Chronique ONU
Des cultures liées entre elles
Sortir du «cycle de gestion des catastrophes qui tourne en rond»
Par Ilan Kelman

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L'article
Le 16 juillet 2004, plus de 93 enfants ont trouvé la mort dans un incendie qui s'est déclaré dans une école à Tamil Nadu, en Inde, tandis que 105 enfants qui étaient dans l'établissement ont survécu. Plusieurs responsables ont été accusés d'avoir falsifié des documents concernant la construction de l'école. Cet événement a mis en lumière l'absence de normes de sécurité dans de nombreuses écoles en Inde, notamment le manque de précautions contre les risques d'incendie et l'absence de matériel de lutte contre l'incendie.
Une maison à Upolu, à Samoa, endommagée par le cyclone Heta en janvier 2004. Photo d'Ilan Kelman
Dans la réduction des risques liés aux catastrophes, les tragédies des écoles masquent souvent des vulnérabilités plus générales, endémiques et inutiles qui affectent, dans une certaine mesure, tous les pays. L'incendie de Tamil Nadu n'était que l'événement le plus désastreux parmi une série d'incendies meurtriers qui ont éclaté en Inde : au moins six autres ont fait plus de vingt-quatre morts au cours de ces cinq dernières années. Et tandis que le monde déplorait le lourd bilan de l'incendie de l'école, des centaines de personnes mourraient noyées dans des inondations. Combien y avait-il d'enfants ? Combien d'écoles ont-elles été inondées ? Accorde-t-on la même importance à la réduction des risques liés aux incendies dans les écoles qu'à celle des risques liés aux catastrophes ? Deux semaines après l'incendie de l'école de Tamil Nadu, plus de 400 personnes ont péri dans l'incendie d'un centre commercial au Paraguay. Les incendies meurtriers ne sont pas le lot des pays pauvres. Le 20 août 2003, 100 personnes ont trouvé la mort dans un incendie qui a éclaté dans un night-club de Rhode Island, aux États-Unis. Et il existe d'autres types de catastrophes.

En examinant les catastrophes et les risques dans le monde, on remarque que la réduction des risques est une question souvent négligée jusqu'à ce qu'une catastrophe survienne. On se demande alors pourquoi rien n'avait été fait pour la prévenir. Les études de cas ne sont cependant pas toutes aussi sombres, des succès impressionnants ont également eu lieu. Il y une centaine d'années, les ouragans qui ravageaient la côte est des États-Unis faisaient des milliers de victimes alors que, ces dernières années, il n'en font qu'une dizaine. Ce nombre est toutefois très élevé compte tenu des ressources que les États-Unis consacrent aux programmes de surveillance des ouragans et de sensibilisation, ce qui représente néanmoins une amélioration importante sur le long terme.

Les succès ne sont cependant pas limités aux pays les plus nantis. Le Belize et Cuba ont également tiré des leçons de leur expérience et ont mis en place des systèmes d'évacuation qui ont permis de sauver des centaines de vie. Malheureusement, les réussites et les exemples de bonnes pratiques n'empêchent pas la survenue d'une catastrophe. En fait, ils engendrent souvent un sentiment de satisfaction jusqu'à ce qu'une autre catastrophe survienne. Il faut changer cette attitude qui consiste à prendre conscience du problème et à intervenir seulement quand il est trop tard. Le « cycle de gestion des catastrophes », qui alterne entre les activités avant les catastrophes, comme les mesures d'atténuation et de préparation, et les activités après les catastrophes comme la riposte et les efforts de relèvement, tourne en rond.

Pour sortir de ce schéma et s'engager sur une voie qui permette de protéger les communautés des catastrophes sur le long terme, il faut comprendre que la réduction des risques n'est pas seulement applicable aux événements extrêmes, aux risques à faible probabilité. De même, des actions ponctuelles sont rarement efficaces parce qu'entreprendre une action sans y donner suite ne rime à rien. La réduction des risques doit s'intégrer à la vie quotidienne et au mode de vie en tant que processus, comportement, paradigme, valeur et culture, devenant ainsi la norme dans les processus de développement et de durabilité. Ce principe est important, mais il est difficile à réaliser.

L'action est souvent plus efficace lorsqu'elle est mise en ouvre au niveau local car les conditions locales sont connues, et les objections et les préoccupations peuvent être examinées plus rapidement et directement, en supposant que les mécanismes existent pour parvenir à l'action visée. Il est alors possible de changer le comportement du public, de le sensibiliser et de surveiller, d'évaluer et de faire appliquer les politiques et les actions souhaitées. La réduction des risques liés aux catastrophes, la durabilité et le développement ne peuvent pas être imposés ou « réalisés » par d'autres. Il faut que les gens acceptent ces processus et les intègrent dans leurs politiques.

Les efforts locaux décentralisés nécessiteraient cependant un soutien plus important et de plus haut niveau afin d'informer le public des meilleures politiques et actions, de fournir les ressources nécessaires et de mandater une personne pour l'évaluation et la surveillance, ce qui pourrait renforcer les efforts locaux et donner un nouvel élan. Un tel soutien inciterait les gouvernements nationaux à participer. Les ordres du jour nationaux, les conseils et le soutien opérationnel en matière de réduction des risques, de développement et de durabilité fourniraient une direction stratégique et favoriseraient la cohérence, permettant ainsi d'éviter les décisions locales dont l'impact est limité ou qui pourraient être en conflit avec des objectifs plus vastes et à long terme.

