Chronique ONU

ESSAI
IL FAUT CRÉER UNE ACADÉMIE ADMINISTRATIVE DES NATIONS UNIES

Par Joseph E. Schwartzberg

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L'article
Photo ONU

Bien que, dans certaines circonstances, les forces du maintien de la paix de l'ONU, ou une force d'occupation, comme les expériences en Afghanistan et en Irak l'ont récemment montré, puissent se charger d'une partie de la reconstruction dans les États défaillants, quel que soit le niveau de compétence des soldats, certaines fonctions administratives sont mieux exécutées par des fonctionnaires civils. Le recrutement peut cependant poser un problème. Il se peut que nombre de civils soient peu disposés à travailler dans des régions en proie à l'instabilité politique et au danger endémique ou que d'autres, moins réticents, n'aient pas les compétences requises. À cette fin, je propose l'établissement d'une Académie administrative des Nations Unies (UNAA). Elle pourrait délivrer chaque année au moins 1 000 diplômes à des étudiants ayant suivi une formation supérieure qui feraient ensuite partie d'une Réserve administrative de l'ONU pour une période de dix ans durant laquelle ils seraient prêts à servir dans les États défaillants ou menacés, quand et où cela serait nécessaire.

L'Académie offrirait des cours en anglais, en espagnol et en français et aurait trois campus situés de manière appropriée dans des pays d'accueil stables, comme le Canada, le Costa Rica et la Suisse. Au Canada, par exemple, elle pourrait être installée au Centre canadien Lester B. Pearson pour la formation du maintien de la paix, en Nouvelle-Écosse; au Costa Rica, à l'Université de la paix des Nations Unies établie à San José; et en Suisse, à l'ONU à Genève. Un quatrième campus pourrait également offrir des cours en arabe. Le personnel enseignant et administratif serait principalement choisi parmi des personnes ayant déjà acquis une expérience adéquate dans les missions de maintien de la paix de l'ONU avec, au besoin, la participation de spécialistes. Le personnel de soutien serait recruté localement.

Les étudiants seraient choisis sur la base du mérite et devraient passer initialement des examens d'entrée difficiles donnés périodiquement dans l'une des trois langues de travail. Tandis qu'on s'efforcerait d'attirer des personnels qualifiés dans le monde entier, l'accent serait mis sur le recrutement dans les pays en développement. Les candidats devraient être titulaires d'un baccalauréat ou d'un diplôme équivalent, êtres âgés de 21 à 35 ans, en bonne santé et de bonne moralité. Les bureaux nationaux du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) seraient responsables des inscriptions et des examens. Si nécessaire, une aide serait fournie pour se rendre dans les lieux d'examens.

Le recrutement sur concours entraîne des coûts qui n'existent pas dans le système de recrutement actuel du personnel civil des opérations de maintien de la paix de l'ONU, où les privilèges de classe, les relations personnelles et le pays d'origine jouent sans doute un rôle trop important. Les postes supérieurs sont en général alloués aux personnels issus de pays relativement influents ou à l'élite sociale de quelques pays en développement. La question est de savoir si ces personnes sont suffisamment sensibles aux cultures et aux situations économiques de ceux dont elles sont destinées à servir les besoins. Bien qu'il n'y ait aucune garantie que ceux qui viennent de milieux moins privilégiés soient mieux équipés pour faire leur travail, il est probable que les diplômés de l'Académie, dûment formés, feront davantage preuve d'empathie et de compréhension. Comme dans de nombreuses académies militaires, les étudiants recevraient chaque mois un revenu modeste, en plus d'indemnités pour les frais de repas et de logement, dont une partie serait mise de côté sur un compte personnel bloqué accessible seulement à l'issue des dix ans de service requis. Si nécessaire, ces revenus seraient complétés par des indemnités pour les personnes à charge. Les livres, les fournitures et autres dépenses connexes seraient prises en charge par l'Académie; les congés payés et les indemnités de voyage permettraient aux étudiants de rentrer périodiquement chez eux.

