7279e séance – après-midi
CS/11601

« Si nous ne réussissons pas à stopper Ebola, nous serons confrontés à une situation sans précédent pour laquelle nous n’avons pas de plan de secours », prévient le Chef de la MINUACE

Pour les trois pays touchés, il est impératif de résoudre la crise sanitaire en Afrique de l’Ouest pour préserver la stabilité régionale

Près d’un mois après l’adoption de sa résolution 2177 (2014), qui confirmait l’unité de la communauté internationale face à la menace globale que constitue le virus Ebola, et 25 jours après la création de la Mission des Nations Unies pour l’action d’urgence contre l’Ebola (MINUAUCE), le Conseil de sécurité a fait le point sur la situation dans les trois pays les plus touchés par l’épidémie.

Le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission, M. Anthony Banbury, le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, le Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix et les représentants du Libéria, de la Sierra Leone et de la Guinée ont lancé un appel unanime à l’unité pour agir rapidement contre Ebola.

« Nous savons comment endiguer cette épidémie.  Mais aucun d’entre nous, qu’il s’agisse des Nations Unies, de gouvernements ou d’ONG, ne peut l’endiguer seul.  Notre réponse doit être immédiate, unie et coordonnée », a martelé M. Banbury, qui a déclaré avec gravité, qu’en cas d’échec, « la sanction serait inimaginable ».  « Si nous ne réussissons pas à stopper Ebola, nous serons confrontés à une situation sans précédent pour laquelle nous n’avons pas de plan de secours », a-t-il insisté.

Pour tous les participants au débat, qui s’est tenu à la demande des États-Unis et qui devait ensuite être suivi de consultations à huis clos, stopper Ebola, c’est non seulement sauver des vies humaines, mais aussi préserver les acquis engrangés ces dernières années par les trois pays en matière de consolidation de la paix et de développement économique.

M. Anthony Banbury, qui intervenait en visioconférence depuis Accra, au Ghana, a d’abord rappelé que la MINUACE, « la première mission de ce genre », avait été créée le 19 septembre dernier pour répondre à une situation de crise exceptionnelle et « meurtrière ».  Après avoir rendu hommage aux dirigeants des trois pays les plus touchés, « qui à nos côtés et ceux de la société civile, luttent activement contre l’épidémie sur tous les fronts et par tous les moyens », M. Banbury n’a pu que constater la rapidité fulgurante avec laquelle le virus Ebola se propage et qui, précise-t-il, « court beaucoup plus vite que nous tous».  « À ce jour, tout ce que nous avons entrepris n’a pas suffi à ralentir cette course.  Si Ebola la gagne, nous perdons sur toute la ligne », a-t-il averti.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a rappelé M. Banbury, il est impératif que, d’ici à 60 jours, 70% des personnes infectées soient traitées et 70% des personnes décédées soient incinérées.  « Il s’agit là de l’objectif de base fixé par l’OMS pour enrayer l’épidémie. »  « Chaque jour, le nombre de malades augmente, ce qui rend absolue la réalisation de cet objectif », a-t-il souligné.  M. Banbury a rappelé que la communauté internationale tout entière était engagée dans une lutte, heure par heure, pour empêcher plus d’infections de personnes « qui aujourd’hui encore sont en bonne santé ». 

De nouveau, il a prévenu que si les Nations Unies, les gouvernements et la société civile se laissaient dépasser par la crise, l’objectif de l’OMS ne pourrait se concrétiser.  « Si nous ne réussissons pas à stopper Ebola, nous serons confrontés à une situation sans précédent pour laquelle nous n’avons pas de plan de secours », a-t-il prévenu. 

Citant des sources scientifiques, le Chef de la Mission des Nations Unies pour l’action d’urgence contre l’Ebola a indiqué que les projections les plus alarmantes prévoyaient jusqu’à 10 000 victimes par jour d’ici au 1er décembre.  « Nous devons donc, en nous basant sur cette projection, mettre en place au moins 7 000 lits dans les pays touchés, en construire rapidement 2 700 dans les centres de soins communautaires, former le personnel qui gérera ces centres, déterminer qui les rémunèrera et ainsi de suite », a indiqué M. Banbury.  Rappelant que la maladie se propageait d’abord dans les centres urbains des pays touchés, il a averti que la moitié des nouveaux cas surviendront dans les villes, « où il faut établir, toujours avant le 1er décembre, 15 laboratoires de diagnostic capables de traiter 100 échantillons par jour et des équipes d’inhumation dûment formées ».  « Plus le temps passe, plus nous avons besoin d’une chaîne d’approvisionnement robuste, d’un soutien médical accru pour le personnel national et international. »  « Surtout, plus le temps passe, plus nous avons besoin d’argent et d’une gestion de crise efficace », a-t-il encore insisté.

