Session de 2018,
30e et 31e séances – matin & après-midi
ECOSOC/6917

Le Forum sur la coopération met en évidence le rôle de la coopération Sud-Sud, mais appelle à ne pas la substituer à l’APD

Près de 40 ans après l’adoption du Plan d’action de Buenos Aires, qui promeut la coopération technique entre pays en développement, le rôle de la coopération Sud-Sud s’est retrouvé au centre de plusieurs débats lors de la deuxième journée du Forum sur la coopération au développement du Conseil économique et social (ECOSOC).

Une coopération qui prend de l’ampleur, comme en a témoigné Mme Ana Ciuti, la Directrice du Conseil intergouvernemental ibéro-américain, une institution qui réunit tous les pays d’Amérique latine, ainsi que le Portugal et l’Espagne, et qui a recensé 7 000 initiatives de coopération Sud-Sud dans son dernier rapport, contre 7 il y a 11 ans.

Plus tôt dans la matinée, M. Daniel Raimondi, Vice-Ministre des affaires étrangères et du culte de l’Argentine, avait appelé à se saisir de l’« occasion historique » de la deuxième Conférence de haut niveau des Nations Unies sur la coopération Sud-Sud (BAPA 40+) qui aura lieu dans son pays du 20 au 22 mars 2019, pour parvenir à des accords de coopération dans des domaines clefs tels que la migration, la parité hommes-femmes, les changements climatiques.

« La conférence sera l’enceinte idéale pour faire progresser le renforcement institutionnel », a déclaré le Vice-Ministre qui a dévoilé quelques points prévus à l’agenda: l’intégration de la coopération Sud-Sud aux programmes nationaux, la reconnaissance du rôle des plateformes régionales ainsi que l’évaluation de la manière dont le système de développement des Nations Unies peut contribuer à ces efforts. 

Si la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, elles ne peuvent se substituer à l’aide publique au développement (APD), ont cependant estimé plusieurs participants, à l’instar de M. Li Chenggang, Ministre adjoint au Ministère du commerce de la Chine, qui a regretté que seuls six pays développés se soient acquittés de leur engagement de consacrer 0,7% du PIB à l’APD.

« La contribution de la coopération Sud-Sud est modeste en termes de flux financiers, et les pays du Nord ont des responsabilités vis à vis du Sud, car il y a encore des effets de la colonisation et des politiques néolibérales sur le Sud », a renchéri Mme Amy Padilla, Directrice exécutive de l’ONG IBON international. 

Autre mise en garde, en écho aux propos tenus par M. Jonathan Glennie, chercheur indépendant, Cuba et l’Inde ont toutes deux dénoncé des tentatives de faire disparaître « la division entre pays en développement et pays développés ». 

Les contours de la coopération Sud-Sud ont aussi été largement discutés.  L’Ouganda, par exemple, a insisté sur la nécessité de respecter les critères précis du Plan d’action de Buenos Aires: « Ce n’est pas parce qu’une action a lieu au Sud ou qu’existe une coopération bilatérale, qu’on peut parler de coopération Sud-Sud .»  M. João Almino, Directeur de l’Agence brésilienne de la coopération, a quant à lui estimé que cette coopération avait besoin de souplesse: chacun doit pouvoir participer avec ses propres atouts, même si les contributions sont modestes et pas forcément de nature financière. 

Les mécanismes d’évaluation des programmes de coopération ont également fait l’objet de débats, l’Inde insistant sur le fait qu’il appartient aux pays du Sud d’élaborer leur propre système et rejetant celui mis en place par la CNUCED. 

Un mécanisme d’évaluation qui a fait ses preuves a été donné en exemple, dans le cadre de la stratégie de synchronisation entre les objectifs du Programme 2030 et ceux de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.  M. David Medhi Hamam, Directeur du Bureau du Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, a ainsi parlé du cadre unique de suivi et d’évaluation ainsi que du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs pour suivre la mise en œuvre des deux programmes.

Mais le Ministre adjoint de l’économie de l’Afghanistan a fait une mise en garde: s’il est important d’obtenir des résultats et de les présenter aux partenaires de développement, il faut que les pays soient les chefs de file de toutes les décisions prises. 

Parmi les outils qui permettent une bonne mise en œuvre du Programme 2030, M. Zachary Chege, Président de la Commission de statistique de l’ONU, a insisté sur l’importance de statistiques fiables.  Dans la foulée, la « révolution des données » a été abordée par Mme Michelle Demers, de Boundless Impact Investing, qui a mis en évidence le rôle des données dans la création de nouvelles normes de comportement pour les entreprises qui cherchent à contribuer au développement durable. 

