Chronique ONU

Développement durable et changement climatique

Un point de vue commercial

Par Herman Mulder

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L'article

Vingt ans après que le rapport Brundtland affirmait qu’il était dans l’intérêt de tous les peuples et de toutes les nations d’établir des politiques de développement durable, le rythme s’est enfin accéléré. Malgré les graves questions politiques et de sécurité que les hommes politiques s’efforcent de traiter avec efficacité, l’importance du développement durable dans le contexte mondial a été davantage reconnue et même généralisée dans certains pays au cours des deux dernières années.

Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les initiatives en matière de lutte contre la corruption et celles concernant les droits de l’homme et le changement climatique ont contribué à l’idée que non seulement une action collective entre les secteurs public et privé est nécessaire pour relever ces défis, mais aussi que le développement durable peut être lucratif pour les entreprises.

Les technologies d’information ont modifié notre monde qui est devenu « plus plat », plus petit et plus inclusif (même envahissant) n’offrant ni l’espace ni le temps de s’isoler. L’interconnectivité engendre une plus grande interdépendance et une plus grande volatilité - les différences culturelles, politiques et économiques sont de plus en plus visibles et donnent lieu à des tensions et à des conflits. Nous devons donc rétablir l’équilibre fragile de nos diverses existences, ce qui nécessite la remise à niveau et la révision des normes, directions, structures de gouvernance et priorités, ainsi que la participation active et la responsabilité partagée des pays « Asie + Est » en développement, résultant en une nouvelle forme de logique et de solidarité mondiale. « Nous ne pouvons plus faire cavalier seul ».

Vingt ans avant le rapport Brundtland, la course était lancée pour envoyer un homme sur la lune - nous y sommes allés, avons regardé en arrière et réalisé qu’il nous restait des choses importantes à faire sur Terre, alors que 9 milliards de personnes y vivront dans 50 ans, ce qui exercera de graves contraintes sur un capital naturel déjà appauvri. De plus, si le monde actuel peut être caractérisé comme « une majorité qui survit et une minorité qui accumule de la richesse et gaspille », il est cependant possible qu’au cours des 50 prochaines années - alors que la prospérité, la création de richesse dans le monde et la réalisation des OMD, d’un point de vue optimiste, sont anticipées - la recherche du profit devienne un élément moteur dominant, l’autonomisation et la création d’entreprises remplaçant la dépendance actuelle vis-à-vis de l’aide et de la philanthropie.

Cette nouvelle course pour créer un monde juste, pacifique et durable a commencé. Contrairement à la course à la lune qui a été financée par les gouvernements, la nouvelle course sera essentiellement financée par le secteur privé et soutenue par des cadres de réglementation et des incitations adéquats. Dans ce contexte, nous réalisons également que nos décisions en matière d’investissement, à la fois dans les secteur privé et public, sont fondées sur un certain nombre de préjugés : nous fonctionnons avec une « boussole économique déréglée ». Nos analyses ne prennent pas adéquatement en compte l’impact de nos décisions. Nous prenons des décisions erronées et surtout, souvent sans le savoir, faisons supporter les conséquences au reste de la société, aux générations futures ou à d’autres populations de cette planète plutôt que d’intégrer ces « paramètres externes » à notre  économie. Le problème des émissions de gaz à effet de serre (GES) est devenu une question urgente que les universitaires, les entreprises et les hommes politiques doivent examiner. En outre, le rôle de l’État-nation est en jeu. L’internationalisation et la dynamique de la société modifient la primauté de notre démocratie politique vers une forme de gouvernance plus globale, plus instantanée : « la démocratie du marché », le terme « marché » désignant les biens et les services offerts à tous les peuples, que ce soit dans leur rôle d’électeur, d’investisseur, de consommateur ou de travailleur.

Le rapport Brundtland a proposé une définition universelle du développement durable : c’est « le développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Si ces définitions sont utiles, elles varient selon les pays et les communautés. Pour l’Inde, les questions essentielles peuvent être la réduction de la pauvreté, l’eau ou la biodiversité. Pour le Brésil, il peut s’agir de la déforestation et de la pau-vreté, pour l’Afrique subsaharienne, l’eau et la paix;  pour de nombreux pays en développement, l’accès aux opportunités, à l’éducation, au financement et aux marchés; pour l’Union européenne (UE), les États-Unis et la Chine, il peut s’agir de la sécurité énergétique et du changement climatique. Au niveau mondial, la question du développement durable, c’est « l’égalité mondiale ».

