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La mer Caspienne
Un avenir incertain
Par Oksana Kim, pour la Chronique

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L'article
Photos reproduites avec la permission de MODIS, projet de réponse rapide de NASA/GSFC
La mer Caspienne, la plus grande étendue d'eau enclavée dans le monde avec une superficie de 371 000 km2, et l'une des plus petites mers, se trouve au croisement entre l'Europe et l'Asie. Cette situation géographique explique sa biodiversité et l'importance stratégique de ses immenses ressources pétrolières et gazières, sujets de divergence entre les pays riverains, l'Azerbaïdjan, la République islamique d'Iran, le Kazakhstan, la Fédération de Russie et le Turkménistan.

Les questions environnementales n'ont cependant jamais été une priorité pour les gouvernements nationaux, ni une préoccupation majeure pour les groupes privés installés dans la région. La coopération entre les États sur les questions liées à l'environnement est vitale pour empêcher, avant qu'il ne soit trop tard, le déclin dramatique de la mer Caspienne, comme cela a été le cas pour la mer d'Aral. (voir Chronique ONU numéro 1, 1999, page 38, « Les larmes sèches d'Aral ».)

Cette région abrite 400 espèces uniques dont certaines populations sont menacées si la situation écologique ne s'améliore pas. Les infiltrations dues à l'agriculture, saturées de substances chimiques, tuent des milliers d'espèces dont le système immunitaire est sensible aux changements de la composition de l'eau. La situation s'est aggravée par les forages, cause de déversements d'hydrocarbures dans la mer. Ces produits dérivés de l'activité commerciale dans la région ont contaminé les sols, les terres et l'eau. En outre, la construction de gigantesques raffineries ont détruit la ligne côtière, endommageant de nombreuses zones habitées situées autour de la mer Caspienne.

Les fleuves Volga et Oural, qui traversent la Russie, entraînent les déchets non traités dans la mer Caspienne. La responsabilité en incombe à l'industrie lourde russe qui a déversé ses eaux usées dans ces deux fleuves, ce qui a eu des répercussions importantes pour les nations voisines. Mais les difficultés financières auxquelles font face un grand nombre de groupes industriels depuis les années 1990 ont rendu impossible l'installation d'une usine de traitement.

Avant l'effondrement du communisme, les immenses ressources naturelles de la mer Caspienne représentaient une source importante de la prospérité économique de deux pays voisins, l'Iran et l'Union soviétique. À la fin du XXe siècle, la région était le centre mondial de la production de pétrole. L'exploitation du gaz naturel et du pétrole, sources d'énergie non renouvelables, a été si intensive qu'il fut décidé d'étendre les activités de forage à la mer Caspienne. Avec l'effondrement de l'Union soviétique, on a pu mesurer, pour la première fois, les dégâts causés par des décennies de surexploitation et par l'absence d'une politique de prévention des risques écologiques. Ces dégâts étaient à la fois causés par l'homme et la nature. La hausse naturelle du niveau de la mer Caspienne, que l'on ne sait toujours pas expliquer scientifiquement, est une source d'inquiétude supplémentaire pour tous les pays riverains. Selon les données, le niveau de la mer a augmenté de 2,2 mètres depuis 1978, causant des inondations qui ont endommagé des structures municipales et des routes, détruit des zones habitées, engendrant des changements climatiques qui ont eu une incidence directe sur la reproduction de certaines espèces.

La mer Caspienne représente 90 % de la production mondial de caviar. Le caviar noir a toujours été synonyme de prospérité et de niveau de vie élevé pour ceux qui sont impliqués dans son commerce. Dans les années 1970 et 1980, le déclin rapide des stocks d'esturgeons dû à la surpêche et à la pollution de l'eau est devenu évident, mais les mesures de prévention n'ont pas été prises à temps pour protéger leur population. Historiquement, l'Iran et l'ex-Union soviétique étaient d'importants exportateurs de caviar.

L'exploitation intensive récente du pétrole et du gaz en mer Caspienne a également eu un effet dévastateur sur la santé humaine. Dans les années 1990, lorsque les grands groupes pétroliers occidentaux se sont implantés dans la région, les citoyens des États riverains se sont vu promettre la prospérité. Or, en réalité, ils n'en ont jamais vu l'ombre. Alors que le pétrole coulait à flot et était acheminé vers l'Ouest, les entreprises opérant dans la région s'enrichissaient en faisant d'énormes profits, tandis que la population n'en touchait pas un centime.

De nombreuses fermes collectives créées pendant la période du communisme étaient situées à côté des gisements de pétrole et de gaz à une époque où l'extraction des ressources était raisonnable. Mais, durant la dernière décennie, l'extraction du pétrole et du gaz s'est considérablement développée et, face au nombre croissant de projets commerciaux, s'est étendue aux steppes. Les communautés locales étant situées très près des plates-formes d'extraction, elles ont été particulièrement touchées.

