Chronique ONU

La décennie de l’inclusion des roms

Combattre la discrimination raciale par le biais du développement

Par Iskra Kirova

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L'article

La Décennie de l’inclusion des Roms est une initiative de pays européens sans précédent qui réunit les gouvernements ainsi que les organisations intergouvernementales et non gouvernementales afin d’éradiquer la discrimination raciale et d’améliorer la situation de la communauté marginalisée la plus peuplée. La Décennie 2005-2015 présentera une approche d’intégration globale à long terme1. Cette initiative montre comment le développement humain peut permettre de mettre fin à la discrimination raciale. Elle vise à maximiser les ressources afin d’améliorer la situation économique et sociale des Roms tout en examinant les stéréotypes raciaux et la discrimination auxquels ils sont confrontés. Le but de la Décennie est d’intégrer les Roms en tant que membres à part entière de la société, afin qu’ils jouissent des mêmes opportunités que les populations majoritaires.

L’initiative a été lancée le 2 février 2005 à Sofia, en Bulgarie, où les Premiers ministres des gouvernements participants – Bulgarie, Croatie, Hongrie, Monténégro, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovaquie et l’ancienne République yougoslave de Macédoine – ont signé la Déclaration de la Décennie, avec l’engagement de « travailler pour éliminer la discrimination et combler les écarts inacceptables entre les Roms et le reste de la société2 ». Les organisations internationales partenaires comprennent la Banque mondiale, l’Open Society Institute (OSI), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ainsi que plusieurs organisations rom. La Décennie a également reçu le soutien de la Commission européenne, qui est membre du Comité directeur international (CDI).

La Décennie est née d’une conférence régionale de haut niveau, « Les Roms dans une Europe en expansion : les défis pour l’avenir », organisée par la Hongrie en 2003. Les Roms constituent l’un des groupes de minorités ethniques les plus importants en Europe et représentent la plus grande minorité au sein de l’Union européenne élargie (UE). Selon les experts, entre 6,8 et 8,7 millions de Roms vivent en Europe aujourd’hui, avec près de 68 % dans les pays nouveaux membres de l’UE ainsi que dans les États candidats de l’Europe centrale, de l’Est et des Balkans3. Bien qu’ayant habité sur ces terres depuis un millénaire, les communautés roms continuent de faire face quotidiennement à la discrimination raciale et à l’exclusion. Un rapport de la Commission européenne, établi en 2004, a placé le traitement des Roms parmi les questions politiques, sociales et des droits de l’homme les plus urgentes auxquelles l’Europe est confrontée4.

Dans la plupart des pays comptant une population importante de Roms, l’insécurité économique et l’instabilité politique ont contribué à la marginalisation des minorités et ont donc eu un effet négatif sur les communautés roms. Les différences culturelles ont renforcé les préjugés à leur égard. Les cadres juridiques établis aux Nations Unies et dans l’Union européenne pour lutter contre la discrimination, ainsi que les exigences fixées pour l’accession à l’Union européenne des pays candidats – connues sous le nom de Critères de Copenhague, selon lesquels un pays candidat doit, entre autres, garantir le respect et la protection des droits des minorités — n’ont pas donné pour l’instant des résultats concrets pour lutter contre la marginalisation et la discrimination des communautés roms. Aujourd’hui, la plupart des Roms sont exclus des sociétés où ils vivent. Ils se retrouvent dans des quartiers roms, fréquentent des écoles ou des classes roms et font souvent l’objet de contrôles de police5. Dans un rapport récent du PNUD, les Roms étaient décrits comme le groupe le plus touché par la pauvreté en Europe et victime de la discrimination dans le domaine de l’éducation, de l’accès à l’emploi, de la sécurité personnelle (physique), de l’accès au logement et de la santé6. Se renforçant mutuellement, la discrimination et l’échec du développement dans ces secteurs forment un cercle vicieux qui engendre l’exclusion généralisée des Roms.

