Chronique ONU

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L'HÉRITAGE INTELLECTUEL DES NATIONS UNIES
ÉTATS OU INDIVIDUS ?

Compte rendu d'Anthony McDermott

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L'article

Quantifying the World: UN Ideas and Statistics
Par Michael Ward
Indiana University Press, 2004
329 pages, ISBN 0-253-21674-5

Women, Development, and the UN:
A Sixty-Year Quest for Equality and Justice
Par Devaki Jain
Indiana University Press, 2005
230 pages, ISBN 0-253-21819-5

The UN and Global Political Economy
Trade, Finance, and Development
Par John Toye et Richard Toye
Indiana University Press, 2004
393 pages, ISBN 0-253-21686-9

Human Security and the UN: A Critical History
Par S. Neil MacFarlane et Yuen Foong-Khong
Indiana University Press, 2006
368 pages, ISBN 0-253-21839-1

Les Nations Unies ont 192 États Membres, mais ce sont les personnes individuelles de chacun de ces états qui comptent et doivent être prises en compte. L'objet de cet article est d'étudier, à travers quatre ouvrages du Projet d'histoire intellectuelle des Nations Unies (UNIHP), les conditions de vie des individus au cours des premières 60 années de l'ONU, décrites et analysées par les auteurs à partir de statistiques, du point de vue des femmes, de l'économie politique et de la sécurité humaine.

Ces ouvrages, qui font partie d'une série publiée par l'UNIHP, fournissent une preuve suffisante pour soutenir l'argument que, ce sont les individus, plus que les institutions et les organisations, qui ont donné aux Nations Unies, dans les premières années du moins, la latitude pour créer des idées et des politiques originales. En même temps, la politisation des questions a toujours été présente, même si récemment elle s'est amplifiée et a réduit le rôle intellectuel de l'Organisation à stimuler et à promouvoir les idées plutôt qu'à en créer de nouvelles. Mais ces ouvrages fournissent des informations intéressantes sur l'histoire du développement des Nations Unies en tant qu'institution mondiale.

Créé en 1999, l'UNIHP a été principalement dirigé et guidé par Richard Jolly, Louis Emmerij, Thomas G. Weiss et la City University of New York (CUNY). Il est surprenant que ce soit le premier projet à présenter une analyse et une évaluation complète des idées et des politiques élaborées aux Nations Unies. L'un des objectifs était de voir si ces idées, pour emprunter le titre du premier ouvrage, étaient " en avance sur le temps (1) ".

L'UNIHP a publié 8 titres d'une série prévue de 14 ouvrages, divisés en plusieurs rubriques : développement économique et social, paix et sécurité. Nous examinerons ici trois des premières sections et l'une des dernières. Mais ces divisions ne sont pas rigides. L'objectif principal n'est pas seulement de tracer l'histoire des idées mais aussi celle des Nations Unies à travers les institutions, les organes économiques, sociaux et politiques, les conférences, les réunions et surtout les individus, qu'il s'agisse de " bureaucrates chevronnés ", d'intellectuels brillants, de défenseurs arrogants ou de créateurs d'idées.

L'ouvrage de Michael Ward, intitulé Quantifying the World: UN Ideas and Statistics (2004), fait la chronique, au travers de la Division stastistique de l'ONU, d'une Organisation efficace. Mélangeant avec habilité théorie et histoire, il décrit comment les États ont peu à peu fait confiance aux Nations Unies, pour définir leur souveraineté statistique et adopté un point de vue plus large que celui dominé par les chiffres traditionels de la vie et des politiques économiques commerciales, reflétant les éléments vitaux de la société négligés - les foyers, les enfants et les femmes. D'autres organisations de l'ONU, comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation internationale du Travail (OIT), ont joué un rôle dans cette transformation. Les statistiques n'étaient pas une source originale mais un moyen d'innover à partir de la toile de fond des tensions politiques internationales et des théories économiques.

L'ouvrage qui suit, intitulé Women, Development, and the UN: a Sixty Year Quest for Equality and Justice (2005) de Devaki Jain, est peut-être le plus pessimiste de tous. Activiste autoproclamée, idéologiquement proche des pays du Sud, l'auteur discute et se fait le champion des luttes dans le monde entier, en parcourant l'histoire des Nations Unies - sommets de l'ONU souvent émaillés de tensions, conférences, déclarations et " identités multiples ", concluant que 60 ans représentaient une longue période avec peu de résultats. Louvrage est solidement lié aux thèmes des droits de l'homme, de la sécurité et du développement et aux personnalités figurant dans la série de l'UNIHP.

