Chronique ONU

Le long chemin jusqu’à Durban

Le rôle des Nations Unies dans la lutte contre le racisme et la discrimination raciale

Par Peter Jackson et Mathieu Faupin

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L'article

Depuis sa création en 1945, l’Organisation des Nations Unies a mené un combat sans relâche contre le racisme et la discrimination raciale, prenant comme cadre le préambule de la Charte sur la question des droits de l’homme : « Nous les peuples des Nations Unies, résolus […] à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, et […] à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage. »
PHOTO ONU/MILTON GRANT

La Charte venait à peine d’être adoptée quand les Nations Unies ont été appelées à honorer cette intention déclarée et à traiter la question du racisme, l’une des premières questions relatives aux droits de l’homme dont ait été chargée une organisation internationale.
Le 22 juin 1946, près d’un an après la signature de la Charte et neuf mois après sa mise en vigueur, l’Inde a attiré l’attention de l’Assemblée générale sur le traitement des populations d’origine indienne en Afrique du Sud et a demandé que cette question soit inscrite à l’ordre du jour de la première session de l’Assemblée. L’Afrique du Sud a vivement protesté, affirmant qu’en vertu de l’article 2 de la Charte de l’ONU, cette affaire relevait de la compétence nationale, mais l’Assemblée a rejeté sa requête.

Le 7 décembre 1946, le débat a eu lieu pour examiner cette question. Dans la résolution 44 (I), la première concernant cette question, l’Assemblée a affirmé que le traitement des Indiens en Afrique du Sud devait être en conformité avec la Charte de l’ONU. En 1947, aucune résolution n’a pu être adoptée, faute d’avoir obtenu la majorité des deux tiers, forçant l’Inde à renouveler sa requête devant l’Assemblée en 1948. De 1948 et jusqu’au 23 juin 1994, date à laquelle ce point a été retiré de l’ordre du jour, l’Assemblée a examiné cette question chaque année, l’étendant le 17 octobre 1952 à la question globale de l’apartheid en Afrique du Sud. En décembre 1948, elle a étoffé la déclaration sur les droits de l’homme dans le préambule de la Charte en adoptant la Déclaration universelle des droits de l’homme, un ensemble de normes internationales par lesquelles les pays reconnaissent que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». La Déclaration, ainsi que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée également en décembre 1948, ont fait prendre conscience à la communauté internationale de la nécessité de promouvoir le respect de ces droits et de ces libertés. En mars 1948, le Conseil économique et social de l’ONU a demandé à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) de réunir et de diffuser les données concernant les questions raciales dans le monde entier et de préparer une campagne de sensibilisation fondée sur les informations recueillies.

Même si la situation en Afrique du Sud a joué un rôle de catalyseur en amenant l’Assemblée générale à aborder la question du racisme et a dominé ce débat pendant des décennies, ce n’était pas la seule question raciale portée à l’attention de l’Organisation mondiale. En 1948, lors de sa troisième session, l’Union soviétique a demandé que la situation des populations aborigènes, en particulier en Amérique du Nord et du Sud, soit examinée dans le cadre général de la lutte contre la discrimination raciale et la protection des minorités nationales. Dans la résolution 275 (III) de décembre 1948, l’Assemblée a recommandé, à la demande des pays concernés, l’étude des problèmes sociaux concernant ces populations et les groupes sociaux sous-évolués du continent américain.

En 1952, l’Assemblée a élargi la question en incluant les plaintes de plusieurs États Membres, organisations et particuliers dénonçant la discrimination raciale dans les territoires non autonomes. S’appuyant sur les rapports annuels du Comité de l’information de l’ONU, l’Assemblée a aussi examiné cette question chaque année. Le 2 décembre 1950, en vertu de la résolution 395 (V), elle a déclaré que « toute politique de ‘ségrégation raciale’ (apartheid) repose forcément sur les principes de discrimination raciale » et a institué une Commission de trois membres chargée d’examiner la situation raciale dans l’Union sud-Africaine. Pendant ce temps, en réaction à la pression exercée par l’Organisation sur sa politique raciale, l’Afrique du Sud s’est retirée de l’UNESCO en protestation et, à partir du 27 novembre 1956, a réduit sa représentation dans les réunions de l’Assemblée. Alors que la Déclaration universelle des droits de l’homme n’est pas contraignante pour les États Membres, l’Assemblée, reconnaissant la nécessité d’adopter des mesures plus fermes, a prié le Conseil économique et social, dans la résolution 1780 (XVII) du 7 décembre 1962, de demander à la Commission des droits de l’homme de préparer un projet de déclaration et de convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Le système de l’ONU a continué d’exercer des pressions sur l’Afrique du Sud. Dans sa résolution 123 du 1er avril (1960), le Conseil de sécurité a demandé au gouvernement de mettre fin à ses politiques d’apartheid et de discrimination raciale. Il a demandé au Secrétaire général Dag Hammarskjöld de prendre les mesures nécessaires pour que le pays se conforme aux objectifs et aux principes de la Charte de l’ONU. Celui-ci s’est rendu en Afrique du Sud en janvier 1961. Le 29 juin 1962, l’Organisation internationale du Travail a voté pour la résolution appelant le retrait de l’Afrique du Sud de l’Organisation. Dans la résolution 1761 (XII) de 1962, l’Assemblée a demandé aux États membres de prendre des mesures spécifiques pour amener l’abandon de l’apartheid, y compris en rompant leurs relations diplomatiques et commerciales avec l’Afrique du Sud et en fermant leurs ports aux navires sud-africains. Elle a également créé le Comité spécial chargé d’étudier la politique d’apartheid du gouvernement de la République sud-africaine (plus tard rebaptisé le Comité spécial contre l’apartheid). En 1968, l’Assemblée a demandé à tous les États et organisations de « suspendre tous les échanges à caractère culturel, éducatif ou sportif et autres avec le régime raciste et avec les organisations ou les institutions » du pays. En novembre 1971, dans la résolution 2775D (XXVI), elle a appelé à un boycott des équipes sportives sélectionnées en violation du principe olympique de non-discrimination. Le Conseil de sécurité, pour sa part, a adopté les résolutions 181 (1963) et 182 (1963) demandant à tous les gouvernements d’appliquer intégralement l’embargo sur les armements contre l’Afrique du Sud.