La période d'instruction serait de trois ans, certaines spécialités pouvant nécessiter une quatrième année d'études. Au début de la troisième année, les étudiants feraient un stage de quatre à six mois dans une mission de maintien de la paix en cours, là où cela serait possible, ou dans certaines régions en proie à des troubles. Les stages dans les organisations gouvernementales et non gouvernementales feraient l'objet de négociations. Les sujets d'instruction et la nature du cursus seraient en fonction de l'expérience. Mais l'expérience déjà acquise dans le cadre de programmes de formation administrative maintenus par certains États, comme l'Inde en ce qui concerne son propre Service administratif indien, serait aussi exploitée dans la conception du programme de l'ONU.

L'UNAA développerait un cursus de base, comprenant des cours sur l'histoire, la structure et le fonctionnement du système des Nations Unies ainsi que sur les aspects militaires du maintien de la paix, que tous les étudiants devraient maîtriser. D'autres activités essentielles incluraient : l'étude des techniques de gestion générale; des ateliers de techniques de communication écrite; l'acquisition de compétences dans les domaines de l'histoire et de la propagande politique; et la formation sur les particularités des différentes cultures, la résolution des conflits et la gestion du personnel. Celui-ci étant amené à former le personnel local afin qu'il reprenne le contrôle, certains cours de pédagogie seraient requis. Enfin, des cours d'entraînement physique seraient obligatoires.

Certains cours plus spécialisés comprendraient, entre autres : la supervision de la police; la gestion fiscale; le développement de la communauté; l'éducation de base et la réforme de l'éducation; la santé publique et l'assainissement; les secours lors de catastrophes, etc. L'étude multidisciplinaire intensive d'au moins une région mondiale serait obligatoire, et l'étude de langues spécialisées, en particulier l'arabe, le persan, le swahili, l'hausa, l'hindi/ourdou et le bahasa indonésien/malais, serait également encouragée. Divers moyens seraient employés pour tester le niveau des connaissances sur les sujets étudiés. Les étudiants dont le niveau serait insuffisant seraient exclus du programme. En plus, l'académie s'attacherait à instiller dans les étudiants une éthique mondiale où le respect des droits de l'homme universels et la loyauté envers l'humanité dans son ensemble s'ajouteraient à l'allégeance à leur propre nation et les inspireraient à accomplir un travail de service planétaire. À cet égard, l'académie encouragerait considérablement la citoyenneté mondiale.

À la fin de leurs études, tous les étudiants diplômés seraient tenus de remplir une obligation contractuelle de dix ans en tant que membres d'une Réserve administrative de l'ONU et souscriraient un engagement à servir dans la réserve. Une partie des réservistes serait probablement immédiatement dépêchée dans les missions de maintien et d'établissement de la paix de l'ONU manquant de personnels civils. Les autres rentreraient chez eux, la plupart d'entre eux intégrant ou réintégrant leurs services administratifs respectifs ou acceptant un autre emploi, peut-être dans le bureau local du PNUD, et occuperaient ces postes jusqu'à ce que l'ONU ait besoin d'eux. Il serait nécessaire pour les Nations Unies de passer des accords avec les pays d'origine des étudiants afin qu'ils puissent se libérer de leurs fonctions lorsque cela serait nécessaire et qu'une fois leurs missions de l'ONU remplies, ils puissent retrouver leur emploi dans leur pays, sans perte d'ancienneté. Il serait possible pour ceux qui le souhaiteraient d'étendre leur statut de réserviste au-delà de la période de dix ans; toutefois, c'est à l'ONU que reviendrait la décision finale.

