DH/CT/739

Le Comité des droits de l’homme s’inquiète des exécutions extrajudiciaires, de la violence sexiste et du sort des Haïtiens en République dominicaine

12/03/2012
Assemblée généraleDH/CT/739
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Pacte international relatif                                

aux droits civils et politiques                            

Comité des droits de l’homme

Cent-quatrième session

2863e & 2864e séances – matin & après-midi


LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME S’INQUIÈTE DES EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES, DE LA VIOLENCE SEXISTE

ET DU SORT DES HAÏTIENS EN RÉPUBLIQUE DOMINICAINE


Le Comité des droits de l’homme a entamé, aujourd’hui, sa cent-quatrième session avec l’examen du cinquième rapport périodique de la République dominicaine*.  Les 18 experts du Comité se sont inquiétés des exécutions extrajudiciaires, de la violence conjugale et du sort des immigrés haïtiens.


Le Comité doit également examiner, d’ici au 30 mars, les rapports du Guatemala, du Turkménistan et du Yémen sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.  Il examinera la situation au Cap Vert qui n’a pas soumis de rapport.


S’appuyant sur les chiffres d’Amnesty International, l’expert de la Suède a par exemple relevé qu’entre 2005 et 2011, il y aurait eu 2 542 exécutions extrajudiciaires en République dominicaine, et que le taux de condamnation avoisinerait les 10% seulement.


« Les exécutions extrajudiciaires semblent être un problème particulier », a acquiescé l’expert de l’Argentine.


La délégation dominicaine s’est défendue en indiquant qu’en 2011, seuls 10% des homicides recensés avaient été commis par des agents de l’ordre.


L’experte de la Roumanie a constaté que la République dominicaine faisait partie des pays d’Amérique centrale où le taux de violence sexiste est très élevé.  Selon Amnesty International, 233 femmes ont été tuées par leur partenaire en 2011.


La question de la discrimination raciale à l’égard des ressortissants haïtiens a également été soulevée par les experts, avant que la délégation dominicaine ne demande: « quel pays du monde peut accueillir sur son sol, l’équivalent de 20% de sa population, sans que cela ne pose des problèmes? »


À l’ouverture de la session, les membres du Comité ont rendu un vibrant hommage à leur ancien collègue, Abdelfattah Amor, expert de la Tunisie qui a siégé au Comité de 1998 jusqu’à sa mort, le 2 janvier 2012.


L’experte de la France a rappelé l’engagement sans faille de son collègue tunisien dans la lutte contre l’intolérance religieuse et pour les droits de la femme.  « Pris dans les soubresauts du printemps arabe, il avait l’air très heureux mais aussi extrêmement inquiet ».  Avec sa mort, a-t-elle ajouté, la Tunisie et le monde arabo-musulman ont beaucoup perdu.


Avant sa mort, Abdelfattah Amor avait été nommé par les nouvelles autorités tunisiennes, Président de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation (CNICM).


Ce matin, M. Ivan Šimonović, Haut-Commissaire adjoint aux droits de l’homme, s’est félicité de l’engagement des États Membres à renforcer les organes de traités conformément à la résolution que l’Assemblée générale a adoptée le 23 février dernier.


« L’Assemblée générale a décidé d’entamer deux processus parallèles ouverts à tous mais il aurait mieux valu qu’elle attende le rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme », a réagi l’expert de la Suède qui n’a pas pu masquer son mécontentement.  Le processus de renforcement des organes conventionnels n’a pas suivi son cours, a-t-il estimé.


Également préoccupée, l’experte de la Roumanie a dit craindre que les propositions formulées n’affaiblissent la protection des droits de l’homme.


Le manque de ressources du Comité a été aussi commenté par les experts tout comme la nécessité de retransmettre les travaux sur Internet.  L’expert de la Suède a particulièrement déploré que ce soit une ONG et pas l’ONU, qui se propose d’assurer cette retransmission.


Le Comité a accueilli aujourd’hui deux experts, à savoir M. Walter Kaelin de la Suisse qui avait déjà siégé, et M. Marat Sarsembayev du Kazakhstan.


Le Comité a également adopté le rapport de son Groupe de travail sur les communications –plaintes d’individus ou de groupes d’individus dont les droits civils et politiques auraient été lésés dans leur pays.