Mme Erin Palomares, de Reality of Aid Global, a insisté de son côté sur le rôle essentiel des organisations de la société civile pour mesurer les impacts.  « Elles possèdent des données fiables sur le terrain pour compléter les capacités officielles. »

L’émergence de nouveaux acteurs, la mobilisation des ressources propres à chaque pays à travers des leviers fiscaux et le renforcement de l’APD ont également fait partie des discussions de la journée. 

Au terme de la journée, la Présidente de l’ECOSOC, Mme Marie Chatardova, s’est réjouie d’un large consensus sur la contribution de la coopération internationale au Programme 2030.  Elle a cependant averti qu’un programme public de cette ampleur ne pouvait être considéré comme acquis « dans un monde où l’extrémisme violent est en augmentation, où l’espace civique se réduit et où le multilatéralisme est battu en brèche ».

L’ECOSOC se réunira demain, mercredi 23 mai à 10 heures, pour une réunion spéciale intitulée « Vers des sociétés durables, résilientes et inclusives grâce à la participation de tous ».

FORUM POUR LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT

Déclarations

M. JONATHAN GLENNIE, chercheur indépendant, a rappelé la « bataille » conceptuelle qui a conduit il y a trois ans à la définition des objectifs de développement durable.  La voix des partenaires du Sud est davantage entendue que par le passé, a—t-il constaté.  « Nous assistons à de vrais changements. »  Il a déclaré que le principe d’appropriation nationale des projets de développement est crucial pour que ces projets soient fructueux.  Il s’est dit préoccupé par le fait que les donateurs donnent souvent l’impression qu’ils savent ce qu’ils font et n’ont pas à coopérer avec les bénéficiaires.  M. Glennie a mentionné le risque, avec le rôle accru dévolu au secteur privé, que les gouvernements soient ceux qui sont laissés pour compte s’agissant des stratégies de développement.  Il a en outre qualifié d’anachronique la terminologie « pays développés, pays en développement ».  Le Nord doit écouter davantage encore les voix du Sud, a-t-il conclu en émettant l’espoir de pouvoir, ensemble, faire évoluer le système auquel nous appartenons. 

Pour que la coopération puisse servir le Programme de développement durable à l’horizon 2030, M. JOSE ANTONIO ALONSO, professeur d’économie appliquée à l’Université Complutense (Madrid), a appelé à refaçonner un système fragmenté, pour qu’il appartienne à tous les pays, et pas seulement aux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui se trouvent au centre du jeu.  « Il faut consacrer davantage de temps à l’examen de la création d’un cadre de coordination qui inciterait à la collaboration entre tous les acteurs, avec le système de l’aide publique au développement (APD) et les fournisseurs du Sud, qui ont d’autres modèles de coopération, ainsi que les organisations de la société civile et les entreprises.  Cette coordination ne peut pas être l’application de décisions centralisées mais le résultat d’une action hyper collective », a suggéré le professeur.

Le professeur a aussi rappelé que la coopération au développement n’est pas seulement une question d’argent, mais concerne aussi la volonté politique, ou l’amélioration de la coordination fiscale internationale, avec la mise en place de mécanismes de résolution des dettes souveraines.  « Pour que les objectifs de développement durable soient concrétisés, la communauté internationale doit mettre en place une politique de développement fondée sur l’alignement entre les piliers nationaux et l’échelle internationale.  C’est l’essence du Programme 2030. » M. Alonso a à nouveau souligné le rôle essentiel de l’APD dans la réalisation du Programme 2030.  Tout en notant son potentiel pour lever des fonds privés, il a cependant décrit des limites à cette participation du privé.  « Si on concentre les APD sur les populations en marge, il n’y aura pas de retour à court terme donc c’est difficile de s’aligner avec les intérêts du privé », a-t-il relevé. 

Session 4: Les leviers de la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire pour le développement durable: sur la route du BAPA 40+

La deuxième Conférence de haut niveau des Nations Unies sur la coopération Sud-Sud (BAPA 40+), prévue du 20 au 22 mars 2019 à Buenos Aires, marquera le quarantième anniversaire de l’adoption du Plan d’action de Buenos Aires pour la promotion et la mise en œuvre de la coopération technique entre pays en développement.  Elle aura pour but d’examiner l’évolution de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire, notamment les progrès accomplis par la communauté internationale, dont le système onusien.

