7514e séance – matin
CS/12028

Le Conseil de sécurité examine la situation en Guinée-Bissau à nouveau plongée dans une « zone de turbulences politiques » selon le Chef du BINUGBIS

Le Représentant spécial du Secrétaire général en Guinée-Bissau, M. Miguel Trovoada, a, ce matin, fait le point devant le Conseil de sécurité sur la crise accentuée par la destitution, le 12 août dernier, du Gouvernement du Premier Ministre Domingos Simões Pereira par le Président José Mario Vaz, soit un an après le rétablissement de l’ordre constitutionnel, plongeant ainsi à nouveau le pays « dans une zone de turbulences politiques ».

« Il est évident que, dans un scénario de crises à répétition, sans paix et sans stabilité durable, le soutien de la communauté internationale ne saurait trouver de terrain propice à la pleine réalisation des objectifs escomptés », a estimé M. Trovoada, qui présentait les rapports du Secrétaire général sur la situation en Guinée-Bissau et les activités du BINUGBIS*, ainsi que sur les « progrès accomplis en ce qui concerne la stabilisation et le retour à l’ordre constitutionnel » dans le pays**.

Le représentant de la Guinée-Bissau, M. João Soares Da Gama, a appelé les partenaires de son pays à rester engagés aux côtés du pays et à ne pas abandonner sa population.  « Nous sommes conscients que nous, Bissau-Guinéens, avons la responsabilité première de résoudre nos différends et d’éviter les problèmes et l’instabilité.  Mais sans un engagement constant et fort de la communauté internationale ainsi que des stratégies de surveillance étroites et efficaces, tous les efforts déployés peuvent être compromis », a-t-il déclaré.

M. Trovoada, qui est également Chef du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS), a affirmé que le Président Mario Vaz, qui avait envisagé de prendre la parole au cours de cette réunion du Conseil de Sécurité, avait finalement décidé d’y renoncer en raison des événements récents. 

Le 20 août, M. Baciro Djá, Ministre démissionnaire de la présidence du Conseil des ministres du gouvernement destitué, a été nommé Premier Ministre par décret présidentiel et investi, le même jour, par le Président de la République.  II s’agit là, a-t-il dit, d’une situation inattendue, dans la mesure où les principales institutions de l’État, formées à la suite des élections générales d’avril et mai 2014, sont toutes issues d’une même famille politique, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et de Cabo Verde (PAIGC) ».

Le Chef du BINUGBIS a souligné que le Gouvernement démis était « inclusif, composé de la quasi-totalité des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale populaire, ce qui lui assurait une base confortable de soutien parlementaire ».  « II semblait donc, à priori, que les principales conditions étaient réunies pour garantir un cadre de stabilité politique, favorable à la bonne marche de l’État », a-t-il dit.

À l’initiative du Gouvernement et avec l’appui du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), et de l’Union européenne, une table ronde des partenaires de coopération de la Guinée-Bissau s’est tenue à Bruxelles, en mars dernier, dont les résultats ont ouvert au pays la perspective d’obtenir d’importantes ressources financières pour la matérialisation de sa « Vision stratégique et plan opérationnel 2015-2020 ».

« Depuis quelques temps, des déclarations faites en public par les plus hauts dignitaires de l’État laissaient percevoir l’existence d’un climat de crispation politique, entre eux, qui risquait d’aboutir à une rupture institutionnelle, s’ils ne cherchaient pas à surmonter leurs mésententes, par le dialogue », a fait observer M. Trovoada.  « L’absence de ce dialogue indispensable a laissé la voie libre à l’aggravation d’une méfiance réciproque et à l’approfondissement des antagonismes, faisant en sorte que le pays soit arrivé au point où il en est, aujourd’hui. »

Le Chef du BINUGBIS s’est félicité de ce que les partis politiques et tous ceux qui ont un rôle à jouer dans le dénouement de cette crise avaient proclamé « leur ferme détermination à défendre, démocratiquement, leurs droits et leur légitimité, dans le strict respect de la Constitution et des lois ».

