Chronique ONU
Extrait de Eat Here
de Brian Halweil © 2004 Worldwatch Institute. www.worldwatch.org

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L'article
La biodiversité agricole mondiale, l'ultime politique de prévention contre les variations climatiques, les invasions de parasites et les autres menaces à la sécurité alimentaire, dépend largement des millions de petits agriculteurs et des pratiques agricoles qu'ils adoptent. Mais la marginalisation des agriculteurs qui ont créé des systèmes agricoles complexes au cours des générations, ou qui en ont hérité, va au-delà de la simple perte de variétés de cultures spécifiques et du savoir-faire. « Nous perdons à jamais le meilleur savoir disponible et les connaissances de l'environnement agricole local, y compris le meilleur usage des terres marginales qui ne conviennent pas à la production industrielle », explique Steve Gleissman, un agroécologiste à l'université de Californie à Santa Cruz 1. Les 12 millions de porcs produits par Smithfield Foods Inc., le plus grand éleveur de porcs et producteur de viande porcine dans le monde et l'un des premiers à avoir adopté l'intégration verticale, sont pratiquement identiques sur le plan génétique et élevés dans des conditions identiques, qu'ils soient dans un parc d'engraissement Smithfield en Virginie, au Mexique ou en Pologne2.

Alors que les agriculteurs sont de plus en plus impliqués dans tous les maillons de la chaîne agro-alimentaire, il y a de moins en moins de contrôles sur l'ensemble du processus de production - les agriculteurs étant de plus en plus amenés à être des « applicateurs de la technologie» au lieu d'être des managers qui prennent des décisions éclairées et indépendantes. Des sondages récents réalisés par le ministère de l'Agriculture des États-Unis sur les éleveurs de volailles sous contrat aux États-Unis ont révélé que pour gérer leurs opérations, ces éleveurs faisaient d'abord appel aux conseils de banquiers puis à des sociétés avec lesquelles ils sont liés par contrat 3. Si l'agriculteur achète également ses semences et ses engrais à l'une de ces sociétés, comme c'est souvent le cas, il y a de fortes chances qu'il suive les procédures de celle-ci. En tant qu'entreprise internationale n'ayant aucune responsabilité locale, elle est moins encline à tenir compte de la pollution et de la dégradation des ressources créées par ces procédures que l'agriculteur qui vit dans sa communauté. Les contrats proposés aux agriculteurs rejettent généralement toute responsabilité en matière d'environnement.

L'agriculture industrielle intensive a également des retombées écologiques. Les installations d'élevage en claustration (CAFO) constituent peut-être l'exemple le plus extrême ayant des effets néfastes sur l'écosystème, comme une péniche remplie d'ordures dans un bassin peuplé de poissons rouges. Les CAFO sont de plus en plus utilisées car, comme les monocultures, elles permettent une plus grande production d'animaux qui peuvent être abattus et commercialisés à des prix très bas. Mais le manque d'intégration entre le bétail et les terres exploitées pour répondre aux besoins alimentaires des animaux se traduit par une production importante de déchets que le sol ne peut absorber. (Dans l'Utah, une exploitation d'élevage de 1,5 million de porcs par an produit autant de déchets que la ville de Los Angeles4). Ces déchets sont généralement stockés dans des lagunes qui présentent souvent des fuites et débordent lorsque les orages sont violents. De la Caroline du Nord à la Corée du Sud, l'odeur nauséabonde de ces lagunes, une combinaison d'hydrogène sulfuré, d'ammoniaque et de méthane qui sent l'ouf pourri, rend les terres avoisinantes inhabitables à des kilomètres à la ronde.

Les conditions d'élevage perturbent également l'équilibre écologique. Les animaux confinés étant sujets aux infections et la consommation régulière d'antibiotiques favorisant la croissance des animaux, la surutilisation des antiobiotiques est devenue la norme dans la production animale industrielle. Au cours des dernières années, l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture, l'Organisation mondiale de la santé et les Centers for Disease Control and Prevention aux États-Unis ont identifié ces installations d'élevage intensif comme étant la principale cause de l'augmentation du nombre de bactéries d'origine alimentaire résistant aux antibiotiques comme la salmonelle et le campylobacter5.