Pour M. DANIEL RAIMONDI, Vice-Ministre des affaires étrangères et du culte de l’Argentine, le BAPA 40+, que son pays accueillera l’année prochaine, est une occasion historique de parvenir à des consensus larges sur la coopération Sud-Sud dans l’enceinte des Nations Unies.  « La conférence sera l’enceinte idéale pour faire progresser le renforcement institutionnel de la coopération Sud-Sud. »  M. Raimondi a énoncé les différents domaines sur lesquels la conférence va se concentrer: l’intégration de la coopération Sud-Sud aux programmes nationaux, la reconnaissance du rôle des plateformes régionales comme le programme ibéro-américain, ainsi que l’évaluation de la manière dont le système de développement des Nations Unies peut contribuer à ces efforts.  Il a également pointé la nécessité de parvenir à des accords de coopération dans des domaines clefs, comme la réduction des risques de catastrophe, les changements climatiques, l’égalité hommes-femmes. 

M. Raimondi a particulièrement insisté sur le potentiel d’une meilleure synergie entre régions, pour parvenir à s’accorder sur des positions au sein des enceintes mondiales.  Insistant sur l’intégration de nouveaux acteurs tels que la société civile, le monde universitaire, les banques d’investissement, il a appelé à une approche intégrée du développement en matière de coopération Sud-Sud, avec un équilibre entre les aspects sociaux, économiques et environnementaux.  « Il faut aussi passer d’une approche sectorielle à une logique interinstitutionnelle tout au long du cycle du projet » a-t-il également suggéré.  En prévision du BAPA 40+, il a invité l’audience à parvenir à des accords politiques robustes au cours des prochains mois, en identifiant les domaines dans lesquels on peut trouver un large consensus.

« Depuis que la premier BAPA a établi le premier cadre de la coopération Sud-Sud, nous sommes parvenus à des résultats remarquables », a estimé M. LI CHENGGANG, Ministre adjoint au Ministère du commerce de la Chine.  Son pays a-t-il indiqué, va poursuivre son ouverture au monde et instaurer un environnement attractif pour l’investissement national, afin de « permettre un débordement », pour que les autres pays puissent profiter de ce développement.  M. Chenggang s’est félicité des succès obtenus grâce à la coopération triangulaire pratiquée par la Chine avec les Nations Unies.  Constatant que 10 ans après la crise financière de 2008, le déséquilibre entre riches et pauvres n’a pas été résolu, y compris au sein de son propre pays, il a appelé à continuer à respecter les principes de la coopération et du multilatéralisme pour éliminer la pauvreté.  « La coopération Sud-Sud vient s’ajouter plus que remplacer la coopération Nord-Sud » a-t-il également déclaré, regrettant que seuls six pays développés se soient acquittés de leur engagement de consacrer 0,7% du PIB à l’APD.  « Les mêmes conditions ne doivent pas être imposées à la coopération Sud-Sud » a-t-il précisé, clôturant son exposé par un inventaire des efforts de la Chine en la matière: la Chine, qui est « le plus grand pays en développement du monde avec 30 millions de chinois souffrant de pauvreté », a aidé 166 pays.

« Se saisir de l’opportunité du BAPA 40+ », c’est ce qu’a proposé M. AGUSTIN GARCIA-LOPEZ, Directeur exécutif de l’Agence mexicaine de la coopération au développement international du Ministre des affaires étrangères du Mexique.  Il a pointé l’existence de défis de développement, qui dépassent les politiques nationales: la migration, la parité homme-femme, les changements climatiques.  « Cela va influencer nos politiques, nos décisions: la seule façon de s’attaquer à ces questions est de le faire ensemble. »  Il a conseillé de partager les expériences entre pays ayant des niveaux de développement semblables.  Il a aussi souligné l’importance de relations horizontales dans la coopération triangulaire, comme celle que son pays expérimente avec l’Allemagne.

« La coopération Sud-Sud n’a pas besoin d’un cadre rigide, mais d’un cadre complet qui prenne en compte différents types de réalités dans les pays de développement », a poursuivi M. JOÃO ALMINO, Directeur de l’Agence brésilienne de la coopération.  « Chacun doit pouvoir participer avec ses propres atouts », a-t-il souhaité en soulignant que la contribution est parfois modeste et pas forcément de nature financière.  Il a appelé à préserver cette souplesse, car elle permet à n’importe quel pays qui veut contribuer de participer et élargit ainsi les possibilités de coopération.  Le représentant a donné l’exemple d’un programme mené avec plus de 40 pays pour renforcer les institutions dans la coopération Sud-Sud.  « Nous avons examiné des instruments spécifiques: le manuel brésilien sur les directives en matière de coopération Sud-Sud et la législation mexicaine sur la coopération internationale. »  Tirant les leçons d’un symposium organisé sur le sujet au mois de mars dernier, il a estimé que les principes de la coopération Sud-Sud discutés à Buenos Aires étaient encore valables.  Il a également mis en évidence l’importance de procéder à un exercice d’évaluation.  « Le Mexique et le Brésil ont mis en place des systèmes de quantification et d’évaluation, et nous allons partager nos expériences pour améliorer nos activités. »  Mais il a aussi invité à tenir compte aussi des aspects qualificatifs.  « Parfois ce n’est pas l’argent qui compte.  Une politique transférée à un autre pays peut avoir des résultats importants. »

