Chronique ONU

Les dons de vêtements d'occasion
Une pratique qui n'est pas aussi simple qu'elle n'en a l'air

Par Melissa Gorelick

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L'article

Les vieux jeans et les vieux sweat-shirts portant le nom ou le logo de l'université dont on se débarrasse pour faire de la place dans l'armoire et que l'on dépose dans un bac de la collectivité trouvent une nouvelle vie quand ils sont donnés à des organisations non gouvernementales. Et cette vie commence souvent beaucoup plus loin que la plupart des donateurs européens et américains ne l'imaginent.
Une balle de 50 kg de vêtements d'occasion au marché de Soweto, à Lusaka, en Zambie PHOTOS/Karen TranbeRg Hansen

Dans beaucoup de pays en développement, les vêtements d'occasion destinés aux pauvres locaux constituent, dans la majorité des cas, la garde-robe de gens ordinaires. Comment ils arrivent à destination, à des milliers de kilomètres, est l'un des secrets de la mondialisation. En effet, dans le marché complexe actuel, ce que portent les gens, comment ils se procurent ces vêtements et même la matière dans laquelle ces vêtements sont fabriqués en dit souvent plus que les statistiques. On estime que 40 à 75 % des vêtements d'occasion donnés aux organisations caritatives ne vont pas aux pauvres des pays riches mais sur les marchés des régions en développement, telles qu'en Afrique sub-saharienne.

Karen Tranberg Hansen, de la Northwestern University, une experte dans le commerce de vêtements d'occasion, a expliqué que depuis la libéralisation commerciale de nombreux pays en développement au début des années 1990, la demande en vêtements d'occasion a considérablement augmenté. De nombreuses familles zambiennes avec lesquelles elle a travaillé achètent les trois quarts de leur garde-robe sur les marchés de vêtements d'occasion, a-t-elle précisé. Selon les Nations Unies, aux États-Unis seulement, les exportations de vêtements d'occasion ont plus que doublé entre 1990 et 1997, passant de 174 millions de dollars à 390 millions.

Les pays situés au bas de l'échelle économique mondiale, comme la Zambie, qui sont passés dans de nombreux cas d'un système colonial à une économie industrielle de base, dépendent des importations de textiles et de vêtements. Mais les vêtements ou les tissus bruts, qui arrivaient en plusieurs étapes des pays voisins, arrivent aujourd'hui en balles de 50 kg de Londres ou de Philadelphie par l'intermédiaire de grossistes établis à Dar es Salaam ou à Durban. Après avoir été initialement déposés dans les bacs de la collectivité, les tee-shirts et les pantalons sont triés, les articles de meilleure qualité étant revendus aux friperies. Les grossistes répondent à la demande d'acheteurs dans le monde entier qui fixent le prix des articles compressés et emballés. Après avoir été expédiées, les balles sont acheminées sur de longues distances pour être vendues sur des marchés locaux.

Avec l'adoption des Objectifs du Millénaire pour le développement, la situation des pays les moins avancés (PMA) a été débattue. Dans ces pays, l'industrie et le commerce durable sont les moyens d'atteindre le niveau économique mondial. Il n'est pas surprenant que de nombreux défenseurs du développement industriel de ces pays aient considéré avec mépris le commerce de vêtements d'occasion, jugeant que cette solution de fortune pourrait être une opportunité industrielle. C'est pourquoi les importations de ces vêtements sont interdites en Indonésie et aux Philippines. Selon Mme Hansen, des travailleurs syndiqués ont également protesté dans des pays comme la Pologne, le Pakistan ou le Lesotho.

Beaucoup considèrent également que " le dumping de vêtements " favorise le flux des entreprises étrangères, compromet la production locale et est responsable de l'apparition de la fièvre aphteuse. La plupart des experts de l'industrie sont d'avis, cependant, que ce commerce n'est pas la raison pour laquelle les régions en développement ne fabriquent pas de vêtements. De nombreux pays importateurs de vêtements de d'occasion, tels que Hong Kong et le Pakistan, sont en fait aussi d'importants importateurs de vêtements. Comme l'a noté Mme Hansen, les PMA ne disposent pas de machines modernes ni de capitaux de départ - des facteurs qui diminuent considérablement les chances d'être compétitif sur le marché mondial du textile.

" À l'heure actuelle, ce qui compte c'est la compétitivité ", a dit Matias Knappel, un responsable du développement et un spécialiste du Conseil du commerce international (CCI). Des organes, dont la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), encouragent l'industrie mondiale en offrant un soutien dans divers domaines allant des stratégies commerciales et d'échange aux conseils en matière d'approvisionnement en matières brutes et d'embauche de travailleurs. Ils agissent cependant avec prudence, veillant à ce que les entreprises des pays en développement se lancent seulement dans des activités qui sont à la mesure de leurs capacités, conscients de la concurrence féroce qui sévit sur le marché du textile et du vêtement. " Les pays africains aspirent à développer une industrie du textile importante ", a indiqué M. Knappe. Toutefois, sans les capitaux nécessaires pour construire de grandes usines et acheter des machines plus perfectionnées, " cela n'est pas réaliste ". Le CCI et la CNUCED ont plutôt souligné l'importance de diversifier l'industrie mondiale du vêtement.

