.  Dans ce cadre, a estimé M. Caballero, le principe de compétence universelle offre suffisamment de garanties pour traduire les auteurs des crimes les plus graves en justice.  Encadrée par les principes de subsidiarité et de bonne foi, dans les « situations graves et systématiques de crime contre l’humanité », la compétence universelle constitue un outil important pour venir à bout de l’impunité, à supposer qu’elle soit utilisée dans le respect des principes de la Charte des Nations Unies et du droit international. 

Mme CONDE (Guinée) a souligné la nécessité que les crimes les plus graves ne restent pas impunis.  Dans le même temps, elle a insisté sur l’importance fondamentale du principe de souveraineté des États.  La déléguée guinéenne s’est dite en faveur de l’application de la compétence de l’État sur le territoire duquel le crime a été commis ou de l’État de nationalité de l’auteur.  En conclusion, la déléguée a rappelé que « l’Union africaine a le droit d’agir en cas de crimes graves ».

Mme MINE OZGUL BILMAN (Turquie) a assuré que son pays reconnaît qu’il faut prévenir l’impunité pour les crimes internationaux les plus graves.  Dans ce contexte, et compte tenu du fait que l’obligation d’enquêter et d’engager des poursuites incombe à l’État où le crime a été commis ou dont un citoyen est le coupable présumé, la Turquie considère qu’une coopération judiciaire constructive entre les organes pertinents de ces États et des États tiers est de la plus haute importance.  Toutefois, a poursuivi la représentante, les États Membres nourrissent des inquiétudes légitimes quant à une utilisation « abusive » de la compétence universelle.  Certains experts font en effet valoir que, bien que la compétence universelle ait pour but de protéger les valeurs communes de la communauté internationale, son principe peut entraîner « une érosion des droits de l’homme, perturber l’ordre social international et violer la souveraineté des États », a-t-elle relevé.  À ses yeux, la compétence universelle peut en outre constituer une atteinte au principe d’égalité souveraine des États si elle est utilisée à mauvais escient et pour des motifs politiques.  La portée, les limites et l’application de cette juridiction exceptionnelle et subsidiaire doivent être examinées avec le plus grand soin, a-t-elle conclu. 

M. NYANG LIN AUNG (Myanmar) a réaffirmé que la compétence première revient à l’État où a été commis le crime et demande le respect au pied de la lettre de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique des États.  À ce propos, il a vivement critiqué le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar comme « un exemple classique d’abus » imposé à son pays sans son consentement.  Il l’a décrit comme un instrument « purement politique » qui constitue un précédent négatif pour l’application future du principe de compétence universelle.

Selon Mgr FREDRIK HANSEN, Observateur du Saint-Siège, l’égalité souveraine des États, la non-ingérence dans leurs affaires intérieures et l’immunité des représentants de l’État sont des principes fondamentaux des relations internationales, qui ne sauraient être remis en question.  Parallèlement, a-t-il estimé, la communauté internationale a « le devoir » de faire en sorte que les auteurs des crimes les plus graves soient tenus pour responsables.  « Garantir la responsabilité est essentiel pour la sauvegarde de l’état de droit aux niveaux national et international. »   Le représentant a par conséquent appelé à poursuivre le dialogue sur la portée et l’application du principe de compétence universelle « pour qu’il n’y ait pas de refuge pour les auteurs des crimes les plus odieux contre l’humanité », sans que cela ne se traduise par des « abus ».  Il est possible de parvenir à un équilibre, sur la base des principes en vigueur dans les conventions internationales et la pratique des États, comme le principe aut dedere aut judicare et le principe de subsidiarité. 

De plus, le représentant a estimé que tout État désireux d’exercer sa compétence universelle devait avoir un lien avec les faits reprochés ou avec les parties concernées, tel que la présence de l’auteur ou de ses victimes sur son territoire.  À ses yeux, la compétence universelle ne saurait ainsi justifier la tenue de procès par contumace.  Il a appelé à veiller à définir clairement les conditions de levée de l’immunité des représentants de l’État et à éviter que la compétence universelle ne génère des conflits entre États.  Il a estimé que les crimes justifiant l’exercice de la compétence universelle devaient se cantonner au génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ainsi qu’aux « menaces et tentatives » de commettre ces crimes, surtout si elles engendrent des déplacements de populations. 

