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 Comment rendre le monde plus sûr ? 
              par Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU
  Article paru dans l'édition 
              du journal Le Monde du 2 décembre 2004  Il y a quinze 
              ans, le monde était profondément divisé sur 
              les questions stratégiques de développement économique. 
              Les pays riches soutenaient le "consensus de Washington" 
              et le "règlement structurel" - des politiques que 
              n'appréciaient absolument pas les pays en voie de développement 
              eux-mêmes, et qui étaient violemment critiquées 
              par les organisations de la société civile des pays 
              industrialisés. On considérait que les Nations unies 
              étaient incompétentes sur ce sujet, ou pire, qu'elles 
              étaient le défenseur de gouvernements corrompus ou 
              prodigues des pays en voie de développement.Aujourd'hui, les choses ont changé. 
            Le débat sur la politique de développement - y compris 
            parmi les pays industrialisés dominants - est fondé, 
            grâce à un large consensus entre les donneurs d'aide 
            et ceux qui la reçoivent -, sur ce dont chacun à besoin 
            pour atteindre le développement. Trois 
              réunions internationales déterminantes - le sommet 
              du Millenium en 2000, les conférences de l'ONU sur le financement 
              du développement à Monterrey et sur le développement 
              durable à Johannesburg en 2002 - ont conduit à un 
              consensus global remarquable sur la façon de développer 
              les économies, diminuer la pauvreté et protéger 
              l'environnement.  Les huit objectifs de développement 
              du Millenium, définis il y a quatre ans, constitueront les 
              points de référence pour mesurer les progrès 
              en 2015. Ils comprennent la diminution de moitié de la proportion 
              de gens souffrant d'extrême pauvreté et de faim ; la 
              scolarisation universelle au niveau de l'enseignement primaire ; 
              l'amélioration du pouvoir et du statut des femmes ; la réduction 
              radicale de la mortalité infantile et maternelle ; l'arrêt 
              de l'expansion du sida et de la malaria ; l'adoption par tous les 
              pays de politiques durables sur les plans politique et de l'environnement 
              ; et - d'une importance cruciale si les autres objectifs sont atteints 
              - un partenariat global entre pays riches et pays pauvres, basé 
              sur l'ouverture des marchés, l'allégement de la dette, 
              l'investissement, et la définition de cibles soigneusement 
              choisies pour l'aide financière. Il n'est absolument pas certain que ces objectifs 
              seront atteints en 2015, en particulier en Afrique subsaharienne, 
              où un effort beaucoup plus important est toujours nécessaire, 
              à la fois de la part des donneurs d'aide et de la part de 
              nombreux gouvernements africains. Mais au moins, dans la lutte qui 
              a pour but de construire un monde plus juste et plus prospère, 
              nous avons maintenant un accord sur ce qu'il est nécessaire 
              de faire. Malheureusement, nous sommes encore loin 
              d'un consensus similaire sur la façon de rendre le monde 
              plus sûr. Dans ce domaine, les choses ont empiré au 
              cours de ces dernières années. La solidarité globale contre le terrorisme, 
              qui a existé en 2001, a vite été remplacée 
              par d'âpres disputes à propos de la guerre en Irak 
              qui sont apparues comme révélatrices de divisions 
              sur des questions plus fondamentales. Comment pouvons-nous nous 
              protéger au mieux contre le terrorisme et les armes de destruction 
              massive ? Quand l'utilisation de la force est-elle acceptable et 
              qui devrait en décider ? La "guerre préventive" 
              est-elle parfois justifiée, ou n'est-ce simplement qu'une 
              agression parée d'un autre nom ? Et, dans un monde devenu 
              "unipolaire", quel rôle devraient jouer les Nations 
              unies ?  Ces débats ont pris le pas sur ceux 
              qui se posaient dans les années 1990. La souveraineté 
              d'un Etat est-elle un principe absolu ou la communauté internationale 
              a-t-elle une responsabilité pour prévenir ou résoudre 
              des conflits à l'intérieur des Etats - en particulier 
              quand ils impliquent des génoci-des ou d'autres atrocités 
              comparables ?  Il y a un an, pour suggérer des réponses 
              à de telles questions, j'ai désigné un groupe 
              de 16 personnalités éminentes, hommes et femmes, venues 
              de toutes les régions du monde et de différents domaines 
              de compétence - politique, militaire, diplomatique, économique, 
              sociale. Je leur ai demandé d'évaluer les menaces 
              que l'humanité affronte aujourd'hui et de proposer les changements 
              nécessaires, à la fois dans nos politiques et dans 
              nos institutions, pour leur faire face.  Le 2 décembre, ils remettent leur 
              rapport, Un monde plus sûr. Notre responsabilité partagée. 
              Les 101 recommandations qui le composent forment l'ensemble de propositions 
              le plus large et le plus cohérent que j'aie vu, afin de forger 
              une réponse commune aux menaces communes. Il comporte une 
              explication claire du droit d'autodéfense et en réaffirme 
              le principe ; des lignes directrices pour l'utilisation de la force 
              afin d'aider le Conseil de sécurité à traiter 
              de façon plus efficace et préventive à la fois 
              les massacres de masse à l'intérieur des Etats et 
              les "scénarios cauchemars" (tels ceux qui combinent 
              le terrorisme et les armes de destruction massive) ; un accord pour 
              une définition du terrorisme (que la communauté internationale 
              a esquivé jusqu'ici) ; et des propositions pour prévenir 
              une prolifération nucléaire en cascade et pour améliorer 
              la biosécurité. Le rapport contient aussi un ensemble 
              de propositions pratiques pour actualiser les organes de l'ONU - 
              y compris le Conseil de sécurité - et rendre l'organisation 
              plus efficace, en particulier dans la prévention et la construction 
              de la paix. Par-dessus tout, il énonce clairement 
              les interconnexions de notre époque, dans laquelle les destinées 
              des peuples et les menaces auxquelles ils font face sont inextricablement 
              liées. Non seulement une menace contre une nation est une 
              menace contre toutes les nations, mais l'absence de réponse 
              à une menace peut saper notre défense contre toutes 
              les autres. Une attaque terroriste de grande ampleur au cœur 
              du monde industrialisé peut dévaster l'économie 
              mondiale, plonger des millions de gens dans une extrême pauvreté. 
              L'effondrement d'un Etat dans la région la plus pauvre du 
              monde peut créer un trou béant dans notre défense 
              commune contre le terrorisme et les maladies endémiques. On ne pourra pas lire ce document et continuer 
              à croire que rendre ce monde plus sûr n'est pas en 
              réalité une responsabilité collective, ainsi 
              que l'intérêt de tous. Le rapport nous dit comment 
              le faire et pourquoi nous devons agir maintenant. La balle est manifestement 
              dans le camp des dirigeants politiques du monde. Je les exhorte 
              à se saisir de ce texte et à le mettre en pratique. 
              L'occasion est trop importante pour que nous la manquions. Traduit de l'anglais par Jean Guiloineau. 
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