Chronique ONU
Premier objectif de défense des communautés
L'éducation en matière de risques liés aux mines
Par Tobias Kuhlmann, pour la Chronique

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L'article
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Dans les années 1980, quand Liz Bernstein travaillait dans les camps de réfugiés situés dans la région frontalière entre la Thaïlande et le Cambodge, elle constatait que les personnes qui sortaient du camp pour aller ramasser du bois revenaient souvent grièvement blessées ou ne revenaient pas vivantes. Elles étaient victimes des mines terrestres - des armes meurtrières qui restent invisibles jusqu'à ce qu'elles explosent. Depuis, Mme Bernstein et d'autres se sont mobilisés pour lutter contre les mines terrestres. Quelque 15 ans plus tard, cette tragédie est toujours présente. Cependant, à compter de septembre 2004, 143 pays se sont formellement engagés à les éliminer.

La Campagne internationale pour l'interdiction des mines terrestres à laquelle Mme Bernstein s'est jointe dès ses débuts, après son expérience dans les camps de réfugiés, a joué un rôle majeur pour faire pression sur les nations. Elle a donné lieu à la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, appelée la Convention contre les mines terrestres, qui est entrée en vigueur en 1999. Liz Bernstein estime, comme beaucoup d'autres, que ce traité est une étape décisive dans cette lutte.

Cinq ans après, le moment est venu d'organiser un suivi de la Convention, qui aura lieu au Sommet de Nairobi pour un monde sans mines du 29 novembre au 3 décembre 2004. « Des progrès immenses ont déjà été accomplis pour traiter le problème des mines, mais il reste encore beaucoup à faire. Nairobi sera donc une occasion de relancer le mouvement, de renouveler l'attention, de mobiliser les gouvernements et la société civile et de prendre les mesures nécessaires pour en venir à bout. Débarrassons-nous de cette arme une fois pour toutes », a déclaré Martin Barber, directeur du Service de la lutte antimines de l'ONU (UNMAS), lors d'un briefing en avril à l'intention de la presse.

Le Cambodge est l'une des régions du monde les plus touchées par les mines et les munitions non explosées. Cependant, selon l'UNMAS, le nombre de victimes est passé de 3 046 en 1996 à environ 745 en 2003, bien que cette diminution soit en grande partie due à la fin des combats dans le pays. À l'échelle mondiale, les succès sont tout aussi importants. Alors qu'en 1997 les mines faisaient 26 000 victimes chaque année, elles en font aujourd'hui entre 15 000 et 20 000. « Cette baisse est considérable mais le nombre de victimes est encore trop élevé. Il faut en finir avec ce problème », a déclaré M. Barber.

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D'autres indicateurs montrent aussi que cinq ans après son entrée en vigueur, la Convention contre les mines terrestres a eu un impact important : en 2003, selon le Rapport sur le contrôle des mines terrestres, qui a été publié par des organisations non gouvernementales (ONG) et qui sert de mécanisme de surveillance mis en place par la société civile pour vérifier l'application du traité, cinq pays continuaient d'utiliser des mines terrestres contre une vingtaine en 1997. Au début des années 1990, 54 pays produisaient des mines antipersonnel contre 15 en 2003, tandis que les États parties au traité ont détruit plus de 30 millions de stocks de mines. Le commerce des mines terrestres a disparu. .

« Mais d'une certaine façon, on peut dire que la Convention est victime de son succès. Avec l'adhésion d'une grand nombre d'États parties et sa popularité, on oublie qu'il y a encore des choses à faire », a déclaré Jackie Seck Diouf de l'UNMAS à la Chronique ONU. Les mines antipersonnel sont un exemple où les erreurs de passé jettent leur ombre sur le présent. Bien que l'arrêt de la production des mines terrestres, la destruction des stocks et l'abolition du commerce soient des réalisations importantes, de vastes zones sont toujours affectées par des mines prêtes à mutiler ou à tuer celui ou celle qui marchera dessus. Toutes les États signataires de la Convention se sont engagés à les éliminer de leur territoire dans les dix ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité. Cela est cependant plus facile à dire qu'à faire, chaque État faisant face à des défis spécifiques. .

L'Érythrée, par exemple, est l'un des dix pays les plus pauvres du monde et le plus touché par les mines terrestres. Avec l'arrivée en 2000 de la Mission des Nations Unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE) et l'établissement de son Centre de coordination de l'action antimines, les activités humanitaires de lutte antimines ainsi que celles des ONG internationales et des institutions de l'ONU se sont intensifiées. Andrea Poelling du Centre de coordination a décrit à la Chronique ONU quelques-uns des défis auxquels les démineurs sont confrontés chaque jour. Même si les mines ou les engins non explosés ont été signalés par les habitants de la région, il est souvent difficile de les localiser. « Les indications données par la population locale sont souvent trop vagues ou incomplètes, ce qui complique la tâche des équipes de déminage pour localiser immédiatement les engins non explosés ou les mines enfouies dans une zone ». Localiser une mine nécessite du temps, de la patience et de l'endurance, a commenté Mme Poelling. « Dans la plupart des cas, l'équipe doit également traverser des terrains dangereux et accidentés pour atteindre sa destination. ».

Les autres pays font également face à des défis similaires de déminage. Donc, même si la plupart des États parties à la Convention parviennent à remplir leurs engagements et à nettoyer les champs de mines dans les délais prévus, ce dont l'UMNAS ne doute pas, beaucoup resteront enfouies et poseront donc un danger présent et futur pour les habitants de cette région. C'est pourquoi le déminage n'est qu'une approche au problème. « L'éducation sur les risques liés aux mines est le premier objectif de défense pour les communautés qui doivent attendre que leurs terres soient débarrassées des mines et des munitions non explosées », a dit à la Chronique Lejla Susic du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) en Érythrée. À son avis, l'éducation des risques joue un rôle essentiel, particulièrement pour les enfants et aurait contribué à réduire le nombre de morts et de blessés.

L'éducation est poursuivie à différents niveaux : selon Julien Temple, de l'UNICEF, au Cambodge comme dans de nombreux autres pays, les écoliers sont informés, dans le cadre de leur programme scolaire, des risques que présentent les mines. De plus, dans les communautés particulièrement touchées, les enseignants sont encouragés à mettre en place une action spécifique et à promouvoir les discussions entre enfants. Mais il faut non seulement cibler les enfants mais également les adultes. Cela se fait au cours de soirées : « Nous organisons une soirée avec des affiches, des films et des émissions télévisées ou d'autres matériels à laquelle tout le village prend part », a confié M. Temple à la Chronique. En outre, l'éducation des risques liés aux mines est plus efficace si les communautés jouent un plus grand rôle et se mobilisent davantage.

Suite à la coopération des parties intéressées dans l'action antimines au Cambodge, un projet pilote a été créé il y a deux ans dans les communautés les plus touchées afin de les faire participer à l'élaboration et à la mise en ouvre des stratégies de réduction des risques. Ce projet fondé sur la communauté prend en compte le fait que les divers groupes au sein des communautés spécifiques évaluent les risques posés par les mines de manière différente et vise à équilibrer les priorités et les intérêts qui en résultent. De plus, une telle éducation est plus efficace si les informations sur les victimes sont plus accessibles. Selon M. Temple, avec le Système d'information sur les victimes des mines, établi en 1995 par la Croix-Rouge avec le soutien de l'UNICEF, le Cambodge possède l'un des systèmes les plus avancés et les plus complets au monde.

« Ce Système d'information présente tous les mois les accidents qui ont eu lieu, en notant le nom, l'âge et le sexe de la victime, le lieu de l'accident, le type de mine ou d'engin non explosé et l'activité de la victime au moment de l'accident, ce qui permet d'établir des schémas. » On peut identifier les groupes qui présentent le plus haut risque et répondre à leurs besoins. De nombreuses personnes sont informées par ce biais. « Le facteur fondamental est cependant de gagner sa vie », fait état le rapport en prenant le Cambodge comme exemple : « Même si les gens ont conscience du risque qu'ils prennent, ils n'ont pas d'autres choix que d'entrer dans ces zones minées. » Ce qui signifie que malgré les activités de déminage et l'éducation sur les risques, il y aura de nouvelles victimes et des blessés qui seront handicapés à vie.

Ces problèmes sont dus aux erreurs du passé. « Il y a trop de pays où la population et les communautés touchées par les mines ne reçoivent pas une aide suffisante », a dit Liz Bernstein à la Chronique. Cette assistance aux victimes comprend l'aide d'urgence, la fourniture de prothèses et d'autres dispositifs médicaux dont les survivants auront besoin toute leur vie. Cela est particulièrement difficile dans les pays économiquement faibles. Mais bien qu'il soit difficile de répondre à ces besoins de base, l'assistance aux victimes est encore plus complexe, a affirmé M. Temple. « Il est facile de mettre une prothèse à quelqu'un qui a perdu une jambe. C'est une tâche plutôt technique, mais si le service est disponible, cela se fait facilement. Mais dans un pays comme le Cambodge, fournir un travail à une personne handicapée est bien plus difficile. Quand on a perdu une jambe, il est difficile de gagner sa vie pour nourrir sa famille. » L'assistance aux victimes est donc étroitement liée au développement social et économique d'une société, et ces aspects doivent être pris en compte, comme l'ont déclaré les institutions de l'ONU concernées.

Non seulement les mines antipersonnel tuent et mutilent mais elles privent aussi les familles et les communautés de leurs moyens d'existence. Selon l'UNMAS, au Cambodge, après plus de trois décennies de guerre, les mines et les munitions non explosées empêchent les pauvres de cultiver leurs terres - soit près de la moitié de la population des villages. Elles constituent une menace quotidienne pour des milliers de familles et sont un obstacle au développement socio-économique dans les anciennes zones de conflit. Selon une étude sur l'impact des mines terrestres, en septembre 2003, la vie sociale et économique d'un tiers des 3 500 communautés d'Érythrée a été affectée par ces armes. La population rurale, les populations nomades, les personnes déplacées dans leur pays et les réfugiés sont les plus durement touchés. On constate un impact semblable dans de nombreux autres pays. Selon la majorité des observateurs, malgré les progrès considérables réalisés depuis l'entrée en vigueur de la Convention, tels que la diminution du nombre de victimes, le déminage de vastes zones et la destruction des stocks de mines, beaucoup reste à faire.

Service de déminage des Nations Unies/DPKO
« Ce problème peut être résolu. Nous pouvons reléguer les mines antipersonnel dans les poubelles de l'histoire. C'est une arme qu'il faut éliminer. La Conférence de Nairobi sera un succès si elle adopte des plans d'action et si chaque État partie concerné y vient en ayant préparé son propre plan d'action national pour se débarrasser dans les délais fixés des mines dans son territoire », a déclaré M. Barber. La mise en ouvre réussira si ces plans sont intégrés aux objectifs plus larges du développement social et économique, comme les expériences l'ont montré dans le déminage, l'éducation des risques liés aux mines et l'assistance aux victimes.

Tandis qu'environ trois quarts des États sont parties à la Convention, un quart ne l'est toujours pas, « et cela comprend des grands pays comme les États-Unis, la Chine, la Fédération de Russie, l'Inde et le Pakistan », a dit Mme Seck Diouf à la Chronique. Un autre but du Sommet de Nairobi est donc d'obtenir l'adhésion de nouveaux États avant le début de la Conférence et au cours des années suivantes. Elle espère que les États participant à la Conférence comprendront l'importance de cette question et seront représentés au plus haut niveau.

