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AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE L'AIDE : DEUX ÉTUDES PROPOSENT DES SOLUTIONS

Par Anisya Thomas

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L'article

Un an après une série de catastrophes naturelles, l'aide commence à montrer des signes d'essoufflement. Parallèlement aux dons sans précédent collectés après le tsunami et le cyclone " Katrina ", beaucoup ont demandé que soient apportés davantage de preuves de l'efficacité de l'aide. Ce domaine est peu connu et peu couvert. Comment évaluer l'efficacité dans ce genre de situation ? Comment créer des points de référence et des mesures quand les catastrophes surviennent dans un contexte entièrement différent, quand le terrain, les ressources, l'accès et les lois sont différents ?

Fritz Institute photo

Régulièrement, les organisations d'aide évaluent leurs propres performances, principalement en recueillant des informations auprès des fournisseurs de l'aide humanitaire sur le terrain et en amont dans les bureaux nationaux, régionaux et aux sièges des institutions avec, parfois, la participation des donateurs. Or, cette approche présente deux problèmes. D'abord, ces évaluations sont rarement consolidées et il est difficile de dresser un tableau général de la situation pour le secteur. Il n'est donc pas facile d'institutionnaliser les leçons apprises auprès des organisations. La Tsunami Evaluation Coalition vise à consolider les évaluations de performance non confidentielles et volontaires des organisations qui ont participé aux opérations de secours.

Le deuxième problème concerne l'incapacité de lier l'aide fournie et l'aide reçue. L'aide a-t-elle été reçue au moment opportun, répondait-elle aux besoins ? A-t-on respecté la dignité de ceux qui l'ont reçue ? Pour traiter cette question, il a été proposé, lors de l'Humanitarian Impact Conference, organisée en juin 2004 par le Fritz Institute et soutenue par la Fondation Hewlett et la Fondation Gates, de demander le point de vue des premiers intéressés. On considérait que, quelles que soient les contraintes en amont, les informations recueillies auprès des victimes pourraient améliorer la fourniture des services humanitaires.

Cette approche a vu le jour après le tsunami, en décembre 2004, dans deux grandes études quantitatives réalisées par le Fritz Institute et TNS India, qui possède des bureaux affiliés dans les pays touchés par le tsunami. Dans le cadre de la première étude, réalisée 60 jours après la catastrophe, on a demandé à 1 406 familles dans 197 villages en Inde et au Sri Lanka d'évaluer les secours qu'elles avaient reçus 48 heures et 60 jours après le tsunami. La deuxième étude, réalisée neuf mois après la catastrophe, a été menée auprès de 1 800 familles dans 191 villages. Toutes les études ont été réalisées dans les langues locales, le tamil et le singhalais, par des chercheurs compétents.


Fritz Institute photo

En Inde, les secours, pendant les premières 48 heures, ont été principalement fournis par la communauté locale (47 %), puis par le gouvernement (23 %). Au Sri Lanka, la situation a été très différente. Les services ont été initialement fournis par l'aide extérieure (72 %), la présence gouvernementale étant particulièrement faible (8 %). On a demandé aux personnes interrogées d'évaluer les secours reçus dans les premières 48 heures en indiquant leur note de satisfaction sur une échelle de cinq points allant de très mauvais (1) à très bons (5) : 3,8 en Inde contre 2,9 au Sri Lanka. Il est intéressant de noter que les niveaux de satisfactions étaient les plus élevés dans les zones les plus touchées de l'Inde et les plus bas dans les zones les plus touchées du Sri Lanka.

Tandis que certaines de ces variations pouvaient être liées à la gravité de l'impact, qui a été plus fort au Sri Lanka, ce sondage souligne également l'importance de la préparation de la communauté locale et de l'efficacité du gouvernement. Le gouvernement indien avait entrepris d'importantes mesures après le tremblement de terre dans le Gujarat en 2001, en mettant en place des programmes de préparation aux catastrophes destinées aux communautés côtières établies dans les zones à risque. En revanche, le gouvernement sri-lankais a été lent à réagir et le niveau de préparation a été faible, le pays n'ayant jamais connu une catastrophe naturelle de cette ampleur.


Photos HCR

Les familles interrogées dans les deux pays ont dit avoir reçu une aide relativement importante pour ce qui est de la nourriture, de l'eau et des vêtements durant les deux premiers jours suivant le tsunami. En Inde, 91 % des personnes interrogées ont reçu une aide alimentaire, 85 % de l'eau potable et 66 % des vêtements. Au Sri Lanka, 78 % ont reçu de la nourriture durant les premières 48 heures, 70 % de l'eau potable et 52 % des vêtements. Cependant, malgré une fourniture importante de ces secours, certains services cruciaux étaient insuffisants. Moins de la moitié des personnes interrogées en Inde (48 %) ont cité les efforts de recherche et de sauvetage après la catastrophe et seulement 15 % ont mentionné les travaux de déblaiement, tandis qu'au Sri Lanka les rescapés ont signalé des niveaux encore plus bas, 31 % pour les efforts de recherche et de sauvetage et seulement 8 % pour les travaux de déblaiement. Certains ont considéré que l'absence de ces services a fait encore plus de victimes. " Nous pensons que certains auraient pu survivre si des recherches avaient été entreprises le premier jour ", a commenté un survivant. Les soins médicaux, relativement bien distribués en Inde (66 %), ont été accessibles au Sri Lanka à seulement un tiers des personnes interrogées au cours des deux jours suivant le tsunami.

