7421e séance – matin
CS/11845

Le Conseil de sécurité examine la situation humanitaire désastreuse causée par les attaques de Boko Haram dans les zones du bassin du lac Tchad

Le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest, M. Mohammad ibn Chambas, et la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence, Mme Kyung-Wha Kang, ont dressé, ce matin devant le Conseil de sécurité, un bilan humanitaire et sécuritaire très sombre de la situation dans la région du bassin du lac Tchad touché par les exactions sanguinaires du groupe terroriste Boko Haram.

Les deux hauts responsables de l’ONU ont également insisté pour que dans la conduite de ses opérations de lutte antiterroriste, la Force spéciale mixte multinationale respecte l’état de droit, les droits de l’homme et le droit international humanitaire.

Mme Kyung-Wha Kang a en particulier souligné que la situation humanitaire dans le nord-est du Nigéria et dans les zones touchées par le conflit dans les pays voisins était désastreuse, les femmes et les enfants étant particulièrement affectés, et elle a appelé la communauté internationale à verser des fonds supplémentaires pour répondre aux besoins humanitaires aigus des populations touchées par les hostilités.

M. Chambas, qui s’exprimait par vidéoconférence d’Abuja, au Nigéria, a déclaré que l’incidence des attaques menées par Boko Haram était multiple et s’ajoutait à d’autres crises, comme celle qui touche la République centrafricaine.  Il a à cet égard précisé que d’autres pays de la région, comme le Cameroun, le Tchad ou le Niger faisaient face également à une situation difficile due aux impacts des crises qui affectent le Nigéria et la République centrafricaine.

Il a indiqué qu’une mission d’évaluation du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’était rendue au Cameroun, dans la province de l’Extrême Nord, et avait confirmé que Boko Haram s’était rendu coupable de nombreuses violations des droits de l’homme, y compris d’assassinats commis de manière aveugle ou ciblée, d’enlèvements de femmes et de filles, d’utilisation d’enfants dans des opérations militaires, et de destruction de biens.

Au Niger également, une évaluation similaire a été conduite pour examiner la situation dans la région prévalant de Diffa à la suite d’une attaque menée par Boko Haram au mois de février.  La mission est parvenue aux mêmes conclusions que celles du HCR dans l’Extrême Nord du Cameroun, a-t-il dit.

L’économie locale des différentes régions a été affectée par la situation d’état d’urgence qui est maintenue dans les zones touchées par Boko Haram, a expliqué M. Chambas, tout en précisant que les Nations Unies renforçaient leur présence et leurs activités au Nigéria, au Niger et au Cameroun. 

À cet égard, le Représentant spécial a appelé la communauté internationale à appuyer les efforts humanitaires entrepris dans la région du bassin du lac Tchad.

Les Nations Unies soutiennent les efforts nationaux et régionaux pour combattre et prévenir le terrorisme et faire en sorte que les gens coupables d’acte de cette nature soient traduits en justice, a-t-il rappelé.  Il a toutefois mis en garde contre des opérations antiterroristes qui pourraient être perçues par la population comme étant disproportionnées ou brutales, ou qui violeraient les normes que l’ONU défend.

Il est essentiel, a déclaré M. Chambas, qu’au cours de ses opérations, une force multinationale mixte respecte l’état de droit et les normes internationales en matière de droits de l’homme.

Le Représentant spécial s’est fait l’écho du message du Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, selon lequel l’adoption d’une approche purement militaire pour résoudre la crise provoquée par Boko Haram n’est pas suffisante.  La communauté internationale peut et doit jouer un rôle crucial en vue d’aider les pays de la région à résoudre les défis socioéconomiques, qui ont le lit des mécontentements qui ont favorisé les actes et initiatives de Boko Haram, a-t-il dit.

Il est important pour l’ONU de réitérer l’engagement que l’Organisation a pris de travailler avec les pays de la région pour mettre fin à la violence et atténuer les souffrances des civils, a-t-il ajouté.

M. Chambas s’est également félicité du fait que les élections qui viennent de se dérouler au Nigéria, ce week-end, se soient dans l’ensemble, malgré quelques incidents, déroulées de façon libre et transparente.  Boko Haram n’a pas été en mesure de peser sur le processus électoral, s’est-il réjoui, espérant que le prochain gouvernement restera engagé dans la lutte contre Boko Haram dans toute la région.

De son côté, la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires a rappelé que, depuis la déclaration de l’état d’urgence en mai 2013, le conflit violent en cours dans le nord-est du Nigéria et dans le bassin du lac Tchad avait provoqué le déplacement forcé d’au moins 1,5 million de personnes.

Tout au long de l’année 2014, a dit Mme Kyung-wa Kang, Boko Haram a accentué sa campagne de terreur et de violence, et les communautés du nord du Nigéria ont été davantage prises dans le feu croisé des échanges de tirs entre les insurgés et l’armée nationale.  Le conflit a causé des victimes sur une grande échelle, et a causé la destruction des maisons et des infrastructures.  Plus de 7 300 civils ont été tués par Boko Haram depuis le début de l’année 2014 dans les trois États où l’état d’urgence a été décrété.

