Chronique ONU

Au-delà de la déclaration de Durban

L’importance de la discrimination raciale dans l’ordre du jour des droits de l’homme

Par Louise Arbour

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L'article

La non-discrimination remonte à l’origine du concept des droits de l’homme. L’histoire des droits de l’homme a été marquée par le refus de différencier les individus selon leur origine nationale, ethnique ou sociale, la religion et le sexe, ainsi que par la lutte contre l’esclavage. Depuis la création des Nations Unies, la communauté internationale a adopté un cadre général visant à éradiquer la discrimination raciale, de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 1965 à la Déclaration et au Programme d’action de Durban en 2001. Ce cadre exprime clairement l’ordre du jour commun pour la mise en œuvre des deux principes de l’égalité et de la non-discrimination.
Durban, Afrique du Sud, 2001. Une jeune fille australienne autochtone plante des silhouettes peintes en forme de main lors du Forum des ONG de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Chaque main représente un Australien qui a signé une déclaration soutenant la réconciliation avec les Australiens autochtones ainsi que leurs droits à la terre.
UNICEF/Giacomo Pirozzi

En 2001, à Durban, en Afrique du Sud, la communauté internationale a organisé la troisième Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée afin de répondre à l’apparition et à la persistance de la discrimination dans ses formes et ses manifestations contemporaines plus subtiles. Les participants ont attiré l’attention sur les racines historiques et culturelles du racisme. Ils ont cherché les moyens de traiter les formes contemporaines de racisme et ont convenu de la nécessité de mettre en place des plans d’action nationaux et des lois nationales plus strictes et d’augmenter l’aide juridique aux victimes de la discrimination raciale. Ils ont souligné l’importance de trouver des solutions adéquates et d’adopter des mesures de discrimination positive pour les victimes et ont proposé un large éventail de mesures éducatives et de sensibilisation. Ils ont également proposé des mesures pour assurer l’égalité dans les domaines de l’emploi, de la santé et de l’environnement, ainsi que des actions pour lutter contre le racisme dans les médias, notamment sur l’Internet. Tous ces éléments ont été inclus dans une Déclaration et un Programme d’action globaux et orientés vers l’action qui offrent à la communauté internationale un cadre général d’action pour combattre la discrimination et réaliser des progrès dans ce domaine.

Pourtant, malgré un cadre légal satisfaisant et des directives, la communauté internationale est loin d’avoir vaincu le fléau du racisme, qui étend ses tentacules de manière subtile et insidieuse. On dispose de nombreuses informations facilement disponibles indiquant le manque d’efficacité des normes et des programmes internationaux. Les données, qui indiquent que les groupes d’origine africaine, les minorités ethniques et religieuses et les populations autochtones sont surreprésentés parmi les personnes arrêtées ou incarcérées et que le nombre de décès durant leur détention est élevé, prouvent leur impact limité.
Nous notons avec inquiétude l’action souvent trop lente de la police, des procureurs et de la justice pénale à mener des enquêtes et à punir les actes de discrimination raciale, ce qui conduit souvent à l’impunité totale ou partielle des auteurs. Nous sommes également préoccupés par le manque fréquent de solutions offertes aux victimes pour obtenir des compensations et rétablir le respect de leurs droits. Bien que le droit à l’éducation soit reconnu par tous, les enfants autochtones, en particulier les filles, n’ont pas un accès adéquat à l’éducation. Dans de nombreuses parties du monde, les communautés de minorités sont les cibles d’abus et sont de plus en plus exposées aux mesures de lutte contre le terrorisme qui sont mal ciblées. Les formes multiples de la discrimination fondée sur le sexe, la race et la religion, ont également entraîné des restrictions des droits des migrants. L’interaction de ces différentes formes de discrimination donne naissance à des modèles d’exclusion, à des désavantages et à des abus qui se renforcent mutuellement et affectent tous les domaines de la vie publique, allant des conditions sur les lieux de travail à l’accès aux services sociaux, en passant par la justice, l’éducation, le logement, les soins de santé et la participation aux processus de prises de décision.

La suspicion envers tout ce qui est différent est à la base de ces problèmes. La discrimination, l’exclusion et l’inégalité reflètent des identités et des intérêts sociaux qui, selon les cas, reposent sur des motifs comme le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les idées politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou le statut. Ces facteurs continuent de renforcer les préjugés. Les idées racistes et xénophobes trouvent une nouvelle légitimité et une nouvelle vigueur quand elles sont invoquées pour soutenir les plates-formes politiques réactionnaires qui visent à attiser le sentiment populaire contre les migrants, les demandeurs d’asile et les groupes minoritaires.

Selon le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance qui y est associée, la résistance intellectuelle et politique au multiculturalisme et la remise en question de l’identité nationale qu’il suscite sont les causes majeures de la résurgence de la violence raciste et xénophobe. Le refus de la diversité est le facteur principal de cette montée du racisme et de la xénophobie et se manifeste de plus en plus par l’intolérance envers les symboles et les expressions culturels qui définissent l’identité des différentes communautés ethniques, culturelles et religieuses, et parfois même leur interdiction. La résurgence des discours antisémites et anti-islamiques est particulièrement préoccupante.