Le livre qui s'appuie le plus sur des archives est celui de John et Richard Toyes (père et fils). The UN and Global Political Economy: Trade, Finance and Development (2004) est une approche critique et politique de l'ONU dans les domaines du développement et de la finance. Réunissant un certain nombre de personnalités, dont Raul Prebisch, Gunnar Myrdal, Sydney Dell, Hans Singer et Michal Kalecki, il montre dans quelle mesure les approches de l'ONU ont été initialement largement influencées par les pays du Nord (avec le changement du rôle individualiste des États-Unis, qui ont perdu dans les années 1960 et 1970 leur majorité jusqu'alors acquise à l'Assemblée générale), et égalées par les déceptions des pays du Sud face au rôle de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Il établit un lien avec l'ouvrage de Ward et de Jain par un long débat sur la pauvreté et les objectifs, où le rôle des statistiques est à nouveau abordé. La question du commerce (" Trade ") n'est pas plus optimiste que celle des femmes (" Women ").

Human Security and the UN: A Critical History (2006) de S. Neil MacFarlane et Yuen Foong-Khong, est une étude plus théorique que les trois autres ouvrages. Sur la question de sécurité, les auteurs préconisent les interventions musclées, mais se lancent dans une réflexion sur le rôle croissant, les droits et les conditions des individus et des organisations non gouvernementales, avec et sans rôle de l'État, de la période classique jusqu'aux traités de Westphalie et après. Ils reconnaissent les changements importants intervenus au niveau de l'autorité de l'État jusqu'alors souvent incontestée alors qu'il était devenu clair que les questions cruciales comme les droits de l'homme, l'environnement et la pauvreté pouvaient saper la sécurité humaine et contribuer au conflit. Ils concluent que l'État - l'État responsable -, devrait, avant tout, guider de manière responsable le destin des peuples. C'est, bien sûr, une question qui n'a toujours pas été résolue. Cet ouvrage est davantage axé sur la paix et la sécurité, même si ces questions abordées se recoupent dans les quatre ouvrages.

L'Organisation des Nations Unies, actuellement dans sa soixante et unième année, avec à sa tête Kofi Annnan dont le mandat s'achève bientôt, a entrepris depuis 1997 sa plus longue période d'examen et de tentatives de réformes. L'Organisation mondiale, à travers ses États Membres, laisse cependant l'impression qu'elle doit plus sa longévité à sa capacité d'adaptation qu'à un besoin ou un désir collectif d'entreprendre des réformes. Sur cette toile de fond cependant, elle n'a jamais été à court d'idées, de conseils, de propositions et de pressions politiques, ainsi que de réflexions. Peut-être que dans les premières années, avant les périodes de la guerre froide et de la décolonisation, et plus récemment du terrorisme, les personnalités avaient plus d'influence. De tous les Secrétaires généraux, Dag Hammarskjöld et Kofi Annan sont peut-être les seuls à s'être montrés réceptifs aux idées nouvelles. Peut-être que l'influence initiale des pays du Nord sur l'Organisation et ses institutions, ses programmes et ses fonds a depuis entraîné inévitablement une plus grande politisation des débats, marquée par la tentative des États Membres d'introduire les questions des droits de l'homme, de l'environnement et de la pauvreté dans pratiquement tous les débats, par exemple, ceux sur le conflit ou le développement. Cela a contribué à estomper l'efficacité des politiques de l'ensemble du système.

Louis Emmerij a testé ces livres à l'aide de questions (2). Les ouvrages sont intéressants, bien que les réponses ne soient pas concluantes : les idées viennent-elles en premier ou les politiques ? Les projets sont-ils jugés par rapport à leur contexte historique et social ou par eux-mêmes ? Peut-on retracer une idée du début à la fin ? Qu'est-ce qui leur ont donné l'influence et l'élan, les idées elles-mêmes ou les personnes qui les ont élaborées ? Alors que leur nombre a plus que triplé depuis la création de l'Organisation mondiale, les États Membres, collectivement ou en groupes régionaux, ont probablement plus de difficultés que jamais à obtenir des résultats originaux à partir des idées proposées. Ces ouvrages montrent que les tentatives individuelles, plus que celles des États, ont été décisives.


(Pour plus d'informations sur le Projet d'histoire intellectuelle des Nations Unies, veuillez visiter le site www.unhistory.org.)

Notes

1 Ahead of the Curve? UN Ideas and Global Challenges. Louis Emmerij, Richard Jolly et Thomas G. Weiss (deuxième édition, 2003).
2 Louis Emmerij: The History of Ideas: An Introduction to the United Nations Intellectual History Project, Forum pour les études sur le développement, n° 1-2005.


Biographie
Anthony McDermott est responsable de recherche au Groupe de recherche sur la sécurité internationale et les questions mondiales et analyste de recherche au Foreign and Commonwealth du Royaume-Uni depuis juin 2000. Il est l'auteur de The New Politics of Financing the UN (Palgrave/Macmillan, 2000). Les points de vue exprimés dans cet article sont personnels et ne reflètent pas la politique officielle de l'ONU.
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