Chronique ONU

Alors que le Secrétariat soutient la « tolérance zéro », l’examen de la Responsabilité pénale des personnels en mission de l’ONU se poursuit

Par Ghislain Ondias Okouma

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L'article

Au cours des travaux de la récente soixante deuxième session de l’Assemblée générale, figurait à l’ordre du jour la question intitulée « Responsabilité pénale des fonctionnaires et experts en mission des Nations Unies ».  Ce point de l’ordre du jour de l’Assemblée aura été l’un des sujets qui aura le plus suscité des débats animés lors de son examen par les délégations de la Sixième Commission, chargée des affaires juridiques.  Ceci a d’ailleurs été confirmé par le Président de la dite Commission, M. Alexei Tulbure, de la République de Moldavie, à la Chronique des Nations Unies: « le problème des abus commis par des membres du personnel a été amplement débattu (…) et a suscité de nombreuses réactions(…) et la Sixième Commission, qui y travaille, y a déjà apporté quelques mesures ».  Pour les représentants des pays membres de la Commission, il s’agissait notamment d’examiner en détail les propositions qu’a formulées sur la question le Secrétaire général, à la suite des recommandations qui lui avaient été faites par le Groupe d’experts juridiques créé pour énoncer les moyens de surmonter le problème.  La question à laquelle il faut répondre est celle posée par la perpétration, par des membres du personnel des Nations Unies, d’actes d’exploitation et d’abus répréhensibles, le plus souvent à caractère sexuel.  Tout personnel posant des actes de ce type n’exerce plus ses fonctions dans le respect de la Charte des Nations Unies, alors que les personnels onusiens doivent toujours avoir à l’esprit de préserver l’image, la crédibilité, l’impartialité et l’intégrité des Nations Unies.

Les Nations Unies sont pour la « tolérance zéro » contre les abus

Le 31 Mai 2005, le Prince Zeid Ra'ad Zeid Al-Hussein de Jordanie présente devant le Conseil de sécurité son rapport sur les abus sexuels commis par le personnel du maintien de la paix
Photo ONU/ Devra Berkowitz

Dans l’analyse qu’il fait en mars 2005 de l’étude rendue par le Prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, Représentant permanent de la Jordanie, le Secrétaire Général rappelle que les dénonciations des faits d’exploitation et d’abus sexuels imputables à des personnels de maintien de la paix dans des opérations de ce type, vont des opérations déployées en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, au début des années 1990, à celles montées au Cambodge et au Timor-Leste, au début et à la fin des années 1990, en passant par les missions de maintien de la paix que l’ONU a conduites en Afrique de l’Ouest en 2002, et en République démocratique du Congo en 2004.  Les statistiques récentes montrent qu’en 2004 et 2005, 445 plaintes avaient été reçues, dont 322 avaient fait l’objet d’une enquête.  Pour ces deux années-là, en moyenne 90 allégations d’abus, d’exploitation sexuelle ou d’autres actes répréhensibles commis par des personnels agissant sous les couleurs

onusiennes, avaient été jugées fondées, tandis que 53 accusations s’étaient, après enquête, avérées infondées.  En 2006, 357 plaintes avaient été reçues, dont 66 avaient fait l’objet d’une enquête. Parmi ces dernières, 10 avaient été jugées fondées et 56 infondées.  En mars 2007, 22 plaintes avaient été reçues.  Lancée en juillet 2007 une enquête interne de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) est en cours après que de graves allégations d'exploitation sexuelle à grande échelle aient été énoncées contre un contingent militaire de l'ONU stationné à Bouaké, dans le nord de la Côte d'Ivoire.

Face à ce phénomène, les Nations Unies ont sans cesse mené âprement une bataille contre tous les formes d’abus, en défendant une politique dite de « tolérance zéro ».  L’urgence a conduit à la mise en place au cœur des points de l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée Générale, la question de la responsabilité des fonctionnaires de l’ONU et des experts en mission.  Un  vide juridictionnel existe aujourd’hui en la matière, et le Secrétariat n’est pas encore en mesure de le combler.  Bien qu’il ait mis en œuvre des mesures de prévention, pour que le dispositif soit complet, il faudrait que les auteurs d’infractions pénales soient amenés à répondre de leurs actes.  Parce que l'ONU n'a pas mandat de les juger, par principe, elle est obligée de rapatrier les personnes impliquées.  Il est ensuite de la responsabilité des pays contributeurs de troupes et de personnels civils de prendre les mesures judiciaires nécessaires contre les coupables d’actes d’abus.  Pour trouver des solutions et répondre aux diverses interrogations que suscite la situation actuelle, divers groupes de travail, de réflexion, et d’experts, on été mis en place par le Secrétaire Général, à la demande de l’Assemblée générale.  Il s’agit de trouver les voies qui permettraient de surmonter les problèmes qui se posent quand il s’agit d’amener notamment les auteurs d’abus et d’exploitation sexuelle à répondre d’infractions pénales commises dans le cadre d’opérations de maintien de la paix.  Les différents groupes de travail et d’experts auxquels le problème a été soumis ont formulé progressivement un certain nombre de recommandations reprises en 2007 par le Secrétaire Général dans le rapport qu’il a publié au mois de septembre 2007.  Le projet de résolution y afférant a été présenté par la délégation de la Grèce à l’Assemblée générale, et a été discuté au cours des travaux de la Sixième Commission, chargée des affaires juridiques.
 