Rien qu’au cours de cette année, 1 000 personnes ont perdu la vie, tandis que plus de 300 écoles ont été gravement endommagées ou détruites, et que moins de 40% des établissements de santé existant dans les zones touchées restent opérationnels.  Des violations flagrantes des droits humains, y compris la violence sexuelle et sexiste et la traite des enfants, sont fréquemment signalées, a expliqué Mme Kyung-wa Kang.

L’escalade de la violence liée à la secte Boko Haram dans la région continue d’entraver l’accès aux personnes qui ont désespérément besoin d’aide humanitaire et limite la portée de la réponse de l’ONU, a ajouté la Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence.

Elle a dit que jusqu’à 3 millions de personnes vivant dans le nord du Nigéria ne seront pas en mesure de satisfaire leurs besoins alimentaires de base après le mois de juillet, à moins qu’elles ne reçoivent une aide humanitaire bien ciblée.  

Tandis que les autorités fédérales et étatiques nigérianes ont œuvré durement pour fournir une assistance à un grand nombre de ceux qui fuient la violence, la réponse humanitaire dans le nord-est du Nigéria demeure globalement pauvre, insuffisante et fragmentée.  Seuls neuf partenaires opérationnels, qui sont des organisations non gouvernementales internationales pour la plupart, sont actuellement actives dans les trois États les plus touchés, a déploré Mme Kyung-Wha Kang.

La Sous-Secrétaire générale a également mis l’accent sur le manque de soutien des donateurs, et a jugé essentiels plus d’engagement de la part des bailleurs de fonds et un soutien financier continu et prévisible.

L’expansion des activités de Boko Haram a un impact régional important, a-t-elle également déclaré, précisant qu’au Cameroun, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, environ 74 000 personnes fuyant la terreur au Nigéria avaient trouvé refuge dans la province de l’Extrême Nord.

Les attaques transfrontalières de Boko Haram au Cameroun ont aussi causé le déplacement interne de 100 000 à 150 000 personnes.  Au Niger, 50 000 personnes ont été déplacées, et elles s’ajoutent aux 100 000 réfugiés nigérians qui cherchaient refuge dans la région de Diffa depuis mai 2014.  Au Tchad, les incursions de Boko Haram ont créé environ 15 000 réfugiés nigérians et 8 800 réfugiés tchadiens, de même que 14 500 personnes déplacées autour du lac Tchad.

Les déplacements massifs causés par les incursions transfrontalières de Boko Haram mettent à rude épreuve les ressources déjà bien faibles des communautés d’accueil qui, dans certaines régions, sont aussi vulnérables que les déplacés, a souligné Mme Kyung-Wha Kang.

La nourriture est plus difficile à trouver sur les marchés locaux  et les prix ont, dans certains cas, doublé ou triplé, a-t-elle indiqué.  À Diffa, près d’un quart des enfants âgés de 6 à 23 mois souffraient de malnutrition aiguë à la fin de 2014.  Au Tchad, plus de 30% des enfants des communautés d’accueil étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2014.  Dans le nord-est du Nigéria, on estime à 4,6 millions le nombre de personnes souffrant actuellement d’insécurité alimentaire et à 100 000 le nombre d’enfants menacés de malnutrition sévère.

La crise Boko Haram est susceptible d’avoir un impact plus large sur la région du Sahel, alors que le Nigéria produit traditionnellement près de la moitié des céréales de la région.  Le 15 mars, la Coordonnatrice des secours d’urgence a approuvé 28 millions de dollars du Fonds central d’intervention d’urgence (CERF) pour faire face à l’impact humanitaire régional de Boko Haram, a indiqué la Sous-Secrétaire générale, espérant qu’un soutien plus important de la communauté internationale suivra afin de permettre aux acteurs humanitaires de continuer de porter assistance à ceux qui en ont besoin.

Enfin, Mme Kyung-Wha Kang a jugé essentiel que la Force spéciale mixte multinationale, en tant que force de lutte contre le terrorisme, limite son objectif à la création de conditions de sécurité et d’un environnement propices à des interventions connexes non militaires, tout en adhérant au droit international humanitaire et en prenant toutes les précautions pour éviter les pertes civiles.

La Force spéciale mixte multinationale étant de facto partie au conflit, Mme Kyung-Wha Kang a demandé aux membres du Conseil de sécurité de faire en sorte que ses opérations restent distinctes des opérations humanitaires dirigées par des civils.  Le maintien de la distinction entre les deux entités est crucial pour préserver la neutralité et l’indépendance des organisations humanitaires, a déclaré la Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence.

En outre, la Force spéciale mixte multinationale ne devrait pas, a-t-elle estimé, être impliquée dans l’aide au retour des réfugiés et des personnes déplacées.  Celle-ci, a affirmé Mme Kang, doit être effectuée sur une base volontaire, ceci en conformité avec le droit humanitaire international et la Convention de Kampala, à laquelle le Nigéria est partie.

Une présence humanitaire internationale est nécessaire pour conseiller et aider à coordonner une opération complexe qui évolue rapidement et pour assurer la protection des civils pris dans le conflit, a conclu la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires.

 

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