M. CHRISTOPHER BRADLEY HARLAND, représentant du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), s’est félicité de l’intérêt que continue d’accorder l’Assemblée générale au principe de compétence universelle, eu égard notamment aux crimes de guerre.  Ce principe est un des principaux outils permettant de garantir une prévention des violations graves du droit international humanitaire et, le cas échéant, de prévoir une enquête et des sanctions, a-t-il souligné.  Il a ajouté que les Conventions de Genève de 1949 enjoignent aux États de poursuivre les auteurs d’atteintes graves, indépendamment de leur nationalité, puis de les juger ou extrader.  Pour le CICR, c’est d’abord aux États qu’incombe la responsabilité d’enquêter sur les allégations et de poursuivre les auteurs des violations graves du droit international humanitaire.  S’ils ne le font pas, l’exercice de la compétence universelle par d’autres États peut devenir un mécanisme efficace pour garantir la responsabilisation et limiter l’impunité, a fait valoir le représentant. 

À cet égard, a-t-il poursuivi, le CICR se félicite de l’augmentation croissante des poursuites nationales engagées sur la base de la compétence universelle pour des cas de violations graves du droit international humanitaire.  Depuis 2018, a-t-il précisé, des enquêtes extraterritoriales sur des crimes internationaux présumés commis en situation de conflit armé ont ainsi été menées par des juridictions nationales en Argentine, Allemagne, Autriche, Belgique, France, Norvège, Suède et Suisse.  De plus, au moins 15 procès sont programmés ou en cours en Autriche, Allemagne, Belgique, Espagne, Finlande, France, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse.  Enfin, a-t-il noté, au moins neuf jugements ont été rendus par des tribunaux nationaux sur la base de la compétence universelle en Allemagne, Finlande, France, Pays-Bas et au Royaume-Uni. 

ADMINISTRATION DE LA JUSTICE À L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES - A/74/172, A/74/171, A/74/169

Déclarations

« Le Groupe africain continuera de renforcer l’administration de la justice au sein de l’ONU », a déclaré M. AMADOU JAITEH (Gambie), au nom du Groupe des États d’Afrique.  Il a souligné les enjeux importants autour de l’administration de la justice au sein de l’ONU.  « Nous devons nous poser les bonnes questions: le système est-il doté des ressources financières suffisantes?  Est-il suffisamment décentralisé, transparent et professionnel?  Ses méthodes de travail sont-elles conformes au droit international? »  Il a apporté son soutien aux entités judiciaires de l’ONU et les a appelées à redoubler d’efforts.  Enfin, M. Jaiteh a plaidé pour une efficacité accrue de l’administration de la justice au sein de l’ONU.

M. ERIC CHABOUREAU, délégué de l’Union européenne, a déclaré accorder une grande importance au bon fonctionnement de l’administration de la justice à l’ONU.  Il a salué le travail du Tribunal du contentieux administratif et du Tribunal d’appel des Nations Unies, auxquels il a attribué la bonne administration de la justice au sein de l’Organisation.  Il a également salué le Bureau de l’aide juridique au personnel pour son soutien aux personnes travaillant pour l’Organisation dans le monde entier.  Le représentant s’est en revanche déclaré inquiet du faible nombre de jugements prononcés par le Tribunal du contentieux administratif en 2018, du grand nombre de cas en suspens à la fin 2018 et du nombre d’affaires soumises en 2019.  Il a également noté que la durée moyenne des affaires traitées par le Tribunal du contentieux administratif n’a pas baissé de manière significative en dépit d’un amendement à son statut.  De plus, pour la première fois depuis 2013, la proportion des appels interjetés contre des jugements du Tribunal du contentieux administratif au nom du Secrétaire général a été supérieure à celle de ceux provenant du personnel. 

M. Chaboureau a par ailleurs salué l’action du Bureau de l’administration de la justice, chargé de la mise en œuvre de la stratégie de sensibilisation, jugeant crucial d’améliorer la connaissance du système de justice interne au sein du personnel.  Il a aussi applaudi les actions menées par le Bureau des services d’ombusdman et de médiation en faveur des fonds et programmes.  Constatant d’autre part que le nombre d’enquêtes pour harcèlement sexuel a considérablement augmenté en 2018, il a accueilli favorablement la proposition formulée par le Conseil des chefs de secrétariat des Nations Unies pour la coordination d’une politique modèle en la matière.  Enfin, eu égard aux cas de représailles contre des membres du personnel ayant porté plainte devant un tribunal de l’ONU, il a approuvé la proposition du Secrétaire général visant à donner aux chefs de bureaux du Secrétariat des responsabilités de prévention, de contrôle et de protection, dans les limites des ressources disponibles. 

Mme OATES (Nouvelle-Zélande), également au nom du Canada et de l’Australie, a félicité son compatriote Graeme Colman, premier néozélandais élu juge au Tribunal d’appel des Nations Unies avant de rappeler que le système de justice interne des Nations Unies a été créé il y a 10 ans et nécessite l’engagement des États pour s’améliorer.  Elle a affirmé que l’accès à la justice est primordial dans l’état de droit, de même que la protection contre les représailles, une représentation appropriée et une justice efficace.  S’étonnant de « la tendance à l’autoreprésentation du personnel » au Tribunal du contentieux administratif des Nations Unies, elle a préconisé « une boîte d’outils » à l’usage des plaignants. 

