Chronique ONU

LA GRIPPE AVIAIRE
SOMMES-NOUS PRÊTS POUR UNE PANDÉMIE ?

Par Jane Lloyd

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L'article
Après la mort ou l'abattage de poulets, leurs carcasses sont brûlées dans une ferme de la province de Long An, près de Ho Chi Minh, au Vietnam. Photo FAO

" Tous les pays et toutes les populations sont exposés au risque de la grippe pandémique ", a indiqué le docteur David Heymann, directeur général adjoint de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) lors d'un réunion spéciale sur la grippe aviaire (ou la grippe du poulet) qui s'est tenue au siège de New York, le 3 novembre 2005. Les experts du monde entier ont discuté de la menace à laquelle fait face la communauté mondiale, y compris des stratégies pour combattre le virus, avec, en particulier, la participation de l'ONU. " Une pandémie peut se déclencher quand trois conditions sont remplies : émergence d'un nouveau virus grippal; infection qui provoque une pathologie grave ou entraîne la mort; et transmission interhumaine. Ce troisième stade n'a pas encore été atteint ", a-t-il déclaré.

Le virus de la grippe aviaire (H5N1) peut muter et se transmettre d'une personne à l'autre de deux façons, a-t-il indiqué. D'abord par un " processus de mutation " qui prend place lorsque le virus mute sous une forme facilitant la transmission entre les personnes pendant le processus de réplication. Considérant que le virus est, comme l'a décrit l'OMS, " désordonné, capricieux et manquant de discernement " et qu'il se reproduit à raison de 100 000 copies par heure, chacune d'elles se reproduisant au même rythme, ce type de mutation n'est pas totalement impossible.

La deuxième façon, la plus vraisemblable, est par un " réassortiment ou une fusion " qui se produit quand une personne est infectée simultanément par un virus humain et par un virus aviaire qui se trouvent dans la même cellule. La mutation survient quand les deux virus se multiplient et, " par un accident dans leurs activités, combinent leur composition génétique entraînant la création d'un virus pouvant se transmettre facilement d'une personne à l'autre par le virus humain mais gardant sa capacité à provoquer une maladie grave par le virus aviaire ", a-t-il poursuivi. Même s'il est impossible de prévoir si le virus H5N1 mutera pour se transmettre à l'homme, il a mis en garde que " ce virus, comme le virus de la grippe, est très instable et subit des modifications fréquentes. Jusqu'ici, on a observé trois pandémies où un virus de la grippe aviaire a muté ou a fusionné avec un virus humain : en 1918, en 1957 et en 1968. La pandémie de 1918 a causé la mort de 40 millions de personnes, la majorité étant des adultes âgés de 20 à 40 ans, avec un taux de mortalité de 2 %; celles de 1957 et de 1968 ont causé la mort de 4,5 millions de personnes.

Le virus H5N1 a été découvert pour la première fois chez des oiseaux en 1996. Au début de 2004, des centaines de milliers de volailles domestiques sont mortes dans plus de 10 pays d'Asie. En juillet 2005, le virus a été découvert en Chine et en Mongolie chez des oiseaux migrateurs sauvages mais l'infection est généralement asymptomatique chez les animaux sauvages. Le premier cas d'infection humaine relevé a été observé à Hong Kong en 1997 : 18 personnes ont été touchées, six sont décédées. Des cas d'infections humaines ont depuis été signalé au Cambodge, en Indonésie et au Vietnam. À ce jour, 122 personnes ont été infectées par le virus et 62 sont décédées.

Louise Fresco, directrice adjointe de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), a indiqué que la propagation de la grippe aviaire chez les oiseaux sauvages a provoqué l'émergence d'une " épidémie eurasienne ". Des oiseaux infectés venant de Chine et de Mongolie sont arrivés dans les plaines de Sibérie où se concentrent les oiseaux migrateurs sauvages. La capacité unique du virus H5N1 à résister au froid " signifie qu'il existe une source permanente d'infection, qu'il se transmet à d'autres oiseaux et se déplace par des voies migratoires différentes ", a-t-elle ajouté.

