Session de 2018,
32e et 33e séances – matin & après-midi
ECOSOC/6919

L’ECOSOC réfléchit aux moyens d’édifier des sociétés durables, résilientes et inclusives grâce à la participation de tous

La budgétisation participative, le cybergouvernement, des sociétés civiles dynamiques ou bien encore la collecte de données statistiques fiables ont été quelques-unes des pistes évoquées aujourd’hui lors d’une Réunion spéciale du Conseil économique et social (ECOSOC) afin d’édifier des sociétés durables, résilientes et inclusives, grâce à la participation de tous, objectif majeur du Programme de développement à l’horizon 2030. 

« Les sociétés au sein desquelles des groupes sont systématiquement exclus de la vie politique et économique courent le risque de voir leurs gains de développement compromis », a déclaré Mme Maria Chatardova, Présidente du Conseil, à l’ouverture de cette Réunion spéciale, composée de trois sessions qui se sont voulues le plus concrètes possibles. 

« L’inclusion est en effet au cœur du Programme 2030 », a affirmé la Présidente, en appelant à la participation constructive et approfondie de tous les secteurs de la société.  Même son de cloche du côté de Mme Amina J. Mohammed, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, qui a insisté sur la participation des femmes, « agents de changement », à l’instar de la déléguée de l’Union africaine. 

Lors de la session intitulée « Tendances globales et nouveaux problèmes: construire des sociétés durables, résilientes et inclusives dans un monde changeant », M. Mahmoud Mohieldin, Vice-Président du Groupe de la Banque mondiale, a noté les contributions positives énormes de la technologie, comme au Kenya, où ont été introduits des modes de paiement numérique, qui ont réduit de 80% le coût de transaction des envois d’argent des zones urbaines vers les zones rurales. 

« Des sommes colossales vont être dépensées dans les technologies pour appuyer la résilience », a-t-il prédit, tandis que la Présidente du Conseil a souligné le consensus qui existe autour du potentiel des nouvelles technologies pour favoriser la participation de tous.

Une position partagée par M. Aroon P. Manoharan, professeur à l’Université du Massachussetts, qui a, lui, loué les mérites du cybergouvernement lors de la session « Approches et technologies innovantes pour favoriser la participation de tous ». 

 « Ce système permet d’améliorer les relations entre citoyens et gouvernants ainsi que la qualité des services publics », a-t-il dit, en prenant l’exemple de l’Estonie, dont les citoyens peuvent transmettre par Internet des commentaires aux responsables politiques. 

Autre piste évoquée, la budgétisation participative qui consiste à garantir la participation de différents publics aux décisions budgétaires qui les concernent, a expliqué M. Francesco Tena, de Participatory Budgeting Projet.

« À Boston, un million de dollars a ainsi été bloqué par la municipalité et ce sont les jeunes qui ont décidé de son affectation », a-t-il dit.  La délégation de l’Andorre a donné l’exemple d’une initiative de budget participatif dans son pays où les citoyens peuvent avancer des idées avant la prise de décisions.

La collecte de statistiques de qualité a été longuement évoquée, notamment par Mme Janet Gornick, professeur de sciences politiques et de sociologie à City University of New York, déclarant qu’un suivi efficace des objectifs de développement durable exige beaucoup de travail sur les données, qui doivent être comparables, désagrégées par sexe et par âge. 

« Les investissements dans des microdonnées de haute qualité sont cruciaux », a-t-elle dit, tandis que le délégué du Canada a, lui, noté que le problème n’était pas le manque de données, mais leur consolidation. 

Sur un plan plus politique, Mme Hedia Belhadj, du Groupe Tawhida Ben Cheick, a recommandé aux organisations de la société civile de travailler de manière intégrée afin de faire pression sur les gouvernements, selon un « effet boule de neige », en prenant l’exemple de son pays, la Tunisie, où des droits nouveaux ont été récemment accordés aux femmes.

La participation de la société civile a été au cœur de la dernière session « Renforcer la coopération pour des sociétés durables, résilientes et inclusives », marquée par l’intervention de M. Andrew Gilmour, Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, qui a rappelé que « les gouvernements n’ont pas le monopole de la sagesse ».

Il a noté la tendance regrettable consistant à étrangler la société civile avec l’adoption de lois qui rendent plus difficiles le travail des ONG.  Il a regretté la participation limitée de la société civile lors des sessions de 2016 et 2017 du Forum politique de haut niveau pour le développement durable, pointant l’obstacle de l’obtention du statut consultatif auprès de l’ECOSOC pour des ONG dont les auditions sont parfois reportées durant des années.  La société civile doit faire entendre sa voix au sein de l’ONU, a-t-il conclu.

