Chronique ONU




Mettre en place un cadre pour créer des
CENTRES URBAINS DURABLES en Afrique
Par Christine Auclair

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L'article
Un marché local à Ibadan, au Nigeria. Photo ONU-Habitat Programme
Il y a cent ans, les taudis étaient une réalité dans les villes européennes. La description de ceux de Londres par Charles Dickens et des villes françaises par Émile Zola pourrait facilement s'appliquer aux taudis urbains que l'on trouve en Afrique aujourd'hui, comme ceux de Lagos (Nigeria) ou de Kinshasa (République démocratique du Congo). Comme dans certains pays de l'Afrique subsaharienne, l'espérance de vie y était inférieure à 40 ans. Le choléra et la typhoïde étaient endémiques, les conditions d'hygiène étaient catastrophiques et le travail des enfants, l'analphabétisme et la criminalité étaient des réalités quotidiennes.

La grande différence, cependant, est que les villes africaines se sont développées sans croissance économique, sans augmentation de la production et sans opportunités d'emploi pendant une très longue période. Dans certains cas, les économies africaines ont même connu un déclin. En Côte d'Ivoire, en République unie de Tanzanie, au Gabon et ailleurs, des villes dont les économies ont diminué de 2 à 5 % par an ont continué d'enregistrer une croissance démographique de 5 à 8 % par an1. Une autre différence cruciale est le manque de volonté publique, de planification et de réformes ainsi qu'une mauvaise gouvernance affaiblie par les conflits.

Les taux d'urbanisation actuels, supérieurs à 4 ou 5 % par an dans la plupart des pays, sont proches de ceux des villes occidentales à la fin du XIXe siècle. Les villes connaissent des problèmes de développement similaires, tels qu'une mortalité infantile élevée, une espérance de vie limitée et l'analpha-bétisme, et sont parmi celles qui donnent les moins bons résultats en matière de réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Un pays sur trois a connu ou continue de connaître des conflits armés. Alors que la pau-vreté et les inégalités sont probablement à l'origine des conflits, l'incidence élevée de la pauvreté favorise également la mauvaise gouvernance, les risques de conflits et les catastrophes dues à l'action de l'homme. À cause de la pauvreté engendrée par les conflits et de la destruction de l'infrastructure physique et sociale, les villes des pays déchirés par la guerre connaissent une augmentation du nombre de personnes vivant dans des taudis et de personnes déplacées.

L'Afrique compte 30 % des réfugiés dans le monde, et le déplacement des populations, principalement des femmes et des enfants, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays atteint des proportions très élevées. Suite au génocide qui a eu lieu au Rwanda, en 1994, 250 000 réfugiés ont fui vers la République unie de Tanzanie en 24 heures, créant une ville de réfugiés qui est devenue du jour au lendemain la deuxième ville la plus peuplée de Tanzanie. Un déplacement de cette ampleur présente des défis immenses, de nombreux réfugiés et personnes déplacées dans leur pays continuant d'être une source de tension politique, de violence et d'insécurité.

Aujourd'hui, un habitant des taudis urbains sur trois vit dans des conditions insalubres. En 1990, 241 millions d'Africains vivaient avec moins d'un dollar par jour2. Le nombre de pauvres devrait atteindre 404 millions en 2015, soit 46 % de la population3. Derrière ces agrégats généraux se profile la réalité. En effet, alors qu'il est probablement possible de vivre au niveau du seuil de pauvreté dans un village moyen, cela ne n'est pas le cas à Dakar, à Abudja ou à Nairobi. Ces villes non seulement connaissent une croissance économique lente et irrégulière mais aussi un changement régressif dans la distribution des revenus. L'appauvrissement des pauvres et, dans certains pays, la chute des salaires ont fait basculer un grand nombre de travailleurs urbains au-dessous du seuil de pauvreté4. Dans certaines capitales, une classe urbaine minoritaire s'est récemment jointe à l'économie mondiale. Ces nouveaux consommateurs, qui habitent dans des « quartiers privés » dans des villes comme Nairobi, avec des centres commerciaux et des quartiers résidentiels sûrs, vivent à côté des pauvres entassés dans les grands bidonvilles de Kibera ou de Matharé.

Le scénario africain

  • L'Afrique représente 10 % de la population mondiale;


  • Les villes africaines comptent 40 % d'habitants des taudis de plus qu'une ville moyenne dans le monde;


  • Le taux d'urbanisation est inférieur de 13 % au taux d'urbanisation au niveau mondial; cette différence sera de 11 % en 2015.


