Chronique ONU

Une nouvelle façon de confronter le passé

En Allemagne, la jeune génération vainc son angoisse de la xénophobie

Par Rosa-Maria Ndolo

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article

En Allemagne aujourd’hui, les élèves apprennent dès un jeune âge à ne pas nier leur passé. Les professeurs d’histoire leur expliquent que ce qu’ont fait leurs grands-parents pendant la Deuxième Guerre mondiale ne s’applique pas directement à eux. Ils continuent néanmoins dans certaines parties du monde à faire face à des préjugés, avec le soupçon persistant que l’Allemagne n’a jamais vraiment rompu avec son passé antisémite et raciste.

Depuis qu’il a été prouvé que non seulement un certain nombre d’individus ont participé aux horreurs du régime nazi, mais que les citoyens ordinaires ont toléré les atrocités sans rien dire, la nation entière a été jugée responsable de ce qui s’est passé pendant le Troisième Reich. Mais l’image que les Allemands ont d’eux-mêmes est pire encore que le point de vue de la communauté internationale. De la mémoire collective et de l’autocritique qui a été autrefois nécessaire a émergé une nation qui 60 ans plus tard n’est pas toujours sûre de savoir faire la différence entre le chauvinisme national et le patriotisme et continue donc de se déclarer coupable de xénophobie. Dans l’Allemagne actuelle, qui est unifiée depuis près de 20 ans et dont les citoyens sont parmi ceux qui voyagent le plus, il est difficile pour le « nouvelle » génération d’accepter ces étiquettes alors qu’elle se considère être libérale et avoir l’esprit ouvert.

Il semble qu’un grand nombre d’Allemands hésitent à exprimer leur patriotisme en raison des stigmatismes de la Deuxième Guerre mondiale et de l’Holocauste. Par exemple, en déclarant publiquement en mars 2001 qu’il était « fier d’être allemand », un homme politique a provoqué une levée de boucliers et relancé la question de savoir si au XXIe siècle le patriotisme allemand s’apparentait aux valeurs prônées par le Troisième Reich. Un autre exemple récent montre l’ambiguïté face au passé. Jürgen Kamm, un étudiant de Stuttgart, a vendu plusieurs tee-shirts représentant une croix gammée entourée d’un cercle rouge barré et d’autres motifs conçus pour promouvoir la lutte contre toute forme de national-socialisme. En 2006, la mère d’un jeune garçon qui avait acheté quelques-uns de ces tee-shirts a porté plainte contre lui et il a été condamné à une amende de 5 000 dollars pour violation de l’article 86a du code pénal allemand qui interdit l’usage de tous les symboles nazis. En revanche, l’historien juif allemand Rafael Seligman a demandé que Mein Kampf d’Hitler soit finalement publié, après avoir été interdit pendant 60 ans. Il a expliqué que la publication de ce livre lui ôterait la notoriété qu’il ne mérite pas en le rendant accessible à tous et en exposant ses théories absurdes : est-ce un pas dans la bonne direction ?

Malheureusement, une série d’incidents qui ont eu lieu au cours des dernières années ont attiré l’attention internationale et renforcé les idées préconçues des citoyens allemands. Lors d’un incident survenu en 1991 en Allemagne de l’Est, dans la ville de Hoyerswerda, des groupes néo-nazis ont attaqué un foyer de demandeurs d’asile et blessé 30 d’entre eux durant plusieurs jours d’affrontements. En outre, des statistiques récentes montrent qu’il y a eu non seulement une augmentation des crimes violents commis par les Néo-nazis – six étrangers, dont cinq Africains, ont été tués dans des attaques dans l’ex-Allemagne communiste depuis la réunification en 1990 – mais que les groupes d’extrême droite bénéficient d’un soutien de plus en plus important, les propulsant sur la scène politique. Les partis politiques comme le Parti démocratique national de l’Allemagne (NPD), qui a ouvertement rendu hommage à Hitler et qui propage les idées racistes, a gagné des sièges au Parlement régional de Mecklenburg-Poméranie occidentale, après avoir obtenu 7 % des votes à la surprise générale.
Munich, 24 juin 2006. Rencontre de l'Allemagne et de la Suède pendant la Coupe de Monde de football de la FIFA.
PHOTO/ALEXANDER BERGER

En avril 2006, deux mois avant la Coupe du Monde de la Fédération internationale de Football Association (FIFA), une dispute opposant deux Allemands et un Allemand d’origine éthiopienne, Ermysa Mulugeta, a éclaté, à Potsdam. Ce dernier, souffrant d’importantes blessures à la tête et au thorax, s’est retrouvé à l’hôpital où les médecins l’ont placé en coma artificiel. La police a arrêté les deux hommes soupçonnés de tentative de meurtre à motivation raciale. L’un d’eux a des liens avec les extrémistes de droite. En outre, la victime avait appelé son épouse avant d’être agressée et avait laissé un message sur son répondeur où l’on entendait les agresseurs traiter Mulugeta de « sale nègre ».