Le cadre juridique international comporte de nombreuses dispositions interdisant toutes les formes de discrimination raciale directe ou indirecte. Parmi les instruments juridiques internationaux se rapportant aux Roms figurent la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, ainsi que les Directives de l’Union européenne relatives à l’égalité raciale et en matière d’emploi. La plupart des pays avec des populations roms importantes ont établi des bases légales garantissant leurs droits. Tous les pays membres de l’UE participant à la Décennie – Bulgarie, Hongrie, République tchèque, Roumanie et Slovaquie – ont transposé la Directive européenne relative à l’égalité raciale dans la législation nationale. Les pays candidats de l’UE, tout en étant à la traîne pour mettre en œuvre la législation contre la discrimination fondée sur les directives de l’UE, ont introduit la protection contre la discrimination, valeur essentielle mais pas toujours complète. Il est cependant de plus en plus clair que la discrimination ne peut pas être éliminée seulement avec des lois, mais qu’elle doit être associée à des mesures visant à améliorer la situation socio-économique des Roms. En d’autres termes, le cadre des droits de l’homme doit être complété par des opportunités de développement pour les segments de la population exposés à la discrimination.

En 2002, le PNUD a mené une enquête sur la situation des Roms en Bulgarie, en République tchèque, en Hongrie, en Roumanie et en Slovaquie. Le rapport régional sur le développement humain qui a suivi, Éviter le piège de la dépendance, a fait valoir que la discrimination était à la fois une cause et une conséquence du manque d’opportunités en matière d’emploi7. L’application de la loi contre la discrimination est donc une condition nécessaire mais insuffisante pour répondre aux problèmes que rencontrent les Roms dans ces pays. Sans opportunités de développement, les garanties légales d’égalité resteront dérisoires et à long terme pourraient renforcer l’exclusion. Selon le rapport, les droits de l’homme sont directement liés au développement. Ses recommandations sur la pauvreté et la réalisation des autres Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) se rapportant aux Roms ont servi de base à la Décennie. Le CDI, qui constitue l’organe de décision et de coordination le plus important de la Décennie composé de représentants des gouvernements, des organisations internationales partenaires et des Roms, a identifié quatre champs d’action prioritaires – l’éducation, l’emploi, la santé et le logement – ainsi que trois problématiques transversales – la discrimination, la pauvreté et la question du genre.

Le manque d’opportunités d’emploi est considéré comme la cause majeure de la pauvreté et de l’exclusion dont sont victimes les Roms7. Dans les rapports du PNUD, l’appartenance ethnique, la crise économique dans le pays et le manque de compétences professionnelles étaient considérés comme les causes principales du non-accès à l’emploi. En d’autres termes, la discrimination raciale n’est pas la seule raison expliquant les taux de chômage élevés parmi les Roms, leur manque de compétences professionnelles et leur niveau d’éducation étant aussi un lourd handicap dans une économie hautement compétitive. Le manque de compétitivité sur le marché du travail est souvent dû à des pratiques discriminatoires qui limitent l’accès à l’éducation. Inversement, l’exclusion de l’enseignement est liée à la participation des enfants aux activités génératrices de revenus, au manque de modèles identificatoires et de soutien à l’environnement social et à d’autres facteurs liés à la pauvreté. Comme on le voit, les Roms sont pris dans un cercle vicieux, confrontés à la discrimination et aux problèmes de développement. Dans le cycle de la pauvreté qui engendre la détérioration de l’éducation, des conditions de vie, des services de santé et des opportunités d’emploi, la discrimination est à la fois une conséquence et une cause principale de l’exclusion.

Selon le rapport du PNUD, la pauvreté, une des causes majeures de l’exclusion et de la ségrégation, avive les tensions raciales. Les niveaux de pauvreté élevés et le manque d’accès à l’emploi laissent les ménages très dépendants de l’aide sociale, qui est souvent leur principale source de revenus. En même temps, la participation des Roms à l’économie étant limitée, peu d’entre eux paient les cotisations de sécurité sociale nécessaires pour financer ces bénéfices. Leur participation « asymétrique » aux systèmes de protection sociale peut exacerber l’intolérance vis-à-vis d’eux et accroître l’exclusion. Ici aussi, les politiques du développement durable pevent apporter des réponses.

Toujours selon le rapport, les initiatives doivent se démarquer de l’approche traditionnelle à l’inclusion sociale qui met l’accent sur les violations des droits humains et civils ou sur l’augmentation des aides sociales en faveur des groupes marginalisés. Au contraire, des mesures d’anti-discrimination et d’inclusion devraient être mises en place par le biais de programmes de développement durable, apportant des solutions réalisables qui ne nécessitent pas une prise en charge constante et qui peuvent être approuvées par les populations majoritaires7. Il est aussi souligné que la mise en place d’un soutien important social aux politiques gouvernementales et une lutte efficace contre les tensions ethniques nécessitent à la fois la participation des communautés Roms et des autres communautés en tant que partenaires du processus du développement. Le développement ne devrait pas être seulement considéré sous l’angle d’une approche étroite fondée sur les groupes mais aussi sous l’angle d’une approche vaste incluant tous les secteurs vulnérables de la société.