Le Comité des droits de l’homme poursuivra l’examen du cinquième rapport périodique de la République dominicaine demain, mardi 13 mars, à partir de 10 heures.


EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE


Cinquième rapport périodique de la république dominicaine ( CCPR/C/DOM/5)


Présentation


M. VIRGILIO ALCANTARA (République dominicaine) a indiqué que son pays s’était doté d’une nouvelle Constitution, en même temps qu’il réexamine le système juridique.  La nouvelle Constitution reconnait de manière explicite les droits civils et politiques et est appuyée par la Cour constitutionnelle.  En octobre 2011, une loi sur l’immigration a été promulguée qui permet aux immigrants de régulariser leur statut et d’avoir accès à la sécurité sociale.  En décembre dernier, la République dominicaine a ratifié le Protocole sur l’abolition de la peine de mort puis la Convention contre la torture.  La ratification du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant devrait suivre bientôt, a assuré M. Alcantara qui a aussi fait état d’un autre changement.  Tous les dossiers pénaux sont désormais renvoyés aux tribunaux du pays.


Cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte (art. 1er et 2)


La délégation a expliqué qu’en 2005, la Cour suprême de justice avait déjà pris une série de décisions pour asseoir plus fermement le respect des droits de l’homme au niveau des gouvernants comme des gouvernés.  Plus récemment, l’article 26 de la Constitution de 2010 établit explicitement que  la République  dominicaine est un État Membre de la communauté internationale et qu’à ce titre, elle reconnaît et applique les normes du droit international relatives aux droits de l’homme.


Pour éviter les conflits juridiques qui pourraient émerger entre la Constitution et les traités internationaux, l’ordre juridique interne a prévu un contrôle préalable des textes internationaux avant toute ratification.  La Constitution de 2010 a, en plus de la Cour constitutionnelle, créé une instance judiciaire exclusivement consacrée aux questions électorales dont les membres sont élus.  Cette institution est elle aussi au service de la protection des droits de l’homme.


Non-discrimination, droits des minorités et égalité des droits (art. 3, 25, 26 et 27)


La délégation a affirmé que la Cour suprême de justice a toujours très largement soutenu la concrétisation de l’égalité entre les sexes.  Pour y parvenir, elle continue de veiller au respect des instruments ratifiés.  De son côté, le Bureau du Procureur a tout pouvoir pour agir dans la lutte contre les violations à caractère sexiste.  L’État est d’ailleurs bien conscient que beaucoup reste à faire en matière de protection des droits de la femme.


Quant aux droits des personnes handicapées, un conseil national sur le handicap a vu le jour avec pour mandat de prendre des mesures spécifiques pour améliorer le quotidien des personnes handicapées.  Au-delà de cela, la nouvelle Constitution reconnaît clairement l’égalité entre toutes les catégories de populations.


La délégation a aussi affirmé que toute personne peut saisir les tribunaux des cas d’exécutions extrajudiciaires.  S’agissant de la violence sexiste, un centre d’accueil pour les femmes victimes a été créé de même qu’une ligne de téléphone gratuite.  Le personnel judiciaire a été dûment formé au problème et il peut s’appuyer sur le plan d’égalité entre les sexes et de défense des droits de la femme que le Gouvernement a mis en place.


Grâce à la réforme constitutionnelle, a poursuivi la délégation, les droits des personnes détenues ont été renforcés.  La police nationale s’est dotée d’un Institut de la dignité humaine et 3 114 policiers ont reçu une formation, l’année dernière.


Le problème du travail non rémunéré, a poursuivi la délégation, concerne principalement les immigrés haïtiens mais les conditions de travail des immigrés dans le secteur agricole sont identiques à celles des Dominicains.  La délégation a tout de même reconnu l’incapacité du pays à répondre aux besoins des immigrés compte tenu de ses ressources limitées. 


En matière de santé, la délégation a indiqué que 23% du budget du Ministère pertinent sont alloués aux besoins des immigrés.  Les enfants de personnes en situation irrégulière peuvent être scolarisés; les ressortissants haïtiens pouvant recevoir des bourses pour l’université.