L’heure n’est plus aux paroles mais à l’action. Il nous faut modifier nos styles de vie et nos comportements, réévaluer nos priorités environnementales et notre agenda commercial. Collectivement et individuellement, nous faisons tous partie de la solution. « Voir grand » certes, mais « commencer par se concentrer sur de petits projets à réaliser dans sa propre sphère d’influence » et « agir vite ». Faire sa propre analyse des impacts et agir en conséquence. Les gouvernements devraient offrir un environnement propice en mettant en place les structures de gouvernance adéquates, en influençant l’orientation des politiques, en supervisant l’établissement de cadres réglementaires, comportant des limites, incitations ou garanties, et en apportant un soutien technologique au stade initial, complété ensuite par des accords multilatéraux, les Nations Unies jouant un rôle essentiel en matière d’organisation. Les groupes de la société civile, les universités et les médias devraient participer à la sensibilisation du public et collaborer activement afin de trouver les meilleures solutions. La définition des principes de base devrait être intégrée dans le système d’éducation (comme les principes de la Charte de la Terre), dans les opérations commerciales (comme les principes du Pacte mondial) et dans les codes plus spécifiques de l’industrie. L’engagement actif de la « prochaine génération » est crucial.
L’élimination et le traitement des déchets peuvent produire des émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique mondial.
Philippe Rekacewicz, PNUE/GRID-Arendal
Le changement climatique est devenu important pour l’agenda du développement durable. Son impact et les besoins de mesures d’adaptation et d’atténuation vont au-delà des questions environnementales. Les effets qui sont prévus en font une question mondiale ainsi qu’une question morale, avec des conséquences importantes en matière de démographie, d’égalité mondiale et même de sécurité. Un rapport publié récemment par le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) a conclu que « les changements climatiques affectent aujourd’hui les systèmes physiques et biologiques sur tous les continents ». Le rapport du Groupe de travail III estime qu’il existe un potentiel économique important pour le commerce d’atténuation des émissions mondiales de gaz à effet de serre pendant les prochaines décennies, qui sont financièrement abordables par rapport au produit intérieur brut mondial. Cependant les impacts, et donc les besoins financiers, seront répartis inégalement dans le monde, le Sud étant plus affecté que le Nord, ce qui pose la question importante de l’« égalité » mondiale. Les gains obtenus dans le cadre des OMD seront perdus et les conséquences sur le commerce seront également considérables; les valeurs qui seront à risque sont les valeurs matérielles et les brevets technologiques ou s’appliquant à une situation donnée deviendront obsolètes.

Même si une grande partie des investissements publics est nécessaire pour répondre à ce défi mondial, il ne fait aucun doute que le secteur privé fait partie de la solution. Les entreprises doivent voir et verront la lutte contre les changements climatiques sous l’angle des opportunités. Il faudra mettre en place un cadre de réglementation couvrant un grand nombre de pays et de secteurs, qui donnera lieu à l’adoption d’une devise commune basée sur le marché : un prix de référence du carbone. Les opérations du Système d’échange des émissions de l’UE et le mécanisme de développement propre dans le cadre du Protocole de Kyoto ont offert des leçons précieuses pour un accord futur dans le cadre de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques. Les entreprises doivent également jouer un rôle actif dans la définition des actions politiques internationales et locales en faveur du climat.
Le rôle des entreprises est de « faire les meilleures affaires le mieux possible » d’abord dans l’intérêt de leurs clients et  dans celui de leurs actionnaires. Leur succès et leur compétitivité sont mesurés par le profit. Les marchés libéralisés leur permettent de réaliser leurs objectifs stratégiques et financiers. Les informations sur la structure de la gouvernance, l’orientation stratégique et la performance financière permettent aux marchés de juger de la valeur d’une entreprise. Mais les entreprises et le marché ne peuvent pas fonctionner dans le vide : il faut établir un cadre réglementaire clair et efficace où ils peuvent fonctionner. C’est un paradigme traditionnel et, avec un tel cadre, le financement ne devrait pas être un problème.