Ceux qui ont, de temps à autre, suivi le débat sur l'importance des petites exploitations par rapport à l'« efficacité » usine-ferme seront peut-être surpris d'apprendre que les petites exploitations sont, en fait, plus productives que les grandes, leur productivité étant 1 000 % supérieure par unité de surface6. Comment cela se fait-il ? Simplement parce que la productivité des grandes exploitations est toujours calculée à partir du rendement d'une seule culture par hectare alors que la productivité d'une petite exploitation agricole, plus complexe, est calculée à partir du rendement total par hectare. Les petites exploitations peuvent produire plusieurs cultures sur une même terre, quels que soient la profondeur des racines, la hauteur des plantes ou les nutriments. Cette « polyculture » leur offre un avantage en termes de productivité.

Pour illustrer la différence entre ces deux types de cultures, prenons l'exemple d'une grande exploitation productrice de maïs dans le Middle West des États-Unis. Cette ferme peut produire plus de maïs à l'hectare qu'une petite exploitation qui cultive du maïs en polyculture avec des haricots, des courges, des pommes de terre et des herbes fourragères. Mais en termes de volume total, la polyculture, pratiquée par des agriculteurs consciencieux et compétents, produit plus, que ce soit en termes de tonnage, de calories ou de dollars. (Selon le Recensement de l'agriculture de 2002 aux États-Unis, la valeur de la production des plus petites exploitations agricoles d'une taille moyenne de deux hectares, s'élevait à 15 104 dollars par hectare, générant des gains d'environ 2 902 dollars par hectare, alors que valeur de la production des exploitations d'une taille moyenne de 15 581 hectares, s'élevait à 249 dollars par hectare, générant des gains d'environ 52 dollars par hectare. Et cela s'applique à chaque catégorie d'exploitations7). Cette relation inverse entre la taille des exploitations et leur rendement peut être attribuée à l'utilisation plus efficace des terres, de l'eau et des autres ressources agricoles par les petites exploitations, y compris la culture intercalaire de diverses variétés de plantes dans le même champ, plusieurs périodes de semences dans l'année, un système d'irrigation mieux ciblé et l'intégration des cultures et du bétail. Il est donc clair qu'en termes de conversion du rendement, les petites exploitations sont plus avantageuses pour la société. Mais vu l'augmentation de la population dans de nombreux pays et la réduction des terres arables et d'eau disponibles par habitant, l'exploitation de petite taille peut être cruciale pour nourrir la planète.
Photo/Horst Rutsch
Notes
1. Steve Gleissman, université de Californie, Santa Cruz, Département des études sur l'environnement, discussion avec l'auteur, 4 mai 2001.
2. David B. Ottaway, « Something of a Rout for US. Pig Farmer », Washington Post, 4 juillet 2000; « History of Smithfield Foods », www.smithfieldfoods.com, lu le 9 juin 2004.
3. Farmers' Legal Action Group Inc., Assessing the Impact of Integrator Practices on Contract Poultry Growers (St. Paul, Minnesota: septembre 2001).
4. David Barboza,"Goliath of the Hog World," New York Times, 7 avril 2000; Sierra Club, Corporate Hogs at the Public Trough (Washington, D.C., 1999); Circle Four Farms, "Frequently Asked Questions," www.c4farms.com/FAQ/FAQ.htm, lu le 29 juillet 2004.
5. Organisation mondiale de la santé et Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, « Antimicrobial Resistance » Résumé analytique n° 194 (Genève : OMS, janvier 2003); U.S. Centers for Disease Control and Prevention, A Public Health Action Plan to Combat Antimicrobial Resistance (Atlanta, Géorgie : juin 2002); Margaret Mellon, Charles Benbrook et Karen Lutz Benbrook, Hogging It! Estimates of Antimicrobial Abuse in Livestock (Washington : Union of Concerned Scientists, 2001).
6. Peter Rosset, « The Multiple Functions and Benefits of Small Farm Agriculture », exposé sur les politiques n° 4 (Oakland, Californie : Food First/Institute for Food and Development Policy, septembre 1999), pp. 12, 13.
7. Ministre de l'agriculture des États-Unis, National Agricultural Statistics Service, Census of Agriculture 2002 (Washington : 2002), volume I, chapitre 1, tableau 55, pp. 58-65.
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