Chronique ONU

La discrimination à l’égard des populations autochtones

Le contexte de l’Amérique latin

Par José Francisco Calí Tzay

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L'article

Lors des discussions sur la discrimination à l’égard des populations autochtones, il est tentant de paraphraser un préambule de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide qui dit qu’à toutes les périodes de l’histoire, la discrimination, sous ses formes, a infligé des grandes pertes à l’humanité1.

Une contradiction évidente a existé dans le combat de certains avocats et théologiens à accorder un traitement humain aux populations autochtones au début de la période coloniale : les populations autochtones devraient être bien traitées afin de leur imposer le roi, le dieu et la foi des colonialistes. Ces populations devaient payer des impôts, donner de la nourriture et travailler dans les mines de minéraux et à la collecte des perles, faute de quoi « une guerre juste » serait menée contre eux2. Parfois, les conquérants arrivaient et menaient d’abord la « guerre juste », puis imposaient leurs croyances religieuses et leurs conditions matérielles.
Mato Grosso, Brésil
Une mère indienne Shavante avec son bébé.
Photo ONU/Joseane Daher

Les déclarations d’indépendance des républiques du continent introduisaient l’égalité des droits de tous les habitants, mais n’amélioraient pas la situation des populations autochtones; dans certains cas, la présence et les droits de ces populations étaient reconnus de jure mais pas de facto. Toutes les luttes d’indépendance ont été marquées par des efforts qui visaient à établir l’égalité des droits et à mettre fin à la discrimination.

En 1923, le grand chef Cayuga Deskaheh, représentant des Iroquois en Ontario (Canada) et détenteur d’un passeport émis par les autorités de son peuple, s’est rendu au siège de la Société des Nations, à Genève. Envoyé par le gouvernement de la Fédération des Six nations de la grande rivière, il apportait une lettre adressée au Secrétaire général de la Société des Nations dans laquelle il était demandé justice. Le principal objectif de sa mission était de demander que la Fédération qu’il représentait soit admise comme membre de la Société des Nations, et qu’un traité signé en 1784 par les autorités de son peuple et ratifié par le roi d’Angleterre George III soit reconnu. Le grand chef a passé plus d’une année en Europe, mais il n’a jamais été officiellement reçu à la Société des Nations et ses demandes sont restées lettre morte. Il est considéré comme l’une des principaux précurseurs de la lutte actuelle des populations autochtones au niveau international3.

En réponse aux atrocités vécues par divers groupes pendant la Deuxième Guerre mondiale en raison de leur affiliation politique, de leur orientation sexuelle, de leur croyance religieuse ou simplement en raison d’handicaps physiques ou mentaux, la Charte des Nations a inclus le principe (qui plus tard a été inclus comme droit dans d’autres instruments) selon lequel il ne sera fait aucune distinction fondée sur « la race, le sexe, la langue ou la religion ».
La Déclaration universelle des droits de l’homme, établissant le droit de non-discrimination dans l’article 2, stipule : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) et les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme (1966) ont été des étapes importantes dans la lutte contre la discrimination. Il faut également mentionner les instruments importants dans leur domaine d’application respectif : la Convention n° 111 de l’OIT sur la discrimination en matière d’emploi et de profession (1958) et la Convention de l’UNESCO contre la discrimination en matière d’éducation (1960).

Les instruments suivants se réfèrent spécifiquement à la non-discrimination à l’égard des populations autochtones : la Convention n° 169 de l’OIT concernant les populations autochtones et tribales dans les pays indépendants (1989); les mentions dans les déclarations et les programmes d’action adoptés lors des Conférences mondiales (Rio de Janeiro [1992], Vienne ]1993], Le Caire [1994], Copenhague [1995], Beijing [1995], Istanbul [1996], Rome [1996], Durban [2001] et Johannesburg [2002]4; la Recommandation générale n° 23 (51) sur les populations autochtones adoptée par le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale en 1997; et le document du Comité des droits de l’enfant sur les droits des enfants autochtones (2003).

En 1974, le Conseil économique et social a accordé pour la première fois le statut consultatif à une organisation non gouvernementale (ONG) des populations autochtones. En 1977, le Comité chargé des organisations non gouvernementales a tenu la première Conférence internationale des ONG sur la discrimination à l’égard des populations autochtones dans les Amériques au Palais des Nations, à Genève, puis en 1981, la Conférence internationale des ONG sur les populations autochtones et la question foncière. Lors de ces réunions, les discussions ont porté sur des questions très importantes, y compris divers aspects de la discrimination.

Depuis la fin des années 1970, la plupart des réclamations ou des plaintes relatives aux droits de l’homme des populations autochtones — examinées soit par des organismes des droits de l’homme établis par la Charte des Nations Unies ou par des organismes de surveillance établis par les traités des droits de l’homme — ont concerné d’une manière ou d’une autre la discrimination.

