Chronique ONU
À voix haute
Le nouvel antisémitisme
Graffitis sur le mur de l'histoire
Par Mortimer B. Zuckerman

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L'article
Photo/Horst Rutsch
Lorsque Winston Churchill a dit « tous les ismes finissent tôt ou tard par passer », il ne savait pas combien il avait raison. Au XXe siècle, le fascisme a émergé puis disparu. Le communisme a émergé puis disparu. Le socialisme a émergé puis régressé. Mais, aujourd'hui, plusieurs idéologies en isme d'une extrême virulence occupent toujours la planète : l'antiaméricanisme s'est développé dans le monde entier de même que l'antisémitisme ancestral et sa variante contemporaine, l'antisionisme. Ces deux dernières idéologies de haine et de destruction sont des graffitis sur le mur de l'histoire. Cette nouvelle tendance de l'antisémitisme n'est pas dirigée contre les juifs en tant qu'individus, ni même contre le judaïsme, mais vise plutôt la collectivité juive, l'État d'Israël contemporain.

Tout comme l'antisémitisme historique déniait au juif le droit de vivre sur un pied d'égalité avec les autres membres de la société, l'antisionisme prétend refuser à l'expression collective du peuple juif, l'État d'Israël, le droit de vivre comme membre à part entière de la famille des nations. Les politiques d'Israël sont ainsi soumises à des critiques qui le font montrer du doigt, quand d'autres, placés dans des circonstances similaires, en sont totalement exempts. Il est certain que si n'importe quel autre pays devait être saigné par le terrorisme comme Israël aujourd'hui, personne ne remettrait en question son droit à se défendre, que ce soit contre des armées organisées par des États hostiles ou contre la violence organisée par des groupes terroristes. Mais les efforts d'Israël pour tenter de protéger ses citoyens sont systématiquement décrits comme des agressions.

Déplorer qu'une telle présentation soit injuste et illogique ne signifie pas rejeter comme antisémite toute critique du gouvernement israëlien. Une démocratie se doit d'accueillir les critiques, et Israël est une démocratie. La presse israélienne ne se prive pas de critiquer, souvent avec virulence, le gouvernement et la société, le parlement et même les tribunaux. Mais nombre de récentes critiques sont devenues si perverses, si continuelles, si coupées de la réalité, qu'on ne peut s'empêcher de les considérer comme l'expression d'un antisémitisme viscéral caché derrière le masque politique insidieux de l'antisionisme. En Europe, dans le monde musulman, et même en Asie, a récemment resurgi un antisémitisme traditionnel, sous forme d'antisionisme, polarisé sur les juifs d'Israël, le rôle d'Israël et, pour certains, sur les juifs qui, aux États-Unis, soutiennent Israël. L'antisémitisme d'après la guerre froide s'est transformé en une attaque contre l'expression collective de l'existence contemporaine juive : l'État d'Israël. Dans les faits, Israël est de plus en plus le juif collectif parmi les Nations.

Ce phénomène a ses origines dans la guerre israélo-arabe de 1967. Shylock a soudain été remplacé par un Juif nouveau, caricaturé comme agressif et tout-puissant, collectivement dénommé Israël. Avec les territoires saisis à la fin de la guerre, le « petit État juif courageux » avait cessé d'être. Dans les années qui ont suivi, comme il ripostait encore et encore aux attaques arabes, la sympathie pour Israël s'est effritée, à mesure que les télévisions du monde diffusaient des images non pas des terroristes, mais des Israéliens en armes ripostant aux terroristes. Puis, d'une façon ou d'une autre, le mot « riposte » s'est trop souvent perdu dans le chaos. Les images télévisées de l'armée semblaient laisser entendre que les Israéliens étaient coupables d'un usage disproportionné de la force, car elles étaient rarement accompagnées d'un commentaire expliquant qu'un pays de cinq millions d'habitants, concentrés sur une bande de terre étroite au milieu de 100 millions d'Arabes, ne pourrait jamais mener une guerre avec des pertes égales de chaque côté. Une telle stratégie serait catastrophique et Israël n'avait donc pas d'autre choix que de recourir à l'usage disproportionné de la force militaire comme moyen de dissuasion contre des attaques futures.

L'impact de la télévision a encouragé un long et subtil processus de délégitimisation d'Israël. Aujourd'hui, les émissions télévisées sur le Moyen-Orient ne sont pas présentées dans le contexte de la survie d'Israël, ni de la sécurité des États de cette région, mais dans celui de l'autodétermination des Arabes palestiniens. Israël est perçu comme un pouvoir colonial qui opprime les faibles. Les images sont familières. Il y a l'occupant et l'occupé, le soldat et l'enfant, l'Israélien habillé élégamment et le réfugié portant des vêtements déchirés, le politicien arrogant de Tel-Aviv et les Arabes sans-abri. Les questions qui s'en suivent sont des réactions émotionnelles naturelles. Pourquoi Israël ne fait-il rien pour ces gens ? Ne haïriez-vous pas les Israéliens si vous étiez un Palestinien déplacé ? Le monde devrait faire quelque chose pour les victimes de l'arrogance israélienne.

Le fait qu'Israël ait mené une guerre d'autodéfense est considéré comme immoral. Mais aucun pays ayant été confronté à des menaces semblables, internes ou externes, n'a jamais accordé les droits de l'homme à ceux à qui ils s'opposaient, comme Israël l'a fait pour les Palestiniens pendant l'Intifada. Les Palestiniens ont réussi à changer le débat. Ils ne se présentent pas comme ayant l'intention de détruire Israël mais simplement de garantir le droit à une petite minorité d'Arabes palestiniens dépossédés de leurs terres. La carte s'est réduite à Gaza et à la Cisjordanie. Les États arabes, de la taille des États-Unis, encerclent et menacent Israël, qui est plus petit que le New Hampshire. Or, cela est loin d'être évident lorsque l'on regarde les actualités télévisées. On considère que ce ne sont pas les juifs qui sont menacés mais les Palestiniens. L'attention s'est déplacée de la sécurité nationale vers les droits de l'homme, c'est-à-dire les violations des droits des Palestiniens par Israël et non pas les droits de l'homme d'un peuple assiégé dans son pays depuis 55 ans. Cette tentative de délégitimisation d'Israël est l'expression idéologique du refus des Palestiniens et des Arabes de reconnaître l'État d'Israël au Moyen-Orient. Les Arabes ont cherché à rejeter la responsabilité de leur propre rejet sur les juifs.

La politique de deux poids deux mesures du monde vis-à-vis des juifs a toujours été l'essence de l'antisémitisme : d'un côté, l'établissement de normes morales impossibles à respecter, qui ne sont appliquées à aucun autre État et, de l'autre, une équivalence morale sans fondement. Tout se passe comme si Israël devait remporter le prix Nobel de la moralité en se défendant, comme si riposter à ceux qui cherchent à le détruire était moralement répréhensible. N'y a-t-il donc aucune différence entre la violence de meurtriers qui s'attaquent à des innocents, particulièrement des enfants, et la violence inévitable d'autorités légales ? Les incendiaires et les pompiers sont-ils moralement sur le même pied ? Le comportement d'Israël, qui vise à minimiser les pertes civiles, est-il le même que celui des terroristes, qui vise à les maximiser ? Les colonies sont-elles la même chose que le terrorisme ? Ou, comme l'a dit l'ancienne Secrétaire d'État des États-Unis, Madeleine Albright, « les bulldozers sont-ils des bombes » ?

Israël semble absorber le sentiment antisémite qui persiste en Europe, phénomène qui est plus facile à expliquer comme étant une manifestation de l'antisionisme plutôt que de l'antisémitisme. Les attaques traditionnelles de la droite, fondées sur des raisons nationales, religieuses ou ethniques, ont été surpassées en Europe par le discours moral de l'extrême gauche, qui évoque des raisons politiques et universelles comme les droits humains, l'anticolonialisme et l'égalité économique, assorties d'un antiaméricanisme excessif. Pour eux, les Palestiniens sont devenus l'enfant du tiers-monde qui figure sur les affiches. Ils soutiennent qu'Israël est une force d'occupation qui opprime les Palestiniens, et ignorent le fait qu'Israël en est là parce que les Arabes leur ont déclaré la guerre - tout cela pour créer l'impression qu'Israël est parmi les pires violateurs des droits de l'homme. Mais l'Europe, où ont été massacrés tant de juifs, devrait avoir plus de bon sens. Elle devrait être la première à comprendre que les juifs, entre tous les peuples, ont le droit de se défendre, même excessivement, contre les conséquences de la haine.

Dans le monde musulman, une culture de haine des juifs imprègne toutes les formes publiques de communication - les journaux, les cassettes vidéo, les prêches, les livres, Internet, la télévision, la radio et même les salles de classe. L'intensité des insultes anti-juives égale ou surpasse celle de l'Allemagne nazie à son paroxysme. Le discours public mêle les accusations de crime rituel de la Chrétienté médiévale, les théories nazies de conspirations extravagantes, qui font écho au célèbre faux, les « Protocoles des Sages de Sion » et la notion farfelue d'une aspiration juive à dominer le monde. L'explosion de nouveaux réseaux câblés d'information comme Al Jazeera et Al Manar, ainsi qu'Internet, ont rapidement répandu ces idées dans le monde arabe et renforcé le caractère fatal de la propagande antisémite.

Il ne s'agissait pas simplement d'un préjugé irrationnel. Cette rhétorique est le produit d'un soigneux calcul des dirigeants politiques arabes, qui sont conscients de l'intérêt qu'ils ont à faire d'Israël le bouc émissaire de leur échec à satisfaire leur peuple, tout en légitimant leur régime. Dans cet effort de délégitimisation d'Israël, ils ont trouvé une instance aux Nations Unies. En fait, un long chemin nous sépare de la résolution de 1947 proposant la solution de deux États, rejetée par les États Membres arabes, et légitimant l'existence d'Israël et le droit du peuple juif à disposer de son propre État. Depuis lors, les Nations Unies ont adopté une position presque automatiquement anti-israélienne, exacerbée par l'hostilité de la majorité de ses membres. Elles offrent régulièrement une tribune pour des attaques malveillantes contre Israël, conférant à la calomnie et à la haine un habillage de raison et de légitimité. Elles sont devenues ainsi l'instrument de la pérennisation du conflit du Moyen-Orient, et non de sa résolution, et de l'antisémitisme qui va de pair, générant un nombre important de résolutions visant Israël seulement et imposant à ce pays un ensemble unique de normes qui ne sont appliquées à aucun autre État Membre. Montrer du doigt Israël seulement pour ses pratiques différentielles et discriminatoires revient, au fond, à rationaliser l'antisémitisme.

De nombreux membres de l'ONU affirment que l'absence de paix dans la région est due au refus d'Israël de céder suffisamment de territoire. Cela implique qu'Israël a seulement besoin d'un gouvernement éclairé pour que la raison et la rationalité l'emportent. Ainsi, Israël devient responsable de l'agression palestinienne. Mais avec 20 000 attaques terroristes depuis le début de la seconde Intifada, le seul moyen qu'Israël a trouvé pour réduire le nombre d'attentats-suicides est d'éliminer leurs sanctuaires en réoccupant la Cisjordanie et en instaurant un bouclage de Gaza. Lorsque Israël propose une alternative sous forme d'un mur de sécurité, il est condamné par l'Assemblée générale l'ONU.

Mais le problème n'est pas l'occupation de la Cisjordanie. À supposer que le terme « occupation » ait un sens, dans ce contexte, il l'a perdu il y a trois ans, quand Yasser Arafat a rejeté la proposition d'Ehoud Barak d'un État palestinien. Le problème est le refus palestinien de reconnaître à Israël le droit d'exister en tant qu'État juif, une extension de la haine envers les juifs et leur lien à la terre d'Israël. Comment comprendre autrement le sens de la négation palestinienne de la sainteté de Jérusalem pour les juifs, et du mur occidental comme partie du Second Temple, sinon comme un rejet de la présence juive en ces lieux ?

La réflexion d'Amos Oz, un écrivain israélien de gauche, est pertinente. Il est obsédé, dit-il, par la remarque qu'avant l'Holocauste, on lisait des graffitis « les juifs en Palestine », alors qu'aujourd'hui, on lit : « Les juifs hors de Palestine ». Pour les juifs, le message est simple, constate Amos Oz : « Ne soyez pas ici, ni là, c'est-à-dire : ne soyez nulle part. »
Biographie
Mortimer B. Zuckerman est président et rédacteur en chef d'U.S. News and World Reportet éditeur de Daily News.
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