La question du développement n’est pas seulement liée à la question des ressources, a enchaîné M. UWE GELHEN, chef de la division de l’efficacité et la transparence au Ministère fédéral de la coopération économique et du développement de l’Allemagne, mettant l’accent sur les transferts de connaissances.  Il s’est longuement attardé sur la manière dont l’Allemagne avait dû revoir son approche en matière de développement.  « Avant, nous utilisions nos experts, maintenant ce n’est plus nécessaire.  Les idées viennent du monde entier en matière de développement durable. » Au lieu de donner des leçons à tout le monde, il a dit que l’Allemagne essaye plutôt d’être comme un animateur, de mettre à disposition certaines ressources et d’utiliser les liens entre les économies émergentes et les pays à faible revenus.  « Il faut parfois trouver le bon rôle à jouer. »

Il s’agit, grâce à la coopération Sud-Sud, de rééquilibrer les pouvoirs en matière de coopération au développement, a estimé Mme AMY PADILLA, Directrice exécutive de IBON international.  « La solidarité entre pays du Sud est importante et les pays du Nord ont un rôle à jouer pour la renforcer.  Mais la coopération Sud-Sud ne remplace pas l’APD, elle doit la compléter.  Elle est modeste en termes de flux financiers, et les pays du Nord ont des responsabilités vis à vis du Sud, car ceux-ci subissent encore certains effets de la colonisation et des politiques néolibérales. »  Si des mécanismes institutionnels au niveau local et national sont importants, il ne faut pas qu’ils se mettent en place sans une participation réelle de la société civile et des populations, « qui sont les premières concernées ». 

Rebondissant sur ses propos, le représentant de l’Inde a aussi insisté sur une responsabilité différenciée.  « Il y a une tentative de faire disparaître la différence entre pays développés et en développement.  La coopération Sud-Sud n’est pas obligatoire pour réaliser les objectifs de développement durable.  Cela se fait sur une base volontaire. »  Il a aussi fortement critiqué le système de quantification mis en place à la CNUCED en 2016, qui selon lui, n’est pas acceptable pour les pays en développement.  « Tout effort de quantifier ces efforts mutuels depuis l’extérieur n’a rien à voir avec le projet et doit être rejeté », selon lui.  Il a en effet relevé que cela s’était fait sans consultation avec les pays en développement.  Il a également demandé le respect de l’engagement de 0,7% en matière d’APD.

Le représentant de Cuba a abondé dans son sens, ajoutant que la coopération Sud-Sud ne peut se substituer à l’APD, suivie en cela par son homologue de l’Union européenne.  Cuba a aussi rejeté « toute tentative de revenir sur la division entre pays en développement et pays développés ».  L’Union européenne, elle, a réaffirmé son engagement à atteindre les 0,7% fixés, en faisant valoir qu’elle avait déjà progressé jusqu’à 0,5% ces dernières années. 

Répondant à la question de l’Iran, qui s’est interrogé sur le rôle des Nations Unies dans la coopération Sud-Sud, l’Organisation internationale du Travail (OIT) et l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont réagi en déroulant leurs priorités sur la question.  La coopération Sud-Sud sera au programme de la prochaine conférence internationale du travail qui se déroulera la semaine prochaine.  Emploi décent, renforcement des capacités des travailleurs et employeurs, et pas seulement des institutions, sont au menu de ces efforts de coopération Sud-Sud, ainsi que les échanges de connaissance au niveau régional.  Pour la FAO, qui dit travailler depuis 20 ans pour faciliter la coopération Sud-Sud, l’expérience montre que chaque pays a quelque chose à offrir.  « Nous avons créé un portail de coopération Sud-Sud, où les institutions actives dans le domaine d’agriculture et de la sécurité alimentaire peuvent échanger des expériences », a expliqué sa représentante. 

Le représentant du Soudan est intervenu en fin de séance pour regretter que le Ministre de la coopération du Soudan n’ait pas pu participer au débat, parce qu’il n’a pu obtenir son visa d’entrée aux États-Unis.  Il a aussi souligné l’importance de la coopération du Gouvernement du Soudan avec le Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud dans le cadre des objectifs de développement durable.  Il a donné comme exemple les bourses offertes aux étudiants de pays d’Asie ou d’Afrique pour faire des études scientifiques. 