Ces recommandations ont été confirmées par une enquête récente sur la Décennie réalisée à la demande de l’OSI et de la Banque mondiale afin d’évaluer les causes de la discrimination à laquelle font face les Roms. Les résultats montrent que les personnes interrogées, tant les Roms que le reste de la population, ont insisté pour que la Décennie réponde aux besoins et aux problèmes des autres citoyens de la région souffrant de désavantages sociaux et économiques semblables. Les programmes privilégiant les Roms étaient perçus comme contre-productifs à la fois par les Roms et par le reste de la population, susceptibles d’accroître à long terme la discrimination et les hostilités à l’égard des Roms8.

Les politiques traitant de la discrimination par le biais du développement accroissent les perspectives de succès car elles sont aussi en synergie avec les engagements internationaux des neuf gouvernements participants dans le cadre de divers mécanismes politiques et socio-économiques. Ces politiques peuvent être soutenues par les fonds structurels de l’UE et mettre en place des mesures dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne de l’UE afin de créer une société fondée sur la connaissance selon les principes de la croissance économique durable et de la cohésion sociale avec, comme objectif ultime, de « moderniser le modèle social européen en investissant dans les ressources humaines et en construisant un État-providence efficace »9. La réalisation d’une telle cohésion sociale est impossible si les besoins des communautés les plus vulnérables ne sont pas satisfaits. En outre, ces politiques sont vitales pour atteindre les OMD et peuvent être mises en œuvre dans le cadre des stratégies nationales de développement basées sur les OMD.

En fin de compte, comme l’ont montré les données de l’enquête réalisée par le PNUD7, les Roms eux-mêmes perçoivent la situation des droits de l’homme sous l’angle des opportunités de développement, se montrant plus concernés par un meilleur accès à l’éducation et à l’emploi que par la dimension légale ou politique de ces domaines. Une approche globale et intégrée est nécessaire pour traiter ces problèmes interdépendants. Les campagnes contre la discrimination visant à lutter contre les préjugés existants devraient être associées à des stratégies nationales d’éducation et d’emploi afin de fournir des exemples de réussite professionnelle et personnelle parmi les membres de la communauté rom. Comme l’a recommandé le PNUD ces dernières années, « les problèmes socio-économiques que rencontrent les Roms dans la région nécessitent une approche qui place les droits humains et civils de ces populations dans un cadre analytique plus large. […] Sans l’accès au développement, les droits de l’homme ne sont pas complets. »10

Notes

  1. Le terme Roms désigne les romanichels, les tziganes et les gens du voyage, les Sinti et les autres groupes considérés comme des gitans.

  2. Déclaration de la Décennie de l’inclusion des Roms 2005-2015 à http://www.romadecade.org/index.php?content=77

  3. Liégeois, J.P. 1994. Roms, tziganes, gens du voyage, Strasbourg : division de la presse du Conseil d’Europe.

  4. Commission européenne, direction générale de l’emploi et des affaires sociales, La situation des Roms dans une Union européenne élargie (Luxembourg : Bureau des publications officielles des communautés européennes, 2005).
    Ibid.

  5. Voir aussi PNUD, At Risk: Roma and the Displaced in Southeast Europe (Bratislava : Bureau régional pur l’Europe et le Commonwealth des États indépendants, 2006).
    Open Society Institute Justice Initiative, “I Can Stop and Search Whoever I Want”. Police Stops of Ethnic Minorities in Bulgaria, Hungary, and Spain (New York: Open Society Institute, 2007).

  6. PNUD, At Risk: Roma and the Displaced in Southeast Europe (Bratislava, 2006).

  7. PNUD, Éviter le piège de la dépendance (Bratislava : Bureau régional pur l’Europe et le Commonwealth des États indépendants, 2002).

  8. Open Society Institute, Current Attitudes Toward the Roma in Central Europe: A Report of Research with non-Roma and Roma Respondents (Budapest: Roma Initiatives Office, 2005).

  9. Conseil européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000.

  10. PNUD, Éviter le piège de la dépendance (Bratislava, 2002).

Voir aussi PNUD, Intégrer les droits de l’homme au développement durable (New York : publications des Nations Unies, 1998).

PNUD, Droits de l’homme et développement (New York : publications des Nations Unies, 2000).

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