Chronique ONU
Le partenariat avec les plus pauvres
Par Diana Skelton et Joan Burke

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L'article
EIl y a exactement dix ans à Copenhague, au Danemark en 1995, dans son programme d'action, le Sommet mondial pour le développement social appelait à « donner aux [populations vivant dans la pauvreté] les moyens de devenir des partenaires au développement ». En février 2005, la Commission de l'ONU pour le développement social s'est réunie à New York pour examiner la mise en ouvre du Sommet mondial.

Photo HCR/C.Schwetz
La présence de trente ministres à la quarante-troisième session de la Commission, de même que trois tables rondes de haut niveau et la participation de plusieurs organisations non gouverne-mentales (ONG), ont mis en évidence l'importance du développement social. Pourtant, malgré leur engagement, une question demeure : comment aller de l'avant en l'absence des ministres des Finances qui pourraient aider les ministres des Affaires sociales à atteindre leurs objectifs ou des personnes mêmes à qui ces programmes sont destinés.

<< Les compétences des pauvres restent inexploitées, préoccupés à assurer leur survie. >>

            -selon un sondage en Bolivie
Le forum de la société civile, de concert avec la Commission, a adopté le 7 février la Déclaration du Forum des ONG1, demandant instamment l'« inclusion et la participation de toutes les personnes qui sont affectées par la politique des gouvernements ». Dumisani Shadrack (Afrique du Sud), président de la Commission, a appelé à une « approche centrée sur les gens afin de transposer les idées abstraites dans la réalité ». Vers la fin de la réunion, les représentants des ONG ont discuté comment donner aux pauvres les moyens de jouer un rôle actif dans le développement social, ceux-ci étant le groupe le plus concerné par les politiques du développement social. Durant les conférences de l'ONU sur le statut des femmes et sur l'environnement, les personnes directement concernées par ces questions affluent dans les couloirs des Nations Unies. Pourquoi les pauvres ne sont-ils pas plus présents à la Commission pour le développement social ? Leur présence permettrait, sans aucun doute, d'obtenir davantage de fonds de la part des Nations Unies et des gouvernements pour soutenir les ONG qui cherchent à inviter ces personnes au siège de l'ONU. Mais d'autres obstacles se présentent.

Il y a plusieurs années, une ONG a invité une délégation internationale de personnes vivant dans la pauvreté à assister à un séminaire de haut niveau sur l'extrême pauvreté. Un journaliste, qui n'avait pas assisté au séminaire mais qui était tout de même là pour interviewer les participants après la réunion, a demandé à une femme : « Pourquoi n'y a-t-il pas de pauvres avec vous ? Vous êtes bien habillée, j'imagine donc que vous ne faites pas partie des nécessiteux ». C'est dire qu'il connaissait peu de la vie de cette femme, laquelle était trop choquée pour répondre. Comment pouvait-elle lui dire combien il lui avait été difficile d'accepter l'aide des autres membres de sa communauté qui avaient veillé à ce qu'elle ait des vêtements appropriés pour assister à la réunion ? Comment pouvait-elle expliquer que même si la vie quotidienne de sa famille était terriblement difficile à cause de l'extrême pauvreté, elle n'était pas venue à l'ONU pour plaider en faveur de ses enfants mais pour parler au nom des autres ? Lorsque les représentants des syndicats prennent la parole à l'ONU, on ne s'attend pas à ce qu'ils parlent de leurs expériences dans les usines mais qu'ils représentent les travailleurs. Mais quand il s'agit de personnes démunies assistant aux réunions internationales, nous attendons qu'elles prouvent qu'elles sont pauvres en donnant des détails sur leur vie privée plutôt qu'en débattant des questions qui les concernent.

Projets locaux de bibliothèques dans la rue au Sénégal lancés par ATD Quart Monde. Photos/ATD Quart Monde
C'est une chose très difficile à réaliser que de faire participer les pauvres à ce type de réunions, non seulement parce que ces populations sont parmi celles qui ont le moins accès à l'éducation formelle mais aussi parce que, depuis leur naissance, elles ont conscience du dédain que le monde affiche à leur égard et à l'égard de leurs parents. Nul ne s'est jamais soucié de leur demander leur avis. Lorsqu'un leader respecté de la communauté croise leur chemin, il éprouve de la pitié, mais cela s'arrête là. Il n'est donc pas étonnant que, peu habituées à être entendues, il ne leur soit pas facile de faire entendre leur voix dans les forums publics.

Comment pouvons-nous assurer leur participation dans les projets de développement ? De la même façon qu'elles doivent se préparer à se sentir à même de participer à une conférence internationale, les experts du développement doivent aussi se préparer à être des partenaires avec des personnes venant d'horizons divers. Les acteurs du développement pourraient, par exemple, se familiariser avec les projets qui ont déjà été créés en s'appuyant sur un partenariat local. Tirer des leçons des expériences réussies et des échecs fait partie de la tâche quotidienne des ONG.

Le Comité ONG pour le développement social possède des organisations membres qui mènent des projets locaux dans de nombreuses régions du monde. Son Sous-Comité pour l'éradication de la pauvreté a réalisé un sondage détaillé sur les expériences réussies et les obstacles rencontrés par ceux qui construisent des partenariats sur le terrain avec les plus pauvres2. Un sondage a été réalisé dans une ville d'Asie du Sud-Est, où les facilitateurs qui rendent régulièrement visite aux familles vivant dans les taudis ou sous un pont apportent des matelas, des livres illustrés couvrant un large éventail de sujets, des dessins et d'autres matériels pour l'artisanat. L'un d'eux écrit :

« Nous allons dans la communauté pour inviter chacun à participer, mettant l'accent sur les enfants des familles les plus pauvres. Il est impossible de mener ces activités sans établir une confiance mutuelle entre les facilitateurs et les parents. Cela demande de prendre le temps de parler avec les enfants et avec leurs parents pour comprendre les obstacles auxquels ils sont confrontés et ce à quoi ils aspirent. L'un des facilitateurs, Orruedee S., âgé de 33 ans, qui travaille dans un cabinet d'avocats, raconte : « Au début, je pensais qu'avec mes connaissances je pouvais aider les enfants et leur famille à améliorer leur vie mais, après quelque temps, je me suis rendu compte que j'apprenais quelque chose de nouveau à chaque fois que j'allais dans la communauté. J'ai maintenant une meilleure idée de ce qu'est leur vie, ce à quoi ils aspirent, enfin tout ».

Projets locaux de bibliothèques dans la rue au Sénégal lancés par ATD Quart Monde. Photos/ATD Quart Monde
« Il serait facile de se concentrer seulement sur les enfants qui sont les plus dynamiques et les plus sûrs d'eux. Au lieu de cela, nous donnons priorité à ceux qui sont perçus comme "moins capables". C'est dans cette optique que chaque session et la formation des facilitateurs sont envisagées. S'assurer que chacun est inclus est la marque de toutes les activités. Par exemple, lorsqu'une famille ne pouvait pas participer à une sortie parce qu'elle n'avait pas les moyens d'apporter son pique-nique, les autres familles ont insisté pour que tout le monde participe et partage son repas3 ».

Dans ce projet, plusieurs stratégies ont été utilisées pour construire un partenariat avec ces personnes qui ne pouvaient sortir de l'extrême pauvreté : choisir une communauté extrêmement pauvre et s'occuper en priorité des plus vulnérables; établir un climat de confiance et prendre le temps de se connaître; reconnaître que ces populations ont des expériences et des points de vue dont les autres peuvent tirer des leçons; et s'assurer que personne n'est laissé pour compte.

Lors de la session de la Commission, Grégoire Kantoucar, de ATD Quart Monde, a déclaré : « En préparant cette table ronde, j'ai mesuré le poids de la responsabilité que nous assumons envers ces personnes démunies qui nous font confiance depuis si longtemps. Au lieu de parler en leur nom, je voudrais donc donner la parole à l'un d'eux, André, originaire de Ouagadougou, au Burkina Faso. "Un pauvre, c'est comme une personne prise par surprise lorsqu'une guerre éclate. Une fois que la guerre est engagée, il est trop tard pour s'y préparer. On ne peut pas se préparer dans la hâte. En fait, les pauvres sont toujours pris au dépourvu. Mais ensemble, nous avons des ressources. Continuons d'échanger des idées avec ceux qui croient en notre force. C'est ainsi que nous pourrons sortir de ce cycle" ».