Session 5: combler les lacunes capacitaires et faciliter le développement et le transfert des technologies dans des domaines stratégiques

Les experts ont énuméré divers moyens qui permettent d’améliorer les capacités des pays en développement.  Dans l’aide apportée par les donateurs d’APD, une approche individualisée par pays est nécessaire, a d’abord plaidé Mme SHAMSHAD AKHTAR, Directrice exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP): « Comment, sinon, choisir entre les pays? », a-t-elle demandé.  Mme Akhtar a en même temps relevé les limitations de l’APD, notamment dans le montant dispensé, ce qui lui a fait dire qu’il faut une bonne hiérarchisation des priorités de développement afin de mieux cibler l’APD.  Autre terrain d’action pour renforcer les capacités de développement: il faut élargir le secteur de l’économie formelle. 

Mme Akhtar a également plaidé pour la libération du potentiel du secteur privé.  Elle a insisté sur l’importance de mobiliser les ressources locales pour le financement de projets de développement.  En outre, renforcer les capacités passe aussi par une réforme des systèmes fiscaux, car cela permet une meilleure mobilisation des ressources domestiques et d’attirer les investissements directs étrangers.  À cet égard, Mme Akhtar a salué le projet du FMI visant à une réforme des systèmes fiscaux des pays en développement en vue notamment de lutter contre l’évasion fiscale et de minimiser les coûts de levée de l’impôt. 

La mise en œuvre des réformes fiscales se heurte toutefois à de nombreuses difficultés politiques, a relevé M. RICHARD WATTS, Secrétaire exécutif de Development Initiatives, en expliquant qu’il fallait augmenter le ratio recettes locales/PIB souvent trop bas dans les pays en développement.  De manière générale, il a prôné une approche intégrée, conduite par les gouvernements, pour arriver à une meilleure mobilisation des ressources domestiques. 

Autre moyen de renforcer les capacités, M. ZACHARY CHEGE, Président de la Commission des statistiques de l’ONU, a insisté sur l’importance de statistiques fiables pour la mise en œuvre du Programme 2030.  Les systèmes nationaux de collecte des statistiques doivent être modernisés à cette fin, a-t-il dit misant sur un apport supplémentaire de ressources et sur un appui international.  En ce qui concerne les instances de collecte des données, il a souhaité une meilleure synergie de leurs efforts pour arriver à une véritable « révolution des données ».  « Nous devons également davantage sensibiliser le grand public sur l’importance des données statistiques », a-t-il conclu. 

Sur le plan des outils technologiques, M. STEVE HOLLINGWORTH, Président de la Grameen Foundation, a dit que le monde avait été témoin d’un extraordinaire « saut technologique » touchant les populations du monde entier, en particulier celles des pays en développement.  Cependant, des efforts doivent être faits pour s’assurer que ces progrès technologiques profitent aux pauvres tout en protégeant leurs intérêts, a-t-il dit.  Grâce aux nouvelles technologies, il est désormais possible de fournir aux pauvres eux-mêmes des informations pertinentes sur leur vie quotidienne, ce qui influence leur prise de décisions.  Enfin, il a dit que les progrès avaient permis de mieux comprendre les besoins et les aspirations des pauvres, même si ces nouvelles technologies présentent également des risques.

En Uruguay, « nous aurions pu donner la priorité à l’innovation mais nous avons dû faire un choix », a expliqué la délégation en soulignant que les efforts de réduction des inégalités dans son pays se font avec « des ressources limitées ».  Pour une meilleure mobilisation des ressources nationales, l’Éthiopie a adopté des réformes, notamment l’initiative « Transformation des impôts pour le développement durable ».  Au sujet de la fiscalité, l’Inde a proposé que le Comité sur la coopération en matière fiscale devienne une véritable entité gouvernementale.

La déléguée de l’Union interparlementaire a mentionné l’élaboration en cours d’une loi dans son pays, la Jordanie, pour une meilleure collecte des impôts.  Ce projet n’est pas sans susciter des craintes dans la population, a-t-elle dit, en invitant le Forum à ne perdre de vue les aspects sociaux.  À ce propos, la Directrice exécutive du CESAP a indiqué que la résistance aux réformes trouve souvent sa source dans la protection d’intérêts particuliers. 

De son côté, le Brésil a mentionné l’initiative de son pays pour renforcer les capacités de collecte statistique du Sénégal et de Cabo Verde, initiative saluée par le Président de la Commission des statistiques de l’ONU.

La déléguée du Ghana a, elle, invité à ne pas perdre de vue l’importance de l’affectation des dépenses, trop souvent occultée par la question de la mobilisation des ressources.  Une position partagée par la Directrice exécutive du CESAP qui a plaidé pour un programme rigoureux de gestion des dépenses publiques et insisté sur l’importance de lutter contre la corruption. 

