CS/8313

KOFI ANNAN APPELLE LE CONSEIL DE SÉCURITÉ À UNE ACTION URGENTE AU DARFOUR

16/02/05
Communiqué de presse
CS/8313


Conseil de sécurité

5125e séance – matin


KOFI ANNAN APPELLE LE CONSEIL DE SÉCURITÉ À UNE ACTION URGENTE AU DARFOUR


Pour la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, la CPI est

l’institution la mieux adaptée pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité


Le Secrétaire général des Nations Unies a réclamé cet après-midi une action urgente du Conseil de sécurité pour mettre fin aux exactions au Darfour, en présentant aux 15 membres le rapport de la Commission d’enquête internationale, rendu public le 25 janvier 2005, dont il a estimé qu’il s’agissait de l’un des documents les plus importants de l’histoire récente des Nations Unies.  « Le pouvoir et la responsabilité d’agir est entre vos mains », a-t-il lancé au Conseil, qu’il a invité à ne pas se limiter aux recommandations du rapport, mais à envisager également des sanctions ciblées ou encore des efforts de maintien de la paix plus ambitieux.


Commentant les 204 pages du document, Mme Louise Arbour, Haut-Commissaire aux droits de l’homme, a estimé que la Cour pénale internationale était l’instrument le plus adapté pour poursuivre les auteurs d’exactions.  Rappelant que la Commission a conclu, après trois mois d’enquête, que le Gouvernement soudanais n’avait pas mené une politique de génocide, mais a toutefois souligné qu’il n’était pas exclu que des individus se soient rendus coupables de génocide et que les violations des droits de l’homme étaient en tout état de cause d’une extrême gravité, relevant des crimes de guerre pour les rebelles et des crimes contre l’humanité, par leur caractère généralisé et systématique, pour le Gouvernement et pour les milices.  Le Conseil dispose désormais de propositions concrètes pour réduire le carnage au Darfour, a-t-elle conclu.


RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN


Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour au Secrétaire général (S/2005/60)


Le présent rapport, distribué le 1er février 2005, a été rédigé en application de la résolution 1564 du 18 septembre 2004, dans laquelle le Conseil de sécurité demandait la création d’une commission internationale pour enquêter immédiatement sur les violations du droit humanitaire et des droits de l’homme commises au Darfour.  La Commission d’enquête internationale, présidée par le professeur italien Antonio Cassese et composée de quatre autres membres, conclut, après trois mois de travaux, que le Gouvernement soudanais n’a pas mené une politique de génocide au Darfour, mais qu’ont été commis des actes relevant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.  Elle recommande le renvoi à la Cour pénale internationale.


Les violations massives des droits de l’homme commises par les forces gouvernementales et les milices qu’elles contrôlent comportent plusieurs aspects qui pouvaient être retenus à l’appui de la thèse du génocide, notamment la cristallisation identitaire ayant conduit à la distinction entre « tribus africaines » et « tribus arabes », mais l’intention génocide, visant à la destruction d’un groupe comme tel, fait en l’espèce défaut, écrivent les enquêteurs.  La Commission n’exclut pas cependant l’intention génocide dans certains cas, mais estime que c’est à un tribunal compétent de trancher sur ces cas individuels.


Après avoir conclu à l’absence de génocide, les enquêteurs ajoutent que cela n’enlève rien à la gravité des crimes commis au Darfour, qui peuvent être tout aussi graves et abominables que le crime de génocide.  Recensant les violations commises par le Gouvernement soudanais et par les Janjaouites (meurtres de civils, viols et autres violences sexuelles, tortures, enlèvements, transferts de population obéissant à un schéma discriminatoire, destruction de villages), ils affirment qu’elles relèvent des crimes de guerre et, étant donné leur caractère systématique et généralisé, des crimes contre l’humanité.  Les violations commises par les rebelles relèvent, quant à elles, des crimes de guerre mais n’ont pas de caractère systématique et généralisé.


La Commission d’enquête a établi une liste non exhaustive de 51 éventuels suspects, composée, entre autres, de fonctionnaires soudanais, de membres des milices et des groupes rebelles, et de certains officiers de forces armées étrangères ayant agi à titre individuel.  Cette liste, que les enquêteurs ont décidé de ne pas rendre publique, notamment pour protéger les témoins d’éventuelles tentatives d’intimidation, a été remise sous pli cacheté au Secrétaire général.  Un volumineux dossier comportant tous les éléments de preuve recueillis a par ailleurs été remis à la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.  Les enquêteurs préconisent que ces documents soient transmis à un magistrat compétent.


La Commission d’enquête recommande instamment que le Conseil de sécurité défère sans tarder la situation au Darfour à la Cour pénale internationale (CPI), les institutions judiciaires soudanaises n’ayant ni la capacité, ni la volonté de rechercher et de poursuivre les responsables de ces crimes.  Elle recense six avantages majeurs à la CPI, notamment les garanties d’un procès équitable, le fait qu’elle peut être saisie immédiatement et la faible charge financière pour la communauté internationale.  Les enquêteurs proposent également la création d’une commission internationale d’indemnisation des victimes, composée de 15 membres dont 10 nommés par le Secrétaire général et cinq par un organe soudanais indépendant.


La Commission invite par ailleurs le Gouvernement soudanais à prendre des mesures énergiques, notamment pour aligner la législation nationale sur les normes relatives aux droits de l’homme, respecter les droits des déplacés et accorder le libre accès des observateurs des droits de l’homme au Darfour.  Elle recommande le rétablissement du mandat du rapporteur spécial des droits de l’homme au Soudan et la publication périodique de rapports de la Haut-Commissaire sur la situation des droits de l’homme au Darfour.


