Chronique ONU

UNE CRISE IGNORÉE
Les Réfugiés Oubliés

Par Amy Pont

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L'article
PHOTO HCR/N. BEHRING

Quelque 5,7 millions de personnes dans le monde vivent dans un état prolongé de faim et d'insécurité. Ce sont les réfugiés qui vivent confinés dans des abris de fortune et dans des taudis urbains, abandonnés et laissés à leur triste sort à l'ombre des guerres très médiatisées et dans l'indifférence générale.

Les réfugiés oubliés qui vivent dans les déserts d'Afrique, dans les terres à riz d'Asie et dans les montagnes d'Europe mènent une existence incertaine, avec peu d'espoir de retourner dans leur terre natale et peu de chance d'obtenir l'asile politique dans un pays tiers. Il n'y a pas de solution en vue. Malgré la persécution, le conflit armé et même le génocide qui les ont forcés à fuir, le monde reste indifférent.

Quand au moins 25 000 réfugiés vivent en exil pendant plus de cinq ans, il s'agit d'une situation de réfugiés en attente prolongée. Il y a au moins 33 situations de ce type aujourd'hui, sans compter les 16 000 réfugiés somaliens en Égypte ou les 15 000 Éthiopiens au Soudan. Près de 60 % des 9,2 millions de réfugiés au monde vivent dans des camps ou dans des taudis urbains. En Afrique seulement, 3 millions sont victimes de cette crise dont personne ne parle. Fait encore plus surprenant, les réfugiés passent de longues périodes en exil, en moyenne 17 ans en 2003 - près de deux fois plus longtemps qu'en 1993.

Les réfugiés passent la plus grande partie de leur vie en exil. Les enfants sont les plus touchés par cette situation tragique. Ils grandissent dans des camps ne leur offrant seulement l'éducation primaire - où ils apprennent d'importantes leçons sur les conséquences humaines de l'inaction. " On les appelle des personnes réfugiées, mais une grande proportion d'entre eux sont, en fait, des enfants qui sont nés dans les camps de réfugiés, n'ont jamais vécu autre part et n'ont jamais connu une vie normale ", a dit à la Chronique ONU Jeff Crisp, auteur de No solutions in sight: The problem of protracted refugee situations in Africa, un document de travail du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Mais, malheureusement, les trois solutions à la situation des réfugiés - le rapatriement, l'intégration et la réinstallation - ne sont pas des options viables. Pour beaucoup, le rapatriement ou le retour dans leur pays natal équivaudrait à un arrêt de mort, car souvent les persécuteurs que les réfugiés ont fui continuent de vivre en toute liberté. Aussi, à la fois les pays d'accueil et les pays tiers, où les réfugiés pourraient demander l'asile, interdisent leur réinstallation et leur intégration de peur que leur présence ne soit une source d'instabilité et un fardeau économique. Pourtant, si on leur offre la possibilité de rester dans une communauté, les réfugiés peuvent enrichir l'économie d'un pays d'accueil. Ironiquement, un article du magazine Refugees du HCR a mentionné que la fermeture d'un camp de réfugiés au Kenya avait entraîné des protestations à cause des pertes économiques que leur départ allait engendrer.

En plus des nombreuses difficultés que les réfugiés rencontrent, une grande majorité est victime de situations peu médiatisées, où le soutien des donateurs est en baisse parce la situation ne revêt pas un intérêt politique ou stratégique pour les pays industrialisés. Par exemple, malgré les problèmes urgents auxquels l'Afrique subsaharienne est confrontée, cette région est laissée pour compte alors qu'elle abrite 1,9 million de réfugiés dans une situation d'urgence dans des pays en développement déchirés et appauvris par la guerre, comme la République unie de Tanzanie et l'Ouganda.