Lundi, le 19 novembre 2007, l’Assemblée générale a adopté une résolution par laquelle elle prend une série de mesures dites à court terme sur la question.  Le texte affirme la nécessité pour l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ses États Membres de prendre d’urgence des mesures vigoureuses et efficaces pour que la responsabilité pénale des fonctionnaires et experts en mission des Nations Unies puisse être engagée.   Une autre mesure concerne la demande faite par l’Assemblée aux États Membres de prendre toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que les infractions commises par des fonctionnaires et experts en mission des Nations Unies ne restent pas impunies, et à ce que leurs auteurs soient traduits en justice conformément aux normes internationales en matière de droit de l’homme, et d’envisager d’établir leur compétence, en particulier en matière d’infractions graves commises par leurs ressortissants alors qu’ils avaient la qualité de fonctionnaires ou experts en mission des Nations Unies.   En somme, comme l’a indiqué à la Chronique des Nations Unies le Président de la Sixième Commission, le projet de résolution adopté apporte de précieuses mesures à court terme pour s'attaquer à ce problème et sensibiliser sur ses incidences.

Le Comité spécial sur la responsabilité pénale des fonctionnaires et experts en mission des Nations Unies se réunira de nouveau, dans  le cadre des travaux de la Sixième Commission, au début du mois d’avril 2008 pour poursuivre son examen du rapport du Groupe d’experts juridiques.  Il aura à discuter de l’opportunité de mesures dites à long terme, et en l’occurrence, de la perspective d’élaboration d’une convention pertinente.

Le Secrétariat favorable à l’élaboration d’un texte international juridiquement contraignant
 
Afin que les États autres que l’État hôte disposent d’une base juridique solide pour exercer leur compétence, le Groupe d’experts juridiques a en effet recommandé l’élaboration d’une convention internationale portant sur la compétence des États.  Le Secrétariat de l’Organisation souscrit sans réserve à cette recommandation.  Dans sa note du 11 septembre 2007, à l’attention de l’Assemblée générale, le Secrétaire Général précise qu’une convention permettrait aux États Membres d’imposer leur  compétence dans des circonstances aussi nombreuses que possible et lèverait toute incertitude quant aux personnes et aux infractions relevant de cette compétence (compétences ratione personæ et ratione materiæ).  Pour les juristes experts, ce projet de convention donnerait chaque fois que possible à l’État hôte la priorité dans l’exercice de sa compétence selon le principe de territorialité.  Le champ d’application ratione personae de la convention s’étendrait aux membres du personnel de maintien de la paix fonctionnaires ou experts en mission de l’Organisation des Nations Unies, tandis que le champ d’application ratione materiae, s’appliquerait aux atteintes graves contre les personnes, abus sexuels graves compris, ainsi qu’au meurtre et à d’autres infractions graves contre les personnes.

Le Secrétariat est donc favorable à l’adoption d’un instrument international qui imposerait aux États Membres d’exercer leur compétence quand la personne soupçonnée serait un de leurs nationaux ou se trouverait sur leur territoire et qu’ils décideraient de ne pas l’extrader.  Le Secrétariat est d’avis qu’une convention encouragerait tous les États Membres à affirmer et à exercer leur compétence dans un éventail aussi large que possible de circonstances relevant du droit international.  Ce projet de convention ferait obligation aux États parties de prendre des mesures pour enquêter sur les faits, en arrêter, poursuivre et extrader les auteurs, et s’entraider sur le plan judiciaire.  De plus, elle serait utile pour régler la question de la disparité entre les lois et procédures pénales des divers États, par exemple du point de vue de la définition des infractions et des peines applicables, voire en ce qui concerne l’incrimination de certaines pratiques, comme la prostitution.  On le sait, il existe souvent des différences entre les lois pénales des États Membres, et les lois internes des États donnent chacune une définition différente de ce qui constitue un comportement criminel.  Il n’existe d’autre part pas de définition internationalement acceptée de chaque infraction.  C’est ainsi par exemple que la définition du viol et d’autres crimes sexuels violents et l’âge légal du consentement à l’acte sexuel varient suivant les pays.
 
Pour l’instant, un autre problème à résoudre vient du fait que de nombreuses délégations ont fait part de leur opposition à l’application d’un futur instrument international aux forces militaires et de police qui, selon elles, relèvent de la seule compétence de l’État contributeur de troupes militaires ou de personnels de police. 

Des divergences persistent dans la concrétisation de l’idée d’un futur instrument international.  Pour bon nombre d’Etats, sans exclure l’idée d’élaborer un traité qui contribuerait à combler le vide existant, il serait plus utile, à ce stade, de se consacrer aux questions de fond en apportant plus de clarifications sur le champ d’application « ratione personae » et « ratione materiae », à la terminologie, aux immunités et aux mécanismes permettant de poursuivre les auteurs présumés  d’infractions.  C’est ce que disait le représentant des Etats-Unis en 2007, à la Sixième Commission : « Si une convention doit combler un vide juridique, encore faut-il connaître la nature précise de ce vide ».  Si le 15 octobre 2007 à la Sixième Commission, certaines délégations ont lancé des  appels pressants en faveur de l’élaboration d’une convention sur la responsabilité des fonctionnaires de l’ONU et des experts en mission, celle-ci n’a pas recueilli l’assentiment du plus grand nombre des représentants des Etats Membres présents.

Ainsi, comme l’avait déjà prévu les experts et membres du groupe de travail sur la question, la possibilité d’une convention internationale comporte un certain nombre d’inconvénients.  Il faudra sans doute beaucoup de temps aux États pour négocier, adopter et promulguer un instrument de cette nature, et, de surcroit, une convention internationale ne lie que les États qui y sont parties.

 
 
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