Pour éradiquer ces pratiques ignobles, il est impératif de rectifier les déséquilibres qui entravent la vie des groupes marginalisés et vulnérables, par le biais d’actions globales qui traitent des multiples aspects de l’exclusion, ainsi que par une réforme de l’administration de la justice afin de réduire les écarts en matière d’égalité. L’exclusion sociale, dans son sens le plus large, peut être définie comme l’incapacité d’une personne à participer à la vie politique, sociale et économique de la société dans laquelle elle vit. La pauvreté, qui enferme des millions de personnes dans un cycle d’exclusion et de discrimination, est à la base de ces problèmes.

Il est urgent de trouver les moyens de faciliter l’inclusion des groupes marginalisés dans les domaines politiques, économiques, sociaux et culturels de la société afin de faire progresser la réalisation des droits de l’homme, comme stipulé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux des droits de l’homme. Une politique fondée sur les droits de l’homme doit orienter les programmes dans tous les secteurs comme la santé, l’éducation, la gouvernance, la nutrition, l’eau, l’assainissement, le VIH/sida, l’emploi, les relations sociales et la sécurité sociale et économique. Les politiques d’inclusion sociale ont un impact direct sur le bien-être des gens et devraient permettre de réduire la pauvreté, de promouvoir la croissance et d’améliorer la stabilité et la cohésion sociales. La stigmatisation et la discrimination doivent être combattues par des lois et des mesures positives.

Premièrement, il est essentiel de créer un cadre légal pour lutter contre la discrimination, mais il est aussi important de promouvoir et de mettre œuvre ces instruments. Deuxièmement, et cela est probablement le point le plus important, des mesures doivent être prises pour donner une voix ainsi qu’un plus grand poids politique dans l’agenda national aux groupes exclus, afin de changer les stéréotypes et les préjugés, de promouvoir la solidarité, la cohésion sociale et une culture de tolérance et de diversité.

Tout aussi important, nous devons combattre toutes les formes d’intolérance en célébrant les diversités et les différences qui enrichissent l’humanité. Mais nous devons aussi œuvrer à réduire les différences qui sont imposées plutôt que choisies, qui sont des sources de privation plutôt que de réalisation, et qui alimentent un discours xénophobe sur le mérite des individus fondé sur des stéréotypes liés à leur race, leur religion ou leur origine ethnique. Surtout, nous devons veiller à ce qu’aucune légitimité ne soit accordée au discours raciste public. En encourageant la tolérance et une meilleure compréhension entre et parmi les communautés, l’éducation nous permet de nous libérer de la partialité et des préjugés et de promouvoir le respect et l’appréciation d’autres cultures, religions et traditions. L’éducation est surtout le meilleur moyen d’autonomisation et nous devrions veiller à ce qu’elle soit accessible à ceux qui sont les cibles de l’intolérance et de la violence en partie parce qu’ils sont sans pouvoir d’action.

Les autres mesures visant à promouvoir l’égalité nécessite des actions envisagées au niveau local, parfois même au niveau des collectivités. La protection de toutes les minorités ainsi que les droits des populations autochtones et des réfugiés sont particulièrement importants dans ce contexte. L’accès à la justice est crucial. Les institutions légales, notamment l’administration de la justice, doivent être particulièrement attentives aux stéréotypes et doivent s’interroger sur certaines de leurs pratiques qui peuvent engendrer la discrimination, même si elles ne sont pas intentionnellement discriminatoires. Nous devons adopter une approche et un agenda communs pour éradiquer la discrimination raciale. Heureusement nous en avons un :

la Déclaration et le Programme d’action de Durban qui engagent les États à travailler ensemble et offrent des initiatives et des solutions communes pour lutter contre le racisme.
Les États Membres ont la responsabilité première d’assurer le mise en œuvre du droit à l’égalité et à la non-discrimination. Leur participation dans l’élaboration de directives antidiscrimination établies par la Conférence mondiale en 2001 a créé des attentes qui ne pourront être satisfaites que par une action déterminée et concertée. C’est par la mise en œuvre de la Déclaration et du Plan d’action de Durban que le vrai succès de la Conférence sera mesuré. Pour évaluer les progrès, les Nations Unies ont appelé à une Conférence d’examen de Durban qui aura lieu en 2009. La Conférence d’examen devrait être une plate-forme permettant à toutes les parties prenantes, allant des États Membres aux organisations de la société civile, en passant par les Nations Unies et d’autres organisations internationales et régionales de renouveler leur détermination et leur engagement à combattre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Elle devrait être un forum de discussion sur les initiatives et solutions à mettre en œuvre pour lutter efficacement contre ces fléaux. Elle devrait aussi permettre à la communauté internationale d’identifier et d’examiner une par une les raisons pour lesquelles, malgré les lois et les programmes établis précédemment, nous n’avons pas accompli de progrès notables dans l’éradication des pratiques résultant de l’intolérance raciale, et d’adopter des solutions concrètes pour y remédier.

Biographie

Louise Arbour est Haute Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU depuis juillet 2004. Juge et avocate de renommée mondiale, elle a été juge à la Cour suprême du Canada avant de prendre ses fonctions à l’ONU. De 1996 à 1999, elle a été procureure générale des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Elle a également été juge de la Cour suprême de l’Ontario.

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