Session 6: Renforcer l’examen multifacette et l’évaluation de la coopération au développement, qu’est-ce qui marche?

Il faut des bons paramètres pour mesurer les résultats sur le terrain.  Les objectifs de développement durable, qui couvrent tout, exigent également des institutions publiques qu’elles s’adaptent aux priorités.  Ce sont là les éléments de la problématique discutée au cours de cette session qui visait aussi à examiner comment traduire le Programme 2030 de manière compréhensible pour le public. 

« En Afrique, il y a un alignement très fort entre les objectifs de développement durable et l’Agenda 2063 de l’Union africaine », a expliqué M. DAVID MEDHI HAMAM, Directeur du Bureau du Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU.  « Il se fait au niveau de l’objectif et des cibles, et prévoit un examen intégré des deux programmes. »  Il a indiqué que les pays africains avaient pris trois mesures importantes à ce niveau.  D’abord, un cadre unique de suivi et d’évaluation et une architecture commune pour présenter les rapports.  Ensuite, un appui à l’intégration des deux programmes dans les plans de développement national.  Enfin, une extension du mandat du mécanisme africain d’évaluation par les pairs pour suivre la mise en œuvre des deux programmes.  Ce mécanisme a été mis en œuvre pour compléter le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).  De son côté, le système des Nations Unies appuie ces efforts, notamment à travers l’organisation du Forum annuel de développement africain régional où l’on suit également les progrès et la mise en œuvre des objectifs de développement durable et de l’Agenda 2063.  Un examen annuel volontaire national dans le cadre du Forum politique de haut niveau pour le développement durable permet aussi de partager les expériences, les réussites et les leçons apprises. 

L’expérience ibéro-américaine dans le suivi des résultats a été présentée par Mme ANA CIUTI, Directrice générale de la coopération internationale de l’Argentine et Présidente du Conseil intergouvernemental ibéro-américain pour le renforcement de la coopération Sud-Sud.  Ce programme a comme particularité première de rassembler tous les pays d’Amérique latine ainsi que le Portugal et l’Espagne.  « Nous avons des dialogues stratégiques avec d’autres régions, et nous poursuivons des objectifs techniques et méthodologiques pour réaliser des progrès sur des sujets concrets. »  Mme Ciuti a indiqué que ce programme produit le seul rapport au monde sur la coopération Sud-Sud, et que le dernier en date, rassemblait plus de 7 000 initiatives.  « Il y a 11 ans, nous en avions 7.  Cela vous donne une idée de l’ampleur prise par la coopération Sud-Sud. »  Elle a aussi précisé que c’était un instrument complexe, une plateforme où chaque pays doit rendre compte de ses activités. 

Réagissant à une question de la représentante du Canada, qui s’est demandé comment coordonner toutes ces initiatives, et à un commentaire du représentant de l’Inde, qui a insisté sur le fait qu’il appartient aux pays du Sud d’élaborer leur propre évaluation, Mme Ciuti a donné l’exemple du Brésil, qui dispose d’une méthodologie pour mesurer les effets de ses projets de coopération Sud-Sud et dont les autres pays d’Amérique latine s’inspirent.  « Nous reconnaissons la souveraineté, l’horizontalité », a-t-elle dit.  « Comme la coopération Sud-Sud a connu une progression importante, cela crée un espace pour des systèmes qui dialoguent les uns avec les autres.  Il est possible de trouver un dénominateur commun. »  Le représentant du Brésil est lui-même intervenu pour insister sur l’importance de l’évaluation et de la quantification, aspect clef de la coopération Sud-Sud et une nécessité pour améliorer la qualité des programmes et des activités. 

Le représentant de l’Ouganda a pris la parole pour mettre en garde contre le risque de tout mélanger.  « Il existe des critères précis dans le Plan d’action sur la coopération Sud-Sud qui permettent de qualifier ce qu’est cette coopération.  Ce n’est pas parce qu’une action a lieu au Sud, qu’il y a une coopération bilatérale, qu’on peut parler de la coopération Sud-Sud. »

