Chronique ONU
L'INTERVIEW de la Chronique : Mahen Bonetti

Imprimer
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Biographie
Photo reproduites avec l'autorisation de l'African Film Festival, Inc.
« Je sais ce que l'Afrique m'a donné et ce qu'elle est capable de donner », a déclaré Mahen Bonetti, fondatrice et directrice exécutive d'African Film Festival, Inc. Mais alors que tout le monde parlait de l'Afrique à la fin des années 1980, « la voix africaine n'existait pas ». Ce « paradoxe culturel » - où les images d'enfants africains affamés apparaissaient sur tous les écrans de télévision tandis que la « musique du monde » prenait naissance et que le concept d'afro-américain émergeait comme concept politique d'identité - l'ont poussée à chercher comment promouvoir un dialogue culturel entre l'Afrique et les États-Unis. Réalisant que le cinéma est le moyen idéal pour instaurer un tel échange culturel, elle a créé l'African Film Festival (AFF) à New York. Horst Rutsch, de la Chronique, s'est entretenu avec Mme Bonetti sur le rôle du cinéma pour sensibiliser le public américain à la culture africaine.

L'interview
Sur la création de l'African Film Festival à New York
Dans les années 1980, New York était une ville dynamique, avec des expressions culturelles variées en termes de musique, de danse et de mode. Plus que jamais, j'ai ressenti la présence de l'Afrique dans ces différents modes d'expression.

En 1989, j'ai vu une rétrospective du cinéma africain des 30 dernières années au Festival de films de Locarno, en Suisse. Cela a fait tilt. Voilà comment nous pourrions montrer l'Afrique, par le biais de films réalisés par des cinéastes africains. Cette forme d'art moderne pourrait préserver une partie de la culture africaine et promouvoir notre éducation, compte tenu des taux d'alphabétisme très peu élevés. À mon retour, j'ai appelé le Musée d'art moderne (MOMA) et le Public Theater pour leur demander leur appui. Ils étaient intéressés mais craignaient que ce genre de programme soit difficile à vendre. Des Noirs influents m'ont même dit que ce projet ne les intéressait pas. Cela représentait un défi. J'étais découragée parce que je ne m'attendais pas à ce genre de réaction mais je n'ai pas baissé les bras.

Richard Peña, de la Film Society of Lincoln Center, qui présente des films étrangers depuis de nombreuses années, a répondu positivement. L'AFF a été lancé en 1993 et fut la première collaboration du Lincoln Center au Walter Reade Theatre. À la surprise de tous, la demande du public a été si importante que le festival, prévu pour dix jours, a été prolongé à un mois ! Les fondations ont alors apporté leur soutien au festival.

Sur l'idée d'un échange culturel par le biais de l'AFF
Le festival africain a été créé pour promouvoir la communication entre les cultures, l'identité culturelle et la compréhension. Le public pouvait voir ces films et en discuter ensuite avec les cinéastes. Avant le festival, le public américain n'avait pas beaucoup d'occasions de voir des films africains. Au fil des ans, la demande pour ce genre de films a augmenté partout dans le pays et nous avons essayé d'y répondre en consultant les programmateurs qui étaient intéressés par cette initiative, mais nous n'avions ni l'expérience ni les informations pour le faire.

Sur la vitalité du cinéma africain
J'ai assisté à plusieurs FESPACO - le festival du film panafricain le plus important au monde - qui a lieu deux fois par an au Burkina Faso, en Afrique de l'Ouest. Ce pays comprend un grand nombre cinéastes de talent, ce qui montre que même les petits pays ayant peu de ressources peuvent avoir une industrie et une culture cinématographiques. Ces réalisateurs, qui possèdent une tradition culturelle riche, sont conscients de leur environnement et ont une imagination fertile ce qui, au bout du compte, est aussi important que l'argent pour faire un bon film !

Pendant le FESPACO, personne ne dort, tout le monde se lance dans des discussions passionnées. L'attitude des Africains par rapport au cinéma est magique. Ils font des kilomètres et des kilomètres pour venir voir des films et s'entassent dans des stades en plein air. Ils se bousculent, montent même sur les arbres pour assister aux projections. Ils veulent voir des images d'eux, entendre leurs voix, voir leurs propres visages à l'écran. Le cinéma africain a besoin d'un soutien financier. Peut-être faudrait-il imposer des droits sur les films étrangers importants et que les salles de cinéma privées consacrent un pourcentage de leurs programmes pour présenter des films locaux.

Sur l'extension du festival par le biais de programmes de sensibilisation
Après le premier festival, nous avons lancé des programmes pour soutenir l'intérêt pour les films africains tout au long de l'année, et nous avons imprimé un catalogue technique des programmes que nous avons envoyé dans le monde entier, du Cameroun à la Pologne.

Le New York African Film Festival a lieu chaque année en avril. En complément, nous créons des pochettes contenant du matériel d'éducation et de marketing que nous proposons pour un prix modique. La Traveling Series de l'AFF se déroule d'octobre à mai de l'année suivante et présente des films africains dans dix villes américaines. Résultat : de plus en plus de maisons d'art et de la culture et de festivals présentent désormais un programme africain. Nous avons organisé une douzaine de projections gratuites dans des parcs situés à Harlem ainsi qu'à Brooklyn, dans le Queens et dans le sud de Manhattan.