Dans un monde dominé par le déplacement des personnes, la mutation du virus pour se transmettre de l'homme à l'homme pourrait avoir des conséquences catastrophiques. L'épidémie du syndrome respiratoire aigu grave (SRAS) a tué 800 personnes dont le coût économique est estimé à 30 millions de dollars. Jusqu'ici, le coût total de la grippe aviaire pour le secteur de la volaille en Asie s'élève à environ 10 milliards de dollars. Cette situation a donné lieu à la collaboration de nombreuses parties, notamment des institutions de l'ONU, des États Membres, des banques de développement, des organisations humanitaires et des organismes privés. " Alors que le virus commence à traverser les frontières, il est important que nous regardions au-delà de nos frontières et que nous unissions nos efforts pour traiter les questions culturelles, politiques et scientifiques ", a dit Mme Fresco. La communauté internationale doit " partager les souches de virus et les informations sur l'isolement dès que possible ", a-t-elle ajouté.

Les experts de l'OMS ont dit que même si des progrès prometteurs avaient été réalisés, aucun vaccin n'est encore efficace en cas de pandémie. Les virus de la grippe changeant constamment, un vaccin mis au point trop tôt risque de n'offrir qu'une protection partielle. On mise sur le Tamiflu, un antiviral actuellement utilisé. Cependant, pour être efficace, il doit être administré peu après l'apparition des symptômes. Il réduit l'impact de l'infection et peut aussi être utilisé comme prophylactique pour protéger les personnes exposées à l'infection.

La contamination croisée de la grippe aviaire a donné lieu à une collaboration unique entre l'Organisation mondiale pour la santé animale (OIE), la FAO et l'OMS, dont les réseaux régionaux dans les régions touchées réalisent des travaux de recherche sur la nature et la propagation du virus et fournissent une assistance technique, tels que diagnostics, vaccination et formation. La FAO et l'OIE sont chargées de diriger les campagnes des Nations Unies visant à éradiquer le virus H5N1 chez l'animal. En avril 2005, elles ont lancé le Nouveau Réseau mondial de surveillance de la grippe aviaire pour renforcer la collaboration de leurs laboratoires dans la recherche du virus H5N1 chez l'animal, pendant que l'OMS centre ses recherches sur le virus humain.

En septembre 2005, le Secrétaire général Kofi Annan a désigné le docteur David Nabarro Coordonnateur du système de l'ONU pour les grippes aviaire et humaine afin d'assurer que le système de l'ONU apporte une contribution efficace et coordonnée aux efforts mondiaux de contrôle de l'épidémie. La campagne de lutte contre la propagation du virus H5N1 est " un véritable défi en matière de gestion de l'information ", a estimé M. Nabarro. La stratégie de lutte contre la grippe aviaire de l'ONU est menée sur deux fronts : contrôler la propagation chez les animaux et, en même temps, se préparer à une pandémie.

" Selon la FAO, l'élimination de la grippe aviaire chez les volailles peut retarder ou prévenir la mutation du virus H5N1 sous une forme qui pourrait créer une pandémie humaine ", a indiqué Mme Fresco. Bien qu'il soit " possible de contrôler la grippe aviaire chez les animaux domestiques si les outils sont disponibles ", il serait pratiquement impossible de le faire chez les oiseaux migrateurs, a-t-elle ajouté. Une attention particulière devrait être portée aux routes migratoires des oiseaux et à la surveillance de la propagation de la maladie le long de ces voies.

La FAO fait face à un immense défi, a-t-elle poursuivi : " La population mondiale de volailles compte aujourd'hui 18 milliards d'oiseaux - trois par habitant de cette planète ", le secteur de la volaille a connu un taux de croissance annuelle moyen de 5 % au cours des dernières décennies et l'ampleur de la tâche est considérable. Elle estime que si tous les pays à risque sont touchés, environ 425 millions de dollars seront nécessaires au cours de deux prochaines années pour combattre la maladie. À ce jour, elle dispose de 30 millions de dollars.

