Chronique ONU
L'eau pour tous
Vers un accès à l'eau potable et à l'assainissement
Par Albert J. Schumacher

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L'article
Le logo de la Décennie, « L'eau, source de vie », représente un jet d'eau peint en bleu foncé émergeant, entre deux mains en corolle, d'un océan figuré par deux larges ondulations horizontales. L'eau, « source de vie », dessinée en pointillés, jaillit des deux côtés.
Alors que plus de 70 % de la surface de la Terre est recouverte d'eau, la plus grande partie de celle-ci est inutilisable pour la consommation humaine. Selon le ministère de l'Environnement du Canada, les lacs d'eau douce, les rivières et les aquifères souterrains représentent seulement 2,5 % de l'approvisionnement en eau dans le monde. L'eau douce est non seulement rare mais sa répartition est inégale. Selon des études réalisées par les Nations Unies comparant la consommation en eau et la disponibilité de celle-ci, entre 2 et 7 milliards de personnes feront face à une pénurie dans la deuxième moitié du XXIe siècle.

Devant cette réalité, on comprend pourquoi l'eau a été décrite comme « le pétrole du XXIe siècle », un bien rare qui sera une source de conflit entre les peuples et les nations. Et c'est loin d'être une exagération : en plus de ces prévisions alarmantes, les Nations Unies estiment également que sur une population mondiale de plus de 6 milliards d'habitants, 1,2 milliard n'ont pas accès à l'eau potable et 2,4 milliards manquent de services d'assainissement adéquats.

Au début 2005, il nous a été rappelé combien l'accès à l'eau potable pouvait être fragile. Suite au tsunami, qui a dévasté le sud de l'Asie et des régions d'Afrique en décembre 2004, l'Organisation mondiale de la santé a mis en garde que sur les 5 millions de personnes touchées par cette catastrophe naturelle, 150 000 étaient « dans une situation de risque extrême ». Le directeur général de l'OMS, Lee Jong-wook, a clairement indiqué que l'accès à l'eau potable était le besoin le plus urgent.

Pour un grand nombre de Canadiens, ce concept est difficile à comprendre. En effet, le Canada bénéficie d'une abondance de ressources en eau potable et est le troisième pays au monde en matière d'approvisionnement en eau douce renouvelable, derrière le Brésil et la Fédération de Russie. Il possède 25 % des terres humides dans le monde, la plus grande superficie sur la planète. Près de 9 % de sa superficie totale, soit plus de 890 000 km2, est recouverte d'eau douce. Mais en tant que pays prospère riche en ressources d'eau, il a la responsabilité morale de montrer l'exemple et de faire face au problème de la rareté de l'eau dans le monde, aidant ses voisins à assurer un approvisionnement durable en eau potable dans leur pays, ainsi que des services d'assainissement adéquats.

Il est donc urgent de prendre des mesures. Dans les pays en développement, 80 % des maladies sont transmises par l'eau. Le manque d'eau potable a des conséquences graves : 3,3 millions de personnes meurent chaque année des suites des maladies diarrhéiques causées par des bactéries comme l'E.coli, la salmonelle, le choléra, par des parasites comme la giardia et le cryptosporidium, ainsi que par des pathogènes viraux comme le rotavirus. En effet, entre 1990 et 2000, le nombre de décès chez les enfants dus aux maladies diarrhéiques était supérieur au nombre total de décès dus aux conflits armés depuis la Seconde guerre mondiale.

Cependant, la pénurie d'eau a des conséquences plus sérieuses que les maladies répandues dans les pays en développement. Si aucune mesure n'est prise, elle pourrait constituer le problème dominant de la première moitié du XXIe siècle. Il faut savoir qu'entre 1990 et 1995, la consommation en eau dans le monde a été multipliée par six, ce qui représente le double du taux de croissance de la population; ceci est dû en partie à la demande industrielle. Il faut, par exemple, 300 litres d'eau pour produire 1 kg de papier et 215 000 litres pour produire une tonne d'acier. L'évolution de nos habitudes alimentaires a également des conséquences sur la consommation : il faut 15 000 tonnes d'eau pour produire une tonne de viande de bouf contre 1 000 tonnes pour produire une tonne de céréales.

Avec l'industrialisation rapide de pays comme la Chine, l'Inde et le Mexique, cette consommation ne fera qu'augmenter. Regardez la baisse du niveau des aquifères - vastes étendues d'eaux souterraines qui approvisionnent une grande partie de la population mondiale en eau potable. En raison de la consommation excessive et de la diminution du niveau des nappes phréatiques, Beijing s'enfonce de 10 cm par an dans le sol. Certains quartiers de Mexico s'enfoncent de 30 cm par an. La Chine est un excellent exemple illustrant le défi en matière de gestion de l'eau auquel nous faisons face au XXIe siècle. Elle compte environ 21 % de la population mondiale mais n'a accès qu'à 7 % de l'eau douce de la planète. Cette situation est exacerbée par son industrialisation rapide, la migration de millions de personnes des campagnes vers les villes, la croissance importante de la consommation domestique et l'évolution des habitudes alimentaires qui comprennent la consommation d'aliments d'origine animale dont la production nécessite une grande quantité d'eau, comme le bouf et le porc.


Au cours des dernières années, la consommation d'eau dans les villes et par les grandes industries a engendré une pénurie d'eau qui a eu des répercussions sur la production agricole. Par exemple, la province de Shandong, qui produit la majorité des céréales de Chine, a connu plusieurs années de sécheresse au début de ce siècle. Selon un rapport établi en 1992, 9 millions de personnes ont été confrontées à une pénurie de céréales. Et ces changements ont des répercussions en Amérique du Nord. En fait, la pénurie d'eau aura un impact majeur sur la vie de tous. Par exemple, si la Chine devait compenser cette pénurie importante de céréales sur les marchés mondiaux, une augmentation drastique du prix de celles-ci aurait lieu dans le reste du monde. Ou bien l'Amérique du Nord pourrait être affectée par les tensions liées à l'eau au Moyen-Orient, ou par la propagation des maladies d'origine hydrique en Afrique.