En plus d'être engagés à servir, les réservistes devraient être disponibles tous les trois ans après la fin de leurs études pendant plusieurs semaines afin de participer à des camps régionaux, où ils examineraient les succès et les échecs des missions de maintien de la paix de l'ONU antérieures ou en cours et seraient informés de nouvelles situations et des nouveaux développements technologiques. Durant ces périodes ils recevraient un salaire modeste en plus des dépenses engagées pour leur participation. Périodiquement, ils devraient examiner les documents du Département des opérations de maintien de la paix de l'ONU. Au début, la plupart des diplômés occuperaient des postes simples sous la houlette du personnel de l'ONU, plus expérimenté. Ceux qui auraient donné de bons résultats se verraient confier de plus grandes responsabilités dans les missions suivantes et pourraient même accéder à des emplois permanents dans le système de l'ONU.

En janvier 2006, l'ONU comptait au total 71 811 effectifs dans ses cinquante missions de maintien de la paix dans le monde, y compris 61 748 personnels militaires, 7 371 policiers civils non locaux et 2 692 observateurs. L'année précédente, ils avaient été recrutés dans plus d'une centaine de pays et épaulés par environ 4 000 personnels civils qui ont rempli un éventail de fonctions auxiliaires. Le personnel était souvent trop hétérogène, même dans un seul pays. Par exemple, en 1992 en Bosnie-Herzégovine seulement, pas moins de 43 pays ont fourni des contingents de policiers; de même, la diversité dans la composition du personnel militaire et/ou civil a caractérisé d'autres grandes missions, telles qu'en République démocratique du Congo, en Sierra Leone, au Cameroun, au Timor Leste et au Cambodge. Étant donné la différence de formation et de conditions de travail de ces unités dans leur pays respectif, la coordination dans les missions de l'ONU n'a pas été une tâche aisée. On sait que, de temps à autre, de graves malentendus ont eu lieu.
Le recours aux étudiants diplômés de l'UNAA permettrait d'éviter ce genre de problèmes. Ceux-ci prendraient en main l'exécution de nombreuses tâches pour lesquelles le personnel militaire est insuffisamment équipé, ce qui permettrait non seulement d'assurer une meilleure performance mais aussi de réduire la présence militaire pouvant être impopulaire dans les régions déchirées par des conflits.

Le taux relativement bas du personnel civil par rapport au personnel militaire (moins de 1 pour 6) dans les opérations de maintien de la paix ne signifie pas que ce personnel n'est pas nécessaire. Le recrutement est un problème sérieux, les coûts aussi. Le personnel civil coûte beaucoup plus cher par personne que les soldats et, étant donné les contraintes budgétaires strictes auxquelles les Nations Unies sont soumises, leur nombre est inférieur à ce qu'il devrait être. L'Afghanistan, par exemple, est un cas où les Nations Unies commencent à peine à répondre aux besoins. Si une académie existait, elle pourrait permettre de combler cette lacune. Même chose en Irak si le travail diplomatique de base nécessaire et la planification du suivi avaient été menés à bien. Puisque chaque étudiant aurait une obligation contractuelle envers les Nations Unies, en fait une dette pour rembourser une éducation de qualité dispensée gratuitement, lorsqu'ils seraient sur le terrain, leur salaire pourrait être légitimement inférieur à celui des autres personnels civils de l'ONU. Les indemnités de logement et d'autres besoins sur le terrain pourraient également être plus modestes, tout en étant suffisants.

