Chronique ONU
Le changement climatique
Le Sommet des investisseurs évalue les risques et les possibilités
Par Amir A. Dossal et Mindy S. Lubber

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L'article
Les investisseurs institutionnels américains et européens, qui gèrent des fonds totalisant ensemble plus de 5 000 milliards de dollars, se sont réunis pendant une journée à l'occasion d'un Sommet qui s'est tenu le 10 mai au siège de l'ONU à New York afin d'examiner les risques financiers que pose le changement climatique et les opportunités pour les entreprises, et de trouver des solutions. À la fin des débats, les participants, comprenant un groupe sans précédent de gestionnaires de fonds de pension, de sociétés d'investissement, de directeurs du trésor public et de fondations, se sont joints à l'Organisation des Nations Unies pour soutenir un nouvel appel exhortant les investisseurs à entreprendre d'urgence une action pour lutter contre le changement climatique.

UNFIP photo
Ayant réussi depuis le Sommet de novembre 2003 à sensibiliser davantage les investisseurs sur l'impact financier du changement climatique et à encourager les entreprises à communiquer les informations sur les risques, le groupe s'est concentré sur les nouvelles initiatives à prendre. Avec l'entrée en vigueur du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC), les participants ont estimé qu'il était urgent d'examiner les effets qu'auraient des restrictions de carbone sur les portefeuilles des investisseurs et le potentiel d'investissement pour la nouvelle génération des technologies d'énergie propre.

« Le Protocole de Kyoto est entré en vigueur. [...] Mais Kyoto n'est qu'une première étape », a déclaré le Secrétaire général Kofi Annan dans un message vidéo diffusé lors de l'ouverture du deuxième Sommet des investisseurs institutionnels sur les risques climatiques, organisés conjointement par la Fondation des Nations Unies (FNU), le Fonds des Nations Unies pour les partenariats internationaux (FNUPI), Ceres (Coalition pour des économies écologiquement responsables), le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le groupe d'investisseurs sur les risques climatiques. « Nous avons besoin, après 2012, d'un cadre qui inclura tous les pays et utilisera pleinement les nouvelles technologies », a indiqué M. Annan. « Vos choix et vos opinions peuvent inciter les décideurs, dans les gouvernements et l'industrie, à prendre au sérieux les changements climatiques. Et vos investissements peuvent ouvrir la voie à des politiques efficaces ainsi qu'à des technologies innovantes en matière d'énergie et de transport », a-t-il ajouté. Il a encouragé les participants à « voir grand » et « à long terme ».

Le sénateur Timothy E. Wirth, coprésident du Sommet et président de la FNU, a défini les liens entre les politiques en matière d'énergie, le changement climatique mondial, la sécurité nationale et le développement. « Nous devrions nous pencher sur les possibilités découlant des politiques en matière d'énergie qui tiennent compte du changement climatique, améliorent notre sécurité nationale et offrent aux pays les plus pauvres une occasion de participer à l'économie moderne. À la Fondation des Nations Unies, les politiques en matière d'énergie et d'environnement ne sont pas perçues comme des problèmes difficiles à résoudre mais plutôt comme des moyens importants permettant de transformer les économies mondiales et de rendre notre environnement plus sûr. » Ce point de vue a été également partagé par Denise L. Nappier, coprésidente du Sommet et directrice du Trésor public du Connecticut. « Les chefs d'entreprise et les responsables financiers doivent examiner le changement climatique de manière stratégique et voir quel sera, à long terme, son impact sur la santé des entreprises, les industries et notre économie. Les investisseurs institutionnels recherchent une valeur solide à long terme, mais notre capacité à prendre des décisions en matière d'investissement dépend de l'évaluation des risques et de la communication d'informations complètes sur ceux-ci. » Les investisseurs peuvent également tirer parti des opportunités qui se présentent alors que de plus en plus de pays passent des lois pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. « Si les risques sont réels, les possibilités le sont tout autant », a-t-elle commenté.