RÉUNION SPÉCIALE SUR LE THÈME « VERS DES SOCIÉTÉS DURABLES, RÉSILIENTES ET INCLUSIVES GRÂCE À LA PARTICIPATION DE TOUS »

Déclarations

« Les sociétés au sein desquelles des groupes sont systématiquement exclus de la vie politique et économique courent le risque de voir leurs gains de développement compromis », a déclaré Mme MARIA CHATARDOVA, Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC).  Elle a aussi remarqué que les changements climatiques, l’urbanisation, les catastrophes naturelles, les migrations forcées et les inégalités au sein et entre les pays affectent tout le monde.  Pour elle, il faut différencier ces défis pour mieux identifier les liens entre eux et définir les politiques les plus adéquates pour y remédier.  Elle a évoqué les différentes réunions organisées avant cette réunion spéciale, au cours desquelles la recommandation suivante a été avancée: au-delà de favoriser le développement durable, une participation égale aux affaires publiques et politiques est un droit qui doit être respecté. 

Dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, les États Membres ont reconnu que des sociétés inclusives reposant sur des institutions solides et transparentes sont un préalable à tout développement durable.  Si elle a salué les progrès enregistrés, Mme Chatardova a indiqué qu’ils ne sont pas encore suffisants.  Plus de 190 millions de personnes sont sans emploi au niveau mondial, les conflits déchirent le tissu social alors que la croissance urbaine épuise les ressources naturelles, a-t-elle dit.  Elle a plaidé pour un changement de paradigme et une approche intégrée pour bâtir des sociétés résilientes et inclusives.  Le but de cette réunion est d’explorer les pistes d’une action collective pour répondre aux défis de la participation et de l’inclusion, dans le contexte du Programme 2030, a-t-elle expliqué. 

« L’inclusion est en effet au cœur du Programme 2030 », a affirmé la Présidente en soulignant que le développement durable requiert d’encourager la participation constructive et approfondie de tous les secteurs de la société.  « Nous devons aussi soigneusement choisir nos approches et institutions et déployer des technologies émergentes afin de favoriser l’avènement de sociétés durables, résilientes et inclusives et accroître la participation à la mise en œuvre des objectifs de développement durable. » 

Le Programme 2030 se fait pour les gens, par les gens et doit être réalisé par eux, a rappelé Mme AMINA J.  MOHAMMED, Vice-Secrétaire générale de l’ONU.  « Son succès dépendra de tous les acteurs de la société, c’est une responsabilité collective. » Revenant sur les leçons de la réunion préparatoire à cette journée, qui a eu lieu à Prague, elle s’est dite convaincue de l’importance de la participation pour réaliser les objectifs collectifs, parvenir à de meilleures lois et promouvoir la responsabilisation.  Elle a aussi souligné que le monde des affaires peut apporter des solutions.  À son avis, « nous créons des obstacles à la participation réelle ».  Elle a fait valoir que le développement durable inclusif est la base d’une prospérité universelle, et ainsi « notre meilleure défense contre les conflits violents qui peuvent détruire les gains du progrès ». 

Mme Mohammed a conseillé de promouvoir un environnement favorable à la participation, avec une tolérance pour des points de vue différents.  Elle a insisté sur la participation des femmes, « agents de changement », et des jeunes « qui sont impatients face à ceux qui ralentissent le progrès ».  « Nous ne pouvons y arriver sans leur leadership, leurs idées.  Après tout, il s’agit de leur avenir », a-t-elle souligné au sujet de ces derniers.  La Vice-Secrétaire a aussi mis en évidence l’action sur le climat, qui peut permettre de créer une croissance économique pour tous et a rappelé la nécessité de faire comprendre les objectifs de développement durable et leur mise en œuvre, et d’entendre les positions des plus vulnérables.  « Nous devons mobiliser les acteurs à tous les niveaux pour le financement des objectifs de développement durable.  L’ECOSOC a un rôle crucial pour créer du consensus à ce sujet », a-t-elle conclu. 

M. VLADISLAV SMRZ, Vice-Ministre de l’environnement de la République tchèque, a dit que la réalisation du Programme 2030 requiert la participation de tous.  Il a indiqué que l’année 2018 est cruciale pour son pays qui fêtera en octobre le centenaire de la création de l’État tchèque.  « L’esprit démocratique qui anime mon pays est au cœur du Programme 2030, qui vise à accroître la participation de tous », a-t-il dit, avant de présenter le cadre stratégique pour le développement durable adopté en avril 2017 par son gouvernement, un document qui s’articule autour dudit Programme. »  Il a précisé que son pays s’était inspiré de la Finlande dans la création d’une base de données pour favoriser des projets de développement durable.  Enfin, le Vice-Ministre a mentionné les divers mécanismes participatifs mis en place afin que les Tchèques soient étroitement associés à la protection de l’environnement.

