Commission de consolidation de la paix -     
Séance conjointe - matin  
ECOSOC/6849-CCP/122

Les appels se multiplient pour réformer la Stratégie intégrée de l’ONU pour le Sahel et vaincre le « syndrome de Sisyphe » qui frappe la région

Le Conseil économique et social (ECOSOC) et la Commission de consolidation de la paix (CCP) ont organisé, ce matin, une réunion conjointe sur la situation au Sahel, durant laquelle les participants ont pointé du doigt la trop grande dispersion des nombreuses initiatives de sécurité et de développement dans la région.  Pour apporter de la cohérence à ces actions, les participants ont appelé à accélérer la mise en œuvre de la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel et surtout à réformer son fonctionnement pour en faire le « cadre fédérateur de l’ensemble des initiatives de la région ».

« Il est impératif de vaincre le syndrome de Sisyphe qui poursuit et persécute le Sahel depuis des années », a déclaré M. Abdoulaye Mar Dieye, Directeur du Bureau régional du PNUD pour l’Afrique.  Malgré d’énormes efforts entrepris par les gouvernements de la région et leurs partenaires, M. Dieye a constaté que le Sahel demeure une zone de faible développement et d’insécurité galopante qui fait face à un triple déficit en matière de résilience, de gouvernance et d’investissements « soutenus et massifs » dans le domaine agricole et l’emploi des jeunes.  La région fait de surcroit face à des trafics en tout genre, la criminalité transnationale, l’immigration non régulée, des questions identitaires, aux conséquences de la guerre en Libye et à l’apparition de groupes extrémistes.

Dénombrant qu’il existe à l’heure actuelle pas moins de 17 stratégies distinctes pour le Sahel de nature parcellaire, de portée territoriale limitée, et dont la valeur de leur efficacité agrégée est « très limitée », le Directeur du Bureau régional pour l’Afrique du PNUD a appelé à lancer un « Plan Marshall pour le Sahel », sous l’égide de la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel, qui pourrait servir de « cadre fédérateur à l’ensemble des initiatives de la région ».  Adoptée en 2014, l’UNISS, a-t-il ajouté, pourrait permettre de créer des interfaces plus systémiques entre les stratégies existantes, ainsi que renforcer la coopération transfrontalière. 

« La région du Sahel est en effet une région malade et beaucoup de médecins, y compris des médecins locaux sont venus se pencher sur son chevet », a commenté le représentant du Cameroun.  « Mais les médicaments sont-ils adaptés? Sont-ils prescrits à temps?  Et la dose est-elle suffisante », s’est-il interrogé, constatant que bien souvent, les solutions promises ne sont pas disponibles à temps et arrivent en quantité insuffisante. 

Face au « manque de priorisation dans les différentes actions menées », le représentant du Tchad a estimé qu’utiliser la stratégie comme plateforme de coordination pourrait permettre de remédier au manque de cohérence.  Il faut donc accélérer la mise en œuvre de la Stratégie en renforçant la cohérence entre États Membres, a proposé la Vice-Secrétaire générale, Mme Amina J. Mohammed. 

Intervenant par visioconférence, le Chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), M. Mohamed Ibn Chambas, a signalé, de son côté, que l’approche globale de la Stratégie a déjà porté ses fruits, se félicitant notamment du plus grand intérêt accordé par les bailleurs de fonds et parties prenantes aux cinq pays du Sahel depuis son adoption.  Il a aussi salué la mise en place, dans le cadre de cette Stratégie, de mécanismes d’alerte précoce et de déploiement rapide pour le maintien de la paix, de même que les investissements dans l’éducation et les services de base en faveur des populations. 

De son point de vue, il faut désormais modifier la stratégie pour qu’elle devienne une plateforme de coopération capable de se focaliser sur l’ensemble des objectifs de la stratégie.