Selon John Holdren, professeur de Harvard University, à l'échelle de la planète, les températures augmentent en raison des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) et d'autres gaz à effet de serre. En conséquence, les phénomènes climatiques comme les raz-de-marée, les tempêtes, les inondations, la sécheresse et les incendies de forêts seront plus fréquents dans les 25 prochaines années. « Les preuves montrent que le réchauffement de la planète est une réalité, comme l'atteste la réduction de la couverture de glace dans l'Antarctique et au Groenland. La température moyenne de la surface de la Terre a augmenté de 0,8 °C. « Une simple augmentation de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels signifierait la disparition des ours polaires et des récifs coralliens », a expliqué M. Holdren. La communauté internationale est confrontée à trois choix : réduire les émissions de CO2; « nettoyer » l'atmosphère; et réduire la capacité de rétention de la chaleur des gaz à effet de serre en injectant des particules qui réfléchiraient la lumière. C'est, selon lui, la solution la plus viable. Il est impératif que les États-Unis se joignent aux autres pays pour répondre à ce défi, en imposant, par exemple, une limite aux émissions de carbone et en utilisant des permis d'émission échangeables. Leur participation active dans le processus de la CCNUCC est également nécessaire pour « aider à mettre en place un cadre adéquat, abordable et équitable au niveau mondial afin de réduire les risques de changements climatiques (voir encadré).

L'ancien Secrétaire américain du Trésor, Paul O'Neill, a offert de mettre son expérience à contribution. Président-directeur général d'Alacoa de 1987 à 1999, il a pris des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en augmentant l'efficacité et la productivité de l'entreprise. Quand il a appris que la fabrication de l'aluminium polluait et attaquait la couche d'ozone 3 000 fois plus que le dioxyde de carbone, il a engagé des chercheurs et des ingénieurs pour éduquer le personnel de l'entreprise sur ce sujet et trouver des méthodes de production moins polluantes. Il a encouragé les autres PDG à examiner les effets qu'exercent les activités de leur entreprise sur l'environnement et à soumettre leurs conclusions dans un rapport indépendant fourni aux actionnaires, plutôt que de communiquer ces informations dans le rapport annuel jugé trop ardu. La Securities and Exchange Commission des États-Unis demande que les entreprises publiques remettent aux actionnaires, des formulaires 10 K contenant des informations plus complètes sur les activités, les finances et la gestion de la société que le rapport annuel.

Ted Turner, président de la FNU, a souligné la menace immense que posait le changement climatique pour l'environnement mondial si rien n'est fait. Il a promis de tout faire pour garantir un « monde meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants ». Rappelant le passé où l'industrie américaine avait rapidement changé de cap avec, par exemple, le passage de la production civile à la production militaire en 1942 lorsque les États-Unis ont déclaré la guerre à l'Allemagne, il a dit que le monde pouvait et devait commencer immédiatement à produire une énergie « propre, alternative, produite au niveau local ». Un leadership est essentiel à la lutte contre le changement climatique.

Klaus Toepfer, directeur exécutif du PNUE, a souligné qu'il fallait fixer de nouveaux objectifs de réduction d'émissions de carbone dans le Protocole de Kyoto. « Il est essentiel que nous ayons une vision à long terme, au-delà de la première phase d'engagements, et que des politiques fermes soient envisagées pour l'après-2012. » Cela créera l'investissement nécessaire pour développer les marchés du carbone, a-t-il indiqué. « Une fois que les investisseurs auront cette certitude, ils pourront se mettre à l'ouvre et créer de nouveaux produits et services financiers afin de gérer plus efficacement les risques climatiques.» Il a annoncé la mise en place après le sommet d'un plan à trois étapes que le Ceres, le PNUE, la FNU et le FNUPI poursuivront.

Première étape : une « Initiative pour encourager la communication des informations sur les risques climatiques », qui s'appuie sur les efforts existants. Cette initiative examinera les émissions des entreprises, les effets sur le climat, les divers scénarios, les analyses stratégiques ainsi que les projets pour faire face aux risques climatiques et aux opportunités. Deuxième étape : une initiative lancée par le PNUE et le Pacte mondial de l'ONU, en collaboration avec la communauté des investisseurs institutionnels afin d'élaborer des « Principes de l'investissement responsable » qui définiront la base d'un nouveau type de capital responsable intégrant les objectifs de développement durable à long terme aux obligations des investisseurs, en particulier des fonds de pension. Troisième étape : l'établissement d'un « Nouveau Forum pour la coopération internationale des investisseurs pour répondre aux risques climatiques » qui encouragera la collaboration et l'échange d'informations parmi les investisseurs pour répondre aux risques financiers que pose le changement climatique et gérer les opportunités. Ce forum leur fournira des informations, organisera des discussions et leur permettra de coordonner leurs efforts.

Pendant le Sommet, 24 investisseurs ont publié un plan d'action à dix points appelant les investisseurs institutionnels, les gestionnaires de fonds, les conseillers financiers, les sociétés financières ainsi que la Securities and Exchange Commission d'intensifier leurs efforts pour fournir aux investisseurs une analyse et des informations sur les risques financiers liés au changement climatique. Le groupe s'est également engagé à investir 1 milliard de dollars dans les activités commerciales liées à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les responsabilités des investisseurs comprennent également :

  • engager les entreprises publiques des secteurs de l'énergie électrique, de l'automobile, du pétrole et du gaz à fournir dans un an aux investisseurs un rapport sur la manière dont les plans relatifs au changement climatique, à la réduction des émissions de gaz à effets de serre affecteront leurs activités commerciales, et les mesures qu'elles ont prises pour atténuer l'impact financier de ces plans et saisir les nouvelles chances commerciales qui en résultent;


  • exiger des gestionnaires d'investissement chargés du contrôle de leurs actifs de décrire leurs ressources, l'expertise et les stratégies afin d'évaluer les risques financiers liés au changement climatique; et


  • établir un classement des 100 plus grandes entreprises publiques mondiales assorti d'une description de leurs efforts de lutte contre le réchauffement de la planète et fournir aux investisseurs le rapport à la fin 2005.


  • « Aujourd'hui, l'évaluation du changement climatique est un aspect essentiel d'un investissement intelligent », a déclaré William C. Thompson, Jr., contrôleur des finances pour New York. « Le réchauffement de la planète aura des conséquences majeures sur le paysage économique mondial. Pour les investisseurs, ces changements représentent des risques et des opportunités. Les comprendre est une part importante de la responsabilité fiduciaire. » Au Royaume-Uni, le deuxième fonds de pension privé, le Universities Superannuation Scheme, a également soutenu l'appel à l'action. Son Président, sir Grame Davies, a exhorté les autres fonds de pension à faire de même.

    Michael J. Johnston, vice-président exécutif de Capital Group Companies, a animé un groupe de discussion ayant pour thème « Examiner les risques climatiques et les opportunités : gestionnaire financier et perspectives des entreprises ». Abby Joseph Cohen, directrice et présidente du Comité d'investissement de Golden Sachs, et James Rodgers, président-directeur général de Cinergy, ont exprimé leurs points de vues pendant la session. Mme Cohen a souligné les domaines où un leadership est nécessaire pour améliorer les évaluations financières des risques climatiques. « Les données seules ne sont pas suffisantes » pour mesurer l'impact, a-t-elle indiqué. Les investisseurs sont pressés par le temps, ce qui crée des disparités entre les objectifs à long terme et les demandes à court terme pour la gestion des portefeuilles. De plus, il y a « peu d'études sur les stratégies d'investissement favorables au climat qui aient donné de meilleurs résultats » que celles des indices des grands marchés. Des exemples d'investissements qui sont rentables, ou même plus performants, sont essentiels pour persuader les investisseurs. M. Rodgers a souligné l'importance de mettre en place un système de quotas d'émissions échangeables (« cap and trade ») qui permettrait aux entreprises de vendre leurs quotas excédentaires sur le marché. « C'est la direction qui donne le ton », a-t-il indiqué en expliquant comment son entreprise avait réduit les émissions. Il est aussi motivé par des raisons personnelles, se demandant comment ses petits-enfants jugeront ses efforts.