La Réserve administrative de l'ONU ne verrait pas le jour avant que la première promotion n'obtienne un diplôme, trois ans après l'inauguration de l'Académie. Sa taille varierait au cours des ans et augmenterait par la suite au rythme annuel d'au moins 1 000 personnes selon les besoins en personnel et la capacité de l'académie à se développer pour y répondre. Beaucoup dépendrait aussi de la volonté des diplômés de se s'engager au-delà des dix ans requis. Je ferais remarquer qu'il est facile de maintenir un corps de réserve composé de 15 000 membres. Il est tout à fait possible qu'un grand nombre de diplômés ne soient jamais appelés à servir. Étant donné la nature incertaine du contexte politique mondial, il n'y a aucun moyen fiable de prédire qui pourrait être appelé et où. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la formation des étudiants serait une perte d'argent. Au contraire, le développement du capital humain, l'une des missions de l'académie, est pertinent dans un vaste éventail de cas. Le personnel dûment formé à l'administration de son pays d'origine respectif pourrait contribuer considérablement au développement économique, social et politique de celui-ci. Nombre de diplômés, avec ou sans expérience dans le domaine du maintien de la paix à l'étranger, ont de fortes chances de gravir rapidement les échelons au sein de la bureaucratie de leur pays, en particulier dans le cas des pays en développement, où les administrateurs très qualifiés sont probablement en nombre limité.

Le coût que représenterait la création d'une Académie administrative de l'ONU serait modeste par rapport aux avantages dérivés, dont le plus important serait l'établissement d'une stabilité politique et le démantèlement des réseaux terroristes nationaux et internationaux, qui vont de pair, comme ce fut le cas avec Al-Quaida et les talibans en Afghanistan. Si un seul acte de terrorisme pouvait être évité, les avantages seraient incommensurables. En termes financiers, après les dépenses initiales de mise en route, l'UNAA pourrait, selon mes estimations, fonctionner avec environ 200 millions de dollars par an. Cela représente en gros le budget annuel actuel du College of Liberal Arts de l'université du Minnesota, où j'ai enseigné pendant 34 ans, et seulement un dixième du budget de l'ensemble de l'université. Ces estimations incluent trois campus de l'UNAA, 3 300 étudiants (1 200 la première année d'études, respectivement 1 100 et 1 000 les deuxième et troisième années en tenant compte du nombre d'abandons en cours de route), un corps enseignant et un personnel administratif de 300 membres et quelque 300 employés chargés des services techniques, de secrétariat et de maintenance. Elles prennent aussi en compte les coûts de maintenance et les frais généraux, les congés, les frais supplémentaires pour les personnes à charge et la sélection des candidats. Vu les immenses avantages potentiels, peut-on sérieusement soutenir que la communauté internationale - qui peut être aidée par des fondations privées, en particulier dans les premières années - ne peut dépenser la somme relativement modique nécessaire pour donner suite à ce projet ?

Les coûts engagés pour maintenir les membres de la Réserve administrative de l'ONU dans les opérations en cours seraient entièrement séparés de ceux de l'UNAA. Mais considérant l'excellent niveau de préparation et d'efficacité des diplômés ainsi que le coût plus élevé des effectifs de personnel civil en poste jusqu'ici dans les opérations de l'ONU, la création de l'UNAA permettrait probablement de faire des économies considérables pouvant servir à d'autres missions. De toute façon, le recours aux réservistes ne représenterait qu'une petite fraction des coûts généraux du maintien de la paix, qui s'élevaient récemment à 5 à 6 milliards de dollars par an. À titre de comparaison, on peut noter que pour l'exercice financier 2007, le gouvernement américain a, à lui seul, proposé un budget de 439,3 milliards de dollars pour le Département de la Défense (sans compter les demandes " de rallonge " pour poursuivre les actions militaires en Irak et en Afghanistan) et 35,6 milliards pour le Department of Homeland Security (Département de la sécurité intérieure). Justifier cette poursuite unilatérale extravagante à la recherche d'une sécurité illusoire tout en déniant aux Nations Unies les moyens de maintenir une capacité de maintien de la paix adéquate, a peu de sens.

Biographie
Joseph E. Schwartzberg est professeur émérite de géographie et ancien président du Département d'études de l'Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient à l'université du Minnesota. Il a écrit abondamment sur l'Asie du Sud-Est et la réforme de l'ONU. Son livre, Revitalizing the United Nations: Reform through Weighted Voting, a été publié en 2004.
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