La création d’une nouvelle plateforme dans le cadre de la stratégie pour renforcer la cohérence entre les parties prenantes s’impose en effet, a appuyé M. Cho Tae-yul, Coprésident de la réunion et Président de la CCP, tandis que M. Frederick Musiiwa Makamure Shava, Coprésident de la réunion et Président de l’ECOSOC a souligné que s’agissant du Sahel, « on ne peut continuer à travailler comme à l’accoutumé ».

Ce dernier a notamment proposé de tenir, dans le cadre de la stratégie, des réunions périodiques multipartites sur la sécurité dans la région pour s’attaquer aux « causes profondes, complexes et multidimensionnelles » des conflits auxquels le Sahel fait face.  Pour cela, a-t-il indiqué, « une approche non seulement intégrée mais également transfrontalière » est nécessaire, afin de parvenir à des résultats tangibles sur le terrain.

C’est justement pour prendre en compte la dimension transfrontalière que l’organisation régionale G5 Sahel a été créée en 2014, a d’ailleurs commenté le représentant du Mali, appelant la communauté internationale à tout faire pour faciliter le déploiement avec succès de la force du G5 Sahel.  Le représentant du Cameroun a toutefois constaté que ce déploiement va nécessiter entre 400 et 500 millions de dollars par an, et que jusqu’à présent, seuls 50 millions ont été promis par un seul pays, un montant qu’il a jugé insuffisant.

Le Chef de l’UNOWAS a vu dans la flambée de l’extrémisme violent l’une des principales menaces pour la région.  Cette menace extrémiste et terroriste, a ajouté Mme Amina J. Mohammed, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, repose essentiellement sur les trois éléments que sont Boko Haram, Al-Qaida et d’autres groupes venus de l’ouest.  Outre l’insécurité au Burkina Faso, au Niger et en Libye, elle a particulièrement insisté sur la situation préoccupante au Mali, qui représente, selon elle, « l’épicentre de l’extrémisme dans le Sahel ».

La Vice-Secrétaire générale a en outre rappelé qu’en raison du terrorisme et de la compétition pour les ressources naturelles, plus de 40 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire au quotidien dans la région et la plupart des enfants de moins de 5 ans sont victimes de malnutrition sévère.

Abondant dans ce sens, le représentant du Mali a indiqué que  les difficultés de développement et les problèmes de gouvernance actuels se sont accrus et sont devenus transrégionaux en raison de la criminalité transfrontalière et des groupes terroristes. 

Au-delà des aspects sécuritaires, le délégué malien a par ailleurs appelé la communauté internationale à appuyer le secteur de la pêche et le secteur agricole dans la région, expliquant que l’essor économique permettrait de lutter efficacement contre les discours extrémistes. 

Cet appel a été appuyé par le représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui a jugé urgent d’allouer des moyens de financement pour renforcer la résilience de ces deux secteurs.

« Le renforcement de la résilience, des échanges commerciaux et de l’investissement dans les infrastructures sont justement les trois piliers de la politique de la Banque mondiale pour le Sahel », a commenté de son côté le représentant du Groupe de la Banque mondiale, précisant que la Banque avait débloqué 1,5 milliard de dollars pour des projets dans la région.

Le représentant du Brésil a toutefois fait observer que le sous-développement n’est pas le seul facteur de conflits.  « Une telle vision ne fait que stigmatiser les pays pauvres », a-t-il dénoncé, soulignant que l’intervention militaire étrangère en Libye, qui a favorisé le trafic illicite d’armes dans la région et la criminalité transfrontalière, est tout autant responsable.

Le représentant du Mexique a de son côté estimé que la réunion d’aujourd’hui symbolise les incohérences du système des Nations Unies et des États Membres dans la région.  « Tous ceux qui ont parlé ce matin semblent avoir les idées claires sur l’origine des problèmes du Sahel et les solutions à mettre en œuvre.  Or, a constaté le délégué mexicain, la situation sur le terrain ne change pas, comme si nos belles formules se perdaient en chemin ».  

 

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