Ces résultats peuvent être utiles pour les gouvernements alors qu'ils évaluent le type de services à fournir dans les régions particulièrement vulnérables aux catastrophes. Tandis que les services de base comme la nourriture, l'eau et les abris peuvent être fournis par les communautés locales ou nationales, il est important que les services spécialisés, tels que la recherche des personnes disparues, les travaux de déblaiement et l'aide médicale, soient planifiés de manière systématique. Les résultats du sondage indiquent clairement que l'organisation (la distribution) et la nature des secours (la rapidité et la qualité) sont de la plus haute importance pour les victimes.

Alors que les familles interrogées se sont déclarées très satisfaites des services fournis par les organisations humanitaires, beaucoup ont été humiliées par la manière dont s'est déroulée la distribution, considérant avoir été traités comme des mendiants, et par la qualité médiocre et le type inapproprié de la nourriture et des vêtements fournis. Des rescapés, se sentant humiliés, auraient refusés l'aide. Ce fut, par exemple, le cas pour la distribution de vêtements : 55 % des familles interrogées en Inde se sont senties atteintes dans leur dignité, 33 % au Sri Lanka. Beaucoup ont rapporté que les vêtements étaient usagés ou en mauvais état, d'autres qu'ils n'étaient pas appropriés aux normes culturelles locales. " Nous avons cherché dans une pile de vêtements; il n'y avait pas un seul sari, que des churidars [pantalons] ", a commenté une Indienne interrogée. Pour d'autres, les vêtements n'étaient pas appropriés aux conditions locales. Au Sri Lanka, une personne a répondu que " les vêtements venant de l'étranger ne convenaient pas aux conditions climatiques ".

Sur la question de l'impartialité, les familles interrogées ont cité des cas où l'aide a été distribuée selon des raisons politiques, religieuses ou sociales. Alors qu'il est difficile d'évaluer l'inégalité dans la distribution, les personnes interrogées ont rapporté des cas où les élites locales ont détourné les matériels de secours à leur profit ou ont pris le contrôle de leur distribution. Ceci soulève des questions sur le déroulement de la distribution de l'aide, le type de secours et la cohérence des interventions fournies par de multiples fournisseurs. Il sera probablement utile d'engager des discussions et d'examiner les processus de distribution alors que le secteur cherche à améliorer leur efficacité.

Le tsunami a eu un impact important sur les moyens d'existence des populations touchées. Au Sri Lanka, 59 % des personnes interrogées ont déclaré avoir perdu plus de 50 % de leurs revenus familiaux et 30 % entre 76 et 100 %. En Inde, 47 % des personnes interrogées ont indiqué une diminution de plus 50 %, 17 % estimant la perte entre 76 et 100 %. Neuf mois après la catastrophe, nous avons demandé aux familles d'évaluer leur satisfaction concernant les efforts des organisations de secours pour rétablir leurs moyens d'existence. Il était intéressant de voir que les réponses ont varié largement en fonction de la région et du type de secours.

Au total, 24 % des personnes interrogées au Sri Lanka se sont déclarées satisfaites des mesures prises par les organisations non gouvernementales internationales pour rétablir les moyens d'existence contre 20 % par les ONG locales, les services fournis par le gouvernement ne recueillant qu'un faible pourcentage (8 %). Tandis qu'à Hambantota et à Batticaloa, 16 % des familles touchées ont dit apprécier les efforts du gouvernement, à Ampara, à Trincomalee et à Jaffna, plus de 90 % se sont déclarés non satisfaits. D'autre part, à Trincomalee et à Batticaloa, plus d'un tiers des familles se sont dites satisfaites des services des ONG internationales, tandis qu'à Ampara, 91 % ont indiqué leur insatisfaction contre 74 % à Hambantota. De même, à Ampara, à Matara et à Hambantota, une importante proportion des familles touchées a dit être insatisfaite des efforts des ONG locales pour rétablir les moyens d'existence.

En Inde, les sondages ont donné des résultats contraires. Dans la majorité des districts, les mesures prises par le gouvernement pour rétablir les moyens d'existence ont été considérées plus satisfaisantes que celles prises par les ONG internationales et locales. Cependant, ces résultats varient selon les districts.

Ces résultats fournissent une base permettant une meilleure analyse des niveaux de satisfaction et l'examen d'approches différentes pour rétablir les moyens d'existence et mieux répondre aux besoins. Ceux qui reçoivent les secours peuvent être une source d'informations utiles sur l'efficacité relative des secours à court et à long terme après une catastrophe. Associées aux autres données, les informations recueillies peuvent permettre d'identifier les succès relatifs de certaines approches du secours et du développement.

 

Biographie
Anisya S. Thomas est administratrice déléguée au Fritz Institute, une organisation chargée d'examiner les défis opérationnels complexes dans la fourniture de l'aide humanitaire dans le monde. Elle a été professeur associée à l'université internationale de Floride et a écrit de nombreux articles sur la stratégie compétitive, l'entreprenariat international et la gestion interculturelle
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