La FAO a mis au point une stratégie en trois étapes pour éliminer le virus H5N1 chez les volailles. La première consiste à mettre en œuvre des mesures de sécurité biologique à la fois dans les fermes et sur les marchés, afin de changer les modes de vie en Asie, où les hommes et les animaux vivent dans la promiscuité et les animaux sont généralement tués à la ferme ou au marché. Ces mesures devraient également être prises dans les grandes fermes où la concentration de poulets augmente le risque de propagation. Pour illustrer le risque, Mme Fresco a précisé que " 78 % des canards et des oies sont concentrés en Chine et au Vietnam, sur des terres qui représentent moins de 0,5 % de la surface terrestre mondiale ". Elle a également indiqué que " cette concentration de plus d'un milliard d'oiseaux dans un écosystème humide permet au virus de circuler et augmente les risques d'exposition pour l'homme et les volailles domestiques ".

La deuxième mesure consiste à améliorer la surveillance et la détection du virus H5N1. Mais cela pose plusieurs défis. Il faut s'assurer, par exemple, que les autorités locales chargées de la surveillance dans leur région sont en mesure de réaliser des travaux efficaces sur le terrain et dans les laboratoires. Au cours des 18 derniers mois, la FAO a organisé environ 120 ateliers techniques et formé 3 500 personnes dans le monde. Un autre défi concerne la réticence des pays à signaler une flambée de la maladie. Par exemple, au milieu de 2005, des médecins, consternés par la résistance soudaine du virus à l'antiviral amantadine, ont découvert que les fermiers chinois avaient utilisé ce médicament pour vacciner leurs poulets.
Pour améliorer la surveillance et la détection de la grippe aviaire, il est nécessaire que la FAO accorde un dédommagement aux fermiers dont les volailles ont été abattues afin de les inciter à signaler les cas d'infection, car " ceux dont les moyens d'existence sont les plus touchés sont des pays et des communautés pauvres ", a souligné Mme Fresco. Munir Akram (Pakistan), président du Conseil économique et social de l'ONU, qui a animé la réunion spéciale sur la grippe aviaire en novembre, a appelé les donateurs et les institutions financières à envisager la création d'un fonds pour dédommager les fermiers des pertes causées par la destruction des volailles infectées.

La troisième et dernière mesure concerne l'abattage et l'utilisation de méthodes de vaccination efficaces lorsque la maladie est détectée. Bien que les vaccinations se soient révélées très efficaces contre la propagation de la grippe aviaire, Mme Fresco a déclaré qu'il fallait trouver " un autre mode d'administration que celui que nous utilisons actuellement ", les injections étant " difficiles à gérer dans certaines régions ". Les pays jouent aussi un rôle dans la lutte contre la propagation de la maladie. Par exemple, la Thaïlande exige des passeports pour les coqs de combat afin de suivre leurs déplacements dans le pays, bien que les combats de coqs soient désormais interdits à l'échelle nationale. Ces coqs sont soumis aux tests de grippe aviaire tous les deux mois et les résultats inscrits sur leur passeport.

L'OMS a formulé un programme en cinq étapes pour surveiller les cas d'infection et assurer une préparation mondiale en cas d'épidémie de grippe humaine :