Au vu des derniers développements et de la pénurie potentielle d'eau qui se profile à l'horizon, les Nations Unies ont lancé en mars 2005 la « Décennie internationale d'action : l'eau, source de vie, 2005-2015 » dont l'objectif est d'attirer davantage l'attention sur les ressources en eau dans le monde. Nous ne devrions pas avoir besoin d'une déclaration de l'ONU stipulant que l'eau est un droit humain essentiel pour nous motiver. Nous devons appliquer ce que nous avons appris de nos expériences, y compris l'utilisation des nouvelles technologies de purification de l'eau, la nécessité de mettre en place des protocoles concernant le traitement de l'eau et de fournir des ressources et notre expertise au monde. Le gouvernement canadien a déjà pris les premières mesures, quoique très symboliques, qui permettront d'y parvenir. Le Plan d'action de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) concernant la santé et la nutrition, rendu public en novembre 2001, a identifié plusieurs domaines d'action, y compris l'amélioration de l'accès à l'eau salubre et à l'assainissement.

Les fonds du Canada destinés aux programmes de santé et de nutrition dans les pays en développement ont plus que doublé pendant la période 2000-2005, passant de 152 millions à 305 millions de dollars par an, ce qui représente un investissement total de plus 1,2 milliard de dollars en cinq ans. Il faut également noter que l'ACDI participe à un nombre de projets destinés à améliorer l'accès à l'eau salubre et à l'assainissement. En Honduras, par exemple, un projet rural d'approvisionnement en eau associe la construction de nouveaux systèmes d'alimentation en eau et de latrines, les populations locales étant formées pour assurer le stockage de l'eau dans des conditions sanitaires, la gestion de celle-ci ainsi que la prévention des maladies hydriques communes. En Cisjordanie et à Gaza, l'ACDI finance un projet de reconstruction des services d'alimentation en eau et d'assainissement de base, et dans la ville de Keren, en Érythrée, cette agence apporte son appui à la remise en état et à l'extension des services en eau et d'assainissement. Ces initiatives menées par l'ACDI illustrent l'engagement du Canada à aider les pays en développement à évaluer leurs besoins en matière d'eau potable et d'assainissement.

Nous devrions et pourrions cependant faire plus. Par exemple, l'Équipe de réponse et d'assistance aux catastrophes (DART) en Asie du Sud, qui a tant fait au Sri Lanka suite au tsunami en décembre 2004. Elle a la capacité de produire de 150 000 à 200 000 litres d'eau potable par jour, en utilisant une unité de purification de l'eau par osmose inverse mise au point par les Canadiens - un système de traitement de l'eau avancé capable de purifier n'importe quelle source. De fait, ce procédé permet de traiter l'eau contaminée par des agents nucléaires, biologiques ou chimiques de guerre, ainsi que l'eau douce, saumâtre et salée. Dans le cadre de sa mission au Sri Lanka, la DART a produit plus de 3,5 millions de litres d'eau potable. Le Canada pourrait étendre l'utilisation de cette technologie et faire de l'approvisionnement des pays en développement en eau potable une priorité. Cela répondrait à une des questions actuelles les plus urgentes.

Eau Vive, une organisation non gouvernementale canadienne visant à assurer l'approvisionnement en eau potable aux populations les plus démunies dans le monde, est également un exemple d'action. Tous ses projets comportent trois éléments clés : un système d'alimentation approprié, des équipements sanitaires et une éducation à l'hygiène. Depuis sa création en 1987, Eau Vive a aidé plus d'un million de personnes dans 32 pays en développement. En partenariat avec CPAR-Ouganda, elle a réalisé en 2003 le projet d'eau salubre et d'assainissement pour le projet des sous-comités Aber et Iceme, dont la construction de 45 puits de surface, de 39 sources protégées et de 17 réservoirs d'eau pluviales qui profitent directement à plus de 50 000 personnes; la formation de 102 villageois devant s'occuper des sources d'eau pour assurer une exploitation et un entretien adéquats des nouveaux circuits d'alimentation en eau; le coulage et la distribution de 1 000 semelles de ciment ou plates-formes sanitaires pour permettre à des familles locales de construire des toilettes; des activités de sensibilisation à l'hygiène dans la communauté et dans les écoles primaires locales. À Iceme, les habitants possèdent maintenant les compétences leur permettant d'exploiter et d'entretenir leurs propres systèmes d'alimentation en eau. Plus de la moitié des foyers de ce sous-comité utilisent maintenant un modèle de latrines à fosse. Les villageois font état d'une amélioration de leur état de santé, en particulier chez les jeunes enfants.

Le Canada, et les autres pays développés, possédent les compétences et les ressources pour aider les pays du monde entier. Si le tsunami nous a appris quelque chose, c'est que nous sommes tous liés les uns aux autres, où que l'on soit. Tirons-en les enseignements et faisons de la « Décennie internationale d'action » une « Décennie internationale de résultats ». Utilisons notre savoir-faire pour faire de ce monde un lieu meilleur, plus sûr et plus sain pour tous les peuples.
Biographie
Le docteur Albert J. Schumacher est président de l'Association médicale canadienne. Il est membre du Conseil général du CMA depuis 1989. Auparavant, il a été président de l'Association médicale de l'Ontario, dont il a été membre pendant 18 ans. Il joue un rôle actif en matière d'éducation médicale et a été un des présidents fondateurs de Medical Student Bursary Fund.
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