Déclarations


M. KOFI ANNAN, Secrétaire général des Nations Unies, a qualifié le rapport d’enquête de « document le plus important de l’histoire récente des Nations Unies ».  Il est effrayant à lire et appelle à une action urgente, a-t-il ajouté.  L’appel à une action urgente ne se limite pas aux recommandations de la Commission internationale d’enquête, a-t-il poursuivi, en soulignant que les atrocités se sont poursuivies pendant l’enquête et se poursuivent encore aujourd’hui.  En dépit de l’attention que le Conseil a porté à la crise, le Darfour vit toujours un véritable enfer.  Le Secrétaire général a voulu que la communauté internationale, conduite par le Conseil de sécurité, trouve immédiatement les moyens de mettre fin aux tueries et de protéger les populations vulnérables.  Le Conseil, a-t-il dit, doit examiner les diverses options, y compris les sanctions ciblées, des efforts de maintien de la paix plus ambitieux, des nouvelles mesures de protection des civils, ou encore la multiplication des pressions sur les deux parties pour les contraindre à trouver une solution politique durable.  Le pouvoir et la responsabilité d’agir est entre vos mains, a dit le Secrétaire général en s’adressant aux membres du Conseil et en promettant de contribuer à la mise au point d’une stratégie.  Une nouvelle fois, a-t-il conclu, j’appelle le Conseil de sécurité à agir, de manière urgente, pour épargner la mort et de nouvelles souffrances à la région du Darfour, et rendre justice à ceux qui ont déjà perdu leur vie.*


Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il est urgent de mettre un terme à la violence au Darfour, a déclaré Mme LOUISE ARBOUR, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, en saluant le rôle moteur du Conseil de sécurité pour avoir tenté, à travers la mise en place d’une Commission d’enquête, de réduire le carnage.  Elle a estimé que les recommandations de la Commission permettraient, non seulement de rendre justice aux victimes passées, mais également de protéger à l’avenir des milliers de victimes potentielles.


Les enquêteurs ont établi que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis à grande échelle et de manière systématique par le Gouvernement du Soudan et les milices janjaouites, a expliqué Mme Arbour, en citant les attaques contre des civils, les meurtres, la torture, les enlèvements, la destruction de villages, le viol, le pillage et les déplacements forcés.  Elle a détaillé les attaques contre le village de Kailek, dans le sud du Darfour, où près de 30 000 personnes, majoritairement de la population fur, ont été assiégées pendant 50 jours par les forces gouvernementales et les Janjaouites.  Quant aux violations commises par les rebelles, elles relèvent des crimes de guerre, mais n’ont pas de caractère systématique, a-t-elle ajouté.


La Commission a conclu que le Gouvernement soudanais n’avait pas mené une politique de génocide au Darfour, l’intention délibérée d’exterminer un groupe spécifique n’ayant pas été démontrée, a poursuivi la Haut-Commissaire.  Elle a cependant souligné que rien ne permet d’écarter la possibilité que des actes aient été commis individuellement dans une intention génocidaire et, a-t-elle ajouté, comme il est écrit dans le rapport, seule une cour compétente permettra de trancher, au cas par cas.  Elle a également insisté sur le fait que les enquêteurs, même s’ils avaient conclu à l’absence de génocide, n’avaient pas cherché à minimiser la gravité des crimes commis.


Mme Arbour a expliqué que la Commission d’enquête avait identifié 51 suspects éventuels, dont les noms, qui n’ont pas été rendus publics afin de respecter leurs droits et de protéger les témoins, ont été remis sous pli cacheté au Secrétaire général, pour transmission à un procureur compétent.  Elle a ajouté qu’un dossier contenant des preuves matérielles lui avait été remis parallèlement.  Les enquêteurs, a-t-elle dit, ont estimé que les autorités judiciaires soudanaises n’avaient ni la volonté ni la capacité de rechercher et de poursuivre les responsables de ces crimes, de nombreuses victimes ayant exprimé leur défiance quant à l’impartialité de la justice soudanaise.


Excluant par ailleurs la mise en place de cours mixtes ou d’un tribunal international ad hoc, procédure lente et coûteuse, la Commission a vivement recommandé que le Conseil défère la situation à la Cour pénale internationale (CPI), qui aura le pouvoir, a dit Mme Arbour, de poursuivre toute personne ayant commis des actes relevant de crimes recensés dans le Statut de Rome.  Elle a estimé que la CPI était l’institution la plus adaptée pour garantir des investigations rapides permettant de procéder à des arrestations et d’organiser des procès équitables.  La Commission, a-t-elle ajouté, a également recommandé la création d’une commission internationale d’indemnisation des victimes.  Elle a indiqué avoir nommé à cet égard un officier de protection des témoins, chargé de rendre compte de toute tentative d’intimidation.


La Haut-Commissaire a estimé que la Commission d’enquête, qui s’est acquittée de la mission que lui a confié le Conseil avec professionnalisme et intégrité, avait fourni au Conseil une marche à suivre pour mettre un terme à la brutalité au Darfour et traduire en justice les auteurs d’atrocités.  La quête de justice est souvent présentée comme une entrave sur la voie de la paix, a-t-elle dit, mais elle a ajouté que les conclusions de la Commission d’enquête démontraient irréfutablement qu’il n’y avait pas d’espoir de paix durable au Darfour sans que la justice soit rendue sans délai.


* La version intégrale du discours a été publiée sous la cote SG/SM/9722 (http://www.un.org/News/fr-press/docs/2005/SGSM9722.doc.htm)


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