La situation des réfugiés dans le monde - les déplacements humains au nouveau millénaire, un rapport publié par le HCR en 2006, a révélé que le nombre de réfugiés en exil prolongé augmentait dans les régions pauvres et instables parce que les acteurs régionaux et internationaux n'étaient pas présents dans ces régions laissées pour compte. Les pays développés déterminent quels conflits internationaux méritent une intervention selon des intérêts stratégiques et économiques. Ils décident donc de la destinée de millions de personnes. Par exemple, les conflits armés au Kosovo et en Europe du Sud-Est ont été résolus par les États-Unis et d'autres nations qui avaient des intérêts stratégiques dans les Balkans, permettant à 500 000 réfugiés de rentrer chez eux trois semaines après la fin de la guerre, ce qui a empêché un exil prolongé.

Le HCR continue de fournir une protection aux réfugiés du Rwanda, de la République démocratique du Congo, du Burundi et d'Éthiopie qui vivent dans des camps en République unie de Tanzanie. Il encourage également la création de programmes d'éducation et de santé, d'initiatives d'intégration locale, d'activités d'autonomisation des femmes, de programmes de génération de revenus et de projets de sensibilisation de l'environnement et de réhabilitation. PHOTO HCR/L. TAYLOR

Par comparaison, les réfugiés somaliens exilés à Djibouti, en Éthiopie et au Kenya, ainsi que dans d'autres pays africains et en Europe, n'ont pu retourner chez eux depuis le début des années 1990, car les routes n'ont pas été sécurisées. Les nations industrialisées rationalisent leur intervention humanitaire sélective affirmant qu'il n'y a pas d'incitations économiques et que les menaces à la sécurité posées par les dictateurs violents, les combattants rebelles et les milices entraînent des coûts trop élevés. Par exemple, en ce qui concerne la crise des réfugiés rwandais, où 160 000 Tutsis ont fui dans des pays voisins, beaucoup ont attribué l'absence d'une résolution à long terme au génocide d'un million de Tutsis et de Rwandais modérés dans les années 1990. " L'échec à traiter les problèmes des réfugiés rwandais dans les années 1960 a considérablement contribué aux actes violents qui se sont produits dans les années 1990 ", a affirmé M. Crisp dans son document de travail du HCR.

Comme l'indique le rapport, il faut finalement reconnaître que l'approche la plus efficace et la plus humaine aux situations de réfugiés est la prévention. Les régions laissées pour compte pâtissent non seulement du manque de forces de maintien de la paix et de médiation entre les parties au conflit mais aussi de l'inégalité de l'aide qui leur est versée par rapport à d'autres régions plus médiatisées. En 2002, 3,5 millions de réfugiés au Kosovo et en Europe du Sud-Est recevaient 59 centimes par jour par personne, alors que 12 millions de réfugiés africains n'en recevaient que 13. " Le niveau d'aide aux réfugiés en Afrique dans les situations à long terme est tombé au-dessous d'un niveau acceptable ", a affirmé M. Crisp. " En fait, si les réfugiés recevaient une aide importante, ils vivraient dans de meilleures conditions que les populations locales, ce qui engendrerait des tensions entre les deux groupes. " Ces problèmes comprennent la xénophobie et la montée des tensions avec les membres de la communauté d'accueil, qui voient d'un mauvais œil l'arrivée de ces réfugiés qui bénéficient d'une aide alors que leur pays n'a pas accès au développement durable.

Les réfugiés africains reçoivent une aide moins importante et souffrent plus en raison de la situation économique de leur pays. De surcroît, alors que dans les camps, un nombre important de réfugiés souffrent de malnutrition, il est regrettable que le Programme alimentaire mondial ait diminué les rations alimentaires en raison du manque de fonds. Malgré la dure réalité de la crise des réfugiés en situation prolongée, certains pensent que les camps sont un refuge confortable pour ceux qui se contentent de dépendre de l'aide étrangère. Or, rien n'est plus faux. De nombreux camps sont dangereux, surpeuplés et fermés comme des prisons, et les cas de viol, de meurtre et de traite des êtres humains sont fréquents. " Lorsque vous mettez 100 000 personnes ensemble, les crimes sont inéluctables ", a affirmé M. Crisp. De nombreuses situations ont été signalées où les auteurs d'atrocités humaines vivaient parmi leurs victimes.