La création en 1981 du Groupe de travail sur les populations autochtones (actif de 1982 à2006) de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a été un jalon dans l’histoire des Nations Unies car elle a permis aux représentants des populations, des communautés et des organisations autochtones de participer à tous les débats et, en particulier, d’élaborer le projet de déclaration sur les droits des populations autochtones.

En 1989, le Comité des droits de l’homme a déclaré à juste titre que « la non-discrimination est un principe fondamental et général en matière de protection des droits de l’homme, au même titre que l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi ». Les divers aspects de la discrimination sont illustrés dans la formulation de l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la définition donnée dans l’article 1, paragraphe 1.

Il existe un lien évident entre la discrimination, le génocide, l’esclavage (dans sa forme moderne ou sous d’autres formes) et l’apartheid qui sont les crimes les plus graves définis dans le droit international relatif aux droits de l’homme.

L’Assemblée générale des Nations Unies devrait bientôt adopter la déclaration sur les droits des populations autochtones concernant à la fois la non-discrimination et d’autres droits individuels et spécifiques importants des populations autochtones.

Une analyse des instruments et des études5 du système des Nations Unies qui traitent (directement ou indirectement) de la discrimination montre que les luttes, les rébellions et la résistance des populations autochtones sur le continent américain (à la fois pendant la période coloniale et après) avaient pour principal objet la discrimination.
Les formes et les expressions multiples et variées de la discrimination à laquelle les populations autochtones sont confrontées quotidiennement ont un impact négatif sur les droits et les libertés universellement reconnus et portent atteinte à la vie et à la dignité des populations autochtones.

Parmi les droits et les libertés qui ont été niés, déformés ou diminués (malgré des appels urgents), figurent :

  • la reconnaissance par les États de l’existence physique et culturelle des populations autochtones;

  • le droit à la propriété réelle et efficace des terres et des territoires traditionnels, ainsi qu’aux ressources (à la fois matérielles et spirituelles) qu’elles contiennent;

  • le droit des populations autochtones de contrôler les représentations de leur histoire;
  • le droit de participer à l’élaboration des politiques et aux projets dans les domaines du développement, de la santé, de l’éducation et dans d’autres domaines, et de faire des propositions;
  • le droit d’avoir des mécanismes efficaces pour contester et combattre les lois, les mesures administratives, les projets, les politiques et les programmes qui ont un impact négatif sur la vie, l’économie et l’environnement de leurs communautés;

  • la reconnaissance réelle et efficace des systèmes autochtones légaux et des religions
    et des contributions de la culture autochtone au progrès de l’humanité, en particulier dans les domaines de l’environnement, de l’agriculture, de la philosophie, des mathématiques et autres domaines.

Aujourd’hui, le défi posé au système des droits de l’homme et donc aux Nations Unis est de créer les conditions nécessaires pour mettre en œuvre toutes les dispositions contre la discrimination contenues dans les instruments internationaux des droits de l’homme et, quand cela est nécessaire, d’assurer l’accès des États à un soutien technique opportun, adéquat et efficace. Ce défi comprend également l’adoption de la déclaration sur les droits de populations autochtones6 par l’Assemblée générale.

Pour les population autochtones, le défi consiste à faire des propositions — sans abandonner aucun des droits établis dans le droit international relatif aux droits de l’homme — afin de construire des sociétés justes, non discriminatoires et démocratiques. La déclaration sur les droits des populations autochtones — renforcée et soutenue par d’autres instruments des droits de l’homme importants — sera sans aucun doute un outil de base dans ce processus.

Notes

  1. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide a été adoptée par la résolution 260 A (III) de l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1948.

  2. La « guerre juste » était un stratagème juridique et théologique justifiant la conquête et la subjugation du continent.

  3. En 1925, le chef religieux maori W.T. Ratana est venu à Genève, accompagné d’une importante délégation, pour soumettre une réclamation auprès de la Société des Nations concernant le respect du Traité de Waitangi signé entre les autorités maories et la Couronne britannique. Sa demande a été refusée.

  4. Les déclarations et les programmes d’action des conférences mondiales sur le racisme et la discrimination raciale (Genève, 1978 et 1983) contiennent également des paragraphes spécifiques aux populations autochtones.

  5. Trois études de l’ONU portent sur les populations autochtones : (a) le Rapport de l’OIT sur les conditions de vie et de travail des populations autochtones dans les pays indépendants, 1953; (b) Discrimination raciale, 1971, document de l’ONU E/CN.4/sub.2/307/Rev.1; et (c) le Rapport sur le problème de la discrimination à l’égard des populations autochtones, 1986, document de l’ONU E/CN.4/Sub.2/1986/7 et Add.1 à 4.

  6. L’Organisation des États américains a lancé un processus visant à préparer un projet de déclaration américaine des droits des peuples autochtones. Ce travail intéressant est malheureusement au point mort, mais les négociations semblent sur le point de reprendre.
Biographie

José Francisco Calí Tzay est membre du Comité sur l'élimination de la discrimination raciale depuis 2004. Il est également président du Conseil d'administration du Conseil international des traités indiens.

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