Afrique du Sud, avril 1994.
Nelson Mandela vote au lycée d’Ohlange, près de Durban, en Afrique du Sud, lors des premières élections multiraciales.
PHOTO ONU/Chris Sattlberger

L’ONU a continué d’intensifier les mesures pour combattre le racisme, la discrimination, l’apartheid, le nazisme et l’intolérance raciale. Le 20 novembre 1963, l’Assemblée générale a adopté la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, par laquelle elle « a affirmé solennellement la nécessité d’éliminer rapidement toutes les formes et toutes les manifestations de discrimination raciale partout dans le monde et d’assurer la compréhension et le respect de la dignité de la personne humaine ». Le 21 décembre 1965, l’Assemblée a adopté à l’unanimité, en vertu de la résolution 2106A (XX), la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui décrit la nature de la discrimination raciale et établit des mesures destinées à l’éliminer, et a créé le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale pour surveiller son application.

Le 26 octobre 1966, par la résolution 2142 (XXI), l’Assemblée a proclamé le 21 mars, anniversaire du massacre de Sharpeville en 1960 en l’Afrique du Sud, Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, qui sera célébrée tous les ans. Le 11 décembre 1969, elle a désigné 1971 l’Année internationale de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, 1973-1983 la Décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale et a approuvé le Programme d’action pour la décennie. Le 30 novembre 1973, l’Assemblée a désigné l’apartheid comme crime en adoptant la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. 75 États ou territoires l’ont ratifiée ou y ont adhéré en décembre de cette même année.

Toutefois, la question la plus controversée fut l’adoption le 10 novembre 1975 de la résolution 3379 (XXX) assimilant « le sionisme à une forme de discrimination raciale ». En conséquence, plusieurs États ont retiré leur soutien aux activités devant être entreprises dans le contexte de la Décennie, notamment le soutien financier destiné à la convocation d’une conférence mondiale. Néanmoins, la Première Conférence mondiale contre le racisme et la discrimination raciale a eu lieu à Genève du 14 du 25 août 1978 et a réuni 125 États, différentes organisations internationales et des observateurs. La Conférence a adopté le Programme d’action en vue de la promotion des objectifs de la Décennie. Ce Programme a donné lieu à des désaccords, car il contenait des références inacceptables pour de nombreux États Membres et groupes régionaux, en particulier la disposition condamnant les « relations existantes et de plus en plus fréquentes entre l’État sioniste d’Israël et le régime raciste d’Afrique du Sud ». Il faisait également référence à l’« expulsion des Palestiniens de leur patrie, la pratique de la discrimination raciale envers ceux-ci et leur droit à l’autodétermination ». De plus, la question du racisme et celle de l’autodétermination des peuples étaient de plus en plus considérées comme liées entre elles. En Afrique, en particulier, ces deux questions étaient inséparables, non seulement en Afrique du Sud, mais aussi en Rhodésie du Nord, en Namibie et dans d’autres territoires portugais.

Malgré plusieurs actions concertées des organisations de l’ONU, le Comité spécial sur l’apartheid a rapporté en 1982 que 30 après que la question raciale en Afrique du Sud avait été portée à l’attention de l’Assemblée générale, l’oppression avait augmenté : plus de 3 millions de Noirs avaient été expulsés de leurs maisons et 13 millions arrêtés dans le cadre des « lois relatives aux laissez-passer » qui limitaient les déplacements en dehors des zones réservées, et le gouvernement avait pris de mesures pour retirer la citoyenneté à 7 millions de personnes dans le cadre de sa politique des Bantustans, « régions indépendantes » où étaient cantonnés les Noirs. Non seulement l’Assemblée a déclaré 1982 l’Année internationale de mobilisation pour des sanctions contre l’Afrique du Sud, mais, avec le Conseil de sécurité, a demandé la clémence pour les leaders du Congrès national africain condamnés à mort. Le 10 décembre 1985, l’Assemblée a adopté et ouvert à la signature la Convention internationale contre l’apartheid dans les sports.

