Chronique ONU
L'après-tsunami
Un essai avec photos
Texte et photos d'Antje Beyen

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L'article

Le 26 décembre 2004, la nature, comme animée par une force démoniaque irrésistible, a révélé son noir dessein, laissant une zone de destruction s'étendant sur des milliers de kilomètres, des Maldives à la Corne de l'Afrique. En avril 2005, j'ai visité les régions de Thaïlande et d'Indonésie touchées par le tsunami et ai pu observer directement le lent processus de reconstruction suite à la catastrophe la plus meurtrière de l'histoire moderne.

Ni les mots, ni les images ne peuvent vraiment décrire l'ampleur des dégâts, la douleur et l'agonie des victimes. Une chronique de la vie quotidienne décrirait avec horreur et admiration l'immense tâche qui reste à accomplir pour reconstruire les vies brisées ainsi que la volonté de millions de personnes touchées par la catastrophe qui essaient de retrouver une vie normale avec l'aide de la communauté locale, l'assistance du gouvernement et l'aide internationale dirigée par les Nations Unies.

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Chaque jour, j'ai entendu des récits d'héroïsme et de courage. Toutes les personnes que j'ai rencontrées, pêcheurs, chauffeurs de taxi, personnel hôtelier, serveurs, propriétaires de boutiques, médecins, infirmières, femmes et enfants (photo 1) étaient animées du même désir de retrouver une vie normale.

À Khao Lak, l'une des régions de Thaïlande les plus touchées, les pêcheurs construisaient sous un soleil de plomb de nouveaux bateaux avec du bois fourni par le Rotary Club local, en prenant de temps à autre une pause pour regarder l'océan d'un air pensif. Partout, des bénévoles étrangers donnaient un coup de main pour nettoyer les décombres, principalement des hôtels démolis par des vagues de 16 mètres de haut qui ont pénétré sur plusieurs kilomètres à l'intérieur des terres, inondant des centaines d'hectares de terres agricoles. L'un des hôtels où ont péri 1 000 touristes étrangers est toujours interdit au public pour permettre aux assureurs de poursuivre leur travail, ce qui retarde les travaux de déblaiement.

Dans un centre d'hébergement provisoire proche, j'ai discuté avec des pêcheurs de Naem Bakarang qui attendent la fin de la construction d'un nouveau village situé à 5 km du littoral. Certains avaient reçu une aide en espèces, d'autres avaient reçu des mobylettes fournies par le roi qui leur permettent de transporter leur matériel de pêche jusqu'à leur bateau. Signe d'une rivalité possible entre les villages, les « gitans de la mer » semblaient plus favorables à reconstruire leur ancien village près de la mer (photo 3) plutôt que de partager un nouvel environnement qu'ils ont comparé à des « baraques ». Le 4 avril, j'ai vu 20 moines bouddhistes et une vingtaine d'orphelins célébrer une cérémonie lors du 100e jour de la catastrophe, événement qui a été marqué partout dans le pays pour « calmer les esprits » (photo 4).
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Quatre mois après le tsunami, 1 500 corps entreposés dans le « centre de pathologie » adjacent étaient toujours en attente d'identification, imprégnant l'air d'une odeur pestilentielle. Tous les documents ayant été détruits, un dirigeant musulman local m'a expliqué que leur tâche principale était d'établir ce que possédaient les habitants avant la catastrophe. Terre des Hommes, l'une des organisations non gouvernementales (ONG) travaillant avec le gouvernement thaïlandais sur le projet de reconstruction après le tsunami, apporte son appui.
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« Nous avons besoin d'importants investissements », a admis un responsable thaïlandais que j'ai interviewé à Phuket, où les signes de la catastrophe sont peu visibles, si ce n'est une « morte-saison », et malgré la musique amplifiée diffusée près des magnifiques plages parfaitement entretenues et quelques touristes s'adonnant aux plaisirs de la plongée dans les eaux turquoise de la mer Andaman. Dans un excellent anglais, il s'est plaint d'un deuxième « tsunami » causé par la presse étrangère à sensations qui a oublié de préciser que la plus grande partie de Phuket n'avait pas été touchée par le raz-de-marée et que les touristes étaient revenus.

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Même à Hat Kamala, située à une heure en voiture au nord-est de Phuket, la vie revenait progressivement à la normale malgré un autre tremblement de terre, survenu le 28 mars, qui avait causé la panique et fait fuir nombre de personnes dans les collines. J'ai vu des soldats réparer une école, une organisation suisse construire des maisons et un temple bouddhiste restauré grâce à des dons privés. Un propriétaire d'hôtel a dit avec fierté qu'il avait accueilli les premiers clients après la catastrophe grâce aux 60 000 euros qu'il avait collectés pour reconstruire sa rue maintenant équipée d'« un système d'éclairage meilleur qu'avant ». La vue d'une famille essayant coûte que coûte de sauver le moteur d'un bateau (photo 5) rappelait aussi que l'on pouvait survivre à la nature déchaînée.

J'ai ensuite visité Phi Phi, une île en forme de baleine, très touristique, qui a été complètement dévastée par le raz-de-marée qui est survenu au moment de l'embarquement de nombreux passagers. Les travaux de déblaiement sont organisés par Hands on Thailand et Help International, ainsi que par une équipe de plongée spécialisée envoyée par le gouvernement français pour dégager de l'eau des épaves comme les toitures de bungalow. Selon Andrew Hewate, propriétaire d'une boutique d'articles de plongée locale, ni lui ni 700 autres habitants musulmans installés dans des camps à Krabi n'ont encore reçu du gouvernement l'autorisation de reconstruire, lequel indiquait l'intention de faire de Phi Phi une île de villégiature. J'en ai conclu que le tsunami avait radicalement modifié les politiques et les priorités du gouvernement local et que les projets de reconstruction étaient encore à un stade initial.

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Le 8 avril, dès que j'ai atterri dans le petit aéroport de Banda Aceh, j'ai été frappée par le débordement des activités de secours et des tonnes de matériel attendant toujours d'être transportées (photo 6). Le chauffeur de taxi m'a indiqué les drapeaux rouges qui flottaient à la sortie de l'aéroport sur l'emplacement d'une fosse commune « de 80 000 personnes », un prélude au paysage surréaliste d'une ville en ruines, rebaptisée « la cité des morts », où flottait une odeur pestilentielle, avec de nombreux bateaux juchés sur les toits et d'innombrables fossés et de lagons formés par le tsunami (photo 7), tableau qui semblait tiré de l'Enfer de Dante. Ensuite, je suis allée voir ce qui restait de l'hôpital principal de la ville, l'un des quelques bâtiments à avoir conservé ses quatre murs, ainsi que les fosses communes adjacentes où les patients et le personnel de l'hôpital ont été enterrés (photo 8).

Mais la vie continue. Les gens s'adonnent à leurs activités, la pêche, le tissage, la prière, les rencontres et les loisirs, et les plages dévastées sont devenues des lieux privilégiés pour les oiseaux migrateurs. Un gigantesque bateau équipé d'un générateur en état de fonctionnement, planté en plein milieu de la ville, est considéré une manne tombée du ciel. Depuis la fin mars, le pays est passé de la phase de secours d'urgence à celle de reconstruction (photo 9) : 600 maisons ont été construites, en partenariat avec les institutions des Nations Unies, plus de 200 organisations d'aide humanitaire, telles que Save the Children, et plus d'un millier de bénévoles internationaux.
Après avoir passé quelques jours au camp de l'ONU, j'ai été impressionnée par l'efficacité et l'ampleur des opérations organisées dans la province d'Aceh par le Bureau de l'ONU pour la coordination des affaires humanitaires malgré les risques encourus, efforts qui se poursuivront vraisemblablement pendant les trois prochaines années. Le Programme alimentaire mondial (PMA) a, par exemple, distribué de la nourriture à plus d'un million de survivants dans 13 districts par l'intermédiaire d'ONG, telles que Care et World Vision (photo 10), le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) jouant un rôle de premier plan dans la distribution de fournitures scolaires (photo 11). De son côté, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a fourni 35 000 tentes à 61 centres d'hébergement temporaires (photo 12). Grâce aux efforts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a distribué 6 000 kits de paludisme et vacciné des milliers de personnes, les cas de paludisme ont considérablement diminué. Au camp de l'ONU, une question revenait souvent dans nos conservations, celle concernant l'équilibre entre la survie à court terme et la planification à long terme.

Au centre d'hébergement provisoire de Waskifa Karya, j'ai parlé avec de nombreux survivants, y compris Mulni Sitibaceh, la femme d'un pêcheur qui a vécu dans une tente à Lomna, à l'ouest d'Aceh, avant d'être transférée avec 600 autres personnes dans des maisons en bois où elle et sa famille pourront rester pendant trois ans. Son visage calme s'est assombri lorsqu'elle a évoqué la perte de ses deux fils et de tous les membres de la famille de son mari. Un responsable du camp, qui a tenu à garder l'anonymat, a indiqué les « goulets d'étranglement », la coordination insuffisante entre le gouvernement local et les gouvernements étrangers et les tensions existant entre eux. Un autre s'est plaint de n'avoir pas encore été payé.

Enfin, je suis allée à Nias, à l'ouest de Sumatra qui, avec une autre île appelée Simeulue, a connu deux tragédies coup sur coup : après la dévastation causée par le tsunami, un autre tremblement de terre est survenu le 28 mars 2005, détruisant à eux deux près de 80 % des bâtiments de la ville de Gunung Sitoli. L'extrémité sud de l'île, qui s'est élevée de deux mètres, a créé de nouveaux îlots, rendant la logistique extrêmement difficile. Les secours ont été acheminés par des hélicoptères singapouriens, un bateau médical américain et un bateau hôpital australien. Le PAM a fourni des vivres et du matériel; le HCR a envoyé des tentes, des matelas et des moustiquaires; l'OMS a dépêché des équipes médicales et des médicaments; l'UNICEF a fourni du matériel scolaire.

La route desservant l'aéroport étant encore en construction, les hélicoptères atterrissaient dans une cour d'école. J'ai été particulièrement émue à la vue d'une mère assise sur des décombres regardant fixement un cercueil dans lequel se trouvait sa petite fille (photo 13). Non loin de là, des soldats déblayaient le terrain à l'aide d'une pelleteuse (photo 14). Nurdin Rizal, le gouverneur du nord de Sumatra s'est inquiété de la réduction de l'aide internationale et a demandé que d'autres hélicoptères soient envoyés dans les régions difficiles d'accès. Lorsque je lui ai demandé quels étaient les problèmes les plus importants à long terme, il a indiqué le départ des entreprises locales, la réduction de l'aide et la nécessité de mettre en place un système d'alerte rapide dans l'océan Indien, avant d'être interrompu par une autre légère réplique sismique.
Biographie
Antje Beyen, photographe et réalisatrice de films documentaires, est établie à Essen, en Allemagne. Une sélection de ses travaux - qui couvrent le Tibet, l'Inde, la Chine, l'Afrique et le Moyen-Orient - est présentée sur son site (www.beyen.net).
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