Chronique ONU

Définir la qualité et l'inégalité dans l'éducation
Par Cynthia Guttman

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
L'article
Étant donné qu'il est rare que les messages positifs fassent la une de l'actualité, nous devrions nous réjouir des progrès accomplis vers l'éducation pour tous. Le nombre d'enfants scolarisés n'a jamais été aussi élevé, même si les progrès sont lents pour garantir l'éducation pour tous d'ici à 2015.

Partout dans le monde, l'éducation fait l'objet d'une attention accrue. Lors du Forum économique mondial qui s'est tenu en janvier 2005 à Davos, en Suisse, les chefs d'entreprise et les dirigeants politiques ont placé l'éducation au premier rang des priorités mondiales, reconnaissant qu'elle était essentielle pour réduire la pauvreté. Alors que la campagne internationale d'une année « Make Poverty History » (Faire de la pauvreté une affaire du passé) vient d'être lancée, les ministres des Finances du G-7 se sont engagés à verser une plus grande aide aux pays en développement et à alléger leur dette, ouvrant la voie au Sommet du G-8 qui aura lieu en juillet, en Écosse, dont le thème principal sera consacré à l'Afrique. En septembre, la réunion des chefs d'État sera l'occasion d'évaluer les progrès en vue de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et d'exhorter les pays à tenir leurs engagements.

L'année 2005 est la première étape. En s'engageant à réaliser les objectifs du Millénaire et l'Éducation pour tous (EPT) en 2000, les pays ont promis d'éliminer les disparités entre les sexes dans l'enseignement primaire et secondaire d'ici 2005. Or quelques 70 pays ne parviendront pas à atteindre ces objectifs. Certes, il y a eu des progrès mais ils ont été trop lents pour atteindre l'objectif de 2005. C'est en Afrique et en Asie du Sud et de l'Ouest que le déficit éducatif est le plus grave. Trois quarts des 103 millions d'enfants non scolarisés dans le monde, dont la majorité sont des filles, vivent dans ces régions. La pauvreté des ménages, les normes et les traditions sociales ainsi que les frais de scolarisation empiètent sur le droit à l'éducation, indique le Rapport mondial de suivi sur l'EPT 2003/2004, Genre et éducation pour tous : le pari de l'égalité. Mais alors que de nombreux pays à revenu bas prennent des mesures audacieuses pour élargir l'accès à l'éducation, la mauvaise qualité de l'éducation apparaît comme le plus grand obstacle au progrès.

Dans un tiers des pays pour lesquels on dispose de données, moins de 75% des élèves vont jusqu'à la 5e année du primaire, reflétant la pauvreté des ménages et la mauvaise qualité de l'éducation. Des classes surchargées, des enseignants peu qualifiés et le manque de manuels scolaires et de services d'assainissement sont encore la réalité de nombreuses écoles.

Les évaluations nationales et internationales fournissent des critères pour mesurer le niveau des performances. Ces tests permettent également d'évaluer les acquis scolaires. Les résultats révèlent que dans un grand nombre de pays à faible revenu plus d'un tiers des enfants possèdent des compétences limitées en lecture après sept ans de scolarisation. Selon une étude du Consortium de l'Afrique australe et orientale pour le suivi de la qualité de l'éducation (SACMEQ) réalisée sur 15 pays de la région, la qualité de l'éducation a baissé depuis plusieurs années. Les comparaisons entre les études effectuées tous les cinq ans montrent une chute de 4 % des scores aux tests d'alphabétisme des élèves de 6e année du primaire. En Amérique latine, les évaluations nationales ont montré qu'au Nicaragua, par exemple, 70 % des élèves avaient seulement atteint le niveau linguistique « de base » en 2002.

Ces résultats indiquent que l'accès à l'éducation seul ne suffira pas à assurer l'éducation pour tous. Depuis que la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 a affirmé que l'enseignement élémentaire devait être gratuit et obligatoire pour tous les enfants, plusieurs traités internationaux et déclarations de l'ONU ont réitéré cet objectif. La plupart, cependant, n'abordent pas la qualité de l'éducation, à l'exception de la Convention relative aux droits des enfants (1990), qui stipule des engagements solides, précis sur les buts de l'éducation, et du Cadre d'action de Dakar (2000) où l'amélioration de la qualité de l'éducation est un but spécifique. Mais la Déclaration du Millénaire de 2000 ne faisait aucune référence explicite à la qualité, même si l'objectif de terminer les études primaires implique que la qualité de l'éducation est suffisamment bonne pour le faire.