En 1983, les Nations Unies ont tenu à New York du 21 au 25 mars la Deuxième Conférence mondiale de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, afin d’évaluer les progrès accomplis durant la Première Décennie et de fixer de nouvelles mesures, quand cela était nécessaire. La Conférence a adopté une Déclaration et un Programme d’action, que l’Assemblée a approuvés par la résolution 38/14, jetant ainsi les bases pour la Deuxième Décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination (1983-1993). À la lumière des travaux de la Commission des droits de l’homme, elle a également adopté une résolution sur les mesures à prendre contre les activités nazies, fascistes et néo-fascistes et contre les autres formes d’idéologies et de pratiques totalitaires fondées sur l’intolérance raciale, la haine et la terreur.

Toutefois, en 1993, à la fin de la Deuxième Décennie, de nombreuses activités envisagées pour mettre en œuvre le Programme d’action n’étaient pas réalisées faute de ressources financières suffisantes. L’Assemblée, en adoptant la Troisième Décennie (1993-2003), a noté que malgré les efforts de la communauté internationale, les principaux objectifs des deux premières Décennies n’avaient pas été atteints et que des millions de personnes continuaient d’être victimes du racisme, de la discrimination raciale et de l’apartheid. Le Programme a mis l’accent sur les mesures à prendre pour éliminer complètement l’apartheid et soutenir l’instauration d’une Afrique du Sud unie, non raciale et démocratique. Il est intéressant de noter qu’aucune référence n’était faite au sionisme et à la question palestinienne, questions qui avaient donné lieu à des désaccords importants lors de l’adoption de la Deuxième Décennie. Le 16 décembre 1991, dans la résolution 46/86, l’Assemblée a décidé d’annuler la conclusion contenue dans la résolution de 1975, qui assimilait le sionisme à une forme de racisme et de discrimination raciale.

Les efforts fermes et soutenus déployés par le système de l’ONU et la communauté internationale ont porté leurs fruits, quand en 1994, l’Afrique du Sud est devenue une nation unie, démocratique et non raciale, avec la mise en vigueur d’une nouvelle constitution provisoire qui garantissait le suffrage universel à tous les Sud-Africains. Le pays a organisé ses premières élections démocratiques en avril, remportées par le Congrès national africain dont le leader Nelson Mandela est devenu le premier Président d’une nouvelle Afrique du Sud non raciale. La question de l’élimination de l’apartheid, qui était à l’ordre du jour de l’Assemblée depuis 1946, a été retirée et le Comité spécial contre l’apartheid a été dissous. Le Conseil de sécurité a retiré l’embargo sur les armements et mis fin à toutes les mesures qu’il avait imposées contre l’Afrique du Sud. Le mandat de la Mission des Nations Unies en Afrique du Sud a également pris fin.

Toutefois, après la fin de l’apartheid, le racisme a continué d’être à l’ordre du jour des Nations Unies. Par le biais de son Rapporteur spécial, l’Organisation mondiale a continué d’examiner les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale et de toute forme de discrimination contre les Noirs, les Arabes et les Musulmans, la xénophobie, la négrophobie, l’antisémitisme et l’intolérance qui y est associée, ainsi que les mesures gouvernementales pour y remédier. Du 31 août au 8 septembre 2001, la troisième Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée a eu lieu à Durban, en Afrique du Sud. La Déclaration et le Programme d’action de Durban ont engagé les États à combattre toutes les formes de racisme et également reconnu que l’esclavage et la traite des esclaves étaient un crime contre l’humanité et contribuaient au racisme. Le Programme a été consacré à la mise en place de mesures de prévention, d’éducation et de protection, y compris la création d’un groupe de cinq experts indépendants éminents chargé du suivi de l’application de la Déclaration. En 2003, l’Assemblée a clôturé la Troisième Décennie et mis l’accent sur la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Durban en tant que base solide à un consensus élargi visant à renforcer l’action menée pour éliminer le racisme. Malgré les progrès accomplis, la question de la discrimination raciale continue d’être une préoccupation majeure de l’ONU, en particulier de ses organismes des droits de l’homme, alors qu’elle cherche des moyens d’endiguer l’intolérance, qui a tendance à s’intensifier actuellement, et de lutter contre la haine raciale alors qu’elle se manifeste de nouvelles façons.

Biographie

Peter Jackson est rédacteur en chef de l’Annuaire de l’ONU, service relevant du Département de l’information, qui publie chaque année l’Annuaire des Nations Unies, l’ouvrage de référence le plus complet sur les activités de l’Organisation. Mathieu Faupin est stagiaire dans ce service.

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