De plus, « les manifestations populaires organisées jusqu’à présent, se sont déroulées pacifiquement, dans l’ordre, sans heurt ni violence ».  Autre motif de satisfaction, selon lui, « les militaires ont affirmé avec force qu’ils sont décidés à se tenir totalement à l’écart de la scène politique et à observer une attitude républicaine de soumission au pouvoir civil et d’obéissance à la Constitution et aux institutions démocratiques de l’État ».

Le Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix (CCP), M. Antonio de Aguiar Patriota, du Brésil, a estimé que la crise actuelle comportait « le risque d’avoir un impact négatif sur la situation économique déjà fragile, sur la stabilité du pays et sur ses acquis démocratiques ».  « Notre principal but devrait être d’empêcher que l’escalade de la crise politique sape les progrès réalisés jusqu’ici », a-t-il déclaré.

M. Patriota a en effet rappelé que les efforts entrepris avaient « grandement contribué à la tenue d’élections libres, justes et transparentes, aboutissant à un Gouvernement légitime, compétent et inclusif pour la première fois dans l’histoire du pays ».

La nature de cette crise, a-t-il expliqué, « illustre le fait qu’il peut y avoir un espace pour les débats sur une meilleure délimitation des domaines de compétence du Président et du Premier Ministre afin d’éviter qu’elle ne devienne une source d’instabilité et de fragilité dans un environnement pourtant prometteur ».  Selon lui, le BINUGBIS et la CPP sont, à cet égard, « bien placés pour fournir l’expertise qui peut être exigée par une révision de la Constitution ».

M. Patriota a en outre observé que les différents partenaires de la Guinée-Bissau avaient été « constants dans leur engagement au cours de la crise ».  « Le rôle joué par la région ainsi que la cohérence démontrée par les partenaires internationaux resteront un élément clef pour atteindre toute solution durable », a-t-il assuré.

Le Président de la formation Guinée-Bissau a affirmé que « l’impasse politique actuelle ne peut être surmontée que par les Bissau-Guinéens eux-mêmes, à travers un dialogue constructif fondé sur le plein respect des dispositions constitutionnelles et de l’état de droit ».  « Le succès de la Guinée-Bissau est dans les mains de son gouvernement et de son peuple », a-t-il déclaré.

La représentante du Timor-Leste, Mme Sofia Borges, qui s’exprimait au nom de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), a jugé « essentiel » pour la Guinée-Bissau et sa population que les acquis engrangés depuis les élections pacifiques, libres et équitables de 2014 « ne soient pas compromis et que les réformes continuent à être mises en œuvre ».

« Les États membres de la CPLP regrettent les récents développements politiques et restent profondément préoccupés par la situation actuelle en Guinée-Bissau », a-t-elle dit, appelant toutes les parties prenantes, à savoir les organes de souveraineté, les partis politiques représentés au Parlement, la société civile et d’autres à « engager un dialogue politique constructif ».  

Selon la CPLP, il est « primordial pour le maintien de la stabilité du pays que les réformes engagées soient poursuivies, en particulier les réformes des secteurs de la sécurité et de la justice, ainsi que la lutte contre l’impunité ».

Mme Borges a appelé la communauté internationale à « continuer de soutenir la Guinée-Bissau et son peuple dans la mise en œuvre des réformes de l’État et des plans de développement, tout en soulignant que la responsabilité clef pour la réalisation d’un environnement stable nécessaire à la coopération politique et institutionnelle repose sur les parties prenantes nationales ».

La déléguée du Timor-Leste a, enfin, informé les membres du Conseil de sécurité que la CPLP avait décidé, dans sa réunion du Conseil des ministres, à Dili en juillet, de déployer prochainement en Guinée-Bissau une mission conjointe du Président du Conseil des ministres et du Secrétaire exécutif de la Communauté.

Au nom de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le représentant du Sénégal, M. Fodé Seck, a indiqué le Chef de l’État sénégalais, M. Macky Sall, en tant que Président en exercice de la CEDEAO, avait offert ses bons offices et tenté de faire renouer le dialogue entre les principales parties.

Le représentant a appelé « les différentes parties à la retenue afin de donner plus de chance aux efforts diplomatiques visant l’instauration d’une atmosphère de confiance et de paix ».  M. Sall, a-t-il dit, qui a regretté le limogeage du Premier Ministre Preira, est « convaincu que la consolidation de la paix et la stabilité en Guinée-Bissau ne sauraient se réaliser que dans le cadre d’un processus consensuel ».  

