Chronique ONU

Compte rendu de David Satterthwaite

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L'article

Planet of Slums
Par Mike Davis
Verso, London and New York, 2006
228 pages, ISBN 1-84467-022-8


Il serait facile de faire une critique de cet ouvrage en se basant sur ses défauts et ses in-exactitudes. Mais il contient aussi des résumés écrits avec soin, des points de vue intéressants et quelques tournures de phrases habiles, ce qui en fait l'une des meilleures présentations générales sur le problème des " taudis et des bidonvilles " en Afrique, en Asie et en Amérique latine et sur les raisons de leur prolifération. L'auteur, Mike Davis, a écrit plusieurs ouvrages remarquables sur les questions urbaines, mais touchant principalement les États-Unis. Son manque de connaissances sur les questions urbaines dans les trois autres régions explique certaines des inexactitudes, dont beaucoup auraient pu être évitées s'il avait vérifié la validité et l'exactitude de ses sources. Mais le point fort de cet ouvrage est le regard nouveau que porte l'auteur sur le sujet et les perspectives analytiques, en s'appuyant sur les questions urbaines des États-Unis. Cet article examinera donc les points forts et les points faibles de l'ouvrage.


Ses points forts : sa lisibilité et les preuves rassemblées sur la crise dans les zones urbaines en Afrique, en Asie et en Amérique latine. De nombreux exemples soulignent les conditions de vie déplorables de centaines de millions d'habitants de taudis. L'auteur décrit comment de larges groupes de la population à faibles revenus vivent dans des habitations insalubres, dont le surpeuplement et l'exploitation par les propriétaires rivalisent avec ceux des pires taudis du XIXe siècle. Il souligne comment la pauvreté est créée et exacerbée par les programmes d'expulsion des taudis et comment ceux-ci sont souvent justifiés en " criminalisant " leurs habitants. Il met l'accent, à juste titre, sur les possibilités très réduites des groupes à faibles revenus d'occuper illégalement les terres sur lesquelles ils peuvent construire des habitations.

L'auteur discute de la réorganisation des villes, alors que les groupes à revenus moyens et supérieurs se concentrent dans des résidences protégées dont les pauvres sont exclus. Le livre contient de nombreuses digressions historiques, comparant Naples du XIXe siècle aux villes d'aujourd'hui, exami-nant comment les problèmes urbains contemporains trouvent leur origine dans la politique des gouvernements coloniaux. L'auteur s'attaque à certains points qui méritent d'être critiqués, comme les fausses illusions données par les " solutions " de Soto et les fausses promesses du Consensus de Washington concernant la réduction de la pauvreté. Le livre montre bien comment la plupart des entreprises informelles sont une source d'exploitation, offrant des revenus très insuffisants pour de longues journées de travail. " Toutes les descriptions de la misère victorienne, décrites par Dickens, Zola ou Gorky, existent quelque part aujourd'hui dans une ville du tiers-monde aujourd'hui. " L'auteur donne des exemples de l'ampleur de la crise, par exemple, les conditions de vie à Kinshasa et à Port-au-Prince, la demande croissante pour les organes humains et les industries exploitant le travail des enfants. Le livre se termine sur une discussion portant sur " un surplus d'humanité " - un milliard de travailleurs au chômage ou sous-employés - et la constatation que rien n'est prévu pour leur réintégration à l'économie mondiale. Les taudis sont la solution pour parquer ce surplus d'humanité, et l'auteur estime que les pays à revenus élevés ne se penchent pas suffisamment sur les implications géopolitiques de ce phénomène. Dans l'épilogue, l'auteur reprend les citations inquiétantes d'un spécialiste de l'Armée de l'air, qui voit les taudis comme des champs de bataille cauchemardesques potentiels et parle du défi du " combat asymétrique ". Il recommande que l'entraînement militaire ait lieu dans les " villes défigurées " aux États-Unis, où de grandes zones de HLM sont devenues inhabitables et les usines/zones industrielles inutilisables.

L'auteur a tendance à faire des généralisations pour arriver à ses fins. On se demande s'il s'est rendu dans une seule des villes qu'il décrit et si c'est le cas, le regard qu'il a porté sur elles est très sélectif. On imagine mal qu'il soit allé parler aux habitants de taudis, car il semble rechercher des exemples dans la littérature pour soutenir son point de vue, et laisser de côté ce qui va à l'encontre. Les références citées sont un mélange de sources à la fois valides, pertinentes et douteuses. Peut-être que les deux points faibles de ce livre sont l'incapa-cité de l'auteur à voir la diversité parmi les dizaines de milliers de centres urbains en Afrique, en Asie et en Amérique latine, et sa détermination à s'en prendre à toute personne et à toute institution qui tentent de traiter les problèmes qu'il décrit. Dans de nombreuses villes, les conditions de vie d'une grande partie de la population à faibles revenus ont été considérablement améliorées, par le retour à la démocratie, la mise en place de réformes importantes de décentralisation et grâce à une nouvelle génération de politiciens et de responsa-bles des questions urbaines déterminés à changer les anciennes méthodes. L'auteur a raison de nous rappeler comment les dictatures militaires au Brésil, au Chili et en Argentine ont nettoyé les " taudis ", mais il devrait aussi mentionner les innovations dans ces nations depuis le retour de la démocratie. Et toutes les situations ne sont pas à l'image de celles à Kinshasa (République démocratique du Congo) et à Port-au-prince (Haïti). Il existe aussi des exemples de réussite.