Comment améliorer la qualité ? L'édition 2005 du Rapport mondial du suivi, Éducation pour tous : l'exigence de qualité, publié par une équipe indépendante de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), synthétise un vaste corpus de recherches sur les déterminants d'une éducation de qualité et identifie des stratégies destinées à l'améliorer, en particulier dans les pays à faible revenu. Les tests d'acquis sont un indicateur de la qualité. Il y en a d'autres : le budget alloué par les gouvernements à l'éducation (moins de 6 % du produit national brut dans la plupart des régions), le ratio élève-enseignant (trop élevé dans les pays où le défi de l'EPT est le plus grand), le nombre d'années d'études des élèves et la qualification des enseignants.

Le processus d'apprentissage étant complexe, il est difficile d'apporter une réponse catégorique à la relation entre l'éducation et la qualité. D'abord, ce concept est loin de faire l'unanimité. Deux principes caractérisent généralement les tentatives de définition de la qualité : le premier concerne le développement cognitif des élèves comme objectif explicite des systèmes d'éducation, et le second met l'accent sur le rôle de l'éducation dans la promotion de valeurs communes, de la responsabilité civique et du développement créatif et émotionnel - objectifs beaucoup plus difficiles à évaluer.

Pour compliquer les choses, aucune théorie générale sur les déterminants de la qualité de l'éducation n'a été validée par la recherche empirique. De nombreuses approches adoptées dans la tradition économique partaient du principe qu'il existait une analogie viable entre les écoles et les usines, en ce sens qu'un ensemble d'intrants pédagogiques donne un ensemble de résultats d'une manière assez uniforme. Mais les tentatives d'évaluer quels intrants - les compétences des enseignants, l'expérience, le ratio élève-enseignant - ont le plus grand impact sur les résultats n'ont pas donné de conclusions définitives, en particulier dans les économies développées où le niveau élevé des dépenses par élève n'avait pas eu un impact significatif dans l'amélioration des scores aux tests. Ceci est cependant plus évident dans les pays en développement : le niveau plus élevé des dépenses par élève se traduit par de meilleurs résultats aux tests d'alphabétisme. Mais ce modèle a été critiqué. Une nouvelle école de recherche interdisciplinaire met en valeur ce qui se passe en classe. Comment les enseignants maîtrisent-ils le programme ? Comment organisent-ils leur temps en classe ? Quelles sont les attentes des élèves ? L'importance d'un environnement d'apprentissage sûr et sain est également mis en avant. Les études menées dans les pays en développement montrent que toutes ces dimensions jouent un rôle dans l'amélioration de la performance des élèves. Il est clair que les gouvernements font face à des choix difficiles, précisément parce que l'améliora-tion de l'éducation signifie traiter nombre de questions, en commençant par les acquis de l'élève. Plusieurs dimensions sont considérées essentielles dans tous les contextes.

Premièrement, l'investissement dans la formation des enseignants est crucial. Les ratios élève-enseignant élevés, avec des classes de 70 élèves en moyenne, sont répandus dans les pays qui ont les plus grands besoins en éducation. La pandémie du VIH/sida aggrave la crise, contribuant à l'absentéisme et aux décès des enseignants. Trop d'enseignants ont une formation minimale ou insuffisante. La proportion des nouveaux enseignants du primaire qui satisfont aux normes nationales a diminué dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne. Pour les enseignants nouvellement qualifiés, l'équilibre entre le temps, l'argent investi dans la formation initiale et le soutien en classe sont une question politique cruciale. Les modèles de formation des enseignants devraient être revus dans nombre de pays afin de renforcer la formation initiale et continue dans le cadre de l'école au lieu de s'appuyer sur la longue formation initiale traditionnellement dispensée dans les établissements de formation. La rémunération des enseignants est également problématique : elle était plus faible en valeur réelle en 2000 qu'en 1970 et souvent insuffisante pour garantir un niveau de vie décent. En Sierra Leone, la plupart des enseignants doivent subvenir aux besoins de leur famille de quatre à cinq personnes avec moins de 2 dollars par jour. Les directeurs d'école devraient également suivre des programmes de formation en leadership - leur engagement peut jouer un rôle important sur la qualité des écoles.

Deuxièmement, les styles d'enseignement traditionnel tendent à dominer dans les classes, reléguant les élèves dans un rôle passif. Même si des programmes phares encourageant une pédagogie active « centrée sur l'enfant » existent dans toutes les régions, les résultats ne sont pas toujours concluants et ces expériences coûtent cher, ce qui a amené nombre d'éducateurs à préconiser un enseignement structuré - une combinaison d'instruction directe, de pratique guidée et d'apprentissage indépendant.

Troisièmement, les élèves ne passent pas suffisamment de temps à l'apprentissage. Les scores aux tests montrent que le temps consacré en classe aux mathématiques, aux sciences et à la langue ont une forte incidence sur la performance des élèves. Bien que 850 à 1000 heures d'enseignement par an soient considérées comme la norme, rares sont les pays qui la respectent. Dans certains cas, le nombre annuel moyen d'heures consacrées à l'instruction a chuté considérablement au cours des deux dernières décennies, dû à l'obligation de répondre à une demande accrue dans un contexte de sévères contraintes financières.