M. SERGIO LONDONO ZUREK, Directeur général de l’Agence présidentielle pour la coopération internationale colombienne, a lié les efforts pour parvenir à une paix durable avec la réalisation des objectifs de développement durable, citant l’exemple de son pays.  « Il est essentiel de créer les possibilités d’une vie productive pour tous, de régler les conflits armés et de réduire les écarts économiques », a estimé le représentant.  « Les efforts de paix entre Colombiens vont de pair avec les efforts pour mettre en œuvre les objectifs de développement durable », a affirmé M. Zurek.  Il a cité plusieurs initiatives prises par son gouvernement pour la réalisation du Programme 2030, notamment la création en 2015 par le Président du Mexique d’une commission chargée de promouvoir le dialogue entre le Gouvernement et les différents acteurs de la société à ce sujet ainsi que l’adoption, en mars dernier, d’un document de politique public, qui constitue une feuille de route pour la réalisation des objectifs de développement durable et constitue ainsi un guide pour les pouvoirs locaux.  Il a souligné le grand défi de la mise en œuvre au plan local et le potentiel énorme des partenariats multipartites.  « Avec le secteur privé, nous travaillons à la mise en œuvre d’un système de collecte de données pour évaluer les efforts de réalisation des objectifs de développement durable », a-t-il également donné comme exemple. 

Session 2: Tendances globales et nouveaux problèmes.  Construire des sociétés durables, résilientes et inclusives dans un monde changeant.

Cette table ronde a abordé la question de la participation de tous les groupes sociaux aux efforts tournés vers le développement durable, en examinant entre autres les atouts qu’offrent les données collectées au niveau local pour accroître cette participation.

Pour Mme MAMI MIZUTORI, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la réduction des risques de catastrophe, la réduction de ces risques est essentielle pour l’élimination de la pauvreté.  « Les catastrophes déplacent plus de 20 millions de personnes par an.  Elles ne connaissent pas de frontières et détruisent des années d’acquis dans le développement », a-t-elle rappelé.  Soulignant la corrélation entre la réduction du risque, le développement durable et les changements climatiques, elle a souligné la nécessité d’« affronter le tout ensemble ».  « Nous devons adopter une approche inclusive face à la gestion des risques, comme le prévoit le Cadre de Sendai -grâce notamment à la participation des femmes, des jeunes, des handicapés, des peuples autochtones- car ils peuvent contribuer avec leur expérience et enrichir les stratégies politiques. »  Le principe de participation de Sendai doit, cependant, être concrétisé en actions, a-t-elle recommandé.

Mme Mizutori a rapporté ses impressions après une visite à Sendai en mars, où elle a rencontré un groupe de personnes handicapées touchées par le tsunami de 2011.  Ce groupe avait à l’époque construit un réseau pour s’entraider en cas de catastrophes mais ils se sont malgré tout trouvés isolés sans comprendre ce qui se passait.  Ils ont réalisé que leur réseau devait être inscrit dans le reste de la société, a compris Mme Mizutori ».  Elle a conclu en imaginant que les situations peuvent être encore pires dans les pays en développement où il n’existe pas encore de politiques de réduction des risques.  « Nous devons travailler pour eux », a-t-elle proposé.

M. MAHMOUD MOHIELDIN, Vice-Président du groupe de la Banque mondiale, a souhaité revenir sur la question des changements rapides dans le monde, qui sont si rapides qu’ils dépassent les capacités des décideurs et des institutions.  Il a pointé plusieurs grandes tendances.  D’abord, les transitions démographiques et la tendance à l’urbanisation: « 4 milliards de personnes vivent en ville et d’ici à 2050, la population urbaine de la planète aura doublé, ce qui fera que 70% de la population sera urbaine ».  Si rien ne se passe, 1 milliard de personnes vivront dans des bidonvilles, avec des poches d’extrême pauvreté en zone rurale, a-t-il prévenu.

Autres tendances pointées par le représentant: 1 milliard de personnes vivent dans des zones touchées par des cycles de violence, tandis que le nombre de personnes touchées par des catastrophes naturelles a triplé; 2 milliards sont victimes de catastrophes liées au climat.  Les pays à faible revenus représentent 48% de toutes les victimes, même si leur exposition aux événements climatiques extrêmes est faible.  M. Mohieldin a aussi relevé que la technologie peut avoir un effet positif mais si elle est mal gérée, les incidences peuvent être sérieuses.  Le budget de la Banque mondiale consacré à la gestion des catastrophes s’élève à 4 milliards et demi pour l’exercice 2017, a-t-il indiqué, précisant qu’il représente 10% du portefeuille de la Banque, mais une part encore insuffisante selon lui.

M. Mohieldin a ensuite suggéré plusieurs pistes d’action.  D’abord, il a recommandé que les villes et les communautés locales élaborent des stratégies de levée de fonds.  « Il ne suffit pas que le gouvernement central ait suffisamment de ressources.  Les niveaux locaux doivent appuyer les efforts d’ensemble pour mobiliser ces ressources. »  Il a aussi appelé à utiliser le levier de la technologie, notant les contributions positives énormes, comme au Kenya, où ont été introduits des modes de paiement numérique, ce qui limite les envois d’argent des zones urbaines vers les zones rurales, avec un coût de transaction ainsi diminué de 80%.  « Des sommes colossales vont être dépensées dans les technologie pour appuyer la résilience », a-t-il prédit. 

Les communautés de recherche peuvent appuyer les objectifs de développement durable, a poursuivi Mme JANET GORNICK, Professeur de sciences politiques et de sociologie à CUNY (City University of New York), qui développe depuis 25 ans une banque de données basée au Luxembourg avec un satellite à New York.  « LIS » est un centre d’archives de données transnationales qui dessert une communauté internationale de chercheurs, d’éducateurs et de décideurs.  Il recense des micro-données sur les revenus dans 50 pays à revenus élevés ou moyens, en travaillant sur l’harmonisation des données, lesquelles sont codées sur un modèle commun.  Couvrant une période de 1980 à 2016, ce centre permet de mettre en évidence et d’examiner les grandes tendances.  Soulignant des partenariats déjà existants avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation internationale du Travail (OIT), Mme Gornick a dit son espoir d’une collaboration accrue avec les Nations Unies dans le cadre de la réalisation des objectifs de développement durable, et dans le sens des efforts menés pour les rendre plus accessibles.  « Un suivi efficace de ces objectifs exige beaucoup de travail sur les données, qui doivent être comparables, désagrégées par sexe, âge, etc. »  Mme Gornick a expliqué combien étaient importants les investissements dans des micro-données de haute qualité.  Ces données, a-t-elle précisé, viendront s’ajouter aux macrosdonnées pour une analyse efficace des politiques.

Lors du dialogue interactif, cette importance des données a, à nouveau, été réaffirmée, l’expert de la Banque mondiale les décrivant comme « le nouveau pétrole ».  « Les exemples du Bangladesh et du Burkina Faso, montrent que les pouvoirs publics peuvent faire mieux avec des données sophistiquées mais cela dépend de la qualité des données », a-t-il expliqué en avertissant que le type d’investissement nécessaire pour y parvenir au niveau infranational est colossal.  « Mais sans données idoines au niveau local, nous ne pouvons atteindre les objectifs de développement durable. » Réagissant à une remarque du Canada, qui a noté que le problème n’était pas le manque de données, mais leur consolidation, la professeur de CUNY a dit la volonté de la communauté universitaire de participer à ces efforts.  « Ce qui nous manque, c’est un espace de dialogue organisé, systématisé, pour qu’une organisation comme la mienne puisse être utile. »

La Thaïlande a appelé le monde entier à s’inspirer de la philosophie de l’économie suffisante pratiquée par son pays, soulignant qu’elle l’a aidé à surmonter la crise financière et le tsunami.  Elle a mis en évidence l’importance de s’appuyer sur le niveau local et communautaire pour parvenir à plus de résilience.  « Nous devons faire plus pour les motiver à appliquer les objectifs de développement durable » a-t-il déclaré en se félicitant du prix Équateur du PNUD reçu par une communauté locale thaï pour son travail sur la gestion durable des forêts.  Opinion partagée par l’expert de la Banque mondiale qui a insisté sur la nécessaire mobilisation des ressources locales pour atteindre les objectifs de développement durable.  Il a pointé l’obstacle de l’inefficacité des systèmes fiscaux.  La Banque mondiale a identifié 19 sources de financement possibles pour les pouvoirs locaux, mais dans la pratique, seules deux sont utilisés, a-t-il noté.  « Les initiatives locales sont essentielles mais les gouvernements nationaux doivent donner un espace pour coordonner ces efforts », a tempéré la Représentante spéciale.