« Ces 10 dernières années, une nouvelle stratégie d’investissement a émergé pour traiter les problèmes de la planète » a déclaré Mme MICHELE DEMERS, de Boundless Impact Investing, dont l’entreprise s’occupe d’injecter des capitaux privés pour trouver des solutions novatrices.  « L’objectif est de réaliser des progrès sociaux plus rapidement. »  Elle a indiqué que ce mouvement avait commencé il y a 30 ans avec des investissements socialement responsables afin d’aboutir à des avancées socioéconomiques et environnementales.  Elle a mis en évidence l’importance des données dans ce mouvement.  « Il y a une explosion dans la production, l’analyse et la diffusion des données, ce qui accroît la possibilité d’évaluer l’efficacité d’un investissement », a-t-elle expliqué en prédisant que ce serait de plus en plus utilisé à l’avenir.  Pour elle, cette « révolution des données » crée des nouvelles normes de comportement pour les entreprises.  « La croissance responsable, l’inclusivité sociale et le comportement responsable envers l’environnement sont liés à la volatilité des risques.  Cela apparaît de plus en plus.  Le représentant de l’Éthiopie lui a demandé comment avoir accès à ces milliards de dollars qui sont aux mains du secteur privé.  Pour Michelle Demers, cela passe par les partenariats public-privé, mais aussi par les partenariats philanthropiques ou encore le financement mixte.

Pour M. RAHUL MALHOTRA, Chef de la division Reviews, Results, Evaluation and development innovation à l’OCDE, les objectifs de développement durable sont reflétés dans des cadres de développement nationaux.  Ils deviennent un cadre de développement commun, et c’est ce qui va pousser les choix dans le domaine de la coopération.  À l’OCDE, on utilise les objectifs de développement durable pour voir les convergences et divergences au niveau national, a-t-elle indiqué.  Il a aussi appelé, concernant les partenariats multipartites, à identifier le meilleur partenaire possible pour parvenir aux résultats.  « Si on veut parvenir à des résultats plus rapides, atteindre les plus éloignés, il faut les prendre en compte quand on choisit un partenaire ou on décide d’une nouvelle loi. »  Il a également suggéré de créer une plateforme d’échange sur les différents mécanismes d’évaluation du Programme 2030, arguant qu’il faut mettre en commun les efforts en matière d’évaluation. 

Mme ERIN PALOMARES, de Reality of Aid Global, a regretté qu’il y ait beaucoup de lacunes au niveau des informations échangées.  « On tient compte des apports plus que des résultats pour suivre l’évaluation du programme 2030. »  Elle a aussi insisté sur le rôle essentiel des organisations de la société civile pour mesurer les impacts.  « Elles possèdent des données fiables sur le terrain pour compléter les capacités officielles. » 

Session 7: Le rôle stratégique de la coopération pour le développement dans l’édification de sociétés durables et résilientes

Les panélistes ont été invités à présenter leurs recommandations en vue de l’édification de sociétés durables et résilientes, alors qu’une réunion spéciale sur ce sujet doit être convoquée demain par la Présidente de l’ECOSOC. 

M. MOHAMMAD ISMAIL RAHIMI, Ministre adjoint de l’économie de l’Afghanistan, a d’abord fait un bref état des lieux de son pays qui est l’un des quatre pays les plus jeunes au monde.  Le taux de pauvreté y a augmenté en 2017 pour atteindre 55% de la population en raison de l’insécurité, a-t-il ajouté, avant de se féliciter des progrès remarquables engrangés dans le domaine de l’égalité entre les sexes.  Sur le plan de la coopération internationale, il a déploré une diminution en 2017 de l’APD pour son pays, alors que cette aide finance les deux tiers du budget afghan.  Il a en même temps indiqué que les entités gouvernementales de son pays n’ont pas la capacité de gérer les projets les plus importants financés par l’APD.  En conséquence, il a recommandé un dialogue robuste entre les partenaires pour régler les difficultés inhérentes au financement de projets par l’APD. 

Il faudrait envoyer un signal « très ferme » sur le rôle absolument nécessaire de l’APD, a souhaité Mme GLADYS GHARTEY, du Ministère des finances et de l’économie du Ghana qui a aussi appelé les pays développés à honorer leurs engagements, « car le niveau actuel est trop bas ».  « Nous avons besoin d’une coopération pour le développement très étroite », a-t-elle martelé.  Elle a relevé que les principes de la coopération Sud-Sud avaient changé ces 40 dernières années.  « Comment les pays du Sud qui se sont enrichis peuvent-ils désormais contribuer au développement des pays les plus pauvres? », a-t-elle lancé.  « N’hésitons pas à changer les principes de la coopération Sud-Sud », a-t-elle recommandé, alors qu’une conférence de haut niveau sur la coopération Sud-Sud doit bientôt se tenir à Buenos Aires. 