Quatrièmement, la lecture doit être considérée comme un domaine prioritaire dans les efforts visant à améliorer la qualité de l'éducation de base, en particulier pour les élèves des milieux défavorisés. L'alphabétisme est un outil essentiel pour la maîtrise des autres matières et aussi l'un des meilleurs instruments de prédiction des acquis d'apprentissage à long terme.

Cinquièmement, le choix de la langue employée à l'école est de la plus haute importance. Environ 20 % de la population locale ont une « langue locale » pour langue maternelle. Commencer l'instruction dans la première langue améliore les résultats d'apprentissage et réduit les taux de redoublement et d'abandon. Par exemple, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, avec sa mosaïque de plus de 830 langues, en utilise plus de 400 pour l'instruction initiale dans les écoles.

Source : Rapport mondial de suivi sur l'EPT 2005.

Sixièmement, la qualité des matériels d'apprentissage ont une forte incidence sur ce que les enseignants peuvent faire. Les politiques nationales en matière de manuels scolaires peuvent fournir un cadre pour promouvoir l'édition locale et permettre aux écoles de choisir les manuels. Les gouvernements centraux doivent être également prêts à accorder une plus grande liberté aux écoles, pourvu que des ressources adéquates soient disponibles.

L'amélioration de la qualité de l'éducation se fait à différents niveaux. Les programmes de protection et d'éducation de la petite enfance facilitent les acquis ultérieurs à l'école. L'alphabétisme renforce l'engagement des parents en faveur de l'éducation de leurs enfants. Les politiques et les réformes prenant en compte des questions sexospécifiques améliorent directement la qualité de l'éducation et ses résultats.

Dans le Rapport mondial 2005, sept pays en développement font partie du groupe ambitieux - le Brésil, le Bangladesh, le Chili, l'Égypte, le Sénégal, l'Afrique du Sud et le Sri Lanka - en raison de leurs efforts à améliorer à la fois l'éducation de base et sa qualité. L'Afrique du Sud, par exemple, a pris des mesures pour tendre l'éducation obligatoire pendant neuf ans, déployer de meilleurs enseignants dans les écoles les plus pauvres, mettre en place des organes directeurs des écoles et niveler les dépenses scolaires pour tous les groupes raciaux. Le Bangladesh a un secteur non gouvernemental dynamique qui a adopté des méthodes éducatives novatrices pour les pauvres ruraux. Le Brésil a mis en place de vastes projets pour réduire les inégalités régionales et sociales, y compris un programme pour les familles pauvres et des initiatives pour fournir des manuels et former les enseignants non diplômés au moyen de l'éducation à distance. Le cas de plusieurs pays à hautes performances, tels que le Canada, Cuba, la Finlande et la République de Corée, présentent également des caractéristiques communes. Ces pays ont un grand respect pour la profession enseignante, pratiquent une politique de continuité et montrent un niveau élevé de l'engagement public à l'éducation.

Le fait qu'en Afrique subsaharienne, un enfant peut compter en moyenne sur cinq à six années d'enseignement de moins qu'un enfant en Europe de l'Ouest et en Amérique est une sonnette d'alarme tant pour les pays riches que pour les pays pauvres. L'aide bilatérale représente actuellement 1,5 milliard de dollars par an. Même si ce chiffre pourrait atteindre 3,5 milliards de dollars dans les cinq prochaines années, il est loin des 5,6 milliards de dollars supplémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs de l'éducation primaire pour tous et la parité entre les sexes d'ici à 2015. L'alphabétisme - le thème du Rapport mondial 2006 - est un objectif que l'on oublie trop souvent. Huit cent millions d'adultes ne savent toujours ni lire ni écrire, ce qui les laisse en marge de toutes les opportunités de développement.

Toutes les études démontrent les liens étroits qui existent entre l'éducation et la réduction de la pauvreté. De récentes recherches suggèrent que les compétences cognitives nécessaires pour faire des choix informés sur les risques associés au VIH/sida sont fondées sur les niveaux d'éducation et d'alphabétisme. Réaliser les OMD, notamment la réduction de la pauvreté, l'autonomisation des femmes, l'amélioration de la santé, de l'assainissement et la gestion de l'environnement, c'est fondamentalement chercher à garantir qu'enfants, jeunes et adultes acquièrent les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour mener une vie meilleure.
Pour tout complément d'information, veuillez visiter le site www.efareport.unesco.org
Biographie
Cynthia Guttman est responsable des communications pour le Rapport mondial de suivi sur l'Éducation pour tous. Pendant plusieurs années, elle a été journaliste et éditrice au Courrier de l'UNESCO et a également écrit une série de publications sur les programmes d'éducation innovants dans les pays en développement.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut