Chronique ONU
Gagner la paix
Consolider la paix par le développement et la sécurité
Par Ivan Nimac

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L'article
On l'appelle la « grande poignée de main » et, plus fréquemment, « le lien » ou « le pont ». Le lien entre sécurité et développement revêt une importance de plus en plus grande mais, en même temps, soulève un certain nombre de questions. Alors que le développement est reconnu comme un élément fondamental des travaux des Nations Unies, certains considèrent qu'en établissant un lien entre développement et sécurité, le premier a été fragilisé. Mais il faut être nuancé, l'un comme l'autre sont importants. Le développement a toujours été une préoccupation fondamentale de l'Organisation mondiale et devrait continuer d'être fondé sur des préoccupations éthiques. D'un autre côté, l'expérience a montré que le développement durable doit être construit sur des bases saines, un élément nécessaire pour assurer la sécurité des individus et des États dans lesquels ils vivent.
En réponse à la nature changeante des menaces à la paix et à la sécurité internationales, l'ONU cherche les moyens adéquats pour répondre aux défis à la fois passés et présents afin de remplir son mandat. La mondialisation a permis de rapprocher les peuples et les États, mais elle nous a rendus plus dépendants les uns des autres pour notre bien-être.

Dans les années 90, non seulement le nombre de missions de maintien de la paix de l'ONU a augmenté mais celle-ci s'est vu confier des mandats très divers. Son rôle traditionnel visant à séparer les parties en conflit et à veiller à ce qu'elles respectent les termes de l'accord a évolué. On a commencé à réfléchir sur le concept de la souveraineté et à accepter le fait que les États ont des responsabilités envers leurs citoyens. Durant cette décennie, on s'est également penché sur le concept de l'intervention humanitaire, son acceptation partielle et la baisse de l'usage du veto. Les interventions régionales se sont également développées, telles que la Mission d'assistance régionale dans les îles Salomon dirigée par l'Australie, déployée sous les auspices du Forum des îles du Pacifique et à la demande du pays concerné.

Le Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, une réponse au manque d'efficacité des opérations de maintien et de consolidation de la paix dans des régions comme la Bosnie-Herzégovine, le Rwanda et la Somalie, a présenté d'importantes conclusions. Connu également comme le Rapport Brahimi, du nom du Président du Groupe d'études, l'Algérien Lakhdar Brahimi, il a souligné que l'ONU ne devait pas se substituer aux institutions gouvernementales existant préalablement. Celles-ci doivent être renforcées et parfois remplacées par d'autres, mais jamais par les Nations Unies. De son côté, l'Organisation mondiale doit avoir une vision claire des buts recherchés et définir clairement les moyens pour y parvenir.

Maintes fois, la communauté internationale a connu des situations où la fin des hostilités a été suivie par une période que l'on ne pouvait qualifier ni de guerre ni de paix. Le « piège des conflits »1, la possibilité d'une reprise des hostilités, est le moment plus critique des premiers jours qui suivent la fin du conflit. Le succès de l'ONU à garantir la paix a été variable. Les fonds et les programmes de l'ONU doivent mener des activités vastes, intégrées et ciblées. Selon le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements2, la communauté internationale n'a pas apporté un soutien cohérent et efficace aux sociétés qui sortaient d'un conflit. Cette conclusion a donné lieu à une recommandation afin de créer une Commission de consolidation de la paix qui serait chargée de cette tâche.

Une récente étude réalisée par RAND3 a conclu que les efforts de l'ONU dans le domaine de la consolidation de la paix ont été couronnés de succès lorsque l'environnement était favorable, comme avec le soutien des grandes puissances, la coopération des États voisins et un équilibre des facteurs internes. La difficulté à réaliser de tels objectifs explique pourquoi le succès de l'ONU en matière de consolidation de la paix, malgré les nombreux progrès accomplis après la guerre froide, n'a pas été à la hauteur des attentes de certains. La consolidation de la paix est un des domaines d'activités de l'ONU où le multilatéralisme et la politique se rejoignent.

Un État efficace fournit à ses citoyens des éléments essentiels qui se traduisent de diverses façons mais qui sont, dans leur essence, la sécurité, les services de base, l'état de droit et la représentation. Lorsqu'un État est incapable de fournir ces « ingrédients », les risques d'échec et de conflit sont importants. Les raisons varient considérablement. Elles peuvent parfois être liées à une période de colonialisme et à l'incapacité d'établir des institutions démocratiques adéquates ancrées dans la société et dans les traditions. Dans ce cas, les institutions gouvernementales existent mais, en fait, elles ne sont pas conformes aux mandats, ou ne fonctionnent pas du tout. Dans d'autres cas, l'échec pourrait être attribué à la domination d'un groupe sur un autre, de sorte que les institutions gouvernementales ont été subordonnées pour maintenir un équilibre. Dans les deux cas, et il en existe de nombreux autres, un groupe de personnes non représentatives se sert de la souveraineté pour servir ses propres intérêts.

À court terme, la sécurité dépend d'un système légal et judiciaire en bon état de fonctionnement. Si la police et le corps judiciaire sont corrompus et ont perdu la confiance de la population locale, comme c'est souvent le cas dans les États défaillants, les efforts doivent être orientés en premier vers la recherche d'une solution. Il faudra donc débarrasser le système des éléments de corruption et le reconstruire autour de personnes compétentes et intransigeantes avec l'assistance de conseillers venus de l'extérieur. Dans la consolidation de la paix, le rôle de l'armée devrait, dans la mesure du possible, être limité à soutenir les forces de police régulières.

La faillite d'un État signifie aussi une perte de contrôle des finances publiques, à la fois de leur recouvrement et des dépenses. La reprise de contrôle de cette fonction permettra à l'État d'assurer la fourniture de services de base, d'abord dans les ministères centraux, puis dans les autres ministères d'exécution et auprès des autorités gouvernementales. Le développement d'un environnement sûr et d'une gouvernance financière de base soutiendra la croissance du secteur de production.

À un niveau plus large, il est nécessaire d'examiner l'ensemble de l'institution de gouvernance. La défaillance d'un État s'accompagne-t-elle de l'effondrement progressif de ses institutions ? Par exemple, dans une démocratie parlementaire saine, il devrait exister un équilibre entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Un déséquilibre de l'une de ces fonctions peut dénaturer les relations de pouvoir et affecter la qualité du système démocratique. Un pouvoir exécutif excessif, par exemple, peut affecter la responsabilité du gouvernement. Améliorer la représentativité du parlement, renforcer le rôle des partis politiques et fournir une aide électorale sont des moyens qui permettent de minimiser ce déséquilibre.

Des mécanismes de coercition et de dissuasion associés à l'éducation civique peuvent aider à contrôler la corruption et les autres abus de pouvoir dans les États défaillants4. L'efficacité des trois branches du pouvoir dans le gouvernement est étroitement liée à l'établissement d'un système de contrepoids par des institutions ayant des responsabilités définies. Dans le domaine des finances, cela se peut se traduire par l'inclusion d'un vérificateur général et d'un comité parlementaire pour les comptes publics. D'autres institutions comprennent un ombudsman chargé de vérifier l'usage de la discrétion administrative et les organismes de lutte contre la corruption qui enquêtent sur la conduite malhonnête des autorités publiques. Transparency International, par exemple, a proposé un système d'intégrité nationale mettant l'accent sur le lien entre le développement durable et la responsabilité.

Nul ne prétendra que l'établissement d'États pacifiques et stables est une tâche facile. Des décennies, voire des siècles, ont été nécessaires pour mettre en place des institutions et des systèmes gouvernementaux stables. Il n'est pas facile de reproduire ce processus dans une société fragilisée sortant d'une période de conflit courte et intense. Dès les premières phases de l'intervention, il faut procéder à une analyse détaillée des risques et mettre en place un système de surveillance et d'évaluation. Les indicateurs servant à mesurer le progrès social et économique sont reconnus par tous et relativement faciles à définir. Les indicateurs de qualité servant à mesurer les progrès accomplis en matière de gouvernance pose des défis qui leur sont propres.

Alors que l'Organisation des Nations Unies doit aider à la reconstruction des États, chaque pays doit parallèlement entreprendre ses propres réformes. Les champions locaux du processus de réforme sont importants. Respectés chez eux et supporters de la réforme, ce sont des interlocuteurs de poids. Ils jouent un rôle catalyseur auprès de la population locale en soutenant la réforme et apportent un feed-back au processus de réforme. Les premiers succès dans le domaine de la sécurité peuvent redonner un élan positif, mais les réformes qui s'ensuivent, telles que la mise en place d'une administration gouvernementale efficace ou le renforcement de la responsabilité du gouvernement, empiéteront très probablement sur les intérêts de la classe dirigeante qui profitait de la situation, et seront donc plus difficiles à obtenir.

Les réformes doivent tenir compte de la situation financière du pays ainsi que de ses traditions culturelles, si l'on veut qu'elles soient efficaces. Il faut une aide à long terme orientée vers la mise en place des capacités locales. Il n'y a pas de stratégie de sortie facile. L'objectif est de mettre en place un système qui fonctionnera une fois que les conseillers seront partis. Les conseillers qui sont envoyés dans un pays ne serviront pas à grand-chose s'ils ne sont pas soutenus par des responsables locaux ayant comme responsabilité principale de faire avancer le processus de réforme. L'empreinte laissée doit être infime. Le gouvernement devrait être renforcé pour absorber l'aide et l'assistance dans la mise en place des politiques au lieu d'être submergé par elles. Ce dernier cas constitue l'un des dangers que pose la réorganisation d'un État par une action extérieure. Les citoyens de l'État concerné doivent prendre en main le processus et être libres de lui donner forme afin qu'il reflète leurs propres points de vue sur les problèmes et leurs solutions.
Notes
1.Collier Paul, et al, Breaking the Conflict Trap, World Bank, Washington, D.C., 2003
2.Rapport du Groupe de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements constitué par le Secrétaire général, Un monde plus sûr : une responsabilité à partager, Nations Unies, New York, 2004
3.James Dobbins, et al, The UN's Role in Nation-Building: From the Congo to Iraq, société RAND, Santa Monica, Californie, 2005
4.Peter Langseth, Tick Stapenhurst et Jeremy Pope, The Role of a National Integrity System in Fighting Corruption, Banque mondiale, Washington, D.C., 1997

L'expérience croate : l'ANUTSO

Les conclusions de la société Rand sont confirmées par l'expérience de la Croatie en matière d'opérations de maintien et de consolidation de la paix sur ce territoire. Parmi les missions menées sur le sol croate pendant la désintégration de la Yougoslavie au début des années 1990, celle de l'Administration transitoire des Nations Unies pour la Slovénie orientale (ANUTSO) a été l'une des plus réussies *.

L'ANUTSO a été établie dans un contexte politique très différent des autres missions. Un accord-cadre de base avait été signé entre les autorités gouvernementales et les Serbes rebelles et la situation militaire sur le terrain avait changé suite à la libération d'importantes parties du territoire croate en mai et en août 1995. Les grandes puissances internationales avaient soutenu la réintégration.

Contrairement aux missions précédentes, le mandat de l'ANUTSO était clair : la réintégration pacifique de la Slovénie orientale dans le gouvernement croate. Pour ce faire, une administration transitoire a été établie conformément à l'ANUTSO. Toutes les parties ont accepté le mandat, pour diverses raisons, et le processus de réintégration a également ouvert la voie à la normalisation des relations entre la Croatie et la République fédérale de Yougoslavie. Les mécanismes de réintégration ont été aussi difficiles à établir que leur dynamique politique. Ils comprenaient la police, les autorités locales, les systèmes financiers et monétaires, le bien-être social et la santé, l'éducation et la justice, les transports et les services essentiels. Les autorités croates ont collaboré étroitement avec les Nations Unies et veillé à fournir en temps voulu les documents à la population locale afin de les intégrer dans la mise en place du système administratif, conduisant aux élections locales en 1997.

L'ANUTSO avait pour mandat de superviser la collecte des armes et la démilitarisation de la région. Alors que son mandat touchait à sa fin, la responsabilité de la sécurité a été transférée à la Force de police transitoire (FPT), avec une représentation égale de Croates et de Serbes. L'administration de cette force, initialement assurée par l'ANUTSO, a été transférée par la suite au Ministère croate de l'Intérieur. Le mandat de l'ANUTSO a pris fin le 15 janvier 1998 avec la réintégration de la Slovénie orientale à la Croatie.

Suite au succès des opérations de maintien et de consolidation de la paix de l'ONU dans le pays, la Croatie participe aux efforts de maintien de la paix de l'ONU. Elle fait partie de dix missions et s'occupe de la formation des États qui comptent contribuer aux opérations au maintien de la paix. Huit ans après la fin de la dernière mission sur son sol, la Croatie est prête à partager son expérience et présentera sa candidature pour siéger au Conseil de sécurité lors des élections qui se tiendront en 2007.

* Simonovic, I. et Nimac, I., UNTAES: A case Study, Croatian International Affairs Review, vol. 5, no. 14, 1999.
Biographie
Ivan Minac est représentant adjoint permanent et chargé d'affaires de la République de Croatie auprès des Nations Unies. Ayant la double nationalité, il a également travaillé au Ministère australien des Affaires étrangères et du commerce et à l'Agence australienne pour le développement international sur les questions concernant les pays du Pacifique. Auparavant, il a été chef de mission adjoint au Bureau du représentant résident du Programme de Nations Unies pour le développement à Zagreb. Il a travaillé pour des organisations de développement nationales ou multilatérales, à la fois aux sièges, dans les pays en développement et dans les pays en transition.
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