Dans certains cas, en particulier dans les petits pays, il y a peu de différences entre les autorités nationales et locales. Dans ces cas, les institutions multinationales ou internationales pourraient apporter leur aide en fournissant une direction stratégique, des conseils et un soutien externe. Des approches plus globales sont également nécessaires pour faire face à certaines menaces. La surveillance d'objets situés près de la Terre (astéroïdes ou comètes qui pourraient entrer en collision avec celle-ci) ou des événements géologiques qui provoquent des raz-de-marée nécessite une coopération internationale comme, d'ailleurs, la mise en commun des informations sur les changements survenant dans le monde, tels que les changements climatiques et l'appauvrissement de la couche d'ozone. L'intervention internationale est souvent sollicitée pour arbitrer des conflits ou les problèmes environnementaux transfrontaliers. En ce qui concerne la réduction des risques liés aux catastrophes, « penser globalement, agir localement » doit aller de pair avec « penser localement, agir globalement », avec un travail de réflexion et des actions menées entre les deux niveaux.

En outre, le travail mené simultanément à tous les niveaux fournit des freins et des contrepoids. La corruption, l'apathie, l'avidité, l'indifférence - avec l'ignorance - peuvent être contrées en adoptant une pensée critique et des niveaux de surveillance différents. L'éducation des enfants est un outil puissant, qu'il s'agisse du recrutement des enseignants, de l'achat de manuels scolaires ou de la réalisation de l'objectif 2 du Millénaire pour le développement (OMD) - « assurer l'éducation primaire pour tous » qui, j'espère, comprend la réduction des risques liés aux catastrophes, le développement et la durabilité. Éduquer les enfants sur les catastrophes avant qu'elles ne surviennent a une incidence directe sur leur mode de pensée, leurs valeurs, leurs décisions et leurs actions quotidiennes tout au long de leur vie et de leur carrière. On peut facilement leur montrer comme il est simple, efficace, économique, pertinent et attrayant de rendre leur communauté plus sure et plus durable. Les enfants en parleraient ensuite à leurs parents, diffusant ainsi l'information en dehors de l'école et, en entrant dans le monde de travail, ils seraient équipés pour adopter les mesures en prévision d'une catastrophe.

Nouvelles protections des terres basses dans les îles Tonga : réduction des risques durable ou une mesure privisoire jusqu'à ce qu'un événement majeur les détruise ? Photo d'Ilan Kelman
Prenons l'exemple d'une expérience théâtrale aux îles Fidji. Des enfants âgés de 6 à 19 ans et leurs enseignants ont choisi pour leur spectacle « Tadra Kahani », un OMD qu'ils ont mis en scène ou chorégraphié. Cette approche touche les éducateurs, les jeunes, les familles des jeunes, leur vaste communauté, la nation et les visiteurs (locaux, nationaux et internationaux). Elle devrait être utilisée pour d'autres questions relatives à la réduction des risques liés aux catastrophes, au développement et à la durabilité, en particulier pour lier ces processus entre eux. Les enfants traduisent les idées dans leur propre langage, non seulement en utilisant leur dialecte et les expressions locales, mais aussi le moyen d'expression qui leur convient le mieux. Certaines personnes s'informent en lisant les journaux et les magazines et en naviguant sur le net. D'autres possèdent des traditions orales, qu'ils n'ont pas acquises en regardant une présentation sur un ordinateur portable, mais en étant assis en rond, en mangeant, en bavardant et en écoutant une histoire ou une légende élaborée, émaillée de nombreux rebondissements. D'autres utilisent l'art, notamment la musique et la danse, ou abordent des questions politiques ou communautaires seulement dans des lieux spécifiques. « Transmettre » signifie communiquer l'information et les idées aux gens selon leurs propres termes et à leur façon, comme Tadra Kahini.

Souvent, ces messages seront retenus et suivis si les gens constatent des avantages immédiats et personnels. La survie étant la principale préoccupation de la majorité de la population mondiale, les événements extrêmes sont rarement pris en compte. Les décideurs qui, au jour le jour, incluent tout le monde, attendent avec raison une politique ou une action qui offre des avantages, quels que soient les événements extrêmes. Les actions recommandées doivent donc avoir un effet positif et concret sur la vie quotidienne, comme par l'amélioration de la qualité de l'eau, des logements, de la nourriture, de l'éducation et des moyens d'existence. Si cela pouvait être réalisé dès le départ, il serait possible d'adopter des mesures qui ne donneraient pas nécessairement des résultats immédiats, mais qui sont essentielles à la gestion commune de la réduction des risques liés aux catastrophes, du développement et de la durabilité. C'est ainsi qu'une culture de réduction des risques pourrait être progressivement développée et s'inscrire dans cadre du développement d'une culture de la durabilité.
Biographie
Ilan Kelman est directeur adjoint du Centre for Risk in the Built Environment de l'université de Cambridge, au Royaume-Uni, où il mène des travaux de recherche appliquée sur la vulnérabilité, les risques et les catastrophes dans le contexte de la durabilité et du développement. Il s'intéresse particulièrement à la vulnérabilité et à la capacité de résistance des petites îles. (http://www.arct.cam.ac.uk/curbe).
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