L'attitude de l'auteur vis-à-vis du gouvernement est résumée dans le chapitre intitulé " The treason of State (La trahison de l'État) ". Mais de nombreux gouvernements locaux et nationaux ont essayé de nouvelles approches, travaillant avec les habitants de taudis et de bidonvilles pour légaliser l'occupation des terres et soutenir les initiatives gérées par la communauté, par exemple, le travail de l'Institut de développement des organisations communautaires en Thaïlande. Dans le chapitre consacré aux " Illusions de l'auto-assistance ", l'auteur, comme de nombreux critiques de gauche avant lui, explique la position de John F. C. Turner de manière réductrice. Son livre publié en 1976, Housing by People, est beaucoup plus intéressant et sophistiqué qu'il ne le laisse entendre et de plus il le rend responsable des limites des programmes d'auto-assistance. Au cœur de ce livre est la question de savoir qui a le droit de déterminer et de gérer les solutions de logement et ce qu'il faut changer si l'on veut que les groupes à faibles revenus participent aux décisions. Le livre de Turner décrit aussi très clairement pourquoi les programmes de logements sociaux, mentionnés aussi dans Planet of Slums, ont échoué. C'est une sonnette d'alarme pour tous les professionnels engagés dans les questions urbaines, montrant comment et pourquoi ils doivent écouter les groupes à faibles revenus ainsi que leurs propres organisations et initiatives, et travailler avec eux.

L'auteur de Planet of Slums critique les organisations non gouvernementales (ONG) qui " ont réussi brillamment à s'associer aux autorités locales, ainsi qu'à dominer l'espace social occupé traditionnellement par la gauche ". Comme dans beaucoup de généralisations, il y a une grande part de vérité, mais une part seulement. De même que l'auteur décrit la diversité de l'" économie informelle " et des types de " taudis ", il existe aussi une grande diversité parmi les ONG locales. Il oublie les nombreuses ONG locales qui travaillent en étroite collaboration avec les organisations et les fédérations représentant les habitants de taudis et de bidonvilles qui ne recherchent pas le soutien des autorités locales - et qui veillent aussi à lier les réponses pragmatiques aux besoins et aux luttes politiques plus importantes afin de changer les politiques et les pratiques locales. Il ignore ce que font les habitants de taudis eux-mêmes - dans les organisations et les fédérations qu'ils créent, dans les initiatives qu'ils prennent et dans les négociations lentes, souvent difficiles qu'ils engagent avec l'État - concernant les terres sur lesquelles ils peuvent construire ou la possession de celles qu'ils occupent, l'eau ou l'assainissement et d'autres services, la légalisation des adresses et le droit de vote et d'être considérés comme des citoyens. Il ignore aussi l'engagement des gouvernements locaux qui ont établi des partenariats solides avec ces fédérations, ni ne comprend comment la transformation des relations entre les pauvres urbains et leurs gouvernements locaux doit être au cœur du changement, et que cela implique une approche différente de la part des investisseurs. Il est certain que ces initiatives ne sont pas des solutions miracles : il y a des échecs et des succès, et des changements importants sont aussi nécessaires pour améliorer les revenus des groupes les plus pauvres ainsi que les possibilités d'emploi.

Ce livre contient aussi de nombreuses inexactitudes. À propos des tendances de l'urbanisation, deux points essentiels échappent à l'auteur. D'abord, que les taux de croissance de la population urbaine ont considérablement baissé pour de nombreux pays, tandis qu'un grand nombre de grandes villes dans le monde sont moins peuplées que prévu, comme l'attestent les nouvelles données du recensement disponibles depuis 2000. Ensuite, la croissance économique et le développement des villes sont étroitement liés, ce qui explique que les plus grandes villes du monde sont largement concentrées dans les économies les plus développés. L'auteur explique aussi que les plus grandes villes du monde se trouvent en Chine, ce qui est le cas depuis des siècles, il n'est donc pas surprenant que la nation la plus peuplée du monde et dotée de la deuxième économie mondiale compte les plus grandes villes du monde. Il exagère aussi l'ampleur de la croissance démographique du Kenya de 1989 à 1999 qui " a été absorbée dans les taudis fétides et surpeuplés de Nairobi et de Mombasa ", et décrit Séoul comme une ville qui croît à un rythme effréné, alors qu'en fait sa population a à peine augmenté. Mais ces erreurs et d'autres viennent probablement de sources que l'auteur a jugées crédibles.

Planet of Slums est donc un ouvrage à lire de manière critique. Le lecteur y trouvera une liste de problèmes qui font l'objet de trop peu d'attention. Mais il faut aller au-delà, là où les habitants de taudis s'organisent et renégocient leur relation avec l'État, où des ONG locales et des investisseurs soutiennent ces initiatives. Imaginez ce qu'il faut changer dans les gouvernements nationaux et les institutions internationales - et soutenez un avenir urbain différent de celui décrit dans ce livre.

(Pour en savoir plus sur les activités des fédérations mentionnées dans cet article, veuillez visiter www.sdinet.org.)

 

Biographie
David Satterthwaite travaille à l'Institut international pour l'environnement et le développement et enseigne à l'University College London et la London School of Economics. Il a écrit et édité plusieurs ouvrages sur les questions urbaines, y compris Squatter Citizen (avec Jorge E. Hardoy) en 1989 et Empowering Squatter Citizen (édité avec Diana Mitlin) en 2004, publiés par Earthscan. Il est aussi rédacteur de la revue Environment and Urbanization.
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