  • Minimiser le risque d'une pandémie en réduisant les possibilités de mutation du virus. Un moyen d'y parvenir consiste à vacciner les populations risquant d'être exposées au virus. D'après M. Heymann, si une personne est protégée contre le virus de la grippe humaine et qu'" elle est infectée par le virus H5N1, celui-ci ne pourra pas se combiner et se réassortir avec le virus grippal, ni se transmettre à l'homme ". La capacité des virus de la grippe à muter de cette façon est illustrée dans la province de Guandong, en Chine, où depuis des siècles l'homme cohabite avec les volailles. Elle a été surnommée " le berceau de la grippe " car au moins deux des trois dernières pandémies y ont pris naissance.
  • Veiller à ce que les pays aient mis en place un plan de préparation. L'OMS leur a fourni des conseils sur les mesures à prendre en cas d'épidémie de grippe humaine. À ce jour, une quarantaine d'entre eux ont élaboré un tel plan.
  • Améliorer la sensibilité de la surveillance du virus chez l'homme. M. Heymann a souligné que " nous devons être en mesure de faire des enquêtes sur le terrain en cas d'infection humaine ". Toutefois, certains problèmes se posent. En raison de leurs croyances religieuses ou de leurs valeurs culturelles, certaines populations n'autorisent pas une autopsie des victimes présumées de la grippe aviaire, ce qui pourrait constituer un outil diagnostique important pour l'OMS. Aussi, l'infrastructure limitée de certains pays peut représenter un obstacle. Par exemple, à Phnom Penh, au Cambodge, il a fallu attendre que l'OMS envoie de la neige carbonique de Bangkok, en Thaïlande, avant de pouvoir dépêcher à Paris à des fins d'analyse les échantillons de tissus d'un cas présumé d'infection par le virus H5N1.
  • S'assurer que chacun sait ce qu'il faut faire en cas de grippe aviaire. M. Heymann a dit que la communication entre l'OMS et la communauté internationale est " importante à un moment où le monde se prépare à faire face à une éventuelle pandémie " et également pendant une pandémie " afin que les populations sachent comment se protéger et quelles mesures prendre ".
  • Affecter des ressources supplémentaires à la mise au point d'un vaccin, la vaccination étant le meilleur moyen de prévenir et de contrôler une pandémie dès ses débuts, a indiqué M. Heymann. Avec 300 millions de doses de vaccin grippal par an, la capacité de production mondiale est insuffisante, a-t-il affirmé. L'industrie pharmaceutique est réticente à produire des vaccins en masse contre une maladie dont la survenue est aléatoire, la marge de profit par vaccin étant limitée. Plusieurs pays, comme l'Australie, ont signé des contrats avec des laboratoires qui fourniront des vaccins en cas de pandémie.

Un autre problème auquel fait face l'OMS est le délai nécessaire à la mise au point un vaccin, ajoutant que " les délais entre l'émergence d'un virus et la production d'un vaccin devaient être aussi courts que possible afin de minimiser les effets de la pandémie ". Les méthodes de production de vaccins comprennent l'utilisation d'œufs fertilisés pour cultiver le virus duquel sont extraits les protéines ou les antigènes clefs. Mais c'est un processus long et compliqué qui prend de six à neuf mois. En l'absence d'un vaccin, " le Tamiflu semble être un moyen potentiellement efficace et des stocks sont actuellement constitués ", a indiqué M. Heymann. En se basant sur les tendances actuelles, il faudrait au laboratoire pharmaceutique suisse Roche une dizaine d'années pour produire suffisamment de Tamiflu pour couvrir 20 % de la population mondiale. L'OMS recommande aux gouvernements de constituer des stocks suffisants pour couvrir au moins 25 % de leur population. Actuellement, il y a une insuffisance des stocks dans le monde. En octobre 2005, Roche a annoncé un prix record de son action en raison de la forte demande pour le médicament.

En cas de pandémie, " un très grand nombre de personnes seraient infectées, perdraient leur emploi et ne pourraient plus vivre normalement dans une société basée sur les relations humaines ", a déclaré M. Heymann. Comme il touche généralement de nombreux aspects des activités d'un pays, un plan de préparation doit souvent être élaboré avec la collaboration des différentes organisations gouvernementales. La FAO et l'OMS sont les deux principaux organismes de l'ONU qui fournissent des recommandations aux gouvernements. Sur demande, l'ONU dépêchera une équipe d'experts pour venir en aide à un pays. Le Programme des Nations Unies pour le développement aidera les pays à soutenir leurs processus et leur fournira des conseils sur l'évaluation et la gestion des risques. Si le risque de pandémie est imminent, le Coordinateur humanitaire de l'ONU, avec les équipes humanitaires interinstitutions dans les pays, sera prêt à agir. Le Haut Commissariat pour les réfugiés, le Fonds des Nations Unies pour la population et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance veilleront à ce que les groupes de discussion aient la capacité de répondre à la pandémie.
La grippe aviaire " souligne à quel point nous sommes tous devenus dépendant les uns des autres dans un monde globalisé ", a dit Jan Eliasson, président de la soixantième Assemblée générale. " Dans les pays les plus pauvres, les services de santé soudainement débordés, insuffisamment financés, mal équipés et avec un personnel en sous-effectif ne sont plus seulement l'affaire de ces pays ou des organisations donatrices accomplissant une mission altruiste, ils doivent être l'affaire de tous. "


 
 
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