Chronique ONU

Le Conseil économique et social, Le Groupe des huit et le PARADOXE CONSTITUTIONNEL

Par Sybren Elias Hannema

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L'article

Lors d'une conférence que j'ai donnée à l'université de Stockholm en 2004 sur le développement de la constitution de l'Union européenne, le public a été fasciné par les différences entre " l'Europe compétitive " et l'Europe sociale " comme elle s'est développée au cours des années.

Le Couseil Economique et Social/Photo UN Chronique

À l'échelle mondiale, le paradoxe constitutionnel des Nations Unies peut se résumer par l'observation que, malgré la ferveur initiale de la majorité des nations lors de la Conférence des Nations Unies sur l'organisation internationale à San Francisco en 1945 pour améliorer l'allocation des ressources rares, la Charte des Nations Unies et ses révisions ont donné naissance à un cadre mondial, où les marchés mondiaux sont le mécanisme dominant de l'allocation de ces rares ressources. Lors de la conférence, le Secrétaire d'État américain a dit que le Conseil économique et social des Nations Unies était de la plus haute importance. " L'insécurité économique et la pauvreté généralisées, l'ignorance et l'oppression alimentent les conflits et offrent des opportunités aux agresseurs1. "

Bien qu'une grande majorité ait partagé ce point de vue, il était paradoxal que, dans la Charte de l'ONU, les pouvoirs du Conseil soient simplement des pouvoirs de recommandation et ne soient pas renforcés par ceux de l'Assemblée générale. En outre, " les accords de relation " entre le Conseil et les institutions spécialisées n'étaient pas propices à une coordination efficace entre le Fonds monétaire international (FMI) et le Groupe de la Banque mondiale. Ce qui est également frappant, c'est la réticence constante des nations développées à doter l'Assemblée générale et, indirectement, le Conseil économique et social des Nations Unies, de pouvoirs effectifs sur l'allocation des fonds internationaux tout en étant favorables au maintien du pouvoir des institutions de Bretton Woods, sur lesquelles le Groupe des huit (le G-8) exerce une influence.

Un autre point important fut la création du G-8 en 1975 lors de la Conférence de Versailles. Cette conférence est rapidement devenue un événement annuel, où les chefs d'État et les gouvernements des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la Russie, de l'Italie, du Canada et du Japon, ainsi que les représentants de l'Union européenne, se rencontraient dans un cadre privé pour discuter des questions de politiques économiques et sociales les plus urgentes. En raison de son immense influence sur les institutions de Bretton Wood, le G-8 a été en mesure de coordonner avec efficacité les développements économiques et financiers à l'échelle mondiale, tels que les Accords du Louvre en 1985 et ceux de Plaza en 1987.

À la différence du Conseil économique et social, le G-8 est doté de certaines caractéristiques constitutionnelles : le nombre restreint de ses membres, ce qui facilite la prise de décisions par consensus; l'application directe des décisions par les administrations nationales de ses membres; et le partage des intérêts en tant que nations industrialisées. Cependant, à la différence du G-8, l'observation faite par Gunnar Myrdal concernant le Conseil reste valable : il a " atteint un niveau d'insignifiance, qui doit apparaître en vue des objectifs déclarés de la Charte2 ". Une Charte ou un contrat entre des nations et des parties individuelles/collectives peut être considéré en termes d'investissement constitutionnel. Si nous considérons la " prospérité économique " dans un sens plus large3, les avantages anticipés à la Conférence de San Francisco étaient ceux de " la paix et de la prospérité ".

Les investissements constitutionnels se distinguent par trois caractéristiques : premièrement, les constitutions, les contrats et les lois tirent leur raison d'être du fait qu'ils ne sont pas immédiatement renégociables. En raison de cette inertie, ils comportent des risques. Deuxièmement, ils présentent une " caractéristique de base " dans la mesure où ils servent à réaliser d'autres droits et, donc, d'augmenter l'incertitude des avantages futurs. Par exemple, lorsqu'un organe est doté de certains pouvoirs conférés par son mandat, il n'est par clair comment ces pouvoirs seront utilisés et dans quelles circonstances. Troisièmement, le nombre de modifications d'un investissement constitutionnel est réduit. Plus celui-ci comporte de risques, plus les parties ont tendance à réduire les risques en promouvant une modification constitutionnelle plus audacieuse afin de se protéger. Ceci limite les modifications proposées et aussi le champ de négociations des parties qui investissent.

Dans le contexte de l'ONU, le paradoxe suivant se rencontre malgré les motivations des représentants à la Conférence de San Francisco de construire un monde " à l'abri du besoin " et de considérer le Conseil économique et social comme un organe de la plus haute importance : la Charte ne dote le Conseil que du pouvoir de faire des recommandations mais pratiquement d'aucun pour coordonner les institutions spécialisées, notamment le FMI et la Banque mondiale. Plus spécifiquement, il est étonnant que malgré le nombre considérable de pays et de populations en développement, la constitution de base des Nations Unies n'ait pas changée en leur faveur depuis cinquante ans.

Quand deux parties s'engagent dans un investissement constitutionnel, la modification constitutionnelle particulière que préfère la partie pour qui le coût d'opportunité du non-investissement est relativement plus bas sera celle régissant l'investissement constitutionnel. Par exemple, un pays A, qui est situé sur le continent, et un pays B, sur une île, veulent investir dans des transports publics. Supposant que ces deux pays sont égaux en taille, en population et en richesse, le pays A veut un ferry de façon à contrôler facilement le flux de marchandises et de passagers, tandis que le pays B préfère un pont. Si on définit les coûts d'opportunité du non-investissement comme une perte lorsqu'une ou les deux parties ne s'engageront dans aucun type d'investissement commun, ces coûts sont, de toute évidence, plus élevés pour B. Sans liaison de transport avec le continent, le pays B sera isolé et donc plus vulnérable, alors que le pays A continuera de faire du commerce avec ses voisins. Les coûts d'opportunité étant, dans ce cas, alloués de manière inégale, le choix du pays A (ferry) sera probablement mis en œuvre. Deux facteurs importants sont à considérer, ce qui est presque similaire au choix d'une constitution : le nombre d'alternatives est limité, et les risques d'un pont à l'opposé d'un ferry viennent de son " inertie ", ainsi que de sa " caractéristique de base ". Une fois que le pont sera construit, le nombre de personnes, la valeur des biens et des services, ainsi que les conséquences économiques à long terme, sont incalculables.

Le paradoxe constitutionnel comme celui de Charte des Nations Unies peut être expliqué comme suit : à la fois les pays développés et les pays en développement ont voulu un investissement constitutionnel - les Nations Unies. Sur la question de la sécurité où, apparemment, les coûts d'opportunité du non-investissement étaient raisonnablement alloués de manière équitable entre les pays développés et les pays en développement, le Conseil de sécurité a été doté de pouvoirs considérables. Sur les questions économiques, l'intérêt commun de ces deux groupes de pays en tant que coordination - sous la forme du Conseil économique et social - était clairement présent, même si les coûts d'opportunité n'étaient pas alloués de manière équitable. La perspective de faire face à une incertitude totale dans le domaine de l'économie internationale sans aucune coordination comportait plus de risques pour les pays en développement que pour les pays développés.

Alors que pour les pays développés les coûts d'opportunité du non-investissement étaient moindres, la modification constitutionnelle a été choisie selon leur variante préférée : le Conseil économique et social a été doté d'un nombre de pouvoirs relativement limité. Il est intéressant de noter que, malgré l'augmentation relative du nombre de pays en développement, le nombre de membres a augmenté, mais pas celui des pouvoirs attribués au Conseil. Le G-8, cependant, a pu compenser le manque de coordination économique mondiale du point de vue des grands pays industrialisés, tout en se servant de l'autonomie existante des institutions de Bretton Woods dans le contexte de l'ONU. Malgré une augmentation du nombre de ses membres, le statut de ses représentants ou l'intensité de son dialogue avec les institutions de Bretton Wood et de l'Organisation mondiale du commerce, le Conseil, en raison de ses pouvoirs très limités, est loin d'avoir le poids politique et opérationnel du G-8.

Le paradoxe constitutionnel peut servir de guide pour améliorer le rôle du Conseil économique et social. S'il était possible de trouver un domaine politique dans le cadre des compétences du Conseil par rapport auxquelles les coûts d'opportunité du non-investissement étaient alloués de manière équitable entre les pays développés et les pays en développement, le Conseil aurait alors plus de pouvoirs. Un exemple pourrait être le lien perçu entre la pauvreté et la sécurité internationale, et, dans ce contexte, on pourrait citer le Secrétaire général : " Si ce n'est pas maintenant, alors quand ? "

Notes
1 Département d'État, la Conférence des Nations Unies sur l'Organisation internationale, San Francisco, Californie, 25 et 26 avril 1945 : documents choisis, Bureau d'impression des États-Unis, Washington 1946, p. 254.

2 Cité par Sharp, Walter, "The United Nations Economic and Social Council", Columbia University Press, New York, 1969, p.1.

3 Heertje, Arnold, "Echte Economie", De Arbeiderspers, Amsterdam, 1979, p. 109.


Biographie
Sybren Elias Hannema, ancien rédacteur en chef de la publication officielle de la Commission européenne " Nouvelles universitaires européennes ", publiée en anglais et en français, a été professeur invité en droit international et en économies dans plusieurs pays européens. Il termine actuellement des travaux de recherche consacrés au Groupe des huit et au Conseil économique et social de l'ONU.
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