Sur l'importance des programmes d'éducation
L'AFF a créé deux programmes pour toucher les jeunes, dont beaucoup n'ont jamais vu de personnages noirs positifs ou réalistes à l'écran ou qui connaissent peu l'Afrique. Le premier - le Programme d'éducation pour les jeunes adultes - fait partie de notre festival annuel de New York. Il s'agit d'une séance en matinée spécialement conçue pour environ 200 élèves d'établissements secondaires. Les deux à trois courts métrages projetés sont sélectionnés selon l'âge des élèves et concernent l'histoire, la géographie et la culture africaines. Le cinéaste est également présent pour répondre aux questions. Les sujets de discussion ont porté sur les questions des femmes, l'histoire de la décolonisation et l'influence de la tradition orale sur le cinéma.

En 2000, le Programme In-School de l'AFF a été lancé en coopération avec l'East Harlem School at Exodus House, un collège situé dans l'un des quartiers les plus défavorisés de New York, qui comprend 75 élèves. Au début de l'année scolaire, des consultants de l'AFF ont rencontré des enseignants pour adapter leur programme et inclure dans leurs cours des films africains ainsi que la littérature et l'histoire africaine, et ont rendu visite à des artistes africains et à des écoles. L'AFF a équipé l'EHSEH d'une bibliothèque vidéo comprenant vingt films et imprimé des brochures sur l'histoire et la culture africaines. Six fois par an, durant l'année scolaire, un membre de l'AFF présente dans une école un film ou un artiste invité, tels que Salif Keita, un musicien malien renommé; Carol Thompson, experte en art africain et conservatrice du High Museum; Fode Bangoura, membre important de la première compagnie de ballet guinéenne; et Madison Davis Lacy, réalisateur de documentaire, lauréat d'un Emmy Award. Nous espérons que cela servira également de modèle pour les autres écoles.

Sur l'importance des partenariats internationaux
L'AFF a également participé à de nombreux projets internationaux. Nous envoyons depuis longtemps des représentants au Burkina Faso à l'occasion du festival FESPACO. Nous nominons aussi des films afro-américains pour le prix FESPACO Paul Robeson pour le meilleur film réalisé par la diaspora africaine. Nos efforts de programmation au-delà des frontières nationales se sont concrétisés avec le partenariat avec la fondation Bob Marley, qui a présenté en 1996 un festival de films africains au Bob Marley Museum à Kingston (Jamaïque). Depuis, nous avons organisé un mini festival à chaque automne. En raison de la grande popularité de ce programme, l'AFF a co-organisé une série de films africains et de la diaspora africaine pour la deuxième Biennale de Johannesburg en 1997 et depuis 1999 a également co-organisé un festival de films panafricains conjointement avec la troisième Célébration de l'héritage africain au Brésil, où une large population de Noirs a des liens étroits avec l'Afrique.

Sur la publication de Through African eyes
Photo reproduites avec l'autorisation de l'African Film Festival, Inc.
La plupart des livres sur la culture africaine, destinés aux spécialistes et aux universitaires, ne sont pas facilement accessibles au grand public. Nous voulions créer un livre simple pour donner un aperçu de la culture africaine au travers de la voix des cinéastes africains. Le livre présente des conversations avec les réalisateurs, animées par divers professionnels des médias, dont Danny Glover, Jonathan Demme et A.O. Scott du New York Times - parfaite introduction au cinéma. Nous espérons que les lecteurs, passionnés par le contenu, rencontreront les réalisateurs et liront d'autres ouvrages présentant des analyses de film plus approfondies. Non seulement nous le vendons sur notre site Internet, mais nous nous mettons en contact avec des universités et des établissements scolaires, car cela constitue une ressource importante pour tous ceux qui étudient le cinéma africain.

Sur la projection des films à l'ONU
L'ONU compte un grand nombre de dirigeants africains. Il est donc crucial que nous y présentions les films en présence des cinéastes afin que ceux-ci rencontrent la communauté diplomatique et les représentants africains. Lorsqu'il n'y a ni nourriture ni médicaments, il est difficile de convaincre les gens que la culture est aussi une priorité et que nous aussi, nous avons besoin de nourrir nos âmes et nos esprits. Il est incontestable que la nourriture et la santé sont des problèmes immédiats mais, à mon avis, il est vital de soutenir le sens de la culture qui a permis aux Africains de tenir bon malgré les difficultés économiques et politiques qu'ils ont subies.

Notre première projection a eu lieu à l'ONU en 1994 avec l'appui du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF). Nous avions choisi la période du festival parce que les réalisateurs seraient à New York. D'abord, elle était destinée aux enfants, qui devaient venir pendant la journée. Puis, nous avons réalisé qu'il était important d'avoir la participation de la communauté internationale et des ambassadeurs. En 1998, nous avons projeté un film d'un réalisateur camerounais au contenu politique, qui a été suivi par un débat animé. Plus récemment, nous avons projeté des films primés, tels que Pièces d'identité de Mweze Ngangura et Waiting for Happiness du réalisateur auritanien/malien Abderahmane Sissoko. Ces films nous aident à confronter certaines questions, et nous mettent au défi de continuer à trouver les moyens d'améliorer notre situation et de construire notre avenir. C'est la magie et le pouvoir du cinéma.
Page d'accueil | Dans ce numéro | Archives | Anglais | Contactez-nous | Abonnez-vous | Liens
Copyright © Nations Unies
Retour  Haut