Mais les réglementations, les entreprises et les marchés sont-ils adaptés à cette fin ? Y a-t-il de nouvelles tendances qu’il faut examiner ? « La réalisation de profits par l’entreprise pour le seul bénéfice des actionnaires » n’est-elle pas de plus en plus remplacée par une nouvelle notion de « création de valeurs qui n’est plus seulement à l’avantage des parties prenantes, mais qu’ils doivent partager équitablement ? Dans ce contexte, il convient d’examiner les impératifs et les défis suivants :

Valeurs, principes commerciaux, gouvernance. Des normes et une gouvernance faibles dans les secteurs public et privé sont des obstacles majeurs à la contribution au développement responsable, durable « dans leur sphère d’influence ». Les initiatives volontaires nationales et internationales menées dans certains secteurs, comme ceux des ressources naturelles, du bâtiment et des finances, sont des éléments moteurs importants qui placent la barre plus haute. Elles créent des normes plus élevées pour les entreprises, exerçant des pressions sur celles qui sont à la traîne, ainsi qu’une approche fondée sur des principes, comme le Pacte mondial de l’ONU - l’initiative la plus importante au monde encourageant la citoyenneté des entreprises avec des participants dans plus de 100 pays.

Divulgation d’informations non financières. Les rapports sur le développement durable, y compris l’empreinte climatique, assurent la performance de marchés orientés vers l’avenir, comme on peut le voir dans l’Initiative mondiale sur les rapports de performance. Les investisseurs devraient être en mesure d’évaluer non seulement la rentabilité financière des capitaux, mais aussi le rendement (impact) social et environnemental du capital investi par les entreprises. Ils devraient aussi s’engager à faire de meilleures analyses et améliorer la divulgation d’informations sur l’empreinte carbone et adopter une approche de l’investissement fondée sur des principes. Les rapports préparés chaque année par les participants au Pacte mondial sur les progrès dans la mise en œuvre des droits de l’homme, des politiques du marché du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption, sont cruciaux pour permettre aux « marchés » d’évaluer les efforts des entreprises en matière de développement durable.

Des produits à la chaîne d’approvisionnement. Les grandes entreprises reconnaissent de plus en plus que les pauvres sont une ressource et un marché très intéressants et, plus important, une formidable plate-forme d’apprentissage. Les politiques des fournisseurs peuvent être un outil efficace pour mettre en place le développement durable dans les PME et les microentreprises. Mais où est le consommateur responsable ? Quand va-t-il se réveiller ?

Secteur formel vs secteur informel. Un des grands défis pour les pays en développement est de trouver comment  intégrer le secteur informel dans l’économie formelle afin d’améliorer leur accès aux opportunités, sans trop affecter les dynamiques de base existantes.

Nouvelles formes de coalition. Les partenariats public-privé, les groupes de la société civile et les coalitions d’entreprises, ainsi que les alliances constituées dans la chaîne d’approvisionnement, découlent de la nécessité de plus en plus reconnue de regrouper les approches isolées. Les facteurs clés pour réaliser un « retour sur la collaboration » sont, entre autres, la compréhension, la confiance et le partage d’objectifs communs.

Nouvelles technologies informatiques et modèles informatiques pour les entreprises. Elles comprennent par exemple la conservation des ressources naturelles, notamment l’énergie et l’eau, la séquestration du dioxyde de carbone, l’énergie renouvelable propre, le défi nucléaire, l’allocation équitable des ressources rares et les émissions de GES.

L’intégration du développement durable dans la stratégie commerciale et l’entreprise sont devenues des facteurs cruciaux, pour des raisons défensives ou offensives. Il est difficile d’y échapper et les exemples sont déjà visibles - les pairs, les consommateurs, les investisseurs et la société continueront d’exercer leur pression. Dans une époque de changement, les plus performants seront probablement ceux qui apprendront le plus vite, ceux qui seront conscients de la « valeur des valeurs » et suffisamment ouverts et souples pour s’adapter et adopter de nouvelles méthodes. D’ailleurs, comme l’indique le Rapport Stern sur le défi climatique, l’inaction pourrait coûter cher aux entreprises. Le prix du leadership est, toutefois, une source de création de valeur considérable.

Biographie

Herman Mulder est conseiller principal pour le Pacte mondial de l’ONU et le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable. Il a été vice-président exécutif du Groupe de gestion des risques et coprésident du Comité sur la gestion des risques à la banque ABN AMRO. L’un des fondateurs des Principes Équateur en 2002, il écrit abondamment et donne de nombreuses conférences sur une grande variété de sujets liés au développement durable.

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