Le travail des enfants concerne quelque 430 000 mineurs dont une majorité de filles victimes d’exploitation sexuelle.  Pour combattre ce fléau, le Gouvernement s’est doté de près de 30 comités fonctionnant comme un réseau de surveillance de la mise en œuvre du Plan stratégique pour l’élimination des pires formes de travail des enfants pour la période 2006-2016.  Ce Plan a permis d’aider 27 300 mineurs.  Depuis 2003, les mineurs sans papier peuvent suivre un programme de formation.  La caution judicatum solvi a par ailleurs été levée.


Le nouveau système carcéral met l’accent sur la dignité des détenus.  La question de la surpopulation dans les prisons est désormais résolue grâce à la construction de 13 centres de détention modèles.  La législation interdit l’incarcération des mineurs, des femmes enceintes et des personnes âgées.  


Questions des experts


M. RAFAEL RIVAS POSADA, Expert de la Colombie, a voulu comprendre la façon dont sont réglés, dans l’ordre juridique interne, les conflits dans l’application des normes internes non conformes au Pacte.  Quel est le processus pour la réparation et l’indemnisation des victimes des violations des droits de l’homme?  Existe-t-il des mécanismes et quid de leur efficacité?


Qu’a t-il été concrètement fait pour améliorer la présence des femmes dans les hautes fonctions?, s’est demandé, quant à lui, M. GERALD NEUMAN, Expert des États-Unis.  Le poste d’adjoint au maire très souvent occupé par les femmes donne t-il un quelconque pouvoir ou s’agit-il d’une fonction symbolique?


Quelles sont les dispositions concrètes contre le harcèlement sexuel dans la fonction publique et le secteur privé?, a poursuivi l’expert en s’inquiétant des actions prises pour renforcer la fiabilité des données, d’une part, et pour protéger les homosexuels de la violence et de la discrimination, d’autre part.  Et à ce propos, s’est encore interrogé l’expert, qu’en est-il de la lutte contre la discrimination raciale.  Y-a-t-il des textes juridiques? Que fait l’État pour sanctionner la discrimination à l’égard des personnes d’origine haïtienne?


M. MICHAEL O’FLAHERTY, Expert de l’Irlande, a voulu savoir ce qui se fait pour assurer la pleine participation des personnes handicapées dans la société. Qu’en est-il du processus de ratification de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées?  Le pays collecte-t-il des statistiques ventilées sur les personnes handicapées?  S’est-il doté d’une stratégie nationale?


M. FABIAN OMAR SALVIOLI, Expert de l’Argentine, a soulevé la question des exécutions extrajudiciaires et a tranché: se limiter à accorder aux personnes lésées la possibilité de saisir les tribunaux ne suffit pas.  Compte tenu du nombre élevé des plaintes déposées, l’expert a réclamé des précisions sur les condamnations prononcées par les tribunaux.  Il a relevé que les indemnisations ne peuvent être satisfaisantes puisque la responsabilité de l’État n’est pas engagée pour les crimes commis par les agents de l’ordre.  Existe-t-il un organe indépendant chargé d’enquêter sur les violences dont sont victimes les personnes incarcérées?


M. KRISTER THELIN, Expert de la Suède, a invoqué les chiffres d’Amnesty International qui montrent qu’entre 2005 et 2011, il y a eu 2 542 exécutions extrajudiciaires avec un taux de condamnation qui avoisinerait les 10% seulement.  Avez-vous des données sur les actes de violence commis par la police sans donner la mort?  Avez-vous une formation spéciale pour le port d’arme? a encore demandé l’expert.


L’État a-t-il l’intention d’adopter un texte sur les indemnisations? a insisté M. LAZHARI BOUZID, Expert de l’Algérie.


Mme JULIA ANTONELLA MOTOC, Experte de la Roumanie, a invoqué, à son tour, les chiffres d’Amnesty International qui montrent qu’en 2011, plus de 233 femmes ont été tuées par leur partenaire.  Qu’est devenue la proposition de créer une loi spécifique?


Quelles sont les mesures prises pour décourager et sanctionner les cas de torture infligée par les forces de l’ordre, a insisté aussi l’Expert du Royaume-Uni, M. NIGEL RODLEY.  


Répondant à ce premier groupe de questions, la délégation a réaffirmé que l’article 26 de la Constitution prévoit un contrôle préalable des traités internationaux pour voir leur conformité avec la Loi et prévenir leur non-respect.  En cas de conflit, c’est la Cour constitutionnelle qui statue. 


S’agissant de la brutalité policière, la délégation a indiqué que le Ministère public a un bureau pour la représentation des victimes auquel ont accès tous les Dominicains. 


Le chef de la Police nationale a prévenu que toute personne qui abuserait de ses fonctions serait renvoyée et condamnée.  Entre janvier 2011 et janvier 2012, 123 policiers ont été traduits en justice.  La délégation a reconnu qu’en 2011, 2 513 homicides ont été commis, dont 264 par la police nationale, ce qui représente moins de 10%.


Quant à la question sur la discrimination raciale particulièrement contre les personnes d’origine haïtienne, la délégation s’est félicitée de ce que l’Expert des États-Unis n’ait pas cédé à la tentation de croire à l’existence d’une telle discrimination dans le pays.  « Il n’y a pas de discrimination raciale en République dominicaine, encore moins contre les personnes d’origine haïtienne », a affirmé la délégation qui a tout de même reconnu des tensions au sein de la population.


Il est tout aussi évident a-t-elle poursuivi, que notre pays ne peut recevoir tous les gens qui fuient la pauvreté.  Aujourd’hui, environ 95% des ouvriers agricoles sont haïtiens.  Un tel taux nuit évidemment à l’emploi des Dominicains.  Quel pays du monde, s’est interrogée la délégation, peut accueillir l’équivalent de 20% de sa population sans que cela ne pose des problèmes?  Haïti n’est pas que le drame de la République dominicaine, c’est le drame de toute la communauté internationale, s’est défendue la délégation.


L’État, a-t-elle expliqué, a décidé de régulariser une grande partie des Haïtiens avec l’aide du secteur agro-industriel.  Cette étape dément, si besoin en est, les accusations contre la République dominicaine, a dit la délégation.


Sur le front des droits de la femme, elle a reconnu qu’il reste beaucoup à faire.  Mais déjà, la représentation politique des femmes au niveau des municipalités est conforme au quota international de 30%.  Mais il est vrai aussi, a avoué la délégation, qu’en dépit de la loi sur la rotation au poste de maire principal, les femmes sont bloquées au poste d’adjoint au maire.  Le Ministre de la condition féminine poursuit son effort pour changer la donne, a-t-elle dit, en indiquant qu’au niveau législatif, l’on comptait dorénavant 20% de femmes députées et une loi sur la parité est en pleine discussion.


S’agissant du harcèlement sexuel, la délégation a invoqué les campagnes de sensibilisation des victimes pour les encourager à porter plainte.  Le harcèlement sexuel sur le lieu de travail touche près de 31% de femmes, a-t-elle reconnu.  Pour faire face aux violences sexistes, le Gouvernement a mis en place un plan national pour détecter, prévenir et sanctionner.  Un réseau de protection des femmes victimes de violence a aussi été créé et en matière de prévention, les ministères et la police nationale comprennent des bureaux de sensibilisation à la violence sexiste.  Concluant sur la question des avortements illégaux, la délégation a avoué qu’en l’état actuel du droit dominicain, cette pratique était « clairement » interdite.


La délégation a indiqué que l’article 39 de la Constitution consacre l’égalité des droits, et l’article 58 la protection des droits des personnes handicapées.  Un conseil chargé de superviser les politiques publiques en matière de défense et de protection des droits des personnes handicapées a été créé alors que l’État continue de travailler à l’appui psychologique et juridique de ces personnes.  Quelque 91 institutions offrent des services d’accueil aux enfants et adolescents en situation dangereuse d’un point de vue social ou familial.  La délégation a aussi fait savoir qu’un protocole sur la protection des enfants haïtiens victimes du tremblement de terre a été élaboré.


Entre janvier et juin 2011, 2 500 plaintes pour violence physique ont débouché sur une condamnation, a ensuite affirmé la délégation.  En tout, près de 20 000 dossiers ont débouché sur des résultats concrets.  Des campagnes de prévention ont été menées et 20% des meurtres de femmes aux mains de leurs époux ont débouché sur une plainte.


On envisage même de créer un mécanisme de dépôt de plaintes sur l’Internet.  Le pays s’est doté d’un centre d’accueil tant pour les victimes que pour leurs auteurs. 


La délégation a enfin indiqué que la procédure d’inscription sur les registres civils a été révisée.  Le droit du sang régit l’acquisition de la nationalité dominicaine mais tous les enfants nés sur le territoire peuvent obtenir un acte de naissance. 


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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