Ce processus, a-t-il ajouté, « se doit d’être inclusif avec un ancrage national où le respect de l’ordre constitutionnel, l’intérêt et le bien-être du peuple de Guinée-Bissau seront au cœur des discussions pour renforcer la réconciliation nationale, la démocratie, la bonne gouvernance et le développement.

Pour M. Seck, néanmoins, « ces tensions politiques ne devraient nullement occulter les progrès jusque-là réalisés par la Guinée Bissau, notamment dans le processus de révision de la Constitution, la lutte contre la corruption à travers le renforcement du système judiciaire, l’amélioration de l’administration, la poursuite de la réforme du secteur de la défense et de la sécurité et la création, par l’Assemblée nationale, d’une Commission pour la paix et la stabilité afin d’accélérer le processus de réconciliation ».

Il a ainsi mis l’accent sur la nécessité de poursuivre les réformes structurelles en matière de défense, de sécurité et de justice, d’état de droit, de développement socioéconomique, de protection des droits de l’homme et de lutte contre l’impunité.

La CEDEAO, a-t-il ajouté, invite les partenaires internationaux à « rester fortement mobilisés et engagés dans leur soutien au processus de stabilisation en Guinée-Bissau, notamment par la concrétisation des engagements pris » lors de la Table ronde des donateurs, à Bruxelles.

Consciente de l’importance de la réforme du secteur de la défense et de la sécurité pour le processus de stabilisation, la quarante-septième Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, qui s’est tenue à Accra le 19 mai dernier, a prorogé jusqu’au 31 décembre 2015 le mandat de sa Mission en Guinée Bissau (ECOMIB).

« Le calme et la civilité » dont font montre jusqu’ici le peuple et l’Assemblée nationale bissau-guinéens, ont été salués par le représentant de la Guinée-Bissau qui a rappelé que l’Assemblée avait choisi de demander l’avis de la Cour suprême sur la constitutionnalité de la nomination d’un nouveau premier ministre par le Président de République.

« Cette façon démocratique de trouver une solution aux divergences existantes auprès des plus hautes instances du pays montre que, bien que difficilement, on trouvera une voie de sortie à ces crises politiques à travers les procédures constitutionnelles », a avancé M. Da Gama.

« La position jusqu’à présent neutre de l’armée face aux crises politiques est très appréciée », a-t-il ajouté, espérant qu’elle maintiendra cette « position de non-ingérence ».

« Nous comprenons la frustration de nos partenaires », a concédé le représentant qui a ajouté: « le soutien de la communauté internationale à une résolution pacifique de la situation actuelle est très important » et « contribuera à rétablir la confiance » et à « promouvoir un environnement propice pour le versement des fonds promis, la mise en œuvre des réformes et des programmes stratégiques de développement tels que proposés par les autorités nationales ».

Le représentant bissau-guinéen a jugé que la communauté internationale « devrait faire plus » pour aider à consolider des institutions plus fortes, être toujours en alerte et travailler plus étroitement avec les autorités nationales et tous les acteurs politiques à travers un « dialogue ouvert et franc » afin d’éviter de telles crises.

Le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, dans son rapport sur la situation en Guinée-Bissau, publié 13 août dernier, constatait encore qu’au cours des six derniers mois celle-ci était « globalement restée calme », bien qu’elle fût « marquée par des désaccords croissants entre les organes de souveraineté ainsi qu’au sein du principal parti politique, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et de Cabo Verde (PAIGC), notamment entre le Président et le Premier Ministre ».

Il y « exhorte les organes de souveraineté à coopérer, de mettre de bonne foi leurs différends entre parenthèses et d’entretenir des relations constructives dans le respect de la Constitution aux fins de la stabilité, de la paix à long terme et du développement durable ».

Il appelle en outre les autorités à « mettre en œuvre le programme national de réforme de la justice (2015-2019), le plan national de lutte contre la criminalité transnationale organisée et les recommandations formulées dans le cadre de l’examen périodique universel de la Guinée-Bissau conduit par le Conseil des droits de l’homme en janvier 2015 ».

 

 

*     S/2015/626
**    S/2015/619

 

 

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