En outre, Mme Oates a requis des fonds additionnels pour le Bureau de l’aide juridique au personnel et a déploré les cas en suspend au Tribunal du contentieux administratif.  « Justice différée est justice refusée », a-t-elle dit.  Elle a approuvé le travail de médiation de l’Ombudsman qui permet d’identifier les contentieux sur les lieux de travail et rendre l’Organisation plus efficace.

M. PABLO ADRIÁN ARROCHA OLABUENAGA (Mexique) a estimé que l’administration de la justice à l’ONU devait s’appuyer sur les principes d’indépendance, de transparence, de professionnalisme, de décentralisation, d’égalité et de respect de la procédure régulière.  Le représentant s’est dit préoccupé par l’augmentation de 35% du nombre total de dossiers soumis par des non-fonctionnaires du Secrétariat au Bureau de l’Ombudsman de l’ONU.  Il a toutefois noté que le Bureau avait fourni des services à 173 non-fonctionnaires dans le cadre du projet pilote visant à proposer des services de règlement amiable des différends aux non-fonctionnaires, adopté en janvier 2019 par l’Assemblée générale, dans sa résolution 73/276.  Le représentant a espéré que ce projet pourra contribuer, dans le futur, à une diminution du nombre de cas et a invité le Secrétaire général à inclure dans son prochain rapport des données sur le nombre de cas résolus.  Il a en outre appelé à mettre l’accent sur les mécanismes de prévention et de résolution informelle des conflits au sein du système d’administration de la justice. 

Mme EMILY PIERCE (États-Unis) a fait remarquer qu’après 10 ans d’existence, le système d’administration de la justice à l’ONU, qui devrait être indépendant, transparent et professionnel, a connu des progrès et des défis.  Afin d’assurer la confiance du personnel dans le système, il faut s’assurer que les présidents des tribunaux disposent des moyens pour exercer leurs mandats.  Le représentant s’est félicité des efforts pour résorber le retard des affaires au Tribunal du contentieux administratif qui a nui à la crédibilité de l’administration de la justice.  Des résultats sont visibles, s’est réjouie Mme Pierce, grâce au traitement numérique des données, et aux indicateurs d’efficacité; le rythme de traitement des dossiers est déjà supérieur à l’année dernière.  Néanmoins, elle a déploré « des environnements professionnels marqués par le harcèlement et l’abus de pouvoir » et des représailles incompatibles avec les valeurs des Nations Unies.  D’où la nécessité d’une plus grande transparence du système et d’une meilleure publication des directives judiciaires.  Enfin, la représentante américaine a souhaité que le Bureau de l’aide juridique au personnel puisse mieux résoudre les problèmes avant qu’ils n’atteignent le niveau de contentieux grâce à une augmentation de ses moyens. 

Mme NATHALIE SCHNEIDER RITTENER (Suisse), jugeant qu’un système de protection efficace contre les représailles est indissociable d’un système de justice interne équitable et efficace, a appuyé les recommandations du Conseil de justice interne en la matière.  Elle a remercié le Secrétaire général pour le lancement de ses cinq initiatives pour améliorer la prévention et le règlement des conflits du travail impliquant des non-fonctionnaires.  La représentante a salué en particulier la proposition du Secrétaire général de mettre en place un projet pilote offrant aux non-fonctionnaires un accès à des services de règlement à l’amiable des différends par le Bureau des services d’ombudsman et de médiation des Nations Unies.  Enfin, elle a rappelé la gageure que représente une procédure d’arbitrage contre l’ONU et appuyé l’idée du Secrétaire général d’étudier des moyens moins coûteux. 

M. SYDNEY KEMBLE (Pays-Bas) a insisté sur l’importance de l’administration de la justice à l’ONU et fait part de « développements préoccupants » lors de l’année écoulée.  Il a salué le travail accompli par le Bureau des services d’ombudsman et de médiation, qui est « sûr, accessible et fonctionnel. » Le représentant a salué la proposition du Secrétaire général de mettre en place un projet pilote offrant aux non-fonctionnaires un accès à des services de règlement à l’amiable des différends par le Bureau.  D’après lui, « ce projet pilote doit continuer ».  Le délégué a salué la nomination des nouveaux juges au sein Tribunal du contentieux administratif et espéré qu’ils remédient au grand nombre d’affaires en suspens.  Le nombre de jugements rendus par le Tribunal est au plus bas, a-t-il déploré, en suggérant des pistes pour y remédier. 

 

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