Cela démontre une autre stratégie importante. Il est crucial que les projets de développement soient conçus dès le début avec les personnes qui vivent dans la pauvreté. Il existe, bien sûr, de nombreuses stratégies différentes qui peuvent être utilisées au niveau local pour construire des partenariats, mais nous devons créer davantage de forums où les stratégies peuvent être conçues, évaluées et partagées. La Commission pour le développement social est l'un des forums où les gouvernements, le Secrétariat de l'ONU et les ONG examinent l'éradication de la pauvreté ainsi que l'amélioration de l'emploi et de l'intégration sociale. À l'occasion du dixième anniversaire du Sommet mondial, les membres de la Commission ont réaffirmé, lors de la session de 2005, la Déclaration de Copenhague et le Programme d'action en ces termes : « Nous réaffirmons également que le développement social nécessite non seulement une activité économique, une inclusion et une participation plus importantes mais aussi de meilleures opportunités, une plus grande justice sociale et la reconnaissance du lien qui existe entre le développement et la croissance économique4. »

Nous espérons que cette Commission donnera le ton aux réunions qui auront lieu en 2005 pour préparer l'évaluation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), dont le premier est d'éradiquer l'extrême pauvreté et la faim afin de « réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour [et] réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim ». Il faut bien commencer quelque part et, pour un grand nombre d'ONG, les OMD et la date butoir de 2015 sont seulement des progrès à mi-parcours accomplis en vue de la réalisation de l'éradication de la pauvreté, tels qu'elle a été fixée lors du Sommet mondial.

Table ronde sur « La participation est efficace : les expériences réussies dans le monde pour lutter contre la pauvreté », parrainée par le Sous-Comité des ONG pour l'éradication de la pauvreté. De gauche à droite : Gregoire Kantoucar (ATD Quart Monde), Gretta Fernandes (VIVAT International), Albert Gyan (Conseil mondial des églises) et Haleh Arbab Correa (Communauté internationale Baha'i). Photo/Leilei Duan
Mais qu'est-il prévu pour l'« autre moitié » de la population vivant dans l'extrême pauvreté et qui seront ceux qui bénéficieront des programmes en premier ? Si la première moitié est composée principalement des populations que l'on peut aider plus facilement à sortir de la pauvreté, l'expérience montre qu'il sera alors plus difficile de toucher celles qui vivent dans la misère et croupissent dans la pauvreté chronique. Prendre le temps d'établir des relations de confiance avec ces personnes afin de construire un partenariat avec elles peut nous amener à concevoir des programmes innovants plus efficaces et d'une grande portée, y compris pour celles qui ont le moins de chances d'être touchées.

Dans le récent rapport sur le projet du millénaire publié par Jeffrey Sachs, conseiller spécial du Secrétaire général de l'ONU, l'éradication de la pauvreté est décrite comme un « jalon important dans notre quête à bâtir un monde plus sûr et plus pacifique5 ». La Déclaration du Forum des ONG souligne que « le développement social est à la base de la sécurité humaine pour toutes les populations de notre planète ». La vie de tous les membres de la communauté internationale serait améliorée si la détermination des gouvernements, en partenariat avec la société civile et le secteur privé, était suffisamment forte pour traduire leurs engagements en actions.

La justice sociale, prônée par la récente session de la Commission, est une raison impérieuse pour construire un partenariat avec les plus pauvres. Une autre raison évoquée dans le sondage par une organisation locale en Bolivie est que nous n'avons pas encore commencé à exploiter « les compétences des pauvres ».
Notes
1. Voir http://www.un.org/esa/socdev/csd/csocd2005/docs/csf.pdf
2. « Meilleures pratiques pour l'éradication de la pauvreté : Études de cas issus du terrain », à partir de sondages réalisés par le Sous-Comité pour l'éradication de la pauvreté, a été publié en 2003.
3. Ibid. Ce questionnaire a été soumis par le Mouvement international ATD Quart Monde.
4. Document interne du 25 janvier 2005, présenté par le Bureau sur les décisions de la quarante-troisième session de la Commission pour le développement social, paragraphe 5.
5. Projet du millénaire 2005 de l'ONU, Investir dans le développement : un plan pratique pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement. Aperçu général.
Biographies
Diana Skelton, vice-présidente du Comité des ONG, fait partie du mouvement ATD Quart Monde depuis 18 ans. En tant que représentante de ce mouvement auprès des Nations Unies, elle a invité des communautés pauvres à participer aux conférences de l'ONU.
Joan Burke, présidente du Comité des ONG pour le développement social, est une anthropologue sociale qui a passé 20 ans en Afrique. Elle représente les Sours de Notre-Dame de Namur aux Nations Unies.
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