Parmi toutes les réalisations atteintes jusqu'ici et celles qui restent à accomplir en ce qui concerne les nouvelles victimes, les répercussions socio-économiques et la souffrance des survivants, l'une d'elles est moins concrète mais pas moins importante, a dit Liz Bernstein à la Chronique. « L'une des réussites est, avant tout, d'avoir créer une norme. Il y a peu de temps encore, les mines terrestres étaient des armes largement utilisées et, dans un laps de temps record, nous avons établi une norme internationale qui interdit leur utilisation. »

Les pays les plus touchés par les mines antipersonnel et les munitions non explosées
Alors que les mines antipersonnel continuent de tuer et de mutiler les personnes dans de nombreuses régions du monde, certains pays sont plus touchés que d'autres.

Service de déminage des Nations Unies/DPKO
Afghanistan: Le problème des mines et des engins non explosés est le résultat de plus de deux décennies de guerre par les armées et les factions en Afghanistan. Près de 25 ans après leur déploiement initial, ces armes continuent de poser un grave problème. Selon le Réseau d'information électronique sur la lutte antimines de l'ONU (E-Mine), plus de 872 km2 de terres sont minées et 450 km2 sont contaminés par des munitions non explosées. Chaque jour, au moins cinq personnes meurent ou sont blessées par ces armes. En outre, les mines constituent un obstacle au développement. L'Afghanistan est un État partie à la Convention contre les mines depuis 2002.

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Angola: Selon E-Mine, la capacité nationale, surtout concernant la fourniture d'informations détaillées sur la situation des mines, reste limitée. La contamination par les mines et la destruction de l'infrastructure causée par la guerre continuent de mettre la vie des populations en danger, d'empêcher le redressement économique du pays et l'acheminement de l'aide humanitaire et au développement dans la plupart des provinces. Selon les estimations, 70 % des réfugiés ou des personnes déplacées sont retournés dans ces régions où les conditions pour leur réinstallation ne sont pas en place et où les mines sont encore présentes en grand nombre. En 2003, cependant l'augmentation des fonds a permis de mener des enquêtes, de mettre en ouvre des activités de déminage, de démarcation des secteurs minés et de sensibilisation, d'assurer un meilleur contrôle de la qualité et de la coordination des activités de lutte antimines et de soutenir une réforme institutionnelle. Un soutien continu de la communauté internationale est nécessaire. L'Angola est un État partie depuis 2002.

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Cambodge: Ce pays figure parmi ceux les plus touchés par les mines et les munitions non explosées, à cause des nombreux conflits qui ont lieu depuis plus de trente ans. Avec une superficie de 4 466 km2 où sont disséminées les mines, près de la moitié des villages est concernée; en 2003, 745 accidents ont été signalés, un tiers des victimes étant des enfants vivant dans les régions rurales, en particulier dans les zones où les pauvres sont réinstallés. Le nombre total des victimes de mines est estimé à 36 000. Le Cambodge est un État partie depuis 1999.





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Iraq: Les données ne sont pas exactes et complètes mais, selon E-mine, l'Irak serait le pays le plus touché par les mines terrestres, ainsi que par les munitions explosives et non explosées. Des enquêtes récentes indiquent que, suite aux précédents et aux récents conflits, de grandes quantités de munitions explosives sont disséminées dans les villes et les villages. De plus, les champs de mines empêchent l'élevage du bétail et la culture des terres, bloquent l'accès aux sources d'eau et aux bâtiments communautaires et créent des obstacles à la remise en état de l'infrastructure. Des champs de mines sont situés le long de la frontière irakienne avec la Turquie, l'Iran, le Koweït et l'Arabie saoudite. Selon les données recueillies en 2003 sur une période de six semaines, il y a eu 324 accidents dans quatre provinces du Sud et 70 dans trois provinces du Nord. Et ces chiffres très élevés ne concernent que 40 % du pays. Si toutes les régions étaient prises en compte, le pays pourrait être le pays plus durement touché dans le monde. L'Irak n'est pas un État partie à la Convention contre les mines.
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