  • Les pauvres représentent environ un quart des pauvres dans le monde;


  • Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est 9,3 % plus élevé que la moyenne mondiale;


  • Les Africains vivent 18 ans de moins que la moyenne mondiale;


  • Une femme africaine a 30 % de chances de moins de vivre au-delà de 65 ans que la moyenne mondiale;


  • Les Africains sont 36 % au-dessous de la moyenne mondiale en matière d'accès à l'assainissement dans les villes;


  • Les Africains atteints du VIH/sida représentent 70 % de la population mondiale vivant avec cette maladie;


  • L'Afrique accueille 27 % des réfugiés dans le monde;


  • Le produit intérieur brut par habitant est quatre fois moins que le PIB par habitant dans le monde.


  • Source : ONU-Habitat, défis de l'urbanisation en Afrique subsaharienne, 2005
    L'Afrique subsaharienne est la région du monde la moins peuplée et la moins urbanisée, les villes comptant moins de 40 % de la population du continent. La structure existante et le contexte économique mondial actuel ne permettent cependant pas de gérer l'urbanisation trop rapide. Pendant les deux prochaines décennies, environ 87 % de la croissance démographique dans la région aura lieu dans les zones urbaines, et la transition urbaine devrait être atteinte vers 2030, les habitants urbains seront alors plus nombreux que les habitants ruraux. Les modèles d'urbanisation montrent cependant des différences importantes entre les pays. D'ici à 2030, alors que l'urbanisation aura atteint plus de 70 % au Congo, au Gabon, en Afrique du Sud, au Botswana et en Mauritanie, d'autres pays comme le Burundi, le Malawi, le Rwanda et l'Éthiopie n'afficheront que des taux égaux ou supérieurs à 30 %.

    Environ 250 000 enfants naissent chaque jour en Afrique, mais c'est dans les bidonvilles que la population croît le plus vite, avec 190 000 nouveau-nés et migrants par semaine. Les bidonvilles urbains absorbent environ les trois quarts de la croissance démographique des villes. En 2001, 166,2 millions de personnes, soit 72 % des résidents urbains, vivaient dans des bidonvilles5. Ce chiffre alarmant s'accompagne de graves problèmes de développement illustrés par une espérance de vie limitée, une mortalité infantile élevée, la prévalence du VIH/sida et l'analphabétisme, en particulier chez les femmes et les filles. Les futurs problèmes démographiques s'ajouteront aux défis. Dans les 25 prochaines années, l'Afrique subsaharienne connaîtra un accroissement de population urbaine estimé à 400 millions d'habitants6.

    Les données montrent qu'une croissance urbaine élevée est associée à la prolifération de bidonvilles et que, dans les années à venir, l'Afrique comptera probablement une proportion exceptionnellement importante de personnes vivant dans des bidonvilles. Entre 1990 et 2001, cette population a augmenté d'environ 65 millions, ce qui représente un taux de croissance annuel moyen de 4,5 %, environ 2 % de plus que la croissance démographique totale. Faute d'interventions importantes, la population des bidonvilles du continent doublera vraisemblablement tous les 15 ans et atteindra probablement 332 millions d'ici à 2015, alors que la population totale double tous les 26 ans. Ces estimations sont fondées sur plusieurs études démographiques qui ne prennent pas en compte l'impact que le VIH/sida et les catastrophes dues à l'action de l'homme ont sur la croissance de la population et la formation des bidonvilles. Si elle n'est pas maîtrisée, l'épidémie du VIH/sida peut mener à une réduction de la main-d'ouvre, une augmentation de la pauvreté et une prolifération des bidonvilles avec, parallèlement, une croissance de la population plus faible dans les villes. Cela peut signifier une augmentation du nombre d'habitants des bidonvilles dans le contexte d'une croissance démographique réduite.

    Derrière ces perspectives générales, les facteurs réellement déterminants contribuant à la création de taudis varient considérablement d'un pays à l'autre. De plus, les agrégats nationaux masquent les réalités propres à chaque ville et les écarts importants au sein des villes en termes de développement humain et de services de base pour pouvoir vraiment décrire les conditions de vie spécifiques des différentes communautés vivant dans les bidonvilles. Par exemple, 11,3 % des enfants vivant dans les bidonvilles de Nairobi meurent avant d'avoir atteint l'âge de 5 ans contre 0,78 % dans les autres zones. Suivant cet exemple, les taux de mortalité et de morbidité des enfants de moins de 5 ans dans les bidonvilles sont égaux ou supérieurs à ceux des zones rurales7. L'incidence du VIH/sida suit le même schéma que la situation de privation dans les bidonvilles, poussant les résidents à adopter des comportements sexuels à risque pour assurer leur survie économique8.

    Les villes africaines pourraient-elles devenir des centres d'opportunités ? Une urbanisation rapide sans croissance économique, la prolifération des bidonvilles et la manque de services de base engendrant de mauvaises conditions de vie et une urbanisation non durable demandent une planification efficace, des politiques et des investissements à grande échelle. Faute d'investissement dans une région où seulement 13 % des routes sont pavées et moins de 3 % de la population a accès au téléphone ou au téléphone mobile, les villes ne seront que d'immenses villages n'offrant aucun avantage comparatif aux investisseurs privés et aucune possibilité pour que la production augmente et stimule la croissance économique et le développement. Des politiques solides en faveur des pauvres, soutenues par une gouvernance efficace et transparente des gouvernements centraux et locaux avec la participation les communautés, devraient également être à la base du développement des centres urbains durables.

    Dans l'immédiat, il faut réduire la pauvreté car elle entrave la croissance économique en limitant les ressources nationales disponibles pour l'investissement privé et les biens publics. Le programme d'action devrait, en même temps, intégrer la question environnementale liée au développement dans le contexte d'une urbanisation rapide et incontrôlée, avec des conséquences directes pour les régions intérieures voisines, entraînant des changements irréversibles dans la production et la consommation de l'eau et de l'énergie, ainsi que l'utilisation des terres. Afin de faire face aux défis en matière de sécurité alimentaire - ce qui est essentiel à une urbanisation durable - il est nécessaire d'établir des liens entre les villes et les campagnes par des incitations efficaces. La faim reste un problème important dans les villes et les bidonvilles d'Afrique, en particulier en cas de conflits et de catastrophes naturelles.

    Il est peu probable que la plupart des villes africaines atteindront les OMD d'ici à 2015. Cinq ans après la Déclaration du Millénaire, les appels pour sauver l'Afrique sont lancés afin que la communauté internationale passe à l'action. La mondialisation pourrait apporter des avantages au continent si la communauté internationale considérait le défi de l'urbanisation comme une question mondiale urgente, peut-être de manière aussi radicale que les mouvements réformistes du début du XIXe siècle. Un tel défi nécessite plus que jamais une politique déterminée d'amélioration des bidonvilles, une planification pour les pauvres et des investissements centrés sur les OMD pour améliorer la structure urbaine et les services urbains en construisant un consensus et en encourageant la résolution des conflits.
    Notes
    1.Simon, D., Urbanization, globalization and economic crisis in Africa. In: Rakodi, C., ed. The Urban Challenge in Africa: Growth and Management of its Large Cities. Tokyo, United Nations University Press, 1997.
    2.Banque mondiale, indicateurs du développement humain 2003, population vivant avec moins d'un dollar par jour en termes de parité du pouvoir d'achat en 1993.
    3.Estimations du NEPAD, Conférence des ministres de la planification des pays de la CEA, 1er juin 2003.
    4.CNUCED, Développement en Afrique. De l'ajustement à la réduction de la pauvreté : Qu'y a-t-il de nouveau ? 2002 (CUECED/GDS/AFRIQUE/2)
    5.HABITAT-ONU, Estimations sur les bidonvilles de l'observatoire urbain mondial, 2003.
    6.Département des Affaires économiques et sociales des Nations Unies, division de la population, perspectives sur l'urbanisation mondiale : la révision 2003, New York 2003.
    7.Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique, 2002, La dynamique de la population et de la santé dans les établissements informels à, Nairobi, Kenya, avril 2002.
    8.Eliya Msiyaphazi Zulu, F. Nii-Amoo Dodoo et Alex Chika-Ezeh, Sexual Risk-Taking in the Slums of Nairobi, Kenya, Population Studies, 56 (2002).
    Biographie
    Christine Auclair est analyste en politique urbaine à l'Observatoire urbain mondial du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat) à Nairobi et chef de projet pour le Rapport sur l'état des villes du monde. L'Observatoire examine les besoins urgents afin d'améliorer les connaissances sur l'état des villes dans le monde en aidant les gouvernements, les autorités locales et les organisations de la société civile à développer et à exploiter les indicateurs urbains, les statistiques et d'autres informations pertinentes. (www.unhabitat.org).
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