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L'adieu aux armes nucléaires ?
Par Ramesh Thakur

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L'article
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Lorsqu'on examine le paysage stratégique international, on remarque à l'horizon des nuages en forme de champignons qui semblent plus noirs qu'il y a six ans.

Les nouvelles les plus alarmantes ont concerné la révélation d'une série d'essais nucléaires illégaux effectués par des scientifiques sud-coréens. En septembre 2004, Séoul a révélé avoir extrait du plutonium en 1982 et réalisé trois expériences d'enrichissement en 2000 pour produire 0,2 g d'uranium enrichi. Le plutonium et l'uranium sont deux éléments essentiels des armes nucléaires.

Les États-Unis affirment le droit de développer de nouvelles générations d'armes nucléaires qui causent des dégâts énormes ainsi que des « mini armes nucléaires » utilisables sur les champs de bataille, et redéfinissent les doctrines concernant le déploiement et l'emploi des armes nucléaires. Lors de la session d'avril 2004 du Comité préparatoire à la Conférence d'examen du Traité de non-prolifération des armes nucléaires de 2005 (TNP), qui a eu lieu à New York, certains États nucléaires se sont opposés aux demandes visant à créer des organes subsidiaires pour examiner les questions liées au désarmement. Ils ont écarté les possibilités de bénéficier d'« assurances négatives de sécurité » afin de ne pas utiliser les armes nucléaires contre les États non nucléaires, et ont tenté d'exclure les références aux conférences d'examen précédentes, en particulier le Document final adopté en 1995 par consensus, qui comportait treize étapes pratiques pour le désarmement nucléaire. Washington ne reconnaît plus l'entrée en vigueur du Traité d'interdiction complète des essais d'armes nucléaires (CTBT), ni l'« engagement sans équivoque » des États nucléaires de procéder à l'élimination des arsenaux nucléaires, ni le maintien du Traité sur les missiles antimissiles balistiques (ABM).

La Chine, qui continue de moderniser son arsenal nucléaire, est le seul État nucléaire à poursuivre son expansion depuis l'extension indéfinie du TNP en 1995. Elle reste cependant loin derrière les États-Unis et la Fédération de Russie et n'a aucune intention de les rattraper. Alors qu'Israël poursuivait son programme nucléaire dans son coin, en 1988, l'Inde et le Pakistan se sont dotés de l'arme nucléaire et, en 2002, ont été sur le point de déclencher une guerre. Les inquiétudes concernent la capacité de la Corée du Nord et son intention d'acquérir des armes nucléaires (si ce n'est pas encore fait), les activités de prolifération en Iran, l'achat d'armes nucléaires dans le commerce par l'Arabie saoudite et les fuites potentielles du matériel nucléaire russe.

Le pire scénario serait l'utilisation d'armes nucléaires ou chimiques par des terroristes pour tuer des centaines de milliers de personnes. Nous ne pouvons écarter la possibilité d'une attaque combinant la sophistication du 11 septembre et l'emploi de telles armes. Pour autant que l'on sache, aucun groupe terroriste ne possède les compétences nécessaires pour en fabriquer et rien ne laisse à penser que de telles armes ont été transférées à des organisations terroristes. Une chose est sûre : la Lybie a abandonné ses programmes de développement et l'Irak n'en détient pas. Il y a toutefois une ombre au tableau : un grand nombre d'autres régimes ont pu conclure que Saddam Hussein n'aurait pas été attaqué s'il avait possédé des armes nucléaires.

Alors que les pays se préparent à la Conférence d'examen du TNP de 2005, nous faisons face à quatre options : le statu quo, la prolifération ou le réarmement nucléaire ou bien l'abolition. Des choix on ne peut plus difficiles.

