SG/SM/8239

«NOUS HABITONS LA TERRE, NOTRE SEULE PLANETE QUE NOUS DEVONS REMETTRE EN ETAT», DECLARE NANE ANNAN EN PRELUDE AU SOMMET DE JOHANNESBURG

14/05/2002
Communiqué de presse
SG/SM/8239


                                                            ENV/DEV/637


«NOUS HABITONS LA TERRE, NOTRE SEULE PLANETE QUE NOUS DEVONS REMETTRE EN ETAT», DECLARE NANE ANNAN EN PRELUDE AU SOMMET DE JOHANNESBURG


L'exposé du Secrétaire général, M. Kofi Annan, intitulé «Pour un avenir viable» et dont le texte intégral figure ci-après, a été présenté aujourd'hui par Mme Nane Annan au cours de la «Conférence annuelle sur l'environnement» du Musée américain d'histoire naturelle:


Voilà 30 ans, la communauté internationale se réunissait à Stockholm à l’occasion de la première Conférence des Nations Unies sur l’environnement. Cette manifestation a marqué un tournant décisif. Elle a inspiré des légions de militants écologiques sur le terrain. Elle a débouché sur la création de ministères et d’agences de l’environnement dans des pays qui n’en avaient pas encore. Elle a placé l’environnement à l’ordre du jour international.


Il y a 10 ans, la communauté internationale se retrouvait à nouveau pour le Sommet Planète Terre à Rio de Janeiro. Le Sommet a sonné l’alarme, mais il a aussi offert une vision positive grâce à la naissance du concept du développement durable qui a constitué une véritable percée. Plus jamais, du moins l’espérait-on, la protection de l’environnement ne serait considérée comme un luxe ou un complément. Les facteurs environnementaux seraient intégrés aux questions économiques et sociales et placés au centre du processus de décisions. Les pays développés, qui s’étaient modernisés par le gaspillage et des pratiques dangereuses, aideraient les pays en développement à lutter contre la pauvreté et à éviter de s’engager sur la même voie polluante. En adoptant Action 21, un plan en faveur du développement durable, les riches comme les pauvres semblaient être convenus d’une conception commune de la croissance, de l’équité et de la conservation à long terme.


Mais depuis, les progrès ont été plus lents que prévu. L’équilibre de l’environnement mondial demeure fragile. Les mesures de conservation sont loin d’être satisfaisantes. Lors des débats sur les finances et l’économie mondiales, l’environnement est toujours le parent pauvre. La consommation effrénée continue à compromettre les cycles naturels de la vie sur terre. La recherche et le développement restent malheureusement insuffisamment financés et négligent les problèmes des pauvres. Les pays développés, en particulier, ne sont pas allés assez loin dans le respect des promesses qu’ils avaient faites à Rio, tant en ce qui concerne la protection de leur propre environnement que l’aide à apporter aux pays en développement pour vaincre la misère.


Dans moins de quatre mois, lors du Sommet mondial pour le développement durable qui se tiendra à Johannesburg, nous aurons l’occasion de relancer la dynamique créée au Sommet Planète Terre. Déjà, le processus préparatoire à cette manifestation a permis d’attirer à nouveau l’attention sur des questions qui avaient été largement éclipsées par les conflits, la mondialisation et, plus récemment, le terrorisme. Néanmoins, il me semble nécessaire de préciser les enjeux que présente cette Conférence et ce qu’elle peut accomplir. Les négociateurs qui se réuniront ce mois-ci, à Bali, doivent y voir clair pour pouvoir élaborer un programme d’action solide. L’opinion aussi doit y voir clair si l’on veut qu’elle soit favorable aux changements indispensables.


Fondamentalement, Johannesburg a pour thème la relation entre l’homme et son environnement naturel. Nous représentons ici, dans cette salle, une partie des 20% de l’humanité qui jouissent d’un niveau de privilèges et de prospérité que les générations passées n’auraient jamais osé espérer atteindre. Et pourtant, le modèle de développement qui nous a autant donné a également eu des effets dévastateurs sur la planète et ses ressources. Il ne sera peut-être pas durable, même pour ceux qui en ont déjà profité, et encore moins pour la plus grande majorité de nos semblables, dont beaucoup vivent dans un état de privation et de misère insupportables, et aspirent tout naturellement à profiter des avantages qui sont les nôtres.