Il a justement expliqué que la Mission qu’il dirige avait la responsabilité de gérer la crise d’Ebola et, qu’à cette fin, elle avait établi son siège à Accra ainsi qu’une présence opérationnelle dans les trois pays concernés.  Auparavant, les Nations Unies n’avaient jamais déployé aussi rapidement des moyens de transport aériens et des systèmes de télécommunication aussi performants et considérables, a-t-il fait remarquer, avant de rappeler le mot d’ordre du Secrétaire général: « Nous devons avancer, et avancer vite, en prenant toutes les décisions qui s’imposent ».  « Mon rôle, notre rôle à la Mission, est d’éviter les lacunes, et d’apporter une réponse opérationnelle et multidimensionnelle partout où sévit Ebola », a-t-il dit.

M. Banbury a jugé que le meilleur moyen de protéger les pays voisins non infectés était de venir en aide aux populations de Sierra Leone, de Guinée et du Libéria.  Il n’a, par ailleurs, pas manqué de rendre hommage aux deux fonctionnaires des Nations Unies tués par le virus, en saluant au passage le courage et les compétences du personnel national de l’ONU qui, a-t-il dit, « doit être rémunéré à temps et comme il se doit ».

« La seule bonne nouvelle concernant cette crise, c’est que nous savons comment l’endiguer.  Mais aucun d’entre nous, Nations Unies, gouvernements ou ONG, ne peut l’endiguer seul.  Notre réponse doit être immédiate, unie et coordonnée », a-t-il martelé, avant de conclure en affirmant avec gravité que la sanction en cas de retard était « inimaginable ».

De son côté, M. Taye-Brook Zerihoun est revenu sur les conséquences politiques, sécuritaires et économiques de l’épidémie dans les trois les pays les plus touchés.  Il a notamment indiqué qu’en Sierra Leone, où les partis politiques sont « relativement » unis dans la lutte contre Ebola, les consultations sur l’examen constitutionnel ont pris du retard.  « Au Libéria, ce processus a été suspendu et les élections sénatoriales, prévues pour le mois d’octobre, ont été reportées. » 

« En Guinée, c’est la préparation des élections municipales, prévues pour cette année, qui a été retardée, sapant ainsi les efforts de rapprochement entre le Gouvernement et les partis de l’opposition », a ajouté M. Zerihoun.  Au chapitre de la sécurité, il a noté que les gouvernements des trois pays avaient mis en place des couvre-feux, instauré l’état d’urgence et imposé des restrictions à la circulation des personnes.  « Le climat est tendu, des incidents ont éclaté.  Des travailleurs sanitaires et des fonctionnaires ont, par exemple, fait l’objet d’agressions », a-t-il indiqué, en évoquant les émeutes en Guinée, les attaques contre la police en Sierra Leone et les pillages de cliniques au Libéria.  En ce qui concerne les effets néfastes d’Ebola sur les économies nationales, M. Zerihoun a souligné que l’isolement régional des trois pays affectés avait déjà des conséquences graves sur leur taux de croissance et celui de la sous-région.  « La Banque mondiale estime que si l’épidémie n’est pas éradiquée rapidement, les produits intérieurs bruts de ces trois pays et de la région seront durablement impactés, faisant peser de graves menaces sur la stabilité à ce niveau », a-t-il prévenu.

Après avoir évoqué les principales initiatives régionales pour combattre et contenir Ebola, M. Zerihoun a fait observer que l’épidémie avait exacerbé en l’espace de quelques mois les principaux défis en matière de paix et de sécurité auxquels fait face l’Afrique de l’Ouest.  Il a demandé aux pays touchés et à leurs voisins de s’inspirer des mesures prises par les Gouvernements du Nigéria et du Sénégal, « qui ont réussi à empêcher la propagation du virus sur leur territoire ».  Pour lui, stopper Ebola, c’est préserver les gains chèrement acquis en matière de paix et de sécurité.

Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, M. Hervé Ladsous, a surtout parlé de la situation au Libéria, où est déployée la Mission des Nations Unies (MINUL).  À l’instar de M. Zerihoun, il s’est dit préoccupé par les conséquences d’Ebola sur le contexte politique, que la crise sanitaire risque de rendre plus tendu.  Il a assuré que, dans ce cadre, la Mission demandait instamment aux autorités du pays d’assurer la primauté du droit et de faire respecter les droits des citoyens.  M. Ladsous a fait remarquer qu’à ce stade, la situation sécuritaire au Libéria ne s’était pas dégradée, en ajoutant toutefois que « le mécontentement populaire va croissant, posant de fait de sérieux risques ».  Il a indiqué que la MINUL travaillait en étroite coopération avec les institutions de sécurité libériennes pour planifier les opérations à conduire dans le contexte actuel d’état d’urgence.

Les représentants des trois pays les plus touchés ont ensuite pris tour à tour la parole.

Mme Marjon V. Kamara, Représentante permanente du Libéria auprès des Nations Unies, a estimé que la situation dans son pays ne s’est pas fondamentalement améliorée et continue de compter un nombre record d’infections et de décès dus à ce virus, alors qu’il est « le plus petit et le moins peuplé » des trois pays concernés. 

Son homologue de la Sierra Leone, M. Vandi Chidi Minah, a précisé que 4 151 décès imputables à Ebola avaient été confirmés et 8 668 cas recensés dans son pays, au Libéria et en Guinée.  Leur collègue de la Guinée, M. Mamadi Touré, a fait état, pour sa part, d’une « psychose généralisée au sein des populations et au-delà des frontières ».

En outre, l’apparition d’Ebola, a fait observer le délégué du Libéria, a interrompu les progrès que son pays était en train d’accomplir dans la mise en œuvre conjointe d’un programme élaboré avec la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies.

Des gains indiscutables avaient été récemment constatés dans le renforcement de l’état de droit, de la réforme du secteur de la sécurité et de la promotion de la réconciliation nationale, mais aussi dans la lutte contre le chômage des jeunes et la circulation des armes légères et de petit calibre.  Ces gains, s’est inquiété M. Kamara, pourraient être balayés par Ebola, qui accapare soudain toutes les énergies, toutes les ressources, alors que l’état d’urgence a été déclaré.

Le représentant de la Sierra Leone l’a rejoint sur ce point, en soulignant les « profonds bouleversements » provoqués dans son propre pays dans les domaines de l’agriculture, de l’exploitation minière, de l’industrie manufacturière, des travaux publics, du tourisme et des transports.  « Les ressources de l’État sont siphonnées, le bien-être de la nation en danger », a-t-il lancé aux membres du Conseil, en prévenant du risque d’inflation galopante et de l’aggravation de la pauvreté qui, inévitablement, en découlerait.

« Au-delà des pertes en vies humaines et de la dislocation sociale, nous risquons d’assister à un effondrement de nos économies sur plusieurs années », s’est alarmé, quant à lui, le représentant guinéen, qui a reconnu que les faibles systèmes sanitaires nationaux et l’insuffisance des moyens ne permettent pas de répondre efficacement aux défis posés par l’épidémie.

Aussi les délégations du Libéria, de la Sierra Leone et de la Guinée ont-elles appelé la communauté internationale à faire preuve de générosité en mettant à disposition de leurs pays des centres de soins et de dépistage mobiles, des personnels de santé, ainsi que des moyens de transport, y compris aériens, pour se montrer à la hauteur de cette crise.

Mais il faut aussi, comme l’a plaidé le représentant de la Guinée, l’« aide budgétaire » préconisée par les institutions financières internationales, et ce, afin de palier les dépenses imprévues occasionnées par l’apparition de cette épidémie meurtrière.  Si l’épidémie n’est pas rapidement éradiquée, la Banque mondiale estime que la croissance économique des pays touchés par Ebola sera réduite de manière significative, a confirmé M. Touré.  Celui-ci a insisté sur la nécessité de préserver les avancées réalisées dans le cadre de la consolidation de la paix et de la « quiétude sociale », en attirant l’attention sur le fait que les trois pays les plus affectés étaient encore à l’ordre du jour de la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies.

 

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.