Un retour au statu quo de 1995 nécessiterait que l'Inde et le Pakistan, et seulement eux, réduisent leurs armes nucléaires. Tenter de dénucléariser l'Asie du Sud est aussi peu réaliste que de demander l'abolition immédiate des armes nucléaires. Pour y parvenir, il faudra faire plus que menacer du doigt les pays qui ne respectent pas les règles. De même que les armes qui ont été inventées ne peuvent être « désinventées », celles qui ont été testées peuvent être détestées mais pas « dé-testées ».

Nous faisons face à un autre problème sérieux et insoluble. Les arsenaux nucléaires de l'Inde, du Pakistan et d'Israël ne sont pas conformes au TNP. La question n'est plus de savoir si l'Inde et le Pakistan deviendront des puissances nucléaires mais comment ces pays se comporteront en tant que tels. Le défi est de trouver les moyens de concilier l'état nucléaire de facto des deux pays avec le régime du TNP. La définition d'un État nucléaire est d'ordre chronologique : les pays qui étaient des puissances nucléaires au moment où ils ont signé le TNP ont été reconnus comme des États nucléaires. Même si l'Inde et le Pakistan testent, déploient ou même utilisent des armes nucléaires, ils ne sont pas reconnus comme des États nucléaires. En principe, le Royaume-Uni et la France peuvent démanteler leur programme nucléaire et détruire leurs arsenaux mais ils feront toujours partie des États nucléaires. Cette approche aux affaires stratégiques digne d'Alice au pays des merveilles est du plus grand sérieux.

Après que des pays ont acquis l'arme nucléaire, combien de temps faut-il avant qu'ils souscrivent à des engagements dans le cadre de la non-prolifération ? Ou bien si l'Inde, le Pakistan et Israël doivent se débarrasser de leurs armes nucléaires, pourquoi pas les cinq autres États nucléaires ? Qu'un groupe de pays ait décidé de conserver le monopole nucléaire défie tout sens commun et toute logique.

Après le 11 septembre, la politique américaine a radicalement changé, passant de la prolifération nucléaire universelle fondée sur le TNP à la prolifération différenciée. Avant, le TNP était la pierre angulaire qui incarnait la norme anti nucléaire. Aujourd'hui, les États-Unis semblent plus concernés par les relations entre les pays nucléaires et Washington. L'Inde et le Pakistan ont été retirés de la liste des pays « parias » (le Pakistan est, en fait, aujourd'hui reconnu comme un pays allié important ne faisant pas partie de l'OTAN - Organisation du Traité Atlantique Nord). Washington a concentré son attention sur les pays de l'axe du mal qui sont hostiles aux États-Unis, et les inquiétudes ne sont plus limitées aux États proliférateurs mais s'étendent aux groupes non étatiques et aux individus, en particulier ceux qui pourraient un jour commettre des actes de terrorisme nucléaire. C'est dans ce sens que les États-Unis ont promis d'empêcher que les armes de destruction massive tombent entre les mains des groupes les plus dangereux du monde. C'est sur ce point que repose la stratégie préventive, si elle est nécessaire, avant que la menace ne se matérialise. Cela explique aussi pourquoi certaines menaces ne viennent pas des États victorieux qui font partie du système westphalien mais des États qui ont échoué et qui n'y souscrivent pas.

D'autres États pourraient également être amenés à réévaluer leurs points de vue et leurs politiques. Avant, la plupart avait cherché à assurer leur sécurité dans un monde libéré des armes nucléaires, considérant qu'elles étaient un fléau et sans usage possible; maintenant, ils pourraient être amenés à revenir sur leur position et chercher à assurer leur sécurité avec elles. Le Kosovo, en 1999, et l'Irak, en 2003, ont suscité de vives inquiétudes dans un grand nombre de pays qui font face à des problèmes de sécession. Quel sera le prochain pays pour lequel une intervention de la majorité morale internationale de demain sera justifiée ? Les bouleversements et le malaise causés par les deux guerres ont poussé un grand nombre de pays à renforcer leur capacité de défense nationale. Ils pourraient décider de se doter d'ogives et de missiles nucléaires pour faire pression sur les États-Unis au cas où ceux-ci décideraient de mener une guerre.