Berezovka, l'un des villages situés dans les steppes du Kazakhstan occidental, est un exemple. Seulement à quelques kilomètres de Karachaganak et l'un des plus grands gisements de pétrole du pays, sa population a souffert de maladies (voir graphique) et le taux de mortalité a constamment augmenté pendant les dernières années de l'activité commerciale.

Source: Crude Accountability
Les résultats d'une étude menée par Crude Accountability, une organisation non gouvernementale qui se concentre seulement sur la protection de l'environnement et les questions juridiques liées au bassin de la Caspienne et qui a mis en ouvre un programme de santé de l'environnement dans la région, sont inquiétants. Sur 100 élèves du secondaire interrogés en 2003, 34 souffraient de saignements de nez, 95 ressentaient une fatigue constante et 83 avaient de maux de tête graves. L'absence d'une éducation sur l'environnement parmi la population kazakhe et l'insuffisance des soins de santé dans les régions reculées aggravent encore plus la situation. Berezovka n'est cependant pas le seul village à subir les effets négatifs de l'extraction du pétrole.

Source: Crude Accountability
Il n'existe pas de règles environnementales spéciales pour traiter les situations comme celle de Berezovka. Selon les normes du droit national du Kazakhstan, le village doit être relocalisé dans une « zone de protection sanitaire », et la population devrait être dédommagée. Cependant, les entreprises commerciales se font tirer l'oreille. La raison est simple : elles ne veulent pas internaliser les coûts externes car cela réduirait leurs profits nets. Mais la vie des gens ne peut être mesurée en termes d'argent.

Ce n'est que récemment que les États faisant partie de l'ex-Union soviétique ont commencé à tenir compte des règles environnementales et il y a maintenant lieu d'espérer que cela débouchera sur une plus grande protection de l'environnement marin de la mer Caspienne.

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982, définit les droits de navigation, les limites de la mer territoriale, le statut juridique des ressources des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale, la conservation et la gestion des ressources marines et autres questions importantes. Toutefois, la mer Caspienne n'étant pas sous la juridiction de la Convention, les normes du droit international de la mer ne s'appliquent pas. N'étant ni un mer ni un lac, elle devrait être soumise à une réglementation spécifique.

Il y a plus de dix ans, les États riverains - l'Azerbaïdjan, l'Iran, le Kazakhstan, la Fédération de Russie et le Turkménistan - se sont mis d'accord sur deux points importants : ils détiennent les droits exclusifs des ressources caspiennes et la Convention concernant le statut de la mer Caspienne ne pourra être adoptée que par l'approbation des cinq États. En réalité, les négociations ont été compliquées en raison de divergences sur certaines questions internationales importantes, telles que la navigation, les pêcheries, les ressources naturelles et l'environnement.

Le partage de la mer Caspienne fait l'objet d'un débat entre les pays riverains. La Fédération de Russie a proposé de partager le sous-sol marin selon une ligne médiane modifiée, alors que la surface maritime ferait l'objet d'un usage commun. En d'autres termes, les fonds marins et la surface maritime devraient être considérés séparément et être soumis à une réglementation indépendante. Le Kazakhstan, le Turkménistan et l'Azerbaïdjan ont proposé des plans similaires, préconisant une réglementation indépendante pour le partage des fonds marins et l'usage commun de la surface de la mer. L'Iran a proposé d'établir un régime de co-propriété ou de partager la mer en cinq secteurs nationaux, y compris les 20 % qui reviendraient à l'Iran. Ces divergences et autres sujets de désaccord sur les questions ayant trait à la mer Caspienne ont rendu les négociations difficiles et sont parfois même devenues une source de conflit.
« Les derniers ajustements concernant le statut de la mer Caspienne seront réalisés par des accords bilatéraux et trilatéraux lorsque les fonds marins seront partagés en cinq zones. »
Le premier pas vers la création d'un régime efficace a été pris par la Fédération de Russie et le Kazakhstan lorsqu'ils ont conclu un accord reconnaissant leurs droits souverains en matière d'exploitation des ressources de la mer Caspienne. Quatre ans plus tard, en mai 2002, ils ont signé un protocole à l'accord établissant une position géographique de la ligne médiane. Quelques mois plus tard, les Présidents de la Fédération de Russie et d'Azerbaïdjan ont également signé un accord sur le partage des fonds marins qui identifie la ligne médiane délimitant les zones d'exploitation des ressources minérales des parties au traité. En 2003, un accord similaire a été signé entre le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan. Finalement, un accord trilatéral définissant les lignes médianes de démarcation a été signé par la Fédération de Russie, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan, qui prévoit le partage de 64 % du sous-sol situé au nord de la mer, ce qui donnerait 19 % à la Fédération de Russie, 18 % à l'Azerbaïdjan et 27 % au Kazakhstan.

Le représentant spécial du Président de Russie pour la région caspienne, Viktor Kaljuzhnij, a déclaré que « les derniers ajustements concernant le statut de la mer Caspienne seront réalisés par des accords bilatéraux et trilatéraux lorsque les fonds marins seront partagés en cinq zones ». Aucun accord n'ayant cependant été signé par les cinq États littoraux, le statut de la mer Caspienne n'est toujours pas réglé.
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