Dans les années à venir, " les entreprises dans les pays en développement qui seront capables de trouver des créneaux […] prospéreront ", a expliqué Michiko Hayashi, un responsable des affaires économiques à la CNUCED, notant que le marché mondial était suffisamment vaste pour de nombreux produits de qualité et de prix différents. Les pays en plein essor comme la Chine ont pris les rênes en produisant en masse des vêtements à bas prix. Les pays les moins avancés devraient peut-être adapter leur potentiel de production à de petits emplois ciblés - des articles personnalisés qui ne peuvent être fabriqués dans de grandes usines - et exploiter de nouveaux créneaux, moins exposés à la concurrence.

L'entrée d'un entrepôt d'un vendeur importateur de vêtements d'occasion (salaula) à Lusaka PHOTOS/Karen TranbeRg Hansen

Actuellement, le secteur du coton est le secteur des matières premières que les régions en développement poursuivent avec le plus de dynamisme. Tandis que peu de ces pays peuvent espérer s'attaquer à tous les éléments de ce que M. Knappe appelle la " chaîne de valeur intégrée " - c'est-à-dire à tous les aspects de la production du textile, allant des produits bruts aux produits finis -, les PMA peuvent espérer devenir plus compétitifs dans la culture du coton. Au début de 2006, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a statué en faveur du Brésil qui avait déposé une plainte contre le subventionnement du coton aux États-Unis en violation aux règlements en vigueur.

Les différends concernant le coton ont marqué l'émergence de nombreuses nations pauvres qui se sont élevées contre les subventions à l'exportation des pays riches. En effet, ces pays pourraient être des acteurs importants s'ils avaient des chances égales sur le marché du coton. Les producteurs américains ont pris des mesures sans précédent pour gagner les faveurs des agriculteurs africains et obtenir le soutien international. En 2005, des représentants du Département américain de l'agriculture se sont rendus dans des villages d'Afrique de l'Ouest pour offrir des conseils et aider les agriculteurs locaux; mais les nations en développement sont restées unies, dénonçant la politique américaine. En outre, l'OMC a confirmé en juin 2006 ses décisions antérieures, ce qui signifie que la principale source mondiale de coton à bas prix pourrait bientôt disparaître. Ce changement créerait un climat où les producteurs de coton dans les PMA pourraient être compétitifs et la production de matières brutes pourrait alors être exploitée par les pays qui en ont le plus besoin.

Ayant détruit le mythe que les vêtements d'occasion sont un obstacle majeur à l'essor de l'industrie du textile dans les pays en développement, les processus sociaux liés à leur commerce peuvent être perçus de manière plus positive. En fait, des scientifiques sociaux intéressés par les artéfacts culturels ont commencé à se pencher sur le sens que revêtent ces vêtements dans ces régions en tant qu'outils d'adaptation. La profusion de choix dans les matières, la qualité et les modèles marque un tournant dans le statut mondial des régions en développement. " C'est faire partie du monde ", a expliqué Mme Hansem, dont les études indiquent qu'une fois les vêtements d'occasion achetés, ils sont modifiés et conçus dans une grande diversité de coupes et de modèles. " C'est une question d'abondance et de choix ". La mode, les aspirations et les idées sont des aspects humains du commerce qui sont souvent ignorés par les économistes lorsqu'ils considèrent les marchés mondiaux, a-t-elle ajouté.

Concrètement, le lien des PMA avec le commerce international leur assure une place dans la communauté mondiale. La vente, le tri et l'achat des vêtements d'occasion, par exemple, sont généralement réservés aux femmes, de même que le vaste secteur de la confection qui crée de nouveaux modèles à partir des vêtements achetés. Auparavant, la population rurale devait choisir parmi des vêtements démodés dont les marchés urbains ne voulaient plus. Aujourd'hui, de nombreux articles sont disponibles même dans les régions les plus reculées, a précisé Mme Hansen. Les villageois ruraux sont même capables de faire des échanges avec les vendeurs urbains pour obtenir le modèle de leur choix.

Malgré les critiques, de nombreux de pays ont bénéficié d'un meilleur niveau de vie grâce à leur exposition au marché mondial comme le commerce des vêtements d'occasion. Plus important, les critiques doivent faire face à la réalité que les régions en développement ont l'autonomie et le droit de faire du commerce comme ils le veulent. Les nombreuses filières, les nombreux usages des vêtements d'occasion et les importations de plus en plus massives de vêtements démontrent les besoins, les succès et les échecs, à la fois économiques et sociaux, de nombreux pays les moins avancés. Reconnaître ces aspects ne suffit peut-être pas à assurer un développement fiable, durable, mais c'est certainement un début.

Les études réalisées par Karen Tranberg Hansen soutiennent la perspective développée par le théoricien social Arjun Appadurai que " les objets ont une vie sociale ". C'est le cas des vêtements d'occasion. Mme Hansen a pris pour titre de son livre une chanson en bemba intitulée " Salaula ", interprétée en 1988 par le chanteur zambien Teddy Chilambe, qui raconte l'histoire des vêtements d'occasion et leur popularité :

Choisis, choisis, choisis, mère
Ces petits jolis souliers qu'ils portent
Et les jolis pantalons qu'ils portent
Et les jolies chemises qu'ils portent

Fais ton choix, mère
Cette année, nous louons les Zaïrois
Pour ce ballot qu'ils nous ont donné, père
Parce que c'est là où on s'approvisionne,
Mère, fais ton choix


 

 
 
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