Dans le cas des pays avancés, le transfert des technologies, du matériel et de l'expertise dans l'industrie nucléaire peut être utilisé en mettant en place, au préalable, l'infrastructure et le personnel pour créer un portefeuille d'armes nucléaires « virtuelles » rapidement prêtes à l'emploi. Dans les limites du TNP, un pays industrialisé qui ne détient pas l'arme nucléaire peut mettre en place l'infrastructure nécessaire à sa fabrication; c'est pourquoi les nouvelles d'expériences menées en Corée du Sud sont inquiétantes.

Certains commentateurs craignent que la maîtrise des armements se trouve dans une impasse et que le désarmement soit remis en cause. Les traités déjà négociés et signés pourraient l'être également. L'une des cinq puissances nucléaires ou trois des puissances nucléaires de facto pourraient reprendre les essais. La confrontation de l'Iran avec l'Agence internationale de l'énergie atomique pourrait pousser ce pays à se retirer du TNP. Si le statu quo du TNP n'a plus cours et si les risques d'un revirement en matière de maîtrise et de prolifération des armements sont réels, nous devons alors accepter qu'il y ait plus d'armes nucléaires et d'États nucléaires dans le monde ou progresser vers un désarmement total. Il n'y a pas d'autre solution.

Il est difficile de convaincre certains de la futilité des armes nucléaires lorsque ceux qui les détiennent prouvent continuellement leur utilité et insistent pour les garder. Les exhortations et les sanctions coercitives doivent être soutenues par la force de l'exemple. En fin de compte, la logique de leur non-prolifération est inséparable de la logique du désarmement nucléaire. D'où l'axiome de la non-prolifération : tant qu'un pays est doté de l'arme nucléaire, les autres, y compris les groupes terroristes, chercheront à l'acquérir.

Lié à une structure internationale figée qui n'existe plus depuis des décennies, le TNP est devenu fragile. Le chemin vers un monde libéré de l'arme nucléaire passe par une réduction importante de son arsenal, la mise en place de limites supplémentaires à son déploiement hors du territoire national, l'entrée en vigueur de la CTBT, l'interdiction des essais de vols de missile et de la production des matières fissiles, l'interdiction à titre préventif de la militarisation nucléaire de l'espace extra-atmosphérique, la réduction de l'état d'alerte des forces nucléaires et le démontage des têtes et des missiles nucléaires.

De tels scénarios sont rejetés par ceux qui se prétendent réalistes. Or, y a-t-il d'autres options que celles mentionnées ici ? Si la réponse est non, quelle est la meilleure option ? Un retour au statu quo d'avant 1998 au nom du réalisme ? Une prolifération anarchique ? Un réarmement ? Comme avec le célèbre aphorisme de Winston Churchill sur la démocratie, l'option de l'abolition peut se révéler irréaliste; toutes les autres options possibles sont encore moins réalistes comme stratégies visant à assurer notre sécurité et notre survie communes.

Confrontés à un monde qui ne peut changer, les gens raisonnables s'adaptent. Mais les moments décisifs de l'histoire et l'évolution de la civilisation sont déterminés par ceux qui s'emploient à changer le monde. La seule garantie contre la menace d'une guerre nucléaire est l'élimination complète des armes nucléaires. Dans la plupart des cas, une approche étape par étape est la meilleure politique. Mais une telle approche peut être fatale quand il s'agit de franchir un abîme. En ce qui concerne les armes nucléaires, l'abîme que nous devons traverser est la conviction que la sécurité mondiale peut reposer sur des armes qui n'offrent aucune sécurité.
Ramesh Thakur est recteur adjoint de l'Université des Nations Unies à Tokyo, au Japon. Cet article exprime ses points de vue personnels.
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