Chronique ONU

La question du pétrole
Les perspectives économiques et environnementales dépendent de la coopération mondiale

Par Melissa Gorelick

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L'article

Pendant des décennies, le pétrole, les marchés mondiaux et l'environnement ont été des domaines de conflit clairement définis. Mais, récemment, un changement sans précédent s'est produit dans les débats portant sur les questions liées à l'énergie. Les scientifiques et les hommes politiques ont finalement réussi à faire prendre conscience de la crise climatique à laquelle est confrontée l'humanité à un public indécis, crise qui peut être une vérité " dérangeante " mais qui n'en est pas moins " réelle ". En même temps, les économistes du monde entier tentent de minimiser les prédictions apocalyptiques sur l'approvisionnement mondial en pétrole. La communauté internationale se trouve dans la position difficile d'évaluer le bien-fondé des informations sur l'énergie. Quel effet la fonte de la calotte glaciaire aurait-elle sur la région subarctique ? Que signifient vraiment les prix exorbitants de l'essence ? Alors que les discussions concernant le pétrole sont complexes, le résultat est clair : les problèmes énergétiques sont mondiaux et nécessitent des solutions mondiales.

À cette fin, l'ONU a montré le chemin en coordonnant des efforts à l'échelle internationale. En outre, elle a pris des mesures innovantes pour instaurer un débat qui, pour tout urgent qu'il soit, peut sembler décourageant et inaccessible à ceux qui sont le plus concernés : les consommateurs et les travailleurs dans le monde entier.

Trois organes de traités de l'ONU se sont réunis en mai 2006 pour aborder l'impact économique et environnemental de l'utilisation de l'énergie. La quatorzième session de la Commission du développement durable de l'ONU a rassemblé des groupes aussi divers que des dirigeants de syndicats, des représentants des peuples autochtones et des spécialistes de la technologie qui ont discuté d'une stratégie internationale à long terme en matière d'énergie. Une semaine plus tard, l'Instance permanente de l'ONU sur les questions autochtones a tenu une réunion régionale sur l'Arctique, où les représentants du Conseil de l'Arctique ont évoqué les changements qui surviennent dans leur région. Enfin, la Convention-cadre de l'ONU sur le changement climatique (UNFCCC) s'est réunie à Bonn, en Allemagne, pendant la 24e session des organes subsidiaires, afin d'élaborer pour la première fois une stratégie du Protocole après Kyoto. Ratifié par 163 États, l'engagement initial du Protocole visant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre expire en 2012.

Les gouvernements ne peuvent à eux seuls assurer la disponibilité des ressources en combustibles fossiles, respectueuses de l'environnement et à des prix raisonnables. Cependant, les débats sur l'énergie ont été assombris par les dissensions régionales, mettant en évidence les difficultés d'une coopération internationale. La question des réglementations spécifiques à l'énergie a été un sujet de désaccord pour les pays très industrialisés ou connaissant un développement industriel rapide, comme les États-Unis, la Chine et l'Inde. En 2001, les États-Unis se sont retirés formellement du Protocole, jugeant qu'il était nécessaire de créer des directives spécifiques aux pays. La Chine a également refusé de le signer, craignant que le traité ne prenne pas en compte ses besoins énergétiques en tant que nation à forte croissance et estimant qu'en tant qu'État le plus peuplé dans le monde, ses émissions devraient être mesurées par habitant. Et la Chine et l'Inde mettent en avant leurs besoins énergétiques pour poursuivre leur croissance.

Les principaux organes environnementaux de l'ONU comme l'UNFCC reconnaissent que ces divisions entre les pays industrialisés et les pays en développement sont problématiques. Conformément au principe de réponse des pays industrialisés, le Protocole de Kyoto et les autres accords sur l'environnement exhortent les pays industrialisés à réduire leurs émissions, tandis que les pays en développement sont seulement soumis à des normes de participation à demi volontaire. L'UNFCCC a cependant vu dans le conflit une occasion de lancer des programmes environnementaux et économiques radicaux, a indiqué Hennig Wuster, assistant spécial du Secrétaire exécutif de l'UNFCCC.

Le Mécanisme pour un développement propre (MDP), tel qu'il est décrit dans le Protocole, offre aux nations industrialisées la chance d'investir dans les pays en développement pour les aider à réduire leurs émissions. Ces projets transforment les problèmes régionaux en un objectif mondial de cohésion. Cela semble marcher, a dit M. Wuester. Le Secrétariat de l'UNFCCC estime que ce Mécanisme permettra de réduire les émissions de plus d'un milliard de tonnes d'ici à la fin de 2012 - un succès qui renforcera la coopération internationale. " Cela indique que la structure institutionnelle mise en place est très forte ", a-t-il dit, ajoutant que ceux qui critiquent le Protocole auront des difficultés à contester ces statistiques.

Mais dans la vie économique quotidienne, la nécessité de réduire l'utilisation des combustibles dans le monde entier s'impose. Desmond Lachman, membre de l'American Enterprise Institute for Public Policy, a expliqué que les stratégies énergétiques à court terme dans les parties du monde en développement rendent l'économie mondiale vulnérable à des augmentations de prix. Pour promouvoir l'industrie, certains gouvernements " ignorent " la hausse des prix du pétrole en maintenant le prix de l'essence artificiellement bas dans leur pays, même lorsque le prix augmente dans le monde, a-t-il indiqué. Encouragés par les prix bas, l'industrie et les consommateurs consomment librement, tandis que le reste de la communauté mondiale doit rectifier cette situation en compensant la différence, a-t-il ajouté. Combiné aux préoccupations concernant la stabilité politique des grands producteurs mondiaux de pétrole, il en résulte une flambée des prix et la peur commune, quoique pas entièrement fondée, d'avoir atteint le fond du baril.

Photo par satellite de l'océan arctique. Selon les prévisions de certains climatologues, dans 10 ans, l'océan Arctique pourrait ne plus avoir de banquise en été. Photo/NASA/GSFC

" Il ne fait aucun doute que nous disposons d'une quantité de pétrole limitée ", a admis M. Lachman, qui se faisait cependant l'écho des débats récents dans les médias selon lesquels il y avait " peu de chances que les réserves s'épuisent dans un avenir proche ". C'est aussi l'avis de George Kowalski, directeur exécutif de la Commission économique de l'ONU pour l'Europe (CEE-ONU). La Commission estime qu'avec les prix pratiqués aujourd'hui et la technologie actuelle, les réserves traditionnelles de pétrole pourraient répondre à la demande mondiale cumulative pendant les quarante prochaines années. Une question plus urgente, a-t-il souligné, est de savoir comment avoir accès aux 65 à 75 % des réserves en hydrocarbures dans le monde qui sont inaccessibles aux producteurs et aux distributeurs. Les sources d'énergie non traditionnelles - comme le schiste argileux et le charbon qui doivent être spécialement extraits et convertis en pétrole - nécessitent des investissements financiers pendant plusieurs années avant de générer des profits. Vu les tensions sur le marché du pétrole engendrées par les politiques et l'industrie, nombreux sont les pays qui sont réticents à faire ces investissements à long terme.

Autre option de combustible plus propre et plus rentable, et qui nécessite des investissements de recherche importants : les biocombustibles, dont le plus courant est l'éthanol produit à partir du maïs ou de la canne à sucre. Un rapport récent du Worldwatch Institute a révélé que la production de biocombustibles a doublé depuis 2001. Même si le pétrole représente encore plus de 96 % de l'essence utilisée pour le transport dans le monde, des pays, comme le Brésil (où 40 % des véhicules utilisent déjà des biocombustibles produits à partir de la canne à sucre) et les États-Unis, ont commencé à consacrer d'importants investissements afin de trouver des solutions pour produire une énergie plus propre. Face à cette perspective de développement, M. Lachman a indiqué qu'il serait judicieux d'adopter des normes internationales. Les pays devraient être plus nombreux à investir davantage dans ces domaines car, malgré les craintes de certains pays et de certaines régions, l'économie énergétique est une question mondiale. " Je pense que c'est un cas où il faut une coordination à l'échelle internationale ", a-t-il estimé. Le cadre multilatéral de l'ONU pourrait être un modèle positif pour les activités internationales de coopération futures.

Au lieu de cette frénésie économique entourant la question du pétrole, il serait peut-être plus urgent de se pencher sur les effets que les combustibles fossiles tant convoités mais de plus en plus rares ont sur l'environnement. La consommation et le gaspillage par l'industrie et par les consommateurs, dus spécialement aux prix du pétrole artificiellement bas, sont la cause principale des changements climatiques - un processus qui menace la base même de notre environnement. Au fil des ans, les émissions de gaz à effet de serre, considérées aujourd'hui par pratiquement tout le monde comme responsables du réchauffement de la planète, menacent de modifier la situation météorologique mondiale au-delà de toute reconnaissance. Des inondations, de mauvaises récoltes et des famines pourraient s'ensuivre pendant que les continents s'efforcent de s'adapter.

Alors que ces scénarios sont pour la plupart des prévisions extrêmes, certaines communautés sont déjà confrontées à la réalité du changement climatique. Sheila Watt-Cloutier, présidente de la Conférence circumpolaire inuit et rapporteuse spéciale à la réunion régionale de l'ONU sur l'Arctique, a fait part de l'épuisement des ressources naturelles dont ces populations dépendent. Et leur situation n'est pas isolée. Les représentants de plusieurs pays nordiques et de plusieurs groupes autochtones ont fait part des mêmes préoccupations. Le Conseil de l'Arctique a signalé des succès dus aux efforts passés, notamment des solutions proactives de dépollution, visant à former les villageois pour qu'ils surveillent, testent et contiennent la pollution localement. La fonte des glaces causée par les émissions de gaz à effet de serre est cependant, selon le Conseil, un problème trop important pour être traité au niveau local. Mme Watt-Cloutier a souligné la nécessité pour toutes les nations de faire des sacrifices afin de réduire les émissions, en allant même au-delà des demandes du Protocole de Kyoto. Faute de réductions significatives et coordonnées, a-t-elle mis en garde, l'ensemble de la région subarctique risque aussi de subir les effets du réchauffement climatique. " L'arctique est le mercure du baromètre environnemental mondial ", a-t-elle ajouté. " Le changement climatique a des conséquences dans le monde entier. "

Par des solutions comme le Mécanisme de l'énergie propre, les parties contractantes à l'UNFCCC s'attaquent déjà aux problèmes que connaît l'Arctique et espèrent éviter des dégâts supplémentaires. Lors de la réunion de Bonn, ils ont continué de surveiller les réductions des émissions et lancé de nouvelles initiatives, comme le " Dialogue pour une action concertée à long terme ", un projet portant sur l'adaptation aux changements climatiques par l'adoption d'une technologie innovante et la participation internationale porte ouverte. La prochaine série de pourparlers aura lieu en novembre 2006 à Nairobi, au Kenya.

L'économie et l'environnement sont intégralement liés à la conjoncture du pétrole. Avec une si grande diversité d'intérêts en jeu, le sujet est complexe et difficile, mais c'est aussi une chance de stimuler la participation internationale. C'est un aspect à ne pas oublier car la question continue d'avoir une importance de plus en plus grande au niveau mondial. Il est certain que la future coopération dans le domaine de l'économie énergétique reflétera les préoccupations environnementales, alors que les dirigeants de l'ONU continuent de promouvoir les deux perspectives comme deux défis à relever.


La commission du développement durable :
" nous avons besoin d'une révolution de l'efficacité énergétique "

La Commission du développement durable, qui s'est conclue le 12 mai 2006 au siège de l'ONU à New York, a procédé à l'examen des progrès dans quatre domaines : l'énergie au service du développement durable, le développement industriel, la pollution atmosphérique et les changements climatiques. Elle a abordé d'autres sujets portant sur la sécurité énergétique et la demande croissante pour les ressources énergétiques, ainsi que la pauvreté massive et persistante qui empêche l'accès à des technologies énergétiques modernes plus propres.

La quatorzième session de la Commission, qui s'est tenue du 1er au 12 mai, a également conclu son segment de haut niveau de trois jours, durant lequel le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a appelé à améliorer l'accès des pauvres à l'économie énergétique et industrielle moderne, tout en encourageant une utilisation de l'énergie et une activité économique plus propres. " Nous avons les connaissances et les ressources pour vaincre la pauvreté qui tue tant de vies et pour préserver la planète et son climat pour les générations à venir ", a-t-il déclaré, ajoutant que " nous devons lancer une révolution de l'efficacité énergétique et faire de nouveaux efforts pour augmenter les investissements dans les énergies renouvelables ". Il a également exhorté les pays à tenir leurs engagements vis-à-vis des accords sur le climat et à intégrer les stratégies d'atténuation et d'adaptation face aux changements climatiques dans les stratégies du développement durable.

Plusieurs rapports du Secrétaire général ont été examinés au cours de cette session, notamment les progrès réalisés pour concrétiser les engagements du Programme Action 21 et du Plan de mise en œuvre du Sommet mondial pour le développement durable dans les domaines de l'énergie, du développement industriel, de la pollution et des changements climatiques. L'adoption d'une approche intégrée pour relever les défis du développement durable peut servir à renforcer les synergies, à trouver des solutions avantageuses pour tous et à réduire la nécessité d'arbitrages éventuels, a indiqué le Secrétaire général. Alors que depuis 2002 des progrès ont été réalisés en matière de réduction de la pauvreté par l'accès à des services énergétiques, en particulier l'accès à l'électricité, 2,4 milliards de personnes dans le monde n'ont toujours pas accès à ces services et un quart de la population mondiale continue de vivre sans électricité.

Les conclusions de la session ont été présentées à la Commission en vue de faciliter le débat en 2007 qui portera sur les politiques énergétiques. Toutes les parties intéressées - donateurs, bailleurs de fonds, gouvernements, secteur privé et autres groupes importants - ont reconnu la nécessité de participer à l'élaboration d'une stratégie énergétique commune, partagée et réalisable sur le long terme afin de soutenir le développement durable. Elle aurait pour but de satisfaire les besoins énergétiques présents et futurs des pays développés et des pays en développement, en fonction des moyens, de la fiabilité et de l'accessibilité; d'assurer la sécurité énergétique ainsi que la sécurité, la santé humaine et la protection de l'environnement; et d'établir un engagement mondial, équitable et ferme pour que tous les pays s'attaquent aux changements climatiques avec efficacité.

Un nouveau rapport du Département des Affaires économiques et sociales des Nations Unies, intitulé Tendances dans le développement durable, a offert un aperçu des quatre questions à l'ordre du jour. Ce document reconnaît notamment les liens étroits entre énergie, développement économique, réduction de la pauvreté et création de services essentiels. Compte tenu des effets adverses que la production, la distribution et la consommation d'énergie pourraient avoir sur l'environnement, a indiqué le rapport, des efforts ont été déployés au niveau mondial pour améliorer l'accès à des services énergétiques modernes; accroître l'efficacité des énergies; réduire la pollution atmosphérique; et privilégier le recours à des énergies renouvelables sans danger.

Les représentants d'autres groupes importants, comprenant des enfants et des jeunes, des femmes, des hommes d'affaires et du secteur industriel, des peuples autochtones, des organisations non gouvernementales, des communautés scientifiques, des syndicats de travailleurs, se sont également exprimés sur leur rôle et leurs contributions à la mise en œuvre d'Action 21.

L'organe fonctionnel composé de 53 membres, qui relève du Conseil économique et social, a été établi lors par l'Assemblée générale en 1992 afin de fournir un soutien complet aux objectifs du Programme Action 21, - un plan d'action adopté en 1992 par les gouvernements lors du Sommet " Planète Terre " - afin de mettre en œuvre un modèle de croissance économique qui permettrait de concilier les besoins en matière de développement sans mettre en péril l'environnement. La Commission cherche à conclure des partenariats pour répondre aux questions les plus importantes en matière de développement durable et pour aider à coordonner les activités environnementales et de développement au sein des Nations Unies.


 
 
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