    « Vont-ils regarder vers le passé et dire "mon grand-père a pris de bonnes décisions" ? »

    L'ancien Vice-président américain, Albert Gore, président de Generation Investment Management, a évoqué les opportunités pour les entreprises et le gouvernement. « Bien sûr, il [le réchauffement climatique] existe, c'est un fait établi; et c'est parce que c'est un fait établi que nous avons une obligation morale [d'agir] », a-t-il déclaré. « Nous sommes réunis ici parce qu'il existe un grande vide politique. Les entreprises, les compagnies d'assurance, les fonds de pension et les investisseurs institutionnels ont décidé de prendre l'initiative parce que ceux qui auraient dû le faire ne l'ont pas fait. Intégrer les questions liées au changement climatique à l'analyse de la valeur des actions est une bonne stratégie, a-t-il poursuivi. Il est temps de prendre les mesures qui s'imposent pour changer de direction et intégrer les données, et d'entreprendre des actions en accord avec les responsabilités fiduciaires. Et qu'on ne me dise pas que c'est impossible. »

    Mindy Lubber, présidente de Ceres et directrice du Réseau des investisseurs sur le risque climatique, a clôt le Sommet en ces termes : « Les millions de milliards de dollars investis par les investisseurs réunis dans cette conférence de l'ONU signifient que le changement climatique mondial est à la fois une menace écologique et une menace financière et, qu'aujourd'hui, il est impératif de prendre des mesures pour les atténuer. »

    Le problème résumé en quelques points

    Dans sa présentation, John Holdren, professeur à Harvard University, a mis l'accent sur la science du changement climatique. Il a soulevé les points essentiels suivants :

  • De tous les problèmes liés à l'activité humaine, la dégradation du climat mondial causée par les rejets des gaz à effet de serre dans l'atmosphère est devenue le problème écologique le plus dangereux et le plus difficile à résoudre.


  • Ce problème est le plus dangereux parce que le climat est l'« enveloppe » dans laquelle toutes les autres conditions environnementales et les processus se produisent. On prévoit que ces changements seront d'une telle ampleur qu'ils auront des effets néfastes sur les conditions et les processus ainsi que sur chaque aspect du bien-être humain lié à l'environnement.


  • Le problème est difficile à résoudre parce que les combustibles fossiles qui sont responsables de la dégradation du climat fournissent 80 % de la production mondiale en énergie. Les technologies concernées représentent un immense investissement de capitaux (12 millions de milliards de dollars dans le monde) et évoluent lentement (30 à 40 ans). Il n'y a donc pas de solution rapide. Si nous voulons que le système énergétique soit différent en 2050, il faut, dès maintenant, se mettre à la tâche.


  • La plupart des gouvernements, des sociétés, des consommateurs et des investisseurs contribuent activement à augmenter les risques causés par le changement climatique ou, s'ils tentent de les atténuer, prennent des mesures qui sont insuffisantes.


  • Quand la dégradation du climat sera de plus en plus évidente, le public, les investisseurs et les législateurs chercheront des solutions pour limiter les dégâts. Les stratégies et les technologies à un coût abordable existent mais la perspicacité, l'initiative et la détermination seront nécessaires pour les mettre en place en temps voulu. Les pays et les entreprises qui les mettent au point et les exploitent seront les premiers bénéficiaires, ceux qui sont à la traîne en pâtiront.
  • Biographies
    Amir A. Dossal, directeur du FNUPI depuis 1999, est chargé de la gestion du partenariat entre les Nations Unies et la Fondation de l'ONU. En 1997, il a créé le Bureau de la politique de gestion, et en a assumé la direction, et s'est attaché à mettre en ouvre la réforme de la gestion au sein de l'ONU.
    Mindy S. Lubber, présidente de Ceres, une association regroupant des investisseurs et des groupes d'intérêt environnementaux, est directrice du Réseau des investisseurs sur le risque climatique. Pendant plus de dix ans, elle a occupé divers postes de direction dans le gouvernement et dans le secteur privé, ainsi que dans des organismes à but non lucratif, à la tête d'organisations d'intérêt public ouvrant pour la protection de l'environnement, telles que le National Environmental Law Center.
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