Depuis l'éruption de violence en Somalie au début des années 1990, jusqu'à 135 000 réfugiés somaliens installés dans le camp Daddab au Kenya continuent d'être confrontés au meurtre, au viol et au vol à main armée, même si le taux de criminalité diminue progressivement chaque année, selon le HCR. " Les réfugiés ont une liberté de mouvement limitée, des difficultés pour obtenir un permis de travail, ils n'ont accès ni à la terre pour cultiver ni au crédit et au secteur de l'épargne. Ils sont essentiellement confinés dans les camps. " Toutefois, malgré ces conditions difficiles, nombreux sont ceux qui font de leur mieux pour vivre au milieu de ce chaos. Ils ont hâte de travailler, de cultiver la terre et même de fournir une main-d'œuvre bon marché, si seulement on leur en donnait la possibilité. Leur volonté de tirer le meilleur parti de leur situation " témoigne de l'incroyable courage des réfugiés qui, face à l'adversité, trouvent quand même la volonté de survivre et de reconstruire leur vie ", a déclaré le Secrétaire général Kofi Annan dans la préface du rapport La Situation des réfugiés dans le monde.

En tant qu'un des " Dix sujets dont le monde devrait entendre parler davantage ", du Département de l'information de l'ONU, la situation des réfugiés en attente prolongée est reconnue comme une crise oubliée. Il est clair qu'il faut que la communauté internationale reconnaisse leur situation et prenne des mesures pour y mettre fin. Si ces tragédies pouvaient retenir l'attention des médias autant que les situations de secours d'urgence, comme le tsunami qui a frappé l'Asie du Sud-Est en décembre 2004, les nations industrialisées se montreraient plus généreuses et seraient mieux disposées à venir en aide à ces réfugiés. Il existe en effet une réaction en chaîne entre l'attention médiatique, le soutien des bailleurs de fonds et les moyens d'existence des réfugiés. " L'attention médiatique compte, l'attention internationale aussi ", a souligné le porte-parole du HCR Ron Redmond.

Le HCR cherche aussi à adopter une approche plus organisée et intégrée, allant au-delà de l'aide humanitaire. Dans la plupart des cas, l'instabilité, qui est à l'origine de ces situations, existe toujours - la violence, la pauvreté et les combats se prolongent autant que les années et les décennies durant lesquelles les réfugiés n'ont pu rentrer chez eux. Par exemple, la situation des réfugiés Palestiniens qui vivent dans des camps depuis plus de cinquante ans est la plus longue du XXe siècle. Le conflit et l'instabilité au Moyen-Orient n'ayant pas été résolus, les années de conflit continuent de coûter un lourd tribut en vies humaines.

Qu'il s'agisse de camps de réfugiés ayant retenu l'attention des médias ou pas, les organisations humanitaires doivent coopérer avec les organisations du maintien de la paix et du développement afin d'apporter une solution intégrée et durable à la situation des réfugiés en attente prolongée. Deux des initiatives du HCR sont en cours. Il s'agit d'" Afghanistan Plus ", un projet qui a pour but de gérer les mouvements de population afin de résoudre les problèmes politiques essentiels pour les Afghans, comme le rapatriement et la réintégration - et le Plan d'action somalien, qui vise à aider les Somaliens à s'installer dans les pays d'accueil. Il est également important que les pays appauvris soient assurés que les fonds ne seront pas alloués à d'autres projets, mais que l'aide supplémentaire sera consacrée au financement des programmes de développement, notamment pour la paix et la sécurité. " Les droits de base et les besoins essentiels des réfugiés ont été bafoués depuis des années, voire des décennies. Ces personnes dépendent maintenant de l'aide. Nous assistons à un vrai gâchis - avec des vies brisées et des ressources gaspillées ", a estimé M. Redmond.


 

 
 
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