Chronique ONU
LA TRANSITION URBAINE CHAOTIQUE EN AFRIQUE
AU ZIMBABWE, LES EXPULSIONS ONT DES CONSEQUENCES DRAMATIQUES

Par Rasna Warah

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L'article
Pratiquement sans aucun avertissement, le gouvernement du Zimbabwe a lancé en mai 2005 une opération de « nettoyage » des villes. L'« Opération Murambatsvina », baptisée « Rétablissement de l'ordre », a débuté à Harare, la capitale, et est rapidement devenue une campagne de démolitions et d'expulsions menée par la police et l'armée. Connue sous le nom populaire d'« Opération tsunami » en raison de sa rapidité et de sa furie, la campagne a abouti à la destruction d'habitations, de locaux d'entreprises et de magasins dans plusieurs parties du pays.

Selon un rapport de Anna Kajumulo Tibaijuka (photo ci-contre), envoyée spéciale de l'ONU pour les questions ayant trait aux établissements humains et la directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat), publié en mai 2005, quelque 700 000 Zimbabwéens ont perdu leur maison ou leurs moyens d'existence, ou les deux, et 2,4 millions ont été indirectement touchés.

L'Opération Rétablissement de l'ordre a eu lieu à un moment où le pays connaissait des déficits budgétaires importants, une inflation à trois chiffres, une pénurie alimentaire et de pétrole ainsi qu'une baisse chronique de l'aide étrangère. Elle a été mise en ouvre dans un climat de défiance et de peur, sans dialogue entre les autorités gouvernementales et locales ainsi qu'entre le gouvernement et la société civile. Alors que le rapport reconnaît que le contexte social, économique et politique dans lequel l'opération a eu lieu était spécifique au Zimbabwe, il partageait cependant des points communs avec d'autres villes africaines qui avaient connu une urbanisation rapide.

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Contrairement à d'autres parties du monde où la transition urbaine a été liée à l'industrialisation et à un plus grand nombre d'opportunités économiques, l'urbanisation en Afrique a eu un prix. Elle s'est faite dans le contexte d'un déclin économique persistant pendant les 30 dernières années. Les conflits, la sécheresse et le déclin économique rural ont, par ailleurs, contribué à la migration rapide de millions de ruraux vers les villes à la recherche d'une vie meilleure. Même durant la meilleure période, les autorités locales ont rarement reçu une part de la richesse nationale pour faire face à la croissance démographique rapide et répondre aux demandes en matière de services. Dans une période de stagnation des économies nationales, les autorités locales ont même eu moins de ressources pour répondre aux besoins des résidents urbains, dont une majorité a fini par vivre dans des logements insalubres ou des bidonvilles. Selon ONU-Habitat, plus de 70 % de la population urbaine en Afrique subsaharienne vit dans des conditions similaires, dans des logements insalubres ou surpeuplés avec un accès limité aux services de base.

La situation s'est aggravée dans les années 1980 lorsque de nombreux pays africains ont adopté des réformes d'ajustement structurel lancées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, entraînant d'importantes réductions des budgets locaux qui se sont répercutées sur les services fournis à la population urbaine. Actuellement, seulement 48 % des ménages urbains en Afrique subsaharienne ont accès à l'eau, contre 19 % dans les établissements informels. De même seulement 31 % des ménages urbains sont connectés à un système d'évacuation des eaux usées contre 7 % dans les bidonvilles. Seulement plus de la moitié des résidents urbains ont l'électricité dans leur maison, contre un cinquième dans les bidonvilles. Un grand nombre de problèmes remontent à la période coloniale. Dans de nombreuses colonies britanniques, y compris au Zimbabwe, le centre de la ville était réservé aux Blancs, avec une zone tampon sous-développée autour du quartier central des affaires. Les villes étaient souvent planifiées à l'avance et imposées aux localités sans accorder trop d'attention aux contraintes existantes. La population autochtone était relocalisée dans des cités noires, à la périphérie de la ville, ou dans des « réserves » rurales.

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Les Africains sont venus en masse dans les villes dans les années 1960 après l'indépendance. Des villes comme Dar es Salaam, qui était déjà une ville côtière dynamique avant que les Britanniques ne prennent le Tanganyika aux Allemands après la Première Guerre mondiale, furent plus difficilement restructurées et ne comportent donc pas de zones de bidonvilles surpeuplés comme ceux que l'on trouve à Nairobi. Au cours de dix ans d'indépendance, la population urbaine du Zimbabwe est passée de 23 % dans les années 1980 à 30 % au début des années 1990. Les gouvernements qui ont succédé au gouvernement colonial ont été pris de court et n'étaient pas préparés à faire face à un flux rapide de migrants. Cette tendance a été renforcée par des disparités de plus en plus marquées en matière de salaires, par l'absence de politiques d'urbanisation et une mauvaise gestion économique, ce qui a engendré une crise.

L'indépendance du Zimbabwe a eu lieu relativement tardivement, en 1980, avec des promesses de paix et de prospérité. Alors que le gouvernement a fourni des services sociaux, tels que l'éducation, les soins de santé et l'augmentation des salaires à la majorité de la population noire pendant les premières années d'indépendance, les problèmes socio-politiques et économiques sous-jacents n'ont pas été résolus et ont engendré une crise nationale. L'une des questions les plus problématiques a concerné les terres. Et alors que cette question avait été au cour de la lutte pour l'indépendance, l'accord constitutionnel conclu préservait le droit des colons à la terre au détriment de la population locale. Pour aggraver la situation, le lancement dans les années 1990 d'un programme d'ajustement structurel a entraîné une suppression importante de postes de fonctionnaires, la fermeture d'industries de fabrication, une inflation et la détérioration des services de base. En février 1998, les fermiers ont pris les choses en main en s'appropriant les fermes commerciales, forçant le gouvernement à lancer une réforme foncière « accélérée » en 2000.

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C'est dans ce contexte que l'Opération Rétablissement de l'ordre fut lancée. Ironiquement, alors que le gouvernement tentait de calmer la population rurale, il adoptait par ailleurs une approche élitiste en imposant des lois et des normes strictes aux citoyens urbains, en vertu desquelles de nombreux habitants se sont retrouvés dans une situation illégale. Les villes du Zimbabwe ont donc été largement épargnées par la croissance des bidonvilles et des habitats précaires sous-intégrés qui sont caractéristiques aux villes africaines. Les statistiques officielles compilées par ONU-Habitat montrent qu'en 2001, seulement 3,4 % de la population urbaine au Zimbabwe vivait dans les bidonvilles, un nombre nettement inférieur à celui de certains pays industrialisés dont 6,2 % de la population vit dans des conditions insalubres. Comme l'indique le rapport de l'Envoyée spéciale, « l'élite nationale semblait avoir reproduit la mentalité coloniale en instaurant des normes élevées pour quelques-uns au détriment de la majorité. En fin de compte, alors que le principal enjeu de la lutte pour l'indépendance était les « colons blancs » et le pouvoir économique et politique qu'ils monopolisaient, le gouvernement a été incapable d'inverser la nature inégalitaire et exploitatrice du capitalisme lui-même.

L'acquisition des fermes dans le cadre du plan de réforme foncière de 2000 a offert aux pauvres urbains l'une des premières opportunités d'occuper des terres aux alentours des villes, dont beaucoup étaient des extensions d'habitations légales, fournissant des habitations abordables pour les pauvres de la ville et une source de revenus pour les propriétaires. La plupart de ces cabanes ont été démolies, aggravant le sort de centaines de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants et les rendant plus vulnérables. C'est pourquoi le rapport recommande, entre autres, la suspension ou la révision des anciennes lois, afin qu'elles reflètent les réalités sociales, économiques et culturelles auxquelles fait face la majorité de la population du pays, à savoir les pauvres. Il recommande également que la communauté internationale tire les leçons de la crise au Zimbabwe pour tout le reste de l'Afrique, à savoir la nécessité de mettre en ouvre l'ordre du jour d'Habitat et les Objectifs du Millénaire pour le développement.
Biographie
Rasna Warah fait partie de l'équipe chargée de la rédaction de la publication d'ONU-Habitat, le Rapport 2006 sur l'état des villes dans le monde.
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