C’est ce que les responsables mondiaux rassemblés à l’Organisation des Nations Unies, voilà près de deux ans, pour le Sommet du Millénaire ont compris. Ils ont décidé que les 15 premières années de ce siècle seraient consacrées à une lutte sans concession contre la pauvreté dans le monde, et ont défini un ensemble d’objectifs – les objectifs de développement du Millénaire – à cette fin. Mais ils ont également pris la résolution d’éviter aux générations futures «d’avoir à vivre sur une planète irrémédiablement dégradée par les activités humaines». Le Sommet de Johannesburg vise à trouver des moyens concrets pour répondre à ces deux défis –améliorer les conditions de vie de tous les êtres humains, tout en protégeant l’environnement. Le Sommet a également pour objectif de passer des promesses –qui ont été nombreuses il y a 30 ans mais aussi il y a 10 ans – à l’action. Il existe, à mon avis, cinq domaines particuliers où des résultats concrets sont aussi essentiels que réalisables.


Premièrement, l’eau et l’assainissement. Plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable. Deux fois plus ne disposent pas de systèmes d’assainissement appropriés. Et plus de trois millions meurent chaque année de maladies causées par l’insalubrité de l’eau. Sans des mesures rapides et décisives, d’ici à 2025, les deux tiers de la population mondiale vivront peut-être dans des pays qui auront à faire face à une grave pénurie d’eau. Nous devons élargir l’accès à l’eau et parvenir à une consommation rationnelle, par exemple en encourageant les techniques dites « plus de grains par goutte d’eau » dans l’agriculture qui est le principal consommateur dans ce domaine. Il faut améliorer la gestion des bassins versants, réduire les fuites, notamment dans les grandes villes où elles représentent 40 % ou plus du total de l’approvisionnement en eau, chiffre véritablement ahurissant.


Deuxièmement l’énergie. L’énergie est une condition du développement. Et pourtant deux milliards de personnes dans le monde en sont privées et donc condamnées à rester prisonnières de la misère. Nous devons faire en sorte que chacun puisse avoir accès à des sources d’énergie non polluantes et économiques. Nous devons accroître l’utilisation des énergies renouvelables ainsi que les rendements énergétiques. Et nous ne devons pas nous dérober face au problème de la surconsommation – le fait que les habitants des pays développés utilisent beaucoup plus d’énergie par personne que ceux des pays en développement. Les États doivent ratifier le Protocole de Kyoto, qui traite non seulement des changements climatiques mais également d’une multitude de pratiques écologiquement nuisibles. Les États doivent également éliminer les subventions à l’énergie et les incitations fiscales dont les effets pervers perpétuent le statu quo et entravent le développement de solutions nouvelles et prometteuses.


Troisièmement, la productivité agricole. Les deux tiers des terres agricoles dans le monde souffriraient des effets de la dégradation des sols. Cette situation entraîne une chute considérable de la productivité agricole, alors que le nombre de bouches à nourrir ne cesse de croître. En Afrique, notamment, des millions de personnes sont menacées de famine. Nous devons augmenter la productivité agricole et enrayer le grignotage des forêts, des prairies et des zones humides par l’homme. La recherche et le développement seront déterminants à cet égard, tout comme l’application de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification.


Le quatrième domaine est la biodiversité et la gestion des écosystèmes. La biodiversité diminue très vite – presque 1 000 fois plus vite que si elle ne subissait pas les effets de l’activité humaine. La moitié des forêts équatoriales et des mangroves tropicales ont déjà disparu. Près de 75 % des réserves marines de poissons sont épuisées. Soixante-dix pour cent des récifs coralliens sont menacés. Nous devons inverser cette tendance – préserver autant d’espèces que possible, et mettre un frein à la pêche illégale et non viable ainsi qu’aux pratiques de déboisement – tout en aidant ceux qui dépendent actuellement de telles activités à réaliser la transition vers des modes de subsistance plus viables à terme.