L’affaire a immédiatement fait l’objet d’un débat national, ainsi que de déclarations et de condamnations de la part des hommes politiques et d’autres figures publiques. La procureure fédérale Kay Nehm a dit qu’elle se saisissait de l’affaire car elle présentait des similarités avec d’autres attaques néo-nazies qui avaient lieu ces dernières années. Le bureau de la Chancelière fédérale Angela Merkel a déclaré que l’attaque était « brutale et inhumaine […] nous condamnons fermement la haine des étrangers, la violence de l’extrême droite, ainsi que toute autre forme de violence ». En revanche, certains hommes politiques comme le Ministre intérieur Wolfgang Schaeuble a semblé vouloir minimiser la menace de la violence raciste, disant que « les individus blonds aux yeux bleus sont également victimes du racisme ». De son côté, le tabloïde conservateur Bild a écrit : « Si les agresseurs sont coupables, qu’on les enferme à vie ! C’est la seule solution pour éliminer le racisme en Allemagne. »

En couvrant l’affaire, presque tous les médias allemands ont fait face à un défi : comment désigner Ermyas Mulugeta, né en Éthiopie mais devenu citoyen allemand. Pour les agresseurs, c’était un « sale nègre ». Les journalistes – soucieux d’être politiquement corrects – ont décrit E. Mulugeta comme étant un « Allemand noir », un « Allemand d’origine africaine », un « Allemand-Éhiopien » ou bien un « Allemand à la peau noire ». Dans son éditorial, le journal libéral allemand taz a conseillé aux journalistes de s’en tenir aux désignations utilisées par les groupes concernés. Il semble que l’expression la plus populaire utilisée par les Allemands d’origine africaine eux mêmes soit simplement le terme « Deutsche Schwartze » (« Allemands noirs »).

La majorité des Allemands a été choquée par l’agression et ont montré leur empathie en organisant des veilles et des manifestations pacifiques – avec des banderoles portant des slogans comme « Chaque victime est une victime de trop – Unis contre les Nazis » – appelant également les hommes politiques à prendre des mesures urgentes. Des articles dans plusieurs journaux ont toutefois rapporté que la victime avait consommé trop d’alcool pendant la soirée et avait également pris part à une altercation dans une boîte de nuit. Après qu’E. Mulugeta est sorti du coma, on lui a demandé si les deux suspects étaient les deux hommes qui l’avaient attaqué. Il a répondu qu’il n’était pas sûr. Faute de preuves, les deux suspects ont été acquittés et l’affaire n’a pas été éclaircie.

Après l’attaque, le Conseil africain, une organisation regroupant des communautés africaines et des activistes en Allemagne, a publié un guide de « lieux à éviter », fondé sur les inquiétudes concernant la sécurité des supporters de football non blancs pendant la Coupe du Monde. Le gouvernement allemand a déclaré que ce guide était « absurde », qu’il engendrait la panique et que la police berlinoise assurait les supporters de football qu’il n’y avait pas de « lieux à éviter » dans la capitale allemande. Après tout, le gouvernement et les entreprises avaient déjà dépensé plus de 28 millions de dollars pour une campagne de marketing commune qui diffusait le slogan « Die Welt zu Gast bei Freunden » (« Le monde sera reçu par des amis ») destiné au million d’étrangers attendus dans le pays. Contre toute attente, la Coupe du Monde s’est déroulée sans problème et le pays hôte a fait l’objet d’une publicité très positive. Cela a été renforcé par une opération de force impressionnante comprenant un total de 266 000 policiers et un sentiment de gaîté favorisé par 30 jours de beau temps. L’entrée de l’Allemagne en demi-finale contre l’Italie n’a pas non plus fait du tort au patriotisme. Pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, des centaines de milliers de drapeaux noir-rouge-jaune flottaient dans les squares des villes de toute l’Allemagne, où la foule scandait en chœur Deutschland ! Deutschland ! Les gens venus du monde entier étaient réunis dans les lieux publics où le match était retransmis et personne n’avait honte d’afficher publiquement sa « germanitude ». Par le passé, un tel spectacle aurait suscité l’anxiété, voire la peur, dans le reste du monde.

En 2006, des millions d’étrangers ont accueilli favorablement le nouvel amour des Allemands pour leur pays et se sont joints à « la plus grande fête jamais organisée entre Hambourg et Munich ». La Coupe du Monde a véritablement changé la perception que les Allemands ont de leur pays. Le patriotisme allemand est l’occasion d’une résurrection pacifique et, même en Allemagne de l’Est, les jeunes semblent particulièrement apprécier la nouvelle idée d’une nation pacifique unifiée. Les Allemands sont désormais anxieux de voir si ce nouveau « patriotisme des stades » perdurera. Il ne s’agit plus de savoir combien de voitures défilent ornées du drapeau allemand, mais d’être fier de son pays sans oublier son sombre passé. La communauté internationale a reconnu les efforts réalisés par l’Allemagne en tant que membre du monde démocratique depuis 1945. Peut-être que les Allemands eux-mêmes seront capables de se libérer de leur passé raciste et commencer à être fiers des progrès démocratiques accomplis récemment. « L’Allemagne est un grand pays mais qui a des responsabilités spéciales dues à son passé », a dit Ignatius Joseph, d’origine sri lankaise qui dirige une entreprise de mode. Il existe aujourd’hui une nouvelle génération prête à faire face à l’avenir.

Biographie
Rosa-Maria Ndolo est née en Allemagne et y a grandi. Ses parents étaient des immigrants venus de Pologne et du Kenya. Athlète professionnelle, elle a été membre de l'équipe nationale allemande du pentathlon moderne de 1997 à 2002. Elle est titulaire d'une maîtrise en médias et communications et travaille pour le Département de l'information des Nations Unies.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut