Chronique ONU

COMMENT AMÉLIORER LA VIE DE 100 MILLIONS D'HABITANTS DE TAUDIS D'ICI À 2020

Par Marie Huchzermeyer

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L'article

Une réflexion progressive sur les taudis ou sur les établissements informels doit s'engager dans deux processus qui soutiennent leur formation et leur perpétuation : la distorsion du marché foncier urbain et la manière dont les politiques compétitives de la mondialisation façonnent les marchés fonciers et les politiques urbaines. La gouvernance mondiale peut-elle fournir une approche progressive à ce défi ?


Photo/Marie Huchzermeyer

Dans la Déclaration du Millénaire de 2000, les États Membres de l'ONU ont dit qu'ils " étaient convaincus que le principal défi que nous devons relever aujourd'hui est de faire en sorte que la mondialisation devienne une force positive pour l'humanité tout entière. Car si elle offre des possibilités immenses, à l'heure actuelle ses bienfaits, de même que les charges qu'elle impose, sont très inégalement répartis ". Ils ont également affirmé que la mondialisation devait être inclusive et équitable, une position que soutient l'économiste reconnu internationalement, Hernando de Soto : " Chacun bénéficiera du capitalisme mondial dans un pays, mais ce sont les pauvres qui en bénéficieront le plus "1. Ceci soutient l'argument que l'intégration des pauvres dans le marché foncier mondial (globalisant) est une solution à la pauvreté. Toutefois, l'auteur passe sous silence la distorsion des marchés fonciers urbains en Afrique subsaharienne et la demande importante des ménages mieux lotis mais mal-logés en matière de terres urbaines, qui sont prêts à profiter des programmes fonciers destinés aux pauvres. Quel que soit le niveau de mondialisation de cette région, peu a été fait pour corriger ce déséquilibre. Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et les cibles ont été formulés en fonction, semble-t-il, du marché foncier et de la mondialisation.

La plupart des cibles du Millénaire doivent être atteintes d'ici à 2015, échéance à laquelle les pays devront avoir réduit de moitié ou de manière significative l'incidence de divers indicateurs de sous-développement - pauvreté, faim, inégalité entre les sexes, mortalité infantile et maternelle, propagation du VIH/sida et incidence du paludisme, accès à l'eau, à l'assainissement et à l'éducation primaire. Seule la cible 11 de l'OMD 7 comporte une date ultérieure fixée à 2020 et ne vise pas à réduire de moitié ou de manière significative la population des taudis mais à améliorer sensiblement la vie d'au moins 100 millions d'habitants de taudis d'ici à 2020, comme proposé par l'initiative " Des villes sans taudis ". Cela représente seulement 10 % de la population mondiale vivant dans des taudis en 2000.

La " cible relative aux taudis " sera atteinte une fois que 100 millions d'habitants de taudis auront reçu une aide en relation avec un des critères suivants : accès amélioré à un approvisionnement en eau, amélioration de la qualité des logements, augmentation de l'espace vital, sécurité d'occupation2. Étant donné les prévisions alarmantes sur la prolifération des taudis, ONU-HABITAT a décidé de " se battre sur deux fronts : améliorer la vie de 10 % des habitants de taudis existants tout en élaborant des plans afin de prévenir la formation de nouveaux taudis3. Toutefois, aucune mesure n'est prévue pour veiller à ce que des ménages mieux lotis mais mal logés ne détournent ces solutions à leur avantage.

Photo/ONU

Il incombe aux gouvernements d'atteindre ces cibles. ONU-HABITAT fournit seulement un soutien au travers de ses deux campagnes mondiales - Bonne gouvernance et Sécurité d'occupation - dont Villes sans taudis est le programme le plus réussi et le plus efficace. La réalisation de la cible 11 ne permettra certainement pas d'éliminer les taudis urbains mais le programme n'était pas directement destiné à atteindre cet objectif. Dès le début, cette initia-tive visait seulement à améliorer sensiblement la vie de 100 millions d'habitants de taudis d'ici à 2020. Le programme Des villes sans taudis a pour but de renforcer les institutions et les partenariats afin de créer des initiatives locales pour améliorer les taudis, avec la participation active des organisations des habitants de taudis et des organisations non gouvernementales.
Les idées avancées par l'ONU sont soit normatives, c'est-à-dire qu'elles définissent comment le monde devrait être, soit causales, donc plus opérationnelles, formulées souvent en termes d'objectif4. Des villes sans taudis est une idée normative, l'amélioration de la vie de millions d'habitants de taudis d'ici à 2020 étant l'élément causal. Étant donné la croissance exponentielle de la formation de taudis, il y a une contradiction évidente entre ses deux idées. On confond souvent la cible 11 avec l'objectif normatif, à savoir de créer des villes sans taudis. Nous connaissons la campagne sud-africaine visant à éradiquer les établissements informels qui, depuis 2001, est associée officiellement à la cible 11. Cela n'est pas seulement le cas au niveau national. Même le directeur exécutif d'ONU-HABITAT se réfère à la cible 11 de l'objectif 7 en termes de " Villes sans taudis5 ".

L'ONU a établi avec succès des objectifs dans le domaine de la santé. Lier l'amélioration des taudis à la création de villes sans taudis revient à traiter les taudis comme s'il s'agissait d'une maladie devant être éradiquée en prescrivant un remède universel. Cette approche simple implique l'adhésion des autorités publiques nationales et locales. ONU-HABITAT se félicite de l'engagement officiel de l'Afrique du Sud à atteindre l'objectif lié aux taudis. Dans le numéro d'Habitat Debate de septembre 2005, l'activiste Jokin Arputhan, de Slum Dwellers International, a mis en garde que " l'État parle des OMD, puis démolit les maisons ". Dans une analyse récente, l'ONU en est arrivée à la même conclusion : " L'absence de relation entre la création de connaissances et leur mise en œuvre dans les programmes de l'ONU fait l'objet d'une attention internationale insuffisante4. "

Mais en établissant des objectifs, la gouvernance mondiale apporte-elle une réponse juste à la question des taudis ? Je dirai que l'objectif normatif du programme Des villes sans taudis est problématique. Alors qu'il est totalement irréaliste, étant donné l'augmentation escomptée du nombre d'habitants de taudis, il est aussi indésirable dans un monde où les inégalités semblent être de plus en plus causées par le processus de la mondialisation dans le cadre d'un marché foncier faussé, que rien ne peut arrêter. Empêcher la formation de nouveaux taudis signifie forcer les pauvres à vivre dans d'autres logements inadéquats, qui ne sont pas encore qualifiés de taudis. Plutôt que d'éradiquer les taudis, il serait plus judicieux de mettre en place des structures et des méthodes de gouvernance aux niveau national et local afin de reconnaître et de gérer les établissements informels futurs. Il faudrait alors appeler la campagne Des villes sans taudis " Des villes reconnaissant l'existence des taudis ". Le but ne serait plus de sensibiliser les gouvernements pour qu'ils créent des villes compétitives où la misère n'existe pas mais plutôt tenter de mieux comprendre la réalité des établissements informels et leur interaction avec le marché des logements pour les ménages à revenu faible ainsi que de mettre en place des solutions qui améliorent la vie des populations tout en permettant la formation de nouveaux établissements informels. Cela permettrait de réduire le malaise ressenti par la population croissante des mal-logés. Les établissements informels pourraient corriger plus efficacement ces déséquilibres dans le marché urbain que les programmes destinés à empêcher leur formation.

Le gouvernement sud-africain cherche activement à renforcer sa position sur l'ordre du jour mondial par le biais de deux alliances régionales : l'alliance intergouvernementale Afrique du Sud-Brésil et la Conférence ministérielle africaine sur le logement et le développement urbain, en s'inspirant du modèle de l'Amérique latine. Lors de réunions et de manifestations organisées par ces nouvelles alliances, l'Afrique du Sud a mis en avant l'allégement de la dette ainsi qu'un renforcement des initiatives concernant la cible 11 de l'OMD 7. La prochaine étape sera de promouvoir une reconnaissance mondiale des taudis plutôt que de tenter de les éradiquer, ce qui est irréaliste.

(Cet exposé a été présenté au Centre for Built Environement Studies [CUBES-université de Witwatersrand] et au colloque du Réseau des villes sud-africaines, " What is Progresive Urban Policy ", Johannesburg, Afrique du Sud, 28 janvier 2006.)

Notes

1 De Soto, H (2000). The Mystery of Capital: Why Capitalism Triumphs in the West and Fails Everywhere Else. Basic Books, New York.

2 Relever le défi que représentent les taudis, la terre, l'installation d'abris ainsi que la fourniture et l'accès aux services de base pour tous : Aperçu général. Note de synthèse préparée par le Bureau régional d'ONU-HABITAT pour l'Afrique et les États arabes. Conférence ministérielle africaine sur le logement et le développement urbain (AMCHUD), Durban, du 31 janvier au 4 février 2005.

3 Le défi des taudis et la fourniture d'abris : atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement. Note de synthèse préparée par le Bureau régional d'ONU-HABITAT pour l'Afrique et les États arabes. AMCHUD, Durban, du 31 janvier au 4 février 2005.

4 Emmerij, L. Jolly, R. et Weiss, T. (2005). Réflexion de l'ONU sur la situation économique et sociale dans une perspective historique. Développement et changement, 36(2), 211-235.

5 Tabaijuka, A., Préface. In Oyango, G., Wasonga, G. Asamba, I., Teyie, P., Abunda, J., Obera, B. et Ooko, E. (2005). Analyse concernant les établissements informels à Kisumu. Programme d'éradication des taudis au Kenya et Programme sous-régional Des villes sans taudis pour l'Afrique de l'Est et du Sud, gouvernement du Kenya et ONU-HABITAT.


Biographie
Marie Huchzermeyer est professeur agrégé à l'École d'architecture et de planification, à l'université de Witwatersrand, à Johannesburg. Elle est l'auteur de Unlawful Occupation: Informal Settlements and Urban Policy in South Africa and Brazil, et coéditrice de Confronting Fragmentation: Housing and Urban Developement in Democratising Societies ainsi que d'Informal Settlements: A Perpetual Challenge ?
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