L’Andorre est revenue sur l’importance de la participation, donnant l’exemple d’une initiative de budget participatif dans son pays où les citoyens peuvent avancer des idées avant la prise de décisions.  En écho à une intervention d’une représentante des dames de la charité, qui a noté l’écart entre cette enceinte et les personnes vulnérables dont son organisation s’occupe dans 70 pays, le représentant de l’OCDE a mis en garde contre les effets négatifs du manque d’inclusion.  « Même si la création du Programme 2030 a été une des initiatives les plus inclusives, beaucoup de gens se sentent exclus des progrès de la mondialisation », a-t-il analysé en faisant allusion au taux élevé de chômage des jeunes, et aux communautés touchées par la destruction environnementale.  « Ils font de moins en moins de confiance aux gouvernements.  Dans les pays de l’OCDE, seuls 43% des citoyens font confiance à leur Gouvernement, a-t-il indiqué en jugeant ce chiffre frappant.  Cette diminution de la confiance va de pair avec une remise en cause du multilatéralisme, selon lui.  « Et ça, c’est vraiment dangereux, car on remet en cause l’architecture dans laquelle tout le monde joue avec les mêmes règles. »

La Représentante spéciale a souligné la responsabilité des gouvernements dans la création d’espaces permettant la collaboration de toutes les parties prenantes: « c’est à cette condition seule qu’on peut y parvenir ».

Session 3: Approches et technologies innovantes pour favoriser la participation de tous

Cette discussion a permis d’explorer les mérites de la participation des femmes, des techniques budgétaires participatives, du cybergouvernement et de l’économie circulaire.  Le tout dans l’objectif de la réalisation du développement durable et en lien avec le Programme 2030.

Mme HEDIA BELHADJ, Groupe Tawhida Ben Cheick (Tunisie), a parlé des droits de reproduction sexuels pour les femmes, lesquels sont au cœur de son organisation non gouvernementale (ONG).  « La révolution en 2011 dans mon pays a vu la montée de mentalités conservatrices mais aussi l’adoption de politiques ayant accordé des droits nouveaux aux femmes », a-t-elle dit en précisant que la résilience des femmes tunisiennes s’en est trouvée accrue.  Elle a mentionné l’apport de la société civile tunisienne à la rédaction du rapport national soumis dans le cadre de l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme.  « Mais nous avons encore beaucoup de travail devant nous. »

En 2017, des mesures importantes ont été adoptées pour lutter contre les violences faites aux femmes, a poursuivi Mme Belhadj: l’interdiction de mariage avec des non-musulmans a notamment été abrogée.  Mme Belhadj a dit que ces avancées sont le fruit de l’alliance de la société civile et des forces politiques ayant conduit à l’adoption de la Constitution de 2014.  Une mobilisation de la société civile, en partenariat avec les instances gouvernementales, engendre « un effet boule de neige » et permet d’aboutir à de réelles avancées sociales, a-t-elle constaté.  « Je n’ai pas d’assurance que l’inclusivité sociale sera toujours de mise dans mon pays », a nuancé Mme Belhadj.  Elle a plaidé pour la mise en place d’indicateurs permettant de mesurer cette inclusivité dans les rapports rédigés par les États dans le cadre du Programme 2030.  Enfin, elle a recommandé aux différentes ONG de travailler de manière intégrée afin de mieux faire pression sur les gouvernements. 

La budgétisation participative consiste à garantir la participation de différents publics aux décisions budgétaires qui les concernent, a remarqué M. FRANCESCO TENA, Participatory Budgeting Projet (États-Unis).  À Boston, un million de dollars a ainsi été bloqué par la municipalité et ce sont les jeunes qui ont décidé de son affectation, a-t-il expliqué.  Ces jeunes ont notamment décidé de financer un plan ambitieux sur la santé mentale.  « Comment pourrait-on appliquer cette technique budgétaire participative aux objectifs de développement durable? », a-t-il lancé aux représentants.  M. Tena a dit que cette budgétisation participative était née au Brésil avant de gagner d’autres pays, comme les États-Unis.  Elle devrait être bientôt appliquée dans les écoles de New York.  L’élément clef est que les groupes visés comme les jeunes s’approprient cette technique, a-t-il souligné. 

C’est le cybergouvernement qui a intéressé de son côté M. AROON P.  MANOHARAN, professeur à l’Université du Massachussetts, parce que ce système permet d’améliorer les relations entre citoyens et gouvernants ainsi que la qualité des services publics.  L’importance du cybergouvernement numérique a été consacrée par l’ONU, a-t-il rappelé, ajoutant que son but est d’arriver à un « gouvernement intelligent ».  Des entraves demeurent, comme l’existence d’une véritable fracture numérique, qui est à la fois sociale, culturelle, économique, a-t-il dit.  De plus en plus de gouvernements utilisent l’administration en ligne, mais la participation des citoyens est souvent négligée.  Une autre tendance préoccupante est le fait que les villes n’arrivent pas à maintenir sur la durée le volume de services accessibles en ligne.  Les plateformes numériques doivent inclure les publics les plus vulnérables, mais ceux-ci doivent avoir suffisamment d’informations sur ces plateformes pour que cette participation soit effective, a-t-il remarqué.  Il a loué l’initiative numérique citoyenne mise en place en Estonie, qui permet aux citoyens de ce pays d’envoyer des commentaires aux responsables politiques.  Enfin, il a rappelé que les zones les moins connectées sont aussi les moins dynamiques économiquement. 

M. PETR MAREK, ERCTech de la République tchèque, est intervenu sur un autre terrain: « l’économie circulaire ».  IL a détaillé le cœur de métier de son entreprise qui est le recyclage intégral des déchets du secteur du bâtiment, en vantant les bienfaits écologiques de cette économie circulaire.  Ainsi, le béton proposé par son entreprise est moins cher de 15%, tandis que les émissions de gaz à effet de serre sont diminuées.  Cette méthode pourrait être appliquée aux objectifs de développement durable, notamment l’objectif 1, en fournissant des habitations moins chères et propres d’un point de vue écologique, a-t-il expliqué.  Il a encore précisé qu’une telle technique permet l’avènement de villes propres, prévu par l’objectif 15, ou encore de diminuer les déchets rejetés dans les océans, satisfaisant à l’objectif 14. 

Lors de la discussion qui a suivi, la déléguée de l’Union africaine a demandé que la réduction de la pauvreté soit bel et bien au cœur du Programme 2030.  Elle a recommandé une meilleure évaluation de la coopération pour le développement et souhaité que le rôle crucial des femmes dans le développement, notamment en Afrique, soit davantage débattu à l’ECOSOC.  « Investir dans les femmes est une condition de la réussite du Programme 2030 », a réagi la panéliste du Groupe Tawhida Ben Cheick

De son côté, le délégué de l’Union parlementaire a dit son intérêt pour la budgétisation participative, tout en se demandant dans quelle mesure elle peut contribuer à réduire la défiance qui existe entre gouvernants et citoyens.  L’expert de Participatory Budgeting Projet a répondu par la positive, tout en recommandant que les détails dans l’application des plans budgétaires soient définis au niveau le plus proche des citoyens. 

Session 4: Renforcer la coopération pour des sociétés durables, résilientes et inclusives

Des partenariats multipartites forts et une coopération entre tous les acteurs: tels sont les fondements du succès de la mise en œuvre des objectifs de développement durable.  Mais comment y parvenir?  Cette quatrième session de la réunion spéciale de l’ECOSOC a réuni des représentants des Nations Unies, d’institutions gouvernementales, de la société civile et du monde des affaires pour formuler des recommandations.

« Les gouvernements n’ont pas le monopole de la sagesse et il est important d’entendre d’autres voix » a entamé M. ANDREW GILMOUR, Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, en donnant l’exemple du Costa Rica, où les Nations Unies ont soutenu le Gouvernement dans la création d’un pacte national pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable, incluant notamment les médias, les migrants et les peuples autochtones.  Poursuivant, il a mis en lumière le rôle des droits de l’homme dans la réalisation du Programme 2030.  « Il y a des idées novatrices à tirer comme dans l’exercice périodique universel, qui implique des consultations importantes avec la société civile.  C’est un modèle utile pour vérifier les progrès des objectifs de développement durable », a-t-il indiqué.

Tout ceci intervient cependant dans le contexte regrettable d’une tendance à étrangler la société civile avec l’adoption de lois qui rendent plus difficiles le travail des ONG, a remarqué le Sous-Secrétaire.  Il a noté la participation limitée de la société civile lors des sessions de 2016 et 2017 du Forum politique de haut niveau pour le développement durable, pointant l’obstacle de l’obtention du statut consultatif auprès de l’ECOSOC pour des ONG dont les auditions sont parfois reportées durant des années.  Il a mis cela en parallèle avec ce que subissent parfois les défenseurs des causes de l’ONU: « Des gens ont été réprimés pour avoir participé à des activités avec l’ONU.  Cela va parfois jusqu’à la mort, ou le refus de soins médicaux.  J’ai rencontré des personnes accusées d’être antipatriotique. »  Il a appelé à empêcher cela, en essayant de façon systématique de renverser cette tendance qui empêche l’ONU d’entendre la voix de la société civile.

 « Dans un monde devenu hypercompétitif, avec un faible niveau de confiance envers les gouvernements, et une des pires situations d’inégalités de l’histoire moderne, la coopération et le partenariat sont plus nécessaires que jamais », a enchaîné M. MARTIN CHUNGONG, Secrétaire général de l’Union interparlementaire.  Il a tenu à mettre en lumière le rôle essentiel que peuvent jouer des parlements forts capables de dialoguer avec tous les secteurs de la société pour aider à concevoir et mettre en œuvre des politiques nationales de développement durable.  « Chacun a un rôle spécifique à jouer, avec des responsabilités différentes.  Mais ce sont les gouvernements qui doivent prendre l’initiative dans le cadre du Programme 2030 et les parlements, de leur côté, doivent vérifier si ces derniers respectent leurs engagements », a-t-il précisé.  Il a insisté sur le fait que malgré la tendance des gouvernements, ces dernières années, à abandonner certaines de leurs prérogatives en privatisant par exemple divers domaines, ils restent les seuls garants du bien-être des citoyens, comme cela se constate au niveau du respect des droits de l’homme. 

Mettant en évidence le rôle essentiel de la société civile, il s’est inquiété que la participation de cette dernière soit limitée dans de nombreux pays.  Il a aussi souligné le rôle du secteur privé, qui « doit créer de bons emplois, dans le respect des règles environnementales, ainsi que des services et des biens utiles aux peuples et à la planète ».  Regrettant l’influence de grandes entreprises dans la formulation de politiques qui vont plus souvent dans le sens de leur propre intérêt que celui de la société dans son ensemble et constatant leur surreprésentation dans les instances gouvernementales, il a appelé à créer une nouvelle relation avec le secteur privé, dans lequel tous les segments de ce dernier auront leur mot à dire, surtout les petites et moyennes entreprises, tandis que les gouvernements, avec l’aide des parlements, encadreraient cette participation avec des régulations à caractère obligatoire.  Même si le parlement est l’institution qui devrait, plus qu’une autre, rassembler toutes les composantes de la société, ils ont encore un long chemin pour être vraiment représentatifs de la population, a-t-il aussi constaté.  Certains groupes sont sous représentés, comme les femmes, les jeunes, les peuples autochtones et les personnes pauvres, qui sont les moins susceptibles de participer à la vie politique « Ce n’est pas étonnant que de nombreux pays continuent à avoir des politiques limitées en termes d’égalité des genres et des politiques qui ne sont pas en faveur des pauvres.  Il faut des mesures proactives pour renverser cette tendance. »

Mme NATHALIE MOLINA NIÑO, Présidente-directrice générale de BRAVA Investments, a fait part de son expérience pour augmenter la participation des femmes dans le monde de l’investissement.  Son entreprise investit dans des entreprises bénéfiques aux femmes.  « Nous ne mettons pas l’accent sur les fondatrices, mais aussi sur les femmes consommatrices, ou qui font partie de la main d’œuvre, pour ne perdre aucune occasion à saisir ».  Son entreprise ne vise pas non plus les profits à court terme, ce qui lui permet d’être flexible, un aspect essentiel, par exemple pour les partenariats avec le secteur public.  « Les femmes ne bénéficient pas suffisamment d’investissements.  Elles ont peu accès au capital risque », a-t-elle constaté.  « Elles n’ont pas le réseau d’appui, l’avocat, les amis riches, pas d’accès personnel à des réseaux de financement, ni d’économies leur permettant d’investir dans leur propre entreprise. »

Pour mettre en œuvre une véritable participation, il faut savoir ce qu’on fait, a développé M. TOMÁŠ RÁKOS, Directeur des projets spéciaux et du développement des affaires de D21 (République tchèque).  « La participation du public au niveau des autorités locales et des régions, c’est là que les personnes peuvent véritablement s’exprimer », a-t-il jugé.  Pour lui, il est très facile de concevoir des processus justes et équitables pour toutes les parties prenantes.  « J’ai appris que les personnes veulent participer.  Si elles ne le font pas, c’est la faute du processus, pas la leur. »  Il a donné l’exemple de la dimension d’éducation citoyenne, civique: si elle manque, cela peut créer un obstacle.  De plus, il a remarqué que les citoyens ne sont pas toujours prêts à participer, à contribuer, car ils n’ont pas la confiance requise pour être un acteur clef.  Les processus de participation ne sont pas des campagnes politiques ou de relations publiques, a-t-il également souligné.  « Si vous perdez la confiance du public, il faudra des années pour la reconquérir. »  Insistant sur le fait que l’argent n’est pas un problème, il a estimé qu’il n’y a pas de recette miracle, de technologie incroyable pour permettre la participation.  Pour faire de la participation citoyenne, il faut être sociologue, expert en communication, connaître les pratiques optimales de consultation sans quoi on ne peut pas créer un processus sérieux, a-t-il aussi remarqué. 

Pour que les partenariats soient véritablement inclusifs, les gouvernements doivent identifier les facteurs qui entravent l’inclusivité, a estimé de son côté M. VITALICE MEJA, de Reality of Aid Africa Network.  Autre ingrédient essentiel selon lui: la société civile doit être reconnue en tant qu’actrice du développement.  « Il faut lever les entraves juridiques, politiques et bureaucratiques qui freinent sa participation.  Sans l’appropriation par la population, il n’y a pas de mécanismes de mobilisation sur le terrain. »  La transparence et la recherche des responsabilités sont aussi importants de la part du gouvernement, a-t-il poursuivi.  « Le gouvernement peut reconnaître qu’il commet des erreurs, ce n’est pas grave. »  Au contraire, s’il ne le fait pas, cela empêche les citoyens de participer et on ne peut pas avancer, a-t-il ajouté.  « Quand le gouvernement est hostile à certains groupes, il faut voir comment les réunir autour de la table », a-t-il aussi recommandé. 

Une plus grande participation des ONG, c’est aussi ce qu’a souhaité une représentante de l’ONG Saint Vincent de Paul, qui a regretté que certaines d’entre elles n’aient pas accès à l’Assemblée générale.  Elle a rapporté que son organisation avait enquêté sur la manière dont les personnes sur le terrain étaient informées des examens nationaux à titre volontaire et que ce niveau d’information était faible.  Elle a appelé à chercher des moyens pour entendre la voix des sans abris, et s’est demandé s’il était possible de créer une instance au niveau de l’ONU pour entendre la voix de ce qui vivent avec moins de 1,25 euros par jour.  Un avantage de la société civile, a également fait observer le Brésil, c’est qu’elle est interconnectée au niveau mondial. 

La délégation de la République de Corée a jugé important pour le citoyen de comprendre ce que le gouvernement fait pour participer.  « Il faut une administration transparente et des données accessibles au public », a-t-elle recommandé.  Le représentant de l’Union Interparlementaire a insisté sur l’importance de la confiance entre le gouvernement et la société civile mais aussi avec le parlement, que le gouvernement doit considérer comme un partenaire et non un adversaire politique.  « La confiance est essentielle », a appuyé le représentant d’une ONG qui s’est demandé si celle-ci se nouait aussi dans des circonstances officieuses.  « Elle repose sur la capacité à se réunir régulièrement, à se faire des amis », a-t-il estimé. 

Déclarations de clôture

Mme MARIA CHATARDOVA, Présidente de l’ECOSOC, a indiqué que les conclusions de cette Réunion spéciale alimenteront les travaux du prochain Forum politique de haut niveau pour le développement durable.  Résumant les discussions de la journée, elle a souligné le consensus qui existe autour du potentiel des nouvelles technologies pour favoriser la participation de tous.  Des ressources conséquentes devraient être allouées pour garantir l’accès à Internet des plus vulnérables, a-t-elle dit, tout en encourageant les gouvernements à promouvoir les plateformes en ligne.  « Nous devons encore en faire plus pour améliorer la collecte de données et rendre celles-ci accessibles. »  La Présidente a ensuite insisté sur l’importance d’une société civile dynamique pour mesurer les progrès accomplis dans la mise en œuvre du Programme 2030.  « Nous sommes sur la bonne voie pour identifier les solutions concrètes en vue de remédier à la limitation de la participation aux processus de prise de décisions », a-t-elle conclu. 

« Nous devons œuvrer de concert à la mise en œuvre des objectifs de développement durable en tissant des partenariats à tous les niveaux », a résumé M. LIU ZHENMIN, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, dans ses remarques de clôture.  Parmi ses recommandations, la création de mécanismes de surveillance et de suivi pour assurer la réussite des partenariats.  Les gouvernements doivent s’informer, dialoguer les uns avec les autres, réfléchir à des pratiques telles que la budgétisation participative, a-t-il aussi proposé.  Rappelant que la pierre angulaire du Programme 2030 est de « ne laisser personne de côté », il a estimé qu’il fallait être prudent à ce sujet et faire en sorte que la participation de chacun soit ancrée dans des structures et cadres institutionnels solides.  « La participation de tous est un avantage, elle enrichit nos discussions, permet d’obtenir des nouvelles connaissances et de catalyser les solutions novatrices », a déclaré M. Zhenmin, qui a aussi souligné l’importance de la communication et de la sensibilisation.  « La participation de tous est également synonyme de responsabilité de tous », a-t-il conclu.

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