Enfin, le domaine de la santé. Les liens entre l’environnement et la santé humaine sont indéniables. Les substances chimiques toxiques et d’autres matières dangereuses sont peut-être indispensables au développement, mais il reste que plus d’un milliard de personnes respirent un air malsain, et trois millions de personnes meurent chaque année à cause de la pollution atmosphérique; deux tiers d’entre elles sont des pauvres, surtout des femmes et des enfants, qui meurent de la pollution à l’intérieur des habitations, causée par la combustion du bois de chauffage et d’excréments animaux. Les maladies tropicales comme le paludisme et la dracunculose sont étroitement liées à l’insalubrité des sources d’eau et à des conditions d’hygiène insuffisantes. Les conventions et les autres mesures prises pour réduire les déchets et prévenir l’utilisation de certains produits et substances chimiques peuvent aider à créer un environnement plus sain. Mais nous devons également mieux comprendre comment et où agir.  Pour cela, la recherche et le développement sont particulièrement importants, notamment les études qui doivent être axées, davantage que par le passé, sur les maladies des pauvres.


L’eau; l’énergie; la santé; l’agriculture; et la biodiversité.


Cinq domaines qui constituent un programme d’action ambitieux mais réalisable.

Cinq domaines dans lesquels il est possible de progresser grâce aux ressources et aux technologies dont nous disposons aujourd’hui.


Cinq domaines dans lesquels le progrès peut offrir à tous les êtres humains une chance de prospérité, pas seulement pendant leur vie, mais aussi pour leurs enfants et petits-enfants.


Cinq domaines dont les initiales en anglais forment un acronyme simple: WEHAB. Pour s’en souvenir, il suffit de penser aux phrases suivantes: We inhabit the earth (nous habitons la Terre). And we must rehabilitate our one and only planet (Et nous devons remettre en état notre seule planète). Je suis sûr que vous pouvez trouver votre propre interprétation. J’espère que ce sigle deviendra une sorte de mantra d’ici à l’ouverture du Sommet de Johannesburg.


Les découvertes archéologiques des dernières décennies montrent que même les grandes civilisations, comme les Sumériens et les Mayas, ont été anéanties en partie parce qu’elles n’avaient pas réussi à vivre en harmonie avec l’environnement naturel. Nous aussi, nous avons joué avec le feu pendant la plus grande partie des 200 dernières années, poussés par les progrès de la science et de la technologie, et convaincus que nous avions surmonté les derniers obstacles au bien-être des hommes. Les changements climatiques en sont un très bon exemple.


Aujourd’hui, nous avons davantage conscience des réalités et nous avons commencé non sans difficultés à transformer nos sociétés. À ce jour, nos connaissances scientifiques sont encore en avance sur notre conscience sociale et politique. Malgré quelques exceptions louables, nos efforts pour changer le cours des choses sont trop peu nombreux et trop limités. Il s’agit désormais de savoir s’ils ne sont pas aussi trop tardifs. À Johannesburg, nous avons une chance de nous rattraper. Il ne s’agit pas de devoir choisir entre l’environnement  et le développement, ni entre l’écologie et l’économie. Contrairement à ce que l’on croit, ces actions ne sont pas contradictoires. Ce n’est pas non plus le problème des riches contre les pauvres. Tous deux ont de toute évidence intérêt à protéger l’environnement et à promouvoir le développement durable.


À Johannesburg, les gouvernements conviendront d’un plan d’action commun. Mais ce qui sera le plus novateur, ce sera peut-être les partenariats qui se constitueront entre les gouvernements, les entreprises privées, les associations, les universitaires et des citoyens responsables comme vous.


Ensemble, nous devons trouver la voie vers un plus grand sens des responsabilités mutuelles. Ensemble, nous devons édifier une nouvelle éthique de sauvegarde du patrimoine naturel mondial. Ensemble, nous pouvons, et nous devons, écrire avec optimisme un nouveau chapitre de l’histoire naturelle – et de l’histoire de l’humanité.


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