Ce qu’il faut, ce sont des politiques bénéfiques pour tous les pans de la société, a avancé Mme MARGARETA CEDERFELT, Membre du Parlement de Suède, tout en reconnaissant les difficultés à y parvenir.  Elle a jugé crucial de faire valoir les responsabilités s’agissant des politiques menées.  Les parlementaires, élus du peuple, ont à cet égard un rôle important à jouer, puisque le gouvernement est redevable de ses actions devant eux.  Les donateurs veulent voir les résultats acquis grâce à leurs contributions, a-t-elle dit, ajoutant que la corruption est un véritable « poison » qui érode la confiance publique. 

Mme PRIMA TUKAMUSHABA, Représentante des jeunes de l’Ouganda, a demandé d’inclure les habitants au niveau local dans la mise en œuvre du Programme 2030.  « Les jeunes doivent être écoutés parce qu’ils savent ce qu’ils veulent. »  Elle a exhorté l’ONU à davantage aider les jeunes par la création, a-t-elle proposé, d’un fonds pour les jeunes.  Elle a indiqué que la coopération pour le développement n’a pas grand sens au niveau local, avant de souligner l’importance du problème du chômage pour les jeunes, lesquels sont les plus touchés par ce fléau.  « Les jeunes ont besoin de mesures concrètes. »

La représentante de l’Union interparlementaire a, comme Mme Tukamushaba, recommandé une meilleure inclusion des jeunes et des femmes, au cours de la brève discussion qui a suivi les exposés.  La déléguée de l’Équateur a, comme le Ministre afghan, demandé le respect par les pays développés de leurs engagements en matière d’APD.  Les pays à revenu intermédiaire ne doivent pas être oubliés, a-t-elle ajouté. 

« La façon dont on traite les pays à revenu intermédiaire revient à punir les bons élèves », a réagi le panéliste du Ghana.  Elle a en effet déploré l’arrêt de l’aide dès qu’un pays sort de la catégorie des pays les moins avancés.  La cessation de l’aide doit être graduelle, a-t-elle recommandé, en demandant également l’opérationnalisation de la Banque de technologies. 

Enfin, le Ministre adjoint de l’économie de l’Afghanistan a reconnu l’importance d’acquérir des résultats et de les présenter aux partenaires de développement.  Mais les pays doivent être les chefs de file de toutes les décisions prises, a-t-il insisté. 

Déclarations de clôture

« Nous sommes sur la bonne voie mais nous devons travailler plus rapidement », a déclaré M. LIU ZHENMIN, Sous-Secrétaire général chargé des affaires économiques et sociales.  Il a ensuite mentionné les idées les plus saillantes avancées lors de ces deux jours de discussion.

Ce Forum a rappelé l’importance de l’APD pour les pays les plus pauvres, a-t-il indiqué, en appelant au respect des engagements pris au titre de cette aide.  La coopération en matière de développement doit être adaptée aux situations spécifiques des pays et être axée sur le Programme 2030, lequel, a-t-il admis, fait face à un certain « scepticisme ».  L’inclusion doit être renforcée, a-t-il poursuivi, en soulignant le rôle des jeunes et des femmes. 

M. Liu a souligné la nécessité d’une réflexion accrue sur le financement mixte et mis en garde contre le gaspillage des ressources publiques.  Il a pointé l’évolution de la coopération Sud-Sud et appelé à un échange des bonnes pratiques entre ces pays.  Enfin, le Sous-Secrétaire général a rappelé les contraintes qui pèsent sur les pays les plus pauvres s’agissant de la collecte de statistiques. 

Mme MARIE CHATARDOVA, Présidente du Conseil économique et social, s’est réjouie, dans ses remarques de clôture, de constater le consensus sur le rôle de la coopération internationale au développement dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030.  Mais elle a toutefois souligné, qu’un programme public de cette ampleur ne peut être pris pour acquis « dans un monde où l’extrémisme violent est en augmentation, où l’espace civique se réduit et où le multilatéralisme est battu en brèche ».

« Des actions sont prises dans les communautés à travers le monde pour réaliser les objectifs de développement durable, mais nous devons aussi mieux défendre l’idée que la coopération au développement est nécessaire pour amplifier les résultats au bénéfice des laissés-pour-compte », a-t-elle suggéré.  Répercutant une mise en garde contre la recherche de perfection structurelle et politique, y compris dans les examens menés par l’ECOSOC et dans le cadre de la réforme du système des Nations Unies, elle a remarqué que les participants avaient mis l’accent sur la participation, l’inclusivité, ainsi que le renforcement des capacités et des institutions.  Elle a promis de porter ce message lors de la réunion spéciale de l’ECOSOC, qui se tiendra demain sur le thème « Vers des sociétés durables, résilientes et inclusives ».  Les contributions de ce forum seront également utilisées lors du Forum du haut niveau pour